Elle regarda sa montre. Dix-sept heure quinze, il lui restait une bonne dizaine de choses à faire. Elle rassembla une pile de papiers et les fourra dans un porte-document en cuir noir, mis son Mont Blanc dans son sac à main, jeta un dernier regard au travers de la baie vitrée, et sortit.
Assise à l'arrière, elle en profita pour répondre à quelques emails.
"Dix minutes, maximum," dit-elle au chauffeur en sortant. Ses talons blancs claquèrent sur le béton. Elle réajusta son tailleur et, à la vue de son reflet dans la vitre, repositionna une mèche de cheveux venue se poser sur son front. Elle composa son code personnel avant d'être accueillie par une voix familière. Elle posa le porte-documents sur le comptoir de la cuisine et fit couler un expresso. L'odeur, fruitée et corsée, lui fit envie, mais elle se ravisa et attrapa une bouteille d'eau dans le réfrigérateur.
Doucement, elle descendit les marches et, coinçant le porte-documents son un bras tout en parvenant à tenir la minuscule tasse en porcelaine blanche sans en renverser son contenu, entra dans l'atelier.
"Expresso?" dit-elle a une masse brune de cheveux qui dépassaient derrière un écran d'ordinateur.
"C'est de l'italien," ajouta-t-elle en se dirigeant vers lui, contournant un tas de matériel robotique dont elle ignorait l'usage.
Il mit un temps à poser les yeux sur elle, alors elle le contempla dans sa concentration. Des années qu'elle travaillait pour lui. Avec lui. Plus le temps passait, plus les événements laissaient leurs traces sur son visage, plus elle le trouvait beau. Les rides qui se formaient aux coins de ses yeux quand il souriait, sa mâchoire maintenant ciselée, ses tempes parsemées de gris.
Il avala le café d'une gorgée et, dans un soupir, se tassa au fond de sa chaise, lui faisant face.
"Tu as quelque chose pour moi?"
Délicatement, elle ouvrit le porte-documents et lui tendit un stylo.
"Tu signes ici, là, et là, tout en bas, oui. Le budget énergie pour les six mois à venir, et les termes légaux qui vont avec les nouveaux contrats. Ça va?"
Elle avisa une bouteille d'Advil ouverte sur le bureau et se pencha pour découvrir qu'elle était vide.
"Qu'est-ce qu'il se passe?" dit-elle, une pointe d'inquiétude dans la voix.
Il n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle enchaina:
"Tu t'es blessé quelque part? Où? Tu as vu un médecin? Tu veux que j'appelle un médecin? Je te conduis à l'hôpital. Jarvis, contacte Docteur Krauss et dis lui que —"
"Okay, okay, j'avais mal à la tête, c'est tout!" l'interrompit-il en levant les mains comme pour montrer son innocence.
"Oh." Elle fit une pause, le regardant droit dans les yeux, et reprit: "Et pour un mal de tête, tu as pris toute la boite? Tu t'es encore cogné en faisant un essai de vol?"
Il sourit, mi-ennuyé mi-amusé, et concentra à nouveau ses yeux sur son écran d'ordinateur.
"Il restait trois cachets… mais tu n'as pas des choses à faire?"
"Panel légal dans trente-cinq minutes, d'ailleurs tu es supposé y venir, toi aussi…" fit-elle en laissant ses yeux s'attarder sur sa tenue plutôt inadéquate pour ce genre de rendez-vous.
Elle rassembla ses affaires et récupéra la tasse vide.
"Tu veux que je t'attende?" demanda-t-elle tout en se dirigeant déjà vers la porte.
"Je serai en retard" répondit-il en se frottant les yeux.
"Tony…" commença-t-elle alors qu'il se massait machinalement la nuque, mais elle ne continua pas. Elle ouvrit la porte et ne le vit pas grimacer lorsqu'il haussa la voix pour s'assurer qu'elle l'avait bien entendu depuis les escaliers.
"Je vais changer de tee-shirt, ne t'inquiète pas."
Il fallait toujours qu'il ait le dernier mot.
