Froid. J'avais froid. Tellement froid que je ne sentais même plus mes os. Je détestais ces semaines annonçant l'hiver. Je me surpris à penser à un feu de cheminée, crépitant, rougeoyant et enveloppant. Le doux crépitement du bois brûlant dans l'âtre… Je remontais le duvet sur mon front, essayant de me réchauffer encore un moment.
Un craquement. Je sursautai et me redressai. Immobile, je retins ma respiration quelques secondes.
Rien. Le silence. Pas même le bruit du vent dans les feuilles.
Je sortis du duvet, enfilai mes chaussures et ouvris la fermeture-éclair. Glacial. Transperçant. Et humide. Un épais brouillard avait enveloppé la forêt. Aucun bruit ne perçait, comme si la forêt était sous une bulle.
Je détestais le mois de décembre. Pas encore officiellement l'hiver mais plus le bel automne flamboyant et tiède. Je frissonnais.
Après quelques secondes, je me décidai à sortir de ma tente. Autour de moi, des arbres, de la mousse, quelques rochers et un tapis de feuilles mortes et humides. J'attrapai mon vieil anorak et le boutonnai jusqu'en haut. Quelques pas sur ce tapis en décomposition et je retrouvai ma valise que j'avais pris soin de cacher avec des branchages. J'y attrapai une barre de céréales et ma gourde en guise de petit-déjeuner, puis ma trousse de toilettes. Rapide tour de la tente, histoire de réveiller les muscles de mes jambes et de me réchauffer un peu et je m'engouffrai de nouveau dans ma petite tente. Assise sur le tapis de sol, emmitouflée dans mon duvet, je mâchouillais sans conviction mon petit-déjeuner et avalais par petites gorgées prudentes l'eau glacée de ma gourde. Alors que je rêvais d'œufs au bacon et de croissants…
-Plus que quelques mois et j'y arriverai ! me dis-je à voix haute.
Ma promesse résonna dans la forêt, brisant le calme humide et pesant. Surpris, un oiseau s'envola et des branches s'entrechoquèrent. Le jour commençait à se lever et je décidai donc de lever le camp. Je démontai ma tente, rangeai mes affaires dans ma valise et repris la marche à travers cette forêt de l'état de Washington que j'arpentais depuis trois jours maintenant. J'avais décidé d'aller voir l'océan.
Je reprenais donc ma « randonnée » au travers de cette forêt, tirant ma valise à roulettes derrière moi telle une tortue emportant sa maison sur son dos. Depuis le début de cette aventure, j'avais l'impression que ma maladresse légendaire avait enfin disparu. Non pas totalement mais je me plaisais à penser que mes jambes avaient enfin compris ce que j'attendais d'elles depuis la jour où je sus marcher seule.
Dans l'après-midi, à en juger par la lumière descendante, je choisis de planter à nouveau ma tente. J'étais devenue assez habile avec les rudiments du camping et mon campement fut rapidement installé, contre un énorme bloc de roche afin de réduire les courants d'air. L'atmosphère était froide mais sèche en cette fin de journée. Une quinte de toux me déchira la gorge.
-Avec ma veine, j'ai dû attraper un rhume ! jurai-je entre mes dents.
Grelottant sous ma parka, je décidai d'allumer un petit feu pour cette soirée. J'allumais rarement un feu de camp ne souhaitant pas me faire repérer. Une lueur dans les bois pourrait attirer le garde forestier ou le shérif et je n'avais vraiment pas besoin d'eux pour le moment. Je voulais juste voir l'océan.
Persévérant dans mon idée d'allumer un feu, je m'éloignais un peu de ma tente pour ramasser du bois mort. Au détour d'un arbre, j'aperçus une lueur. Une clairière ? Immobile, je guettais le moindre bruit. Rien. Le silence. J'approchai alors de la lisière, restant camouflée derrière la dernière rangée d'arbre. Une imposante villa blanche se dressait là, flanquée d'un immense garage. Aucun mouvement ne filtrait au travers des immenses baies vitrées qui composaient l'arrière de la maison. Prudemment, j'entrepris alors d'en faire le tour, restant toutefois à l'abri des arbres. La maison semblait vide de ses occupants mais peut-être étaient-ils au travail ou en ville ? Encore quelques pas et je me retrouvais sur le bord d'une petite rivière. L'emplacement de la villa était idéal à mon avis : le calme et la majesté de la forêt, le sentiment d'être seul au monde grâce à ces arbres surement centenaires, et pour terminer, la quiétude apportée par le murmure de ce ruisseau. Rebroussant chemin afin de retrouver mon campement, je me retournai une dernière fois pour admirer cette immense bâtisse avant de m'enfoncer dans le sous-bois.
J'ouvris les yeux. Des oiseaux piaillaient dans les sapins. Le soleil était levé depuis un moment, l'humidité de l'aube était retombée. Le feu d'hier avait balayé mon vague à l'âme et ma barre de céréales me semblait d'un meilleur gout. Comme tous les matins, je repris ma valise et marchai en direction de la petite rivière aperçue la veille dans le but de faire un brin de toilette. Je déposai ma valise sous un tas de branchages à quelques mètres de la rivière.
L'eau. Le bruit de l'eau qui coule. Reposant. Relaxant. Rassurant.
Je restais un moment à contempler cette rivière, emplissant mes oreilles de ce doux murmure. J'enlevai ma parka, mes chaussures, mes chaussettes et remontai les manches de mon pull. Glaciale. L'eau est froide, de ce froid qui vous brûle au moindre contact.
Ma toilette ne me prit que quelques secondes et je sautai de nouveau sur la berge. Il devait être midi maintenant. Le vent monta tout d'un coup, assourdissant sous les branches. Une tempête se préparait-elle ? Les tremblements me reprirent et le feu envahit mes joues.
-Et maintenant la fièvre… grommelai-je, entre deux claquements de dents.
Voulant regagner ma valise pour reprendre ma route, je contournai de nouveau la villa blanche aperçue la veille. Etait-ce la fièvre ? Peut-être…Une idée explosa dans mon esprit : il fallait à tout prix que je me réchauffe.
Avançant prudemment en lisière, j'observai, comme la veille, la maison un long moment.
Vide. Comme la veille.
Je fis un pas, puis deux, puis trois pour sortir de la couverture des arbres. Aucun mouvement. La voie était libre. Je réfléchissais au moyen d'entrer quand, arrivant près du garage, un reflet me fit lever la tête. Une fenêtre entrouverte ! Quelques centimètres seulement mais elle était ouverte ! J'escaladai prudemment le toit du garage et ouvris doucement la fenêtre. Une vague de chaleur me sauta au visage.
Sans bruit, je rentrai dans la pièce, un dressing apparemment, et m'assis contre le radiateur qui se trouvait sous la fenêtre.
Bonheur. Quelle sensation douce sur ma peau. Enfin, j'avais chaud. Je ne resterai pas longtemps, juste quelques minutes, le temps de me réchauffer et je repartirai en fermant la fenêtre.
Je ne voudrais pas qu'ils soient cambriolés ! pensai-je, un sourire aux lèvres, appuyant le plus de parties possibles de mon corps contre le radiateur.
