Bonjour à tous ! Je suis de retour avec une nouvelle histoire, et en français cette fois ! (il est temps de contribuer un peu au fandom, cocorico tout ça)

Bon, cette histoire n'est clairement pas un chef-d'œuvre (je ne devrais peut-être pas dire ça dès le début mais tant pis), mais ça m'a fait du bien d'écrire un peu dans ma langue maternelle. En tout cas j'espère qu'elle sera au moins agréable à lire. Disons qu'elle a le mérite de ne pas trop se prendre la tête (sachant qu'à l'instant où j'écris ces mots, je suis en train d'imaginer comment j'aurais pu en faire un truc long et épique, mais ce n'était pas mon objectif).

Je rappelle rapidement que les personnages de Shokugeki no Soma ne sont pas à moi tout ça tout ça.

Juste pour info : à la base ça devait être un OS, mais comme il fait 15 000 mots en tout je l'ai divisé en 4 pour le relire plus facilement. Sauf que comme j'ai tout écrit d'un bloc, mes coupures ne sont pas forcément idéales. J'ai fait de mon mieux ceci dit.

Bref, après vous avoir magnifiquement vendu cette histoire, il ne me reste plus qu'à souhaiter une bonne lecture à ceux qui auraient décidé de continuer malgré tout !


En tant que mage errant, Souma avait l'habitude de passer la nuit dehors. À vrai dire, cela ne lui déplaisait pas. Il pouvait faire un feu à partir d'à peu près n'importe quoi, transportait aisément tout le nécessaire pour rester au chaud et au sec, et actuellement, le temps s'y prêtait à la perfection. Il éprouvait une affection particulière pour les douces nuits de printemps, et celle-ci s'annonçait superbe. Le temps était clair et la lune brillait de mille feux, baignant généreusement le monde d'une lueur lactée et empreinte mystère. Lorsqu'il était enfant, son père avait coutume de lui dire que les nuits comme celle-ci étaient propices aux rencontres les plus inattendues. Souma n'avait jamais compris où il voulait en venir. Néanmoins, comme à chaque fois que Jouichirou énonçait l'une de ses vérités générales, il se contentait d'acquiescer et de les garder dans un coin de sa mémoire (ou de les oublier la seconde d'après, selon l'humeur).

Alors qu'il partait à la recherche d'un endroit calme et abrité où poser ses affaires, ramassant au passage un peu de bois pour le feu, le regard du mage fut soudain attiré par une forme blanche sous un buisson. Intrigué, il s'approcha de ce qui se révéla être un petit tas de plumes blanches, probablement des plumes de cygne ou d'oie. Tandis qu'il les extirpait de leur cachette de fortune pour chercher à comprendre leur origine, il fut encore plus étonné de constater qu'il s'agissait en réalité d'une cape, entièrement recouverte de plumes de cygne. Leur blancheur éclatante sautait aux yeux dans la faible luminosité, ce qui laissait supposer qu'elles n'étaient pas ici depuis très longtemps. Toutefois, alors qu'il se redressait pour observer les alentours, il ne remarqua aucune trace d'un éventuel propriétaire. Il songea alors à rapprocher la petite boule de lumière qui flottait à côté de lui pour l'examiner plus en détails, en quête d'un quelconque signe qui lui permettrait de comprendre d'où elle venait. Il n'en eut toutefois jamais le loisir, car il entendit soudain une voix derrière-lui s'écrier :

« Rendez-moi ça tout de suite ! »

Surpris, il se retourna d'un bond et tomba nez à nez avec un jeune homme blond et visiblement essoufflé qui semblait avoir à peu près son âge, et dont toute l'attitude trahissait une indignation sans bornes. Un examen légèrement plus poussé lui apprit également que le jeune homme en question était nu comme un ver, ce qui, étrangement, ne gâchait en rien son air outré. À vrai dire, la scène semblait à la fois si surréaliste et si naturelle au mage qu'il ne songea même pas à faire de commentaire à ce sujet.

« Pardon, je l'ai trouvée par terre et… c'est à toi ? » demanda-t-il, plus intrigué que jamais.

« Ce sont mes plumes. Rendez-les-moi ! »

Étrangement, sa deuxième injonction était beaucoup plus incertaine que la première. À vrai dire, son interlocuteur avait soudain l'air beaucoup moins autoritaire, et pendant un instant, son expression laissa transparaître une certaine appréhension.

« Et si je refuse ? » demanda Souma avec un sourire narquois, certain désormais que l'assurance de l'inconnu avait la fragilité d'une bulle de savon et qu'il pourrait la faire éclater d'une simple pichenette verbale.

Cette fois, l'autre sembla carrément avoir peur. Intéressant…

« Rien, répondit-il simplement. Vous avez mes plumes, donc je ne peux rien faire de plus… »

Cette réponse avait au moins le mérite d'être honnête… Toutefois, le mage n'était pas certain d'en comprendre la raison. Après tout, le blond venait de lui dire purement et simplement qu'il était entièrement à sa merci, et ce juste parce qu'il avait ramassé une cape de plumes par terre. Singulier personnage…

Bien sûr, un comportement pareil ne pouvait avoir qu'une seule explication : le jeune homme en face de lui n'était pas humain. Pourquoi les créatures magiques étaient soumises à autant de règles étranges et improbables, nul ne le savait. Même les principaux concernés étaient bien souvent incapables d'expliquer l'origine de toutes ces lois. Toutefois, c'était un fait bien connu, particulièrement pour un mage comme Souma. Cependant, il n'avait encore jamais rencontré de spécimen dans le genre du jeune homme en face de lui, et la tentation de le taquiner un peu plus longtemps était trop forte pour qu'il puisse y résister.

« Tu peux me tutoyer, tu sais…

- Très bien, répondit l'autre d'un ton qui laissait transparaître une certaine méfiance.

- Et donc tant que j'ai ces plumes, tu es obligé de m'obéir ? »

L'autre se mordit la lèvre et répondit à contrecœur :

« C'est ça.

- Et je suppose que tu ne peux pas me mentir non plus, poursuivi le roux.

- Non. »

C'était vraiment une règle contraignante, pour la peine…

« Intéressant… Je crois que je vais la garder » déclara Souma en observant sa trouvaille d'un air faussement pensif.

Un regard en coin lui apprit que le blond avait perdu toute trace d'assurance. Faire perdre contenance à cet inconnu était bien plus jouissif que tout ce que le mage aurait pu imaginer.

« Non, quand même, je ne suis pas un monstre… » se ravisa-t-il en faisant mine de lui rendre sa précieuse cape.

Le visage de l'autre s'éclaira et il tendit la main pour s'en emparer. Souma attendit le dernier moment pour la mettre hors de portée, déclarant :

« Quoique, je pense que ça fera une parfaite descente de lit. »

L'air réjoui du blond s'effondra en un instant. Souma trouvait son attitude tellement hilarante qu'il aurait pu continuer comme ça toute la nuit. Toutefois, il préféra ne pas trop pousser son avantage. Il n'avait rien à gagner à se faire un ennemi maintenant, d'autant plus qu'il était particulièrement curieux d'en apprendre plus sur la créature inconnue qu'il avait en face de lui.

« Je plaisante » avoua-t-il avec un sourire.

L'autre ne sembla guère apprécier son humour, ce qui n'était pas si surprenant compte tenu des circonstances. Un jour, Souma apprendrait à ne pas s'amuser aux dépens des autres. Mais ce jour n'était pas encore arrivé. Il décida malgré tout que la plaisanterie avait assez duré pour cette fois. Néanmoins, avant de rendre la cape pour de bon, il demanda :

« Si je te rends tes plumes, que dirais-tu de manger avec moi ? »

Le blond le fixa un instant d'un air surpris, avant de hocher lentement la tête. Souma lui tendit finalement son bien, et il s'en empara d'un geste vif, craignant visiblement une nouvelle feinte. S'il n'avait pas hésité à remettre les plumes hors de portée de son propriétaire une deuxième fois, le mage se serait presque senti vexé par ce manque de confiance…

C'est seulement à cet instant que Souma réalisa que s'il devait vraiment partager un repas avec cet inconnu, il devrait peut-être le couvrir un peu. Il avait été tellement pris par son nouveau jeu qu'il avait totalement oublié ce détail. La cape était courte et ne semblait pas en mesure de couvrir quoi que ce soit, et de toutes manières, l'autre ne semblait pas décidé à l'enfiler maintenant. Le roux lui demanda d'attendre d'un geste et fouilla un instant dans son sac à la recherche de quelque chose qui pourrait convenir à l'occasion. Il en extirpa une tunique ample dont il se servait parfois pour dormir et la lui tendit. Le jeune homme le regarda d'abord d'un air intrigué, puis il sembla soudain prendre conscience de sa nudité.

Son visage se décomposa peu à peu tandis que le rouge lui montait aux joues. Il lui fallut quelques secondes pour se ressaisir, et il s'empara du vêtement d'un geste brusque, sous le regard hilare de Souma. Il l'enfila rapidement, avant de lui demander où il avait l'intention de manger.

« Bonne question… Tu connais un endroit où je pourrais m'installer pour la nuit ? »

L'autre soupira face à ce manque flagrant d'organisation, et le mena dans un endroit qui correspondait à ses critères en lui expliquant qu'il pourrait trouver une auberge dans une petite ville non loin, s'il préférait dormir dans un lit.

« Au fait, je ne t'ai toujours pas demandé ton nom » se souvint soudain le mage.

Le blond le fixa un instant avant de répondre :

« Takumi.

- Enchanté. Moi c'est Souma ! » répondit-il avec un sourire.

L'information ne parut pas vraiment l'intéresser. En revanche, le voir créer une boule de lumière plus grosse pour éclairer l'endroit et monter sa tente simplement en la posant par terre et en la laissant s'installer toute seule le fascina beaucoup plus.

« Une seconde… tu es un mage ? demanda-t-il d'un air incrédule.

- Bien vu, répondit le roux sans pouvoir retenir un sourire de fierté. Enfin, ça fait quand même plusieurs minutes que je me promène avec une petite boule lumineuse à côté de la tête mais…

- Et tu n'avais vraiment aucune idée que tu venais de trouver des plumes d'homme-cygne ?

- Ah ? C'est comme ça qu'on vous appelle ? »

Takumi soupira de nouveau face à tant d'ignorance, et Souma ne put s'empêcher de se défendre :

« Ne le prends pas comme ça, c'est la première fois que je rencontre quelqu'un de ton espèce. Il n'y en a pas chez-moi, comment j'aurais pu deviner ? D'ailleurs, elle te sert à quoi cette cape, exactement ?

- J'en ai besoin pour reprendre ma forme de cygne. Sans elle, je suis coincé en tant qu'humain.

- Ah, mais maintenant que j'y pense, j'ai déjà entendu des légendes similaires avec des phoques…

- Vraiment ?

- Oui, ça marche sur le même principe. Ils quittent leur peau de phoque pour aller se promener sur terre, et restent coincés sous forme humaine s'ils la perdent. J'ai plutôt entendu parler de femmes, d'ailleurs. Mais je n'en ai jamais rencontré personnellement. »

Le reste de la conversation s'orienta naturellement vers les voyages de Souma, et Takumi accepta de lui en dire un peu plus sur son peuple, sans toutefois entrer dans les détails. Finalement, au terme d'une conversation passionnée autour d'un feu et d'un bon repas, ils décidèrent qu'il était temps de se séparer. Le blond lui expliqua qu'il allait reprendre sa forme de cygne, et lui demanda de se tourner le temps qu'il enlève la tunique. L'idée de se changer en volatile empêtré dans un grand bout de tissu ne lui plaisait guère, au grand désarroi de Souma.

« L'absence de vêtements n'avait pas l'air de te déranger, tout à l'heure… » ne put-il s'empêcher de remarquer.

Les joues de Takumi s'empourprèrent immédiatement, et il marmonna d'un ton revêche qu'il ne s'attendait pas à croiser quelqu'un. Souma crut également entendre quelque chose sur le fait qu'il était trop concentré sur ses plumes pour penser à cela quand il l'avait vu, mais l'autre avait déjà perdu toute conviction en arrivant à cette partie, et le mage n'était pas certain d'avoir bien entendu.

« C'était optimiste de ta part… Tu l'as dit toi-même, l'endroit n'est pas si isolé que ça » lança-t-il toutefois avec un sourire narquois, tandis que le blond se décomposait encore plus. « Ceci dit, si vraiment tu ne peux pas garder tes vêtements quand tu te transformes, tu devrais avoir l'habitude non ? poursuivit-il d'un ton curieux.

- Conventions sociales » répliqua simplement le blond, comme si ces mots magiques suffisaient à tout expliquer.

D'après ce que Souma avait pu apprendre un peu plus tôt dans la soirée, les hommes et les femmes-cygnes vivaient en majorité à l'écart des humains. Bien sûr, il n'était pas rare que certains partent vivre parmi eux, mais ce n'était pas le cas de la famille de Takumi, à qui ses parents avaient tout appris avant qu'il puisse rencontrer ses premiers humains. La plupart des fameuses "conventions sociales" qu'il évoquait régulièrement n'étaient pas naturelles pour lui, et comme il avait encore du mal à en saisir les nuances, il avait tendance à les appliquer à la lettre. Ceci dit, les vêtements semblaient faire partie de son quotidien, lorsqu'il vivait encore parmi les siens. Ses voyages l'avaient simplement habitué à s'en passer, quoique son frère et lui parvenaient parfois à s'en procurer lorsqu'ils restaient au même endroit suffisamment longtemps.

« Tu peux garder la tunique tu sais, proposa soudain le mage. Des fois que tu recroises des gens la prochaine fois que tu te transformes. »

L'air surpris de l'autre ne lui inspira pas confiance, et connaissant les créatures magiques en général, il s'empressa d'ajouter :

« Sauf si ça t'oblige à me suivre jusqu'à ce que tu puisses me rendre un service d'une valeur égale ou autre, bien sûr. Auquel cas, je la reprends. »

Depuis une mésaventure avec une fée qu'il avait ramenée inconsciente chez-elle, Souma avait appris à se méfier. D'ailleurs, maintenant qu'il y songeait, le repas qu'il avait offert au blond ne risquait-il pas de le lier à lui pour une durée indéterminée ? Il aurait peut-être dû demander avant…

« Non, ce n'est pas le problème, répondit Takumi sans se départir de son air étonné. C'est juste que… je vis à quelques battements d'ailes d'ici, et le transport n'est pas très pratique…

- Je comprends, déclara Souma d'un air soulagé. Mais si tu viens souvent ici, je peux t'arranger un petit coin pour la garder au sec et à l'abri. Normalement je peux aussi faire en sorte que personne ne puisse la retrouver sauf toi, mais ça sera un peu plus complexe.

- Ne te complique pas trop la vie pour moi, je ne sais pas combien de temps je vais rester de toute façon.

- La première option est vraiment toute bête, tu sais. Tu aurais tort de t'en priver. »

Takumi finit par accepter son offre et le remercia avec un sourire plus lumineux que celui de la fée lorsqu'elle avait enfin été libérée de son serment. Et pourtant, Souma avait entendu dire que rien n'égalait le sourire d'une fée, c'était dire…

Le temps de se tourner quelques secondes, le jeune homme avait déjà disparu, remplacé par un magnifique cygne blanc. Le mage avait rarement vu ces oiseaux s'envoler, mais il savait que la partie intéressante commençait maintenant. Takumi se mit à courir sur quelques mètres en battant frénétiquement des ailes, tandis que Souma, vaguement anxieux, se demandait s'il allait vraiment parvenir à décoller. En tant que spectateur, il avait toujours trouvé qu'un envol de cygne était un spectacle stressant, aussi amusant soit-il. Il fut toutefois rapidement rassuré sur ce point et ramassa la tunique avant de partir se coucher.

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Dans les jours qui suivirent leur rencontre, Souma se rendit compte de deux choses : l'une était que les habitants de la ville voisine n'étaient gère accueillants, même s'ils semblaient prêts à payer ses services au prix fort, et l'autre était qu'il restait dans les environs uniquement pour passer plus de temps avec Takumi.

Il avait pris l'habitude de le retrouver régulièrement dans le petit bosquet à l'écart de la ville où ils s'étaient rencontrés pour la première fois et de passer un moment avec lui, notamment pour lui raconter à grand renfort de descriptions burlesques ses journées avec les locaux. De manière générale, le blond était déjà sous forme humaine lorsqu'il le voyait. Il restait relativement mystérieux sur ses activités, et Souma n'avait pas réussi à en savoir plus en discutant avec les rares habitants de la ville qui lui adressaient la parole pour une raison autre que lui demander un service. Apparemment, les hommes-cygnes n'étaient pas très répandus dans la région, ce qui correspondait à ce que lui avait expliqué Takumi : son frère et lui avaient décidé de voyager pour découvrir le monde et se trouvaient actuellement plutôt loin de chez eux.

Quoi qu'il en soit, le mage se demandait combien de temps encore il allait rester à cet endroit. Il appréciait beaucoup les moments passés avec le blond et sentait qu'il n'était pas près de s'en lasser, mais il commençait à se sentir à l'étroit dans cette petite ville perdue. Son instinct de voyageur lui hurlait de repartir à la découverte du monde au plus vite, et il ne savait pas combien de temps encore il pourrait résister à son appel.

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Takumi avait du mal à l'admettre, mais ses rencontres avec Souma commençaient à devenir un peu plus qu'une habitude pour lui. Il avait déjà reporté son départ d'une semaine, puis de deux, et au train où allaient les choses, il risquait fort de devoir demander à Isami s'ils ne pouvaient pas rester encore un peu plus… Heureusement pour lui, son frère était patient et ne se formalisait pas de ses caprices. En revanche, il ne se lassait pas de le taquiner au sujet du mage. Rien de bien nouveau, en somme.

Ce jour-là, comme à son habitude, le blond avait troqué sa cape de plumes contre les vêtements que lui avait prêtés Souma, se demandant si le mage allait lui proposer d'aller en ville comme la dernière fois. Bien sûr, il adorait se retrouver seul avec lui, mais il devait admettre qu'il appréciait de pouvoir se mêler aux humains de temps à autre. À force de voyager et de rester à l'écart des habitations (principalement à cause du problème que posaient les vêtements), il avait fini par oublier que le plus grand intérêt de sa forme humaine résidait dans le fait de pouvoir se mélanger à la population et admirer leur travail. De manière générale, Takumi avait un faible pour les joailliers, avec leurs pierres scintillantes et leurs bijoux finement ciselés. Les étalages des marchands d'épices avaient aussi un charme certain, trouvait-il, mais cette ville n'en avait malheureusement pas, et bien que certains cuisiniers fissent des miracles avec les herbes locales, leur nourriture était bien souvent désespérément fade.

Comme toujours lorsqu'il arrivait à leur point de rendez-vous, le blond avait décidé de se dégourdir les jambes en attendant l'arrivée de Souma, s'éloignant sensiblement de ses plumes. Et comme jamais depuis leur première rencontre, elles n'étaient plus là lorsqu'il revint de sa promenade.

Inquiet, il entreprit de fouiller chaque recoin autour de leur cachette habituelle, en vain. Où étaient-elles passées ? Se pourrait-il que…

« Takumi, je ne pensais pas que tu étais déjà là. Je n'ai pas vu tes plumes en arrivant, déclara le mage en le voyant.

- Souma… Je ne sais pas où tu les as cachées mais rends-les-moi, ordonna-t-il après avoir poussé un soupir de lassitude.

- Tu ne les as pas ? »

Le roux avait pris un air si honnêtement surpris que Takumi sentit le monde se dérober sous ses pieds. Il parvint tout de même à conserver assez de sang froid pour déclarer :

« Souma vraiment, ce n'est pas drôle. »

L'expression de l'autre ne changea pas. Mais si Souma n'avait pas ses plumes… et que Takumi non plus ne les avait pas… alors où étaient-elles et qui les avait prises ?

« Souma… Dis-moi que c'est une blague… »

Le mage garda le silence un instant, avant d'avouer :

« J'aimerais bien, crois-moi…

- Donc tu es en train de me dire que mes plumes ont disparu ?

- Il semblerait…

- Et tu n'as rencontré personne sur la route qui aurait pu les prendre ?

- J'ai bien croisé quelques personnes en chemin, mais je n'y ai pas vraiment fait attention. »

Takumi poussa un long soupir. Il ne s'attendait pas à réagir de façon aussi calme face à la perte d'une partie aussi importante de lui-même. Il lui fallut quelques secondes pour vraiment traiter l'information. Ensuite, il explosa :

« Tu n'aurais pas pu faire attention ?! Et puis pourquoi tu n'arrives que maintenant, aussi ?! »

Il était injuste et il le savait. C'était à lui de prendre soin de ses affaires, après tout. Souma n'aurait pas pu deviner ce qui allait arriver. Cependant, il avait besoin de se mettre en colère et c'était tombé sur lui. Il s'excuserait plus tard.

« Comment j'aurais pu deviner, se défendit le roux ? Et d'abord, pourquoi tu les laisses toujours trainer n'importe où sans surveillance ? Tu pourrais en prendre soin si elles sont aussi importantes ! »

Takumi s'apprêtait à lui lancer une réplique assassine, mais tout ce qui sortit de sa bouche fut un sanglot. Il savait que l'autre avait raison, mais ce n'était pas une raison pour lui crier dessus… Il baissa la tête, incapable de répliquer quoi que ce soit. Pendant ce temps, l'information continuait à faire son bout de chemin sans sa tête, résonnant toujours plus fort à chaque pas. Les implications se déroulaient une à une dans son cerveau. Il ne pouvait plus se transformer en cygne. Il était à la merci d'une personne totalement inconnue et peut-être mal intentionnée. Il était à la merci d'une personne qui n'avait visiblement aucune idée de ce qu'elle venait de ramasser, sachant qu'elle était partie avec au lieu d'attendre son retour. Et si sa cape de plumes était endommagée et qu'il restait coincé sous forme humaine pour toujours ? Et si elle se retrouvait entre les mains de quelqu'un qui savait pertinemment de quoi il s'agissait et qui n'avait aucune intention de le laisser partir ? Bien qu'illégaux, les trafiquants de créatures magiques étaient légion, après tout…

« Takumi ? Takumi, ça va aller. Tu vas bien finir par les retrouver, entendit-il Souma prononcer à travers l'épais brouillard qui occupait actuellement ses pensées.

- Et après, parvint-il à répliquer ? Admettons que je retrouve mes plumes, il se passe quoi ? Je demande gentiment à la personne qui les a de me les rendre, en espérant tomber sur quelqu'un de bien intentionné deux fois de suite ? C'est bien beau de les retrouver, mais si c'est pour être à la merci de quelqu'un, il vaudrait presque mieux que je m'en éloigne le plus possible…

- Tu pourrais faire ça ?

- Je pourrais… Mais ça reviendrait à renoncer à la moitié de moi-même, sans savoir ce qu'elle est devenue. Je ne sais pas combien de temps je pourrais tenir comme ça… »

Un silence pesant s'installa entre eux alors que le blond, les yeux rivés sur ses pieds, continuait de réaliser toute l'ampleur des dégâts. Il fut interrompu par la voix de Souma, qui s'était fait légèrement plus douce que d'ordinaire :

« Takumi, regarde-moi… »

Le blond dut faire un effort surhumain pour lever les yeux du sol et les plonger dans ceux du mage. Le regard de Souma se voulait rassurant, et la chaleur qui émanait de ses yeux dorés parvint presque à le calmer. Un peu.

« Je vais t'aider à les retrouver, déclara le roux. Tu n'es pas obligé de faire ça tout seul, pas vrai ?

- Non…

- Alors je viens avec toi. Comme ça, si tu retrouves tes plumes, je pourrai botter les fesses de la personne qui te les a volées, au besoin. D'accord ? »

Takumi faillit fondre en larmes. Pour être honnête, son regard se brouilla totalement lorsqu'il entendit la proposition du mage. C'était la chose la plus gentille qu'on lui avait jamais dite… Conscient qu'il ne pouvait pas se fier à sa voix pour le moment, il se contenta de hocher la tête en lui offrant un faible sourire, avant de se frotter les yeux d'un geste rageur pour en faire disparaître toute l'eau avant qu'elle commence à couler. Il était hors de question qu'il pleure !

Les deux hommes (ou plutôt l'homme et demi) passèrent quelques minutes à explorer les alentours dans l'espoir que les plumes soient restées dans les environs, mais ils décidèrent rapidement de renoncer et de se diriger vers la ville, en partant du principe que la potentielle personne qui avait ramassé les plumes était partie là-bas. Le blond était certain désormais qu'elles se trouvaient quelque part dans cette direction, mais il ne parvenait pas à savoir où exactement. Ils interrogèrent autant de monde que possible, mais personne n'avait d'information intéressante à leur fournir. Lorsque la nuit fut sur le point de tomber, ils durent se rendre à l'évidence : ils ne retrouveraient pas les plumes de Takumi aujourd'hui.

« Il faut que je rentre, mon frère va s'inquiéter… annonça finalement le blond d'un air abattu.

- Je viens avec toi, répliqua le mage.

- Pas la peine, continue de chercher sans moi. Je n'en ai pas pour longtemps.

Il va faire nuit d'ici quelques minutes et tu ne connais pas cette partie de la ville. En plus, imagine que tu tombes sur la personne qui a tes plumes en chemin ! Je viens avec toi. »

Takumi ne trouva rien à répliquer face à son air déterminé et sa logique imparable. Au fond, il était heureux de ne pas avoir à faire le trajet seul. Comme il était avec Souma à chacune de ses visites, il n'avait jamais vraiment fait attention à la direction qu'il empruntait. À vrai dire, il n'était même pas certain de pouvoir retrouver seul les portes de la ville…

Leur trajet jusqu'à leur point de rendez-vous habituel se passa en silence, et le blond se prit à repenser à Bianca, son amie d'enfance à qui il était arrivé quelque chose de similaire. La différence étant que l'homme qui avait pris ses plumes savait parfaitement de quoi il retournait, et n'avait aucune intention de la laisser partir. Cette idée n'avait bien sûr pas été du goût du compagnon de la femme-cygne, et l'homme était vite devenu la cible d'un cygne furieux. Personne ne s'était plus jamais approché de chez eux depuis.

Malheureusement pour lui, une autre différence était que le blond n'avait aucune idée de l'endroit où se trouvaient ses plumes. Si la personne qui les avait venait à les détruire, il ne pourrait plus jamais se changer en cygne, et l'idée le terrifiait plus que tout. Quelle idée, aussi, de les laisser traîner n'importe où sans surveillance ! Certes, c'était un trait bien connu de son peuple, mais tout de même…

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Souma ne savait plus quoi faire pour remonter le moral de Takumi. Depuis qu'ils avaient quitté la ville, l'autre n'avait pas prononcé un mot et ne semblait même pas écouter ses vagues tentatives pour entamer la conversation. Pire encore, il n'eut aucune réaction lorsque, une fois la nuit tombée, le roux avait fait apparaître l'une de ses habituelles boules de lumière pour éclairer leur route. Pourtant, la magie avait d'ordinaire le don d'attirer l'attention du blond, et même après avoir vu le même tour des dizaines de fois, son regard brillait toujours du même éclat. Mais ce soir, perdu dans ses pensées, il ne leva même pas les yeux.

Ils arrivèrent en silence à leur point de départ, et alors que le mage s'apprêtait à demander à Takumi quelle direction prendre pour retrouver son frère, il remarqua soudain un cygne noir fermement campé devant lui, qui le fixait d'un air que Souma ne pouvait qualifier que d'hostile. Pour la première fois, le blond sembla remarquer le monde qui l'entourait, et il lâcha d'un ton morne :

« Salut, Isami. »

Le regard du mage se porta tour à tour sur le cygne et son ami. Alors c'était vraiment lui, son frère ? On pouvait difficilement faire plus différent…

« C'est Souma, continua le blond, tu peux te transformer sans crainte. »

Souma se retrouva soudain face à un jeune homme brun, nonchalamment assis par terre. À l'exception des yeux, qu'il devinait aussi bleus que ceux de Takumi, son frère et lui étaient aussi différents sous forme humaine que sous forme de cygne. Isami retira sa cape d'un mouvement désinvolte et s'en servit pour recouvrir son bas ventre, dans un surprenant accès de pudeur. Ceci dit, cela avait l'air de relever plus de la politesse que d'une véritable gêne de sa part.

Contrairement au cygne qu'il avait sous les yeux à peine quelques secondes auparavant, le brun lui offrit un sourire amical avant de s'exclamer :

« Alors c'est toi le fameux Souma ? Enchanté de te rencontrer ! »

Il se tourna ensuite vers son frère pour lui demander :

« Tu es en retard, je commençais vraiment à m'inquiéter ! Je peux savoir ce que tu faisais ? »

L'expression de Takumi se ferma encore plus, et il soupira avant de déclarer :

« On m'a volé mes plumes. »

Le visage d'Isami se décomposa.

« Tu es sérieux ? »

L'autre hocha la tête en silence, et le brun se leva d'un bond, oubliant totalement ses plumes et son semblant de pudeur. Il commença à inonder son frère de questions d'un ton alarmé. Takumi répondit à chacune d'elle d'un air détaché, comme s'il était à des années lumières de ce qui était en train de se passer. Au terme de son interrogatoire, Isami soupira avant d'annoncer qu'il allait partir à leur recherche de son côté. Il se tourna ensuite vers Souma, et déclara d'un air sérieux :

« Je te confie mon frère. Prends bien soin de lui et ne le laisse pas se perdre surtout ! »

Takumi protesta faiblement pendant qu'Isami lui faisait ses dernières recommandations, et lorsqu'il fut certain que son frère était entre de bonnes mains et n'avait rien oublié d'important, le brun renfila rapidement sa cape de plumes noires et s'envola dans la nuit. Alors qu'il le regardait courir maladroitement pour prendre de la vitesse, Souma ne put s'empêcher de remarquer que les cygnes noirs avaient autant de mal à décoller que les blancs. C'était parfaitement logique lorsqu'il y pensait, mais l'information restait bonne à savoir.

Une fois l'oiseau hors de vue, le mage se tourna vers le blond et lui proposa de retourner en ville. Ses affaires étaient restées dans la chambre de son auberge, et il pouvait sans problème payer pour une personne supplémentaire. Takumi acquiesça faiblement, et ils se remirent en route.


C'est tout pour aujourd'hui ! J'espère que je ne suis pas trop rouilée, du coup. Quand j'ai commencé à relire ce chapitre, j'ai remarqué plein d'anglicismes et de tournures bizarres donc j'espère m'en être débarassée.

N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez et à la semaine prochaine !