Bonjour à tous, et bienvenue sur cette nouvelle publication de 26 chapitres qui seront publiés hebdomadairement tous les mercredis jusqu'à fin août !
Il s'agit d'un cadeau que j'ai écrit pour Odea il y a... au moins un an ? xD J'espère que cela vous plaira ! :)
Et pour vous donner un peu des nouvelles de ma vie (non pas que quiconque s'y intéresse, mais j'aime bien parler de moi xD), je me suis rendue compte après le Calendrier à quel point j'étais épuisée par cette longue écriture épuisante et la publication subséquente. J'ai fait une grosse pause en janvier, et je viens depuis peu de retrouver un plaisir inouï à écrire comme une forcenée un texte que j'adore au delà de toute raison. Alors merci, encore une fois, pour le soutien incommensurable que j'ai reçu sur le Calendrier. C'est bête à dire, mais lire vos mots d'amour m'a vraiment aidé pour retrouver le goût de l'écriture. Alors pas d'inquiétude, je suis de retour, et je produis dans mon petit coin, et je ne manquerai pas d'un jour publier tout ce joyeux fatras pour votre bon plaisir ;)
Et merci de me soutenir, parce que ça illumine ma vie personnelle très compliquée en ce moment *coeurcoeurcoeur*
En attendant : Disclaimer à mes Dieux habituels, Moffat et Gatiss, qui ont l'extrême amabilité de me prêter leurs personnages pour que je puisse jouer avec et les casser :D Sherlock Holmes appartient à Sir ACD, et je ne touche aucune rémunération pour cet écrit, sinon le plaisir de vous faire sourire :)
Gloire à mes bêtas, Louisalibi, sur ce texte, mais je remercie aussi Elie et Allteas, pour tout ce qu'elles endurent au quotidien à mes côtés (genre mes trouzemille photos de il neiiiiiiige du moment, quoi xD)
Bonne lecture à tous ! :)
PARTIE 1
CHAPITRE 1
– Il faut faire quelque chose.
Sur ce point, John était plutôt d'accord.
– Nous y avons réfléchi.
Ah parce que vous savez faire ?
– Il nous paraissait impératif de prendre une décision.
Sans me consulter.
– Qui satisferait au maximum toutes les parties.
Sauf moi.
– Terminer votre formation dans le privé nous a paru la meilleure option.
Me réformer ne changera rien au fait que je n'ai pas les moyens, raison principale de mon choix initial.
– Vous perdre est un déchirement.
J'en pleurerais presque.
– Mais vous comprendrez bien que nous n'avons pas le choix.
Par votre faute.
– Votre vie est loin d'être finie.
Je suis infirme.
– Vous avez à peine vingt-cinq ans...
– Vingt-quatre, cingla John.
Il avait été le meilleur, le plus jeune, le plus brillant.
– Vingt-quatre, concéda l'autre. Encore tout le temps du monde devant vous.
Sauf que ce n'est pas vous qui venez d'être brisé.
– C'est pourquoi nous vous avons arrangé une place à l'Imperial College.
Complètement vain. Personne ne paiera. Je n'ai plus l'âge d'avoir une bourse.
– En tant que professeur.
C'est une blague ?
– Pour les premières années. Vous avez amplement le niveau. Vous pourrez ainsi finir votre thèse dans les meilleures conditions du monde.
Il se fiche de moi ?
– Tous vos supérieurs vous décrivent comme patient, pédagogue avec vos camarades, doué, brillant. Vous n'aurez aucune difficulté à assumer ce rôle, j'en suis certain.
Sauf que ça ne sera pas toi qui sera de nouveau enfermé à Londres avec des mômes à peine pubères qui se veulent des sauveurs du monde alors que ce ne sont que des crétins juvéniles.
– Je suis certain que le retour à la vie civile saura vous satisfaire.
Et qu'est-ce que tu en sais de ce qui me satisfait ou non ?
– Bien sûr vous toucherez une pension d'invalidité et une retraite militaire.
Déjà qu'après plusieurs années de service ce n'est pas mirobolant, je n'ose même pas imaginer ce que ça donne dans mon cas.
– Vous êtes content, soldat Watson ?
– Oui, monsieur.
Que pouvait-il dire d'autre ? Sa vie était finie et son général le congédiait comme un malpropre, faisant comme si cette histoire le touchait personnellement alors qu'il avait appris son nom la veille seulement. John était empli de haine, de colère et de fureur, un bruit assourdissant dans ses veines qui brouillait sa vue et son ouïe, et détruisait sa rationalité.
Il sortit de la tente comme on le lui avait appris, sans bruit, comme le parfait soldat qu'il était. Ou qu'il n'était plus. À partir de cet instant, il n'était plus le soldat John Watson. Il n'était même pas médecin. Il était juste John Watson, c'est-à-dire presque rien. Il n'avait plus de famille, plus de but dans la vie, plus d'avenir, et désormais il boitait. Il avait supplié le médecin en chef de ne pas appliquer la mention « PTSD - à réformer » sur son dossier. Mais le docteur Jones le connaissait trop bien, et connaissait trop bien l'avenir des appelés sous les drapeaux. Il faisait une faveur à John en le renvoyant dans le civil, avait-il affirmé. John était loin de penser la même chose.
Sa famille, loin d'être aisée, avait voulu pour lui qu'il soit un manuel, boulanger, plombier ou carreleur, peu leur importait tant qu'il pouvait être rapidement formé, en apprentissage, gagner de l'argent et s'assumer. Les études supérieures coûtaient six fois plus cher que ce que les parents Watson étaient prêts à investir pour leur fils.
Mais John voulait être médecin. Son seul rêve, sa seule ambition, son jardin des Hespérides personnel. Paradis qu'il s'était donné les moyens d'atteindre. Cela ne lui avait coûté que sa famille : son père, farouchement antimilitariste, n'avait pas supporté qu'il signe et entre sous les drapeaux. Les arguments monétaires et pourtant censés de son fils n'avaient eu aucun impact. Qu'importait qu'il soit formé à son rêve en étant nourri blanchi logé sans dépenser un centime si c'était pour devenir médecin sur les zones de guerre.
Sauf que depuis, il était devenu un véritable casse-tête administratif, un vrai cas d'école. Les médecins militaires étaient trop rares. Il était le meilleur. La législation prévoyait des stages pratiques, sur le terrain, mais retranchés dans les camps protégés, jamais en intervention.
Ils avaient réussi à trouver une faille juridique à laquelle John n'avait rien compris et dont il se moquait éperdument.
La seule chose importante était qu'il allait enfin soigner des gens pour de vrai. Des victimes de guerre, plus précisément. Des enfants, des mères, des pères. Des innocents que la guerre martyrisait. Sous la pureté du ciel bleu d'Afghanistan, le cœur vaillant, John, à qui il restait une année de formation pour valider son diplôme de médecin, avait suivi deux de ses collègues confirmés, médecins militaires depuis dix ans.
L'intervention était absolument sans risque, pas une zone de combat le moins du monde. Deux heures en dehors du camp pour sauver des gens.
Il avait suffi d'une heure et demie avant que tout ne dégénère. Les tirs s'étaient mis à pleuvoir en rafale. Sur le moment John n'avait pas compris ce qui se passait, mais il avait juste continué à faire son travail : sauver des vies. Il avait appris à tirer aussi sûrement que recoudre, et il portait une arme. Il s'était défendu, avait protégé ses collègues, ses camarades, ses patients, il avait servi son pays.
Jusqu'au moment où une balle venue d'il ne savait d'où avait touché une fillette recroquevillée sous une table, juste à côté de lui. John s'était précipité pour arrêter l'hémorragie, voyant le chaud liquide s'écouler à gros bouillons et colorer de rouge le sable blanc d'Afghanistan.
Il ne parlait pas encore assez bien Afghan pour comprendre que les « man laaghar tu nachair, man laaghar tu nachair » Qu'elle lui répétait voulait dire « je vais bien, pas vous, je vais bien, pas vous ».
Il avait seulement réalisé que le sang était le sien lorsque le voile noir s'était abattu sur ses paupières et qu'il était tombé au sol, vaincu par l'hémorragie
Il aurait dû mourir là-bas, mais Dieu savait quelle force supérieure en avait décidé autrement. Il avait été sauvé. Une balle dans l'épaule qui laissait une cicatrice difforme. Une balle dans la jambe qui ne l'avait, heureusement, pas transpercé mais seulement effleuré, ne lui offrant qu'un boitillement en échange de sa vie.
Il n'avait pas fini sa formation, il n'était pas médecin et il était devenu un poids mort pour l'armée. Au fond, il avait de la chance : il était en vie, et pour maquiller sa gaffe administrative, l'État lui offrait un poste d'enseignant à l'Imperial pour finir sa thèse et devenir le médecin qu'il avait voulu être.
Quelques années auparavant, John aurait pu encore raisonner ainsi. Depuis, l'armée lui avait tout pris, y compris son futur. Il n'était plus que colère. Et les pauvres étudiants de première année de l'Imperial allaient payer pour sa fureur.
John se réveilla, dans la froideur du mois de Septembre londonien. Il était rentré en Angleterre depuis une semaine à peine, et la joie de retrouver son pays avait été vite annihilé par les températures. Il avait suivi sa formation théorique sur les bases militaires d'Angleterre durant trois ans et demi, mais cela faisait donc autant de temps qu'il était détaché à Kandahar, en Afghanistan, et qu'il s'était habitué à la température et au sable chaud. D'ailleurs sa peau avait bronzé de manière durable, et aucun londonien, même ceux partis prendre des vacances au soleil durant l'été ne pouvait rivaliser avec son hâle de peau.
C'était encore plus insupportable. Londres lui semblait grise, carte postale en noir et blanc. Aucune couleur, surtout celles qu'il appréciait, chaude et vivante, le rouge et l'or, l'ocre et la lumière, ne venait illuminer le paysage.
Il apprenait encore difficilement à ne plus se présenter comme le « soldat John Watson », mais comme « John Watson ». Il n'avait pas encore le droit de dire « docteur John Watson », et quand il avait rencontré ses futurs collègues, professeurs à l'Imperial, il s'était senti humilié. La moitié d'entre eux étaient en blouse blanche, leur nom et leur titre tissés sur le tissu. Les autres n'avaient pas forcément suivi une formation de médecine, mais ils avaient tous au minimum un doctorat, et donc pouvaient s'affirmer docteur eux aussi, sans mentir.
John n'était que l'erreur administrative de l'armée. Il avait serré les poings au fond de ses poches et carré la mâchoire pour se retenir de frapper les élites condescendantes qu'il fréquentait désormais. La phrase « ne vous inquiétez pas, dans un an, vous aurez tout validé et tout se passera bien » était probablement celle qu'il détestait le plus. Ça le rendait fou de rage. En attendant, c'était à lui d'expliquer à quatre cents imbéciles de première année dans un amphithéâtre l'anatomie, en leur affirmant être médecin alors que ce n'était pas le cas. C'était dans ce cadre, et dans ce cadre uniquement qu'il aurait le droit de se présenter comme docteur.
Sans surprise, ça ne le réjouissait pas le moins du monde.
Lentement, il s'extirpa de son lit et se rendit dans la petite cuisine attenante. La plupart des professeurs de l'Imperial vivaient à Londres avec leur famille. Ceux qui le souhaitaient pouvaient disposer de logements de fonction spacieux et fonctionnels, situés dans une aile spécifique du bâtiment ouest. Mais bien sûr, ces logements n'étaient pas gratuits.
Or John n'avait pas d'argent. Sa retraite d'invalidité et de service militaire couvraient ses frais courants pour vivre, mais c'était tout. Impossible de louer un appartement dans ces conditions. Bien sûr, il percevait également un salaire de la part de l'Imperial, mais non seulement il ne serait versé qu'à la fin du mois (alors que les loyers se payaient en début de mois, évidemment), mais considérant son manque d'expérience et l'absence de son diplôme final, le service RH de l'université lui avait fait un grand sourire condescendant, en lui expliquant que la somme dérisoire tout ce à quoi il pouvait prétendre. John avait signé. Ce n'était pas comme s'il avait le choix, de toute manière.
Ça ne suffisait toujours pas pour se loger sur Londres, et ses maigres économies ne lui permettraient pas de tenir un trimestre. Appeler ses parents était exclus : non seulement ils n'avaient pas d'argent, mais John n'avait pas la moindre envie de rentrer chez lui en handicapé vaincu.
Alors, dans sa grande générosité, l'Imperial lui avait proposé une chambre étudiante. Il y en avait sur tout le campus, pour les étudiants. Des studios minuscules : une petite salle de bain avec une douche, une kitchenette dont le frigo suffisait à peine à contenir de la nourriture pour la semaine et deux malheureuses plaques de cuisson électriques, un bureau, une chaise, un lit et un placard dans la pièce principale. John n'avait presque pas d'affaires, mais il se sentait quand même étouffé dans le minuscule espace.
Pire encore, cela le rabaissait, puisqu'il était logé exactement à la même enseigne que les idiots d'étudiants à qui il allait enseigner. Le genre de chambre qu'il aurait eu s'il avait fait ses études à la fac de manière classique, dans laquelle il aurait bu des bières, emballé des filles, révisé, ri, plaisanté, vécu tout simplement. Sauf que sa vie avait été des cheveux coupés courts et des armes dans les mains aussi sûrement que des scalpels. Il était ramené en arrière, et à la vie qu'il aurait pu vivre à dix-huit ans, sauf qu'il en avait vingt-quatre.
Machinalement, John mit l'eau à chauffer dans la bouilloire, pour se préparer du thé, frottant ses mains l'une contre l'autre pour les réchauffer. Il était dans l'aile la plus froide de tout le campus. Parce que, comme le lui avait expliqué Jane, la secrétaire des RH, il ne fallait pas qu'il puisse croiser des étudiants en rentrant chez lui. Ils avaient justement un bâtiment désaffecté, parce qu'il ne correspondait plus aux dernières normes sanitaires, mais dont certains logements étaient encore parfaitement fonctionnels et confortables. John serait ainsi isolé de tout et tout le monde.
– Fonctionnel tu parles, grommela John. Ça ne doit pas prendre en compte le chauffage, leur histoire de fonctionnalité.
Il resserra un peu contre lui sa robe de chambre, tandis que la bouilloire se mettait à siffler. C'était la rentrée, il donnait son premier cours ce matin. Il devait s'activer.
Lentement, il but son thé, avala quelques toasts. Il n'avait envie de rien. Le froid le gelait, et tirait sur la cicatrice disgracieuse de son épaule. Machinalement, il la massa longuement, comme le lui avait appris le kiné avant qu'il ne reprenne l'avion pour le continent européen. Il fallait qu'elle vive. En attendant, elle n'était qu'une étoile boursouflée, pâle et tendue, déformant complètement le dessin de son épaule gauche.
Ramassant sa canne posée sur le coin de la table, il retourna dans la pièce principale dans le but de prendre une douche, s'habiller et partir, avant de céder à l'appel des larmes et de l'angoisse.
Apercevant le lit complètement défait en sortant de la douche, fraîchement prêt, la boule dans sa gorge grossit un peu plus. L'Imperial avait sans doute voulu lui faire une fleur en meublant le lieu d'un grand lit deux places, qui prenait toute la place et qui n'était définitivement pas la norme dans les studettes étudiantes. Mais John n'avait jamais connu autre chose que les baraquements militaires et ses lits une place superposés disposés régulièrement à travers toute la pièce, ou bien les lits de camps en toile sous la tente. Le lit immense ne lui semblait qu'un impressionnant gouffre sans fin qui l'aspirait et lui donnait froid. A quoi pouvait bien lui servir un lit deux places ? Il n'avait plus de vie, plus d'espoir, plus d'envies, plus de futur. Un physique disgracieux, et une absence totale d'envie de partager sa misérable existence avec quiconque. Ce lit deux places qui le narguait n'était qu'une cruauté de plus.
Furieux, il abandonna le lit dans cet état, ramassa son sac, et claqua la porte avec rage. Il ne lui restait plus que les étudiants de première année pour passer ses nerfs, et ils allaient apprendre à le connaître.
John était entré dans l'amphithéâtre avec la même envie qu'un condamné à mort. Personne n'avait fait vraiment attention à lui. Plusieurs étudiants étaient déjà installés quand il était arrivé, pourtant en avance. John ne savait pas qu'il était de notoriété publique que les amphis de médecine étaient bondés et qu'il fallait arriver tôt pour avoir une bonne place. Les retardataires iraient tout au fond, en haut. Et y joueraient à la belote et au tarot, parce que c'était ainsi que le monde tournait. Ceux-là réussiraient ou échoueraient, selon leur talent et leur implication. Être au premier rang ne garantissait nullement sa place en deuxième année, mais comme ils étaient tous jeunes, naïfs et innocents, ils se battaient pour les meilleures places où ils entendraient mieux John.
Quelle stupidité, songea le nouveau professeur.
Le spectacle de l'être humain, si jeune et vivant, quand lui était mort à l'intérieur et déjà vieux à vingt-quatre ans le dégoûtait.
Il avait revêtu une blouse blanche, accrochée à une patère de la salle spécialement à son intention. Mais à la différence de Clark Kent quand il ôtait ses lunettes, John ne changeait pas de statut en s'en vêtant. Il ne devenait pas super-héros. Il ne devenait pas médecin. Il se contentait simplement de le prétendre. De mentir. De jouer un rôle.
D'ailleurs, au contraire de ses collègues, il n'y avait rien de tissé sur la poche pour affirmer son statut. Il n'était rien. Rien qu'un imposteur devant quatre cents étudiants.
Il attendit qu'ils prennent tous place, et que le silence se fasse naturellement. Quatre cents innocents pendus à ses lèvres, attendant le mot. John aurait pu apprécier ce pouvoir de manière positive, être heureux de transmettre son savoir. Il n'était que mépris et colère.
Il balaya l'amphi plein à craquer du regard : une blonde par ici, un roux par là. Des grands, des petits, bruns, blonds, roux, des yeux verts, bleus, noirs, marrons, des coiffures improbables, des sages tresses, des bijoux clinquants ou discrets, une population éclectique.
– Bonjour à tous, commença-t-il. Cinquante pour cent d'entre vous vont échouer à cette première année. Et encore cinquante pour cent ne franchiront pas l'étape de la deuxième année. J'ose espérer que vous aurez calculé sans problème, sinon vous feriez mieux de sortir et d'abandonner immédiatement, que sur les quatre cents élèves inscrits en première année de médecine, seuls cent d'entre vous atteindront la troisième année et auront donc la chance de devenir médecin. Encore qu'atteindre la troisième année ne soit nullement synonyme de réussite. Alors regardez bien votre voisin de gauche et celui de droite. Avec un peu de chance, d'ici deux ans, vous serez le seul à avoir réussi de vous trois. Avec un peu de malchance, vous aurez été éliminés tous les trois.
Sa déclaration jeta un froid sur l'assemblée et John sourit d'un air féroce. Il n'avait pas l'intention de se faire aimer, et il était trop jeune pour se faire respecter naturellement. Un peu de sadisme serait nécessaire. Cela tombait plutôt bien, puisqu'il avait de la colère à revendre à exprimer.
– Je suis le professeur John Watson, et je suis en charge de votre cours d'anatomie, pour toute l'année, soit une bonne cinquantaine de séances que nous allons passer ensemble, à raison de deux cours par semaine ! Et je ne tolère ni la paresse, ni le bruit ! Jouez aux cartes ou dormez si ça vous chante durant mes cours, mais faites-le en silence pour respecter vos voisins !
Il y eut quelques rires à travers l'amphi, mais John était très sérieux. Après tout, il se moquait éperdument que ses étudiants roupillent pendant son cours. Il ne serait pas responsable de leur échec, et se fichait complètement de leur réussite. Il n'était pas enseignant par vocation.
– Et en ce qui concerne la paresse, pour éviter de vous habituer à vous reposer sur vos lauriers, vous aurez une évaluation par semaine ! Tous les lundis, une interrogation rapide sur les thèmes abordés la semaine précédente !
– Quoi ?
– C'est une blague ?
– Hein ?
– Mais il est cinglé !
– On va mourir !
– Putain !
John capta quelques réactions peu coopératives à la volée, tandis qu'un brouhaha s'installait dans l'amphithéâtre.
– SILENCE ! ordonna-t-il en frappant de toutes ses forces la grande règle en bois contre le bureau.
Le fracas épouvantable qui en résultat ramena le silence en un instant. John les regardait, bouillonnant de rage. Il croisa le visage révulsé d'une brune qui n'adhérait pas à son enseignement, d'un petit blond qui semblait terrifié, d'un brun longiligne qui paraissait s'ennuyer. Il les méprisait. Il avait été formé ainsi, lui, à l'armée. Ne jamais se reposer, ne jamais tolérer la paresse. Et les mauvaises réponses étaient sanctionnées à coups de pompes ou d'abdos. Ça entretenait la camaraderie et ça taillait les corps. Ces gamins stupides et protégés, enfants de riches papas et mamans qui pouvaient payer l'Imperial n'avaient jamais connu une seule seconde l'univers dans lequel John avait grandi.
– Interro tous les lundis matin, point barre ! Jusqu'à preuve du contraire, c'est encore moi qui décide !
– Il ne parviendra jamais à corriger quatre cents copies hebdomadaires, murmura un élève au premier rang à sa voisine. Ça ne durera pas.
Intérieurement, John sourit. Pauvre gosse qui s'illusionnait. John n'avait rien à d'autres à faire de sa vie, désormais. Que seraient quatre cents copies face à la solitude et au silence qui allaient l'étreindre tous les jours de son existence à compter d'aujourd'hui ?
Il poursuivit ensuite son énoncé avec la présentation du programme, l'un des plus denses de tous.
Membre inférieur, membre supérieur, abdomen, tête et cou, thorax, tronc. Entre sept et quinze cours par thème.
– On va jamais y survivre, gémit un étudiant au premier rang, tandis qu'il copiait le programme.
John fit semblant de ne pas l'avoir entendu, et cela ne lui était de toute manière pas adressé. Si cet idiot ne savait pas comment il allait y survivre, c'est probablement qu'il n'y survivrait pas et qu'il ferait partie des soixante-quinze pour cent d'échec. Crétin, songea-t-il.
Une heure plus tard, il posa le stylo feutre du tableau blanc, et s'essuya les mains. C'était fini pour cette fois, mais il ne s'agissait que du cours de présentation de la matière. La prochaine fois, cela serait plus dur.
Avec un brouhaha de plus en plus prégnant, les étudiants rangèrent leurs affaires et quittèrent la salle, dans un flux continu et bruyant pendant plus de cinq minutes, le temps qu'ils partent tous.
La plupart ne jetèrent pas le moindre coup d'œil à John, mais certains lui dirent au revoir ou lui souhaitèrent une bonne journée. Il capta quelques visages, envoya des hochements de tête, des œillades, rendit la politesse quelque peu.
Il ne savait pas encore qu'il venait de rencontrer Sherlock Holmes. Mais Sherlock, lui, savait qu'il venait de rencontrer John Watson.
Prochain chapitre : 14 février !
Une review, si le coeur vous en dit ? :)
