CREDITS : Kaamelott ne m'appartient pas, je ne suis pas assez maligne pour avoir eu cette idée de génie.
Les personnages et le contexte appartiennent au légendaire arthurien et à la matière de Bretagne, rapportés entre autres par Chrétien de Troyes, Robert de Boron, Geoffroy de Monmouth, remaniés et ciselés par Alexandre Astier.
LES ANGLES ET LES OBTUS
Partie I – Les Angles débarquent
Dans une pièce du château. Le roi Arthur et son beau-père Léodagan sont en armure, le casque sous le bras. Entre alors Bohort.
BOHORT, accourant
Sire ! Sire !
Les deux autres se tournent vers lui dans un bruit de ferraille.
ARTHUR
Quoi, "Sire, Sire" ?
BOHORT, essoufflé
Oh Sire ! C'est merveilleux, c'est inespéré ! Un véritable miracle !
ARTHUR, agacé
Mais quoi donc, à la fin ?
BOHORT
L'ennemi propose de parlementer.
LEODAGAN
Ah ben, avec un rapport d'un gars chez eux contre trois chez nous, y'a vraiment que vous que ça étonne qu'ils essaient de discutailler ! Mais si ils s'imaginent que baisser leurs frocs maintenant va leur sauver la mise…
ARTHUR
D'accord.
LEODAGAN
Quoi ?
ARTHUR
D'accord.
LEODAGAN
Comment ça, "d'accord" ?
ARTHUR, articulant
D'accord, va pour les pourparlers de paix.
BOHORT, extatique
C'est merveilleux !
LEODAGAN
Oh nan mais v'là qu'ça l'reprend ! "Pourparlers", "négociations", "accords" et tout le tralala. Juste histoire de faire moderne. Préférez pas qu'on leur mette la pâtée d'abord ? S'ra toujours temps de parler paix et de discutailler l'bout d'gras après, puisque vous aimez tant ça. Enfin, avec ce qu'il restera d'eux, évidemment.
ARTHUR
Oh, ça va Beau-Père, on les connait vos positions. Seulement moi j'ai pour mission, en plus d'assurer la sécurité militaire du royaume de Logres et de retrouver le Graal, de fédérer les différents peuples de l'île. D'unifier la Bretagne.
LEODAGAN
Mais qu'est-ce que vous voulez aller les fédérer, ceux-là ? Y sont même pas Bretons, les Angles ! J'étais déjà roi de Carmélide qu'ils avaient encore jamais foutu les pieds hors de leur Germanie natale où on aurait dû les ré-expédier à coups de pieds dans le fion y'a belle lurette !
ARTHUR
Peut-être, mais maintenant ils sont là et faut bien les compter dans le lot pour fédérer la Bretagne. Une sorte de prix de gros, la Dame du Lac m'a pas laissé le choix des peuples que je veux au sein l'union ! Et puisqu'il faut que ça se fasse, je préfère le faire avec eux que contre eux.
BOHORT, toujours pas redescendu de son nuage
Magnifique, Sire ! Quelle auguste mansuétude ! Quelle profonde sagesse ! Quelle gran–
LEODAGAN
"Avec eux que contre eux", non mais, j'vous jure… C'est à Rome qu'on vous a bourré le mou avec ces formules toutes faites, ou bien c'est encore un coup de votre Dame du Lac ? À moins que ce soit votre laxisme naturel qui vous–
ARTHUR, s'énervant
Mon laxisme, vous allez vous le prendre où je pense, vous verrez si je ramollis…
LEODAGAN
Oh, mais je prétends pas que vous ramollissiez, je dis que c'est comme ça depuis le début ; c'est de naissance chez vous, de laisser faire tout et n'importe quoi ! Quand on a connu votre père et qu'on continue à se farcir les visites de votre mère trois fois l'an, c'est vraiment à s'demander d'où vous sortez ! Vous êtes sûr qu'on vous a pas échangé avec un autre à un moment donné, quand vous étiez môme et qu'on vous trimballait d'un endroit à un autre ?
ARTHUR
Mais zut, à la fin ! Échangé ou pas, au bout du compte c'est tout de même sur ma pomme que c'est tombé le coup de l'épée dans le rocher et tout le tintouin ! Croyez que ça m'amuse, peut-être ? Et v'là que j'me tape les visites de la Dame du Lac à pas d'heure, et ses "Arthur, tu es l'Élu", et ses missions à la noix, et devoir transformer tous ces clampins en chevaliers, et me coltiner votre fille…
Regard de Léodagan.
ARTHUR, penaud
Euh… mince, s'cusez Beau-Père, c'est sorti tout seul…
LEODAGAN
Nan nan mais ça, faut pas vous en excuser. Je vais même vous faire une confidence, hein, rien qu'entre nous, de vous à moi : en un sens, je crois bien que je vous admire. C'est courageux. Nan mais vraiment. Enfin, juste en ce qui concerne ma fille, hein ? Parce que pour le reste, vous êtes décidément un mou du genou. Sans équivoque.
BOHORT, intervenant timidement
Ah, pardon mais il me semble que le roi–
LEODAGAN
Oh, vous, hein…
BOHORT, se redressant de toute sa hauteur
Ah, pardon, mais tout de même ! N'aurais-je donc pas le droit d'exposer mon point de vue ?
ARTHUR
Mais bien sûr que si, soyez pas con.
LEODAGAN, en même temps qu'Arthur
Évidemment que non ! Et puis quoi enc–
ARTHUR, fermement
SI, vous avez le droit, Seigneur Bohort !
LEODAGAN
Ah bon, ah c'est comme ça ? Hé ben allez-y, contez-leur fleurette aux ennemis, après tout ! Arrondissez-les, les Angles, au lieu de les tailler bien proprement en pièces comme il faut ! On pourrait peut-être en plus leur jouer la sérénade, ce soir avant de se coucher, qu'est-ce que vous en dites ? Et puis leur servir le petit déjeuner au plumard demain matin… Et aussi tiens, pourquoi ne pas leur trouver une petite place autour de la Table Ronde pendant qu'on y est, hein ?
ARTHUR, s'énervant
Zut, zut zut et re-zut ! On va commencer par les faire venir à la table des négociations voir ce qu'on peut en tirer sans avoir à les tailler en pièces d'abord, et pour le reste on verra après.
BOHORT
Formidable, Sire. Je vais de ce pas leur dépêcher un messager. Ah mais l'ennui, c'est que–
LEODAGAN
"Le reste" ? "Après" ? C'est quand même dingue, ça. Alors maintenant même quand vous êtes en sérieuse supériorité numérique, vous baissez votre froc ? C'est encore pire que ce que j'imaginais. Ah elle est belle, la modernité. Vous allez voir que bientôt les peuples vont se mettre à discuter avant même d'entrer en guerre. Alors quoi, on s'assoit tous dans une même pièce et on cause des problèmes sans se foutre sur la gueule ? C'est ça, l'avenir ? Ben mon vieux, j'espère bien être mort avant de voir ça se généraliser.
ARTHUR
Ben si vraiment vous y tenez, je crois qu'y a un paquet de monde qui serait prêt à vous rendre ce service. Seriez surpris de voir à quel point le monde est rempli de gens de bonne volonté qui ne demandent qu'à aider.
LEODAGAN
Ben qu'ils essaient un peu, tiens, ils verront bien comment ils seront reçus. En Carmélide, on plaisante pas avec la lèse-majesté. Huile bouillante, écartèlement, roue… Ah ! on a les chiens d'attaque aussi, c'est toujours distrayant pour le public, et puis…
BOHORT, très blanc
Par pitié Seigneur Léodagan taisez-vous, je crois que je vais me sentir mal.
ARTHUR
Oh, je n'ai jamais douté de la richesse de votre imagination en la matière, Beau-Père…
LEODAGAN
Avant on commençait par leur couper les pieds et les mains, mais le problème c'est qu'alors on ne pouvait plus les attacher pour les écarteler ensuite : y'avait plus rien pour retenir les chaînes. Y'a qu'en pratiquant qu'on se rend compte de ce genre de détails. Alors au début on patauge un peu bien sûr – le manque d'expérience, la jeunesse, vous comprenez… Et puis c'est en forgeant qu'on–
Borborygmes puis bruits de nausée.
LEODAGAN
Hé, oh, vous gênez pas surtout, Bohort ! En plein sur mes godasses ! Non mais franchement, vous…
BOHORT, faiblement
Navré, sire Léodagan, mais j'ai bien tenté de vous prévenir…
ARTHUR, avec un petit sourire
Celle-là on peut pas dire que vous l'ayez volée, Beau-Père.
LEODAGAN, pataugeant dans le vomi
(à Arthur) Oh, ça va, faites pas le rigolo, hein ? Bon, ben j'ai plus qu'à aller me changer avant que ça rouille. D'autant que si j'ai bien compris, l'armure n'est plus vraiment de mise pour aujourd'hui, c'est bien ça je présume ? (à Bohort) Et vous, vous ne perdez rien pour attendre… Lèse-majesté, souvenez-vous…
BOHORT, très pâle
Mais, Seigneur Léodagan, je vous assure–
ARTHUR, à Bohort
C'est bon, vous inquiétez pas, je m'en occupe. Et allez plutôt prévenir les Angles que nous accédons à leur requête. (Se reprenant) Non, que "nous daignons accepter de leur accorder des chances de négocier avant que nous ne décidions de leur rentrer dans le lard".
BOHORT
Mais justement, Sire, ce dont je tentais de vous avertir tout à l'heure avant d'être une fois de plus interrompu par votre beau-père, c'est que l'ennemi ne parle aucune langue connue.
ARTHUR, surpris
Comment ça, "aucune" ?
BOHORT
Hé non, Sire. Nous avons essayé le breton, bien entendu, le gaélique, le latin, le gallo-latin, le picte, le grec bien sûr, l'araméen et même le burgonde, mais rien !
ARTHUR
Rien ?
BOHORT
Rien, Sire. Nous avons même un ancien esclave byzantin qui fut capturé par les huns dans les environs de la mythique Troie et qui a tenté auprès d'eux quelques mots des langues orientales qu'il a apprises au contact de ses ravisseurs, mais rien.
ARTHUR
En même temps, j'aurais été plutôt étonné que des Germains connaissent le syriaque ou qu'ils comprennent le hun de Troie, mais tout de même depuis le temps qu'ils sont là, ils ont pas encore appris la langue ?
BOHORT
Je sais que cela paraît étonnant, Sire, mais il semblerait que non.
ARTHUR, soupirant
Hé ben, je sens que ça va encore être gratiné, les négociations de paix… Parce que je suppose qu'on n'a pas d'interprète d'anglais sous la main ?
BOHORT
Il est certain que ce n'est pas une langue très répandue. Mais il me semble, Sire, qu'il y aurait bien l'interprète de burgonde qui aurait quelques notions. C'est paraît-il grâce à lui que nous avons pu comprendre qu'ils demandaient à entrer en pourparlers…
ARTHUR
Nan mais… pas celui-là.
BOHORT
Mais Sire, certes ses connaissances sont de son propre aveu très limitées en la matière, mais il me semble que–
ARTHUR
Pas celui-là.
BOHORT
Mais Sire…
ARTHUR
J'ai dit tout sauf lui. On se débrouillera sans, un point c'est tout.
Le roi essaie de partir, mais n'y parvient pas.
ARTHUR
Euh… Bohort ? Maintenant que ça fait déjà un petit bout de temps que mon beau-père est parti, vous pourriez vous relever et lâcher la jambière de mon armure, s'il vous plait ?
(À suivre…)
