Dans un glissement tout juste retenu par les semelles cloutées de ses chaussures, Hans arriva à s'agenouiller devant la silhouette installée sur le trône. Elle était fine, assez pour qu'il puisse la briser sous le coup d'un étranglement. L'envie ne lui manquait pas. Seulement, il fallait réussir à approcher cette créature de cauchemar, capable d'appeler à elle le plus glacial et tranchant des vents du nord.
Le palais aux formes géométriques compliquées qui les entourait aurait pu être son œuvre. Il en doutait cependant. Les traits étaient trop harmonieux, trop beaux. Ce devait être le travail de centaines d'ouvriers faméliques, aux orbites tout juste habités par la lueur bleutée de la possession.
On la disait sorcière. Hans en avait eu la démonstration.
Sa première escapade sur la montagne du nord s'était soldée par la perte de ses hommes, en plus des deux gardes de Weaselton.
A sa droite, c'était certainement la tâche de sang laissée par un des pauvres soldats, incrustée dans la glace. L'occupante des lieux n'avait sans doute pas jugé indispensable de nettoyer cette trace. Comme pour lui rappeler qu'elle était capable de lui faire subir le même sort. Le prince se souvenait, il en rêvait encore parfois.
La chevauchée jusqu'à ce palais à flanc de montagne dans lequel il aurait du retrouver la princesse Anna. Il n'avait trouvé que les corps des gardes d'Arendelle empalés sur de longues aiguilles de glace, broyés par des pans entiers de murs qui semblaient alors vivants, étouffés dans des cocons de gelée qui brûlaient et nécrosaient les chairs par le froid. Le tout dans une ambiance sereine et détachée. A l'image de la femme qui contemplait calmement son œuvre.
Il la revoyait avancer vers lui, semblant glisser sur la surface glacée qui composait ce château fantastique. Il avait tout juste eu le temps de sortir son épée que la lame lui échappait des mains, projetée au loin par un trait de magie bleu qui lui avait également brisé deux doigts au passage. La morsure du gel lui avait alors emprisonné les bras, les épaules, la nuque et la gorge, le forçant à poser genou à terre.
Ses yeux d'un bleu glacier lui avaient transpercé l'âme. Même aujourd'hui, il se disait que c'était à ce moment-là qu'elle avait du lui lancer un sort.
Parce que depuis, il revenait, inlassablement, informer cette femme de l'avancement de son entreprise.
- Le peuple me craint-il ? demanda-t-elle, le menton nonchalamment appuyé dans sa main.
Elle arborait un air profond d'ennui, ce qui n'avait rien de rassurant.
- Tant que dure cet hiver, le peuple se terre au fond de ses maisons.
L'hiver en été, installé par la reine Elsa, durait encore et toujours. Il détruisait les récoltes, lâchait la maladie sur les troupeaux, apportait la grippe, empêchait l'eau des torrents de couler… Rien de bon n'en venait. Si ce n'était cette peur sur le pays d'Arendelle. Et la disparition des sœurs royales.
Ca, Hans l'avait accueilli comme une très bonne nouvelle. Car grâce à cela, et à la naïveté de la princesse Anna qui lui avait laissé le royaume avant de partir à la recherche de sa sœur, il était désormais le régent d'Arendelle. Dans quelques semaines, lorsque les corps des deux sœurs seraient finalement retrouvés, il deviendrait officiellement roi de ce royaume. Il ne resterait plus que cette harpie des neiges au-dessus de lui. Elle avait beau lui avoir assuré qu'elle n'avait aucun désir de s'emparer d'Arendelle, il était difficile d'expliquer autrement sa présence et son séjour prolongé dans les montagnes.
Hans se méfiait d'elle. Mais il devait attendre. Attendre encore et toujours afin de trouver la faille, le stratagème qui lui permettrait de venir à bout de cette femme aux cheveux noirs. Car devenir souverain d'un royaume à l'agonie ne l'enchantait guère. Il était connu que les enchantements disparaissaient avec les mages qui les avaient lancés. L'hiver éternel finirait enfin. Car malgré la mort d'Elsa, il tenait toujours, amenant toujours plus le froid et la neige avec lui.
Elsa d'Arendelle était bel et bien morte, son corps sans doute disloqué au fond de la fosse qui bordait le palais, ou bien dissimulé dans la poudreuse. Hans se souvenait parfaitement des paroles de l'assassin de la reine.
« Elsa ? L'ancienne propriétaire certainement. Ma magie lui a percé les entrailles et les os comme elle l'a fait avec tes hommes, prinçaillon. Je l'ai ensuite jetée par-dessus le balcon. Un cadavre fait toujours tâche. S'il te vient l'idée de creuser la poudreuse pour en avoir une preuve, va ! Quant à moi, je prends mes quartiers, et l'hiver avec moi. Il n'y a qu'un prince à la tête creuse pour vouloir jouer dans la neige par ce temps. »
Elle lui avait débité tout ça avec nonchalance, sans réellement lui prêter attention. Sans savoir s'il devait se sentir vexé d'être l'objet de si peu de considération ou bien heureux qu'elle ne le prenne pas pour une menace sérieuse, il s'en était allé à Arendelle. Hagard, il avait balbutié qu'un monstre des neiges avait anéanti ses compagnons. Le Duc de Weaselton avait alors demandé à ce qu'une seconde expédition soit envoyée, composée de soldats en nombre cette fois.
L'avalanche qui les avait emportés se moquait bien de connaître leur nombre et leur profession. Il n'y eut aucun survivant. Hans était seul à savoir qu'Elsa avait disparue, sa magie ayant attiré plus fort qu'elle.
Créer un semblant d'alliance avec cette sorcière avait été une idée dictée par la prudence. Il valait mieux l'avoir de son côté afin de la surveiller, quitte à lui céder quelques bricoles. Son hiver éternel n'était probablement qu'un caprice. Un moyen d'assurer sa place après avoir jeté à bas la précédente reine aux pouvoirs de glace. Il suffisait d'attendre, encore et encore. Mais ça, Hans savait le faire.
Attendre après ses frères. Attendre après un hypothétique mariage avec Elsa. Attendre la même chose avec Anna. Attendre qu'aucune ne revienne. Attendre le rapatriement de leurs cadavres. Attendre encore et encore.
La femme en face de lui ne savait pas attendre. Il se rendit compte qu'il ne connaissait même pas son nom. Il se contentait de la définir comme la reine des neiges. Appellation qui lui allait à merveille.
Sa voix s'éleva sous la voûte gelée. Aussi glaciale que sa personne.
- Pourquoi es-tu venu me voir aujourd'hui, prinçaillon ? Je doute que ce soit par plaisir. Tes visites amènent toujours une requête.
Hans réussit à garder la tête basse. Sa voix ne tremblait pas, mais un regard mal interprété ou mal pris pouvait être synonyme de lame de glace dans la gorge.
- Je viens vous demander d'adoucir l'hiver.
- Pardon ? Il me semble avoir mal entendu. Cette tempête dehors fait un bruit de tous les diables. Répète donc.
- La tempête tue ! fit-il en haussant légèrement la voix. Sans distinction, hommes et bêtes meurent hors de ses murs.
- Crains-tu de ne plus avoir personne sous tes ordres, petit prince ?
Il se retint bien de dire qu'il s'agissait en partie de ça.
- Les fantômes et les spectres peuvent-ils réellement craindre votre pouvoir ? répliqua-t-il.
Car il avait compris depuis longtemps que cette femme lui ressemblait beaucoup. Il lui fallait être reconnue, respectée, crainte… Chose impossible si elle se retrouvait subitement seule. Elle afficha une moue boudeuse, à la manière d'une enfant contrariée.
- La tempête se calmera, déclara-t-elle simplement au bout de longues secondes silencieuses. Tu peux rentrer.
Il se plia un peu plus en deux pour signifier sa reconnaissance et commença à reculer prudemment.
- Une minute, petit prince.
- Qu'y a-t-il ?
- Le corps de la princesse, vous l'avez retrouvé ?
- Pas encore.
- Il me le faut.
Voilà qu'elle le prenait au dépourvu.
- Elle est sans doute tombée au fond d'une crevasse. Il n'y aura que le dégel pour la retrouver, si sa carcasse n'a pas été dévorée par les loups avant cela.
- Trouve-la par n'importe quel moyen. Mais sache que je ne lèverai pas l'hiver.
Les murs du palais se mirent à vibrer, se hérissant de milliers de petites pointes de glace aussi acérées que des rasoirs. Aucune discussion n'était plus possible à partir de là.
- Bien. J'enverrai des hommes afin de trouver le cadavre d'Anna.
Elle ne répondit pas, lui tournant déjà le dos pour repartir dans les étages de l'immense construction, montrant bien par là son dédain pour sa personne. Hans partit sans un mot. A l'extérieur, son cheval s'ébrouait dans la neige, grattant la pellicule gelée à la recherche d'un brin d'herbe à brouter. Ses sabots empaquetés de bandes de toiles afin de les protéger du gel et du froid rendait la manœuvre vaine.
Pour le retour, le prince fut heureux de voir qu'il n'avait nul besoin de lâcher les rênes d'une main afin de maintenir les deux pans de sa cape serrés.
