Bonjour à tous... Voici un texte très étrange que j'ai longtemps hésité à mettre en ligne. C'est l'histoire d'une malédiction et de l'origine des loups garous. certains éléments rappellent Harry Potter (sorciers, animagus, impardonnables etc) mais ils sont rares. L'histoire se passe en effet avant l'époque des fondateurs. Vous ne reconnaitrez donc aucun des personnages mais le septième enfant du prologue peut être vu comme une préfiguration du petit remus lupin. La forme est également curieuse: il n'y a pas que de la prose, spécifiquement dans le prologue. Vous êtes donc en face d'un OENI, objet écrit non identifié ! Soyez donc indulgents, d'autant que j'ai imaginé cette histoire à 15 ans et l'ai écrit à 20 (j'en ai bientôt 24 ... Comme le temps passe ! ). La plupart des noms sont tirés de la mythologie celtique: si cela vous intéresse je vous mettrai des notes dans le prochain chapitre avec des exlications quant à qui est réellement qui.
Bonne lecture et A bientôt !
LVEB
Disclaimer: ce que vous reconnaissez est à JKR...
PROLOGUE: BRANWEN LA LOUVE
Sept enfants assemblés au coin du feu. Au visage du septième, le plus petit, une longue cicatrice. Sept enfants qui attendent. Ce soir c'est la veillée. Le moment des histoires du temps jadis. Le moment d'apprendre le pourquoi, le comment de ce monde qui ne va pas de lui même. La mère brode une interminable tapisserie. Le père regarde le morceau de bois qu'il tient dans ses mains. Et au coin du feu l'aïeule raconte :
"Sabots frappent la mousse
Aboiements rauques résonnent
Résonnent…
Paysage brouillé
Cours le cerf
Cours
La meute sauvage est en chasse
Bois pris dans le lacis des branches.
Coeur qui a mal
Pattes fatiguées
Le cerf court
Aboiements rauques résonnent
Résonnent
La meute se rapproche
Bondir ...
Douleur...
Coeur qui explose, paupières fermées
Cours le cerf
Cours
Aboiements rauques résonnent
Résonnent
Résonnent
Choc.
Sol sous les pattes
Paupières ouvertes
Ombre, herbe verte
Le cerf a quitté la forêt
Aboiements rauques résonnent
Résonnent
La meute sauvage est en chasse
Et chantent les oiseaux
Car voici que vient le Roi de la forêt
Car voici que le Roi va mourir
Les oiseaux sont prophètes
Battement de plumes, ailes qui s'agitent
Aboiements rauques résonnent
Résonnent
Envolés les oiseaux.
Au sol ruisselle fraîche source
Assise là
La plus belle,
Fille de fées,
Fleur d'enfant, brin de femme.
Dans ses bras
Le petit chien de neige
Jappe
Sous les caresses.
Le cerf s'arrête. Tout est calme. Il la regarde . Elle le regarde . Et avec une souriante naïveté elle tend sa main vers lui. Le cerf s'approche. Elle pose ses doigts fins sur son museau.
Temps arrêté
Éclat de rire
Frisson
Bonheur
Secondes qui s'étirent
Éternité
ET PUIS
Cri de frayeur
Crocs qui étincellent
Bave qui dégouline
Babines avides
Déchirent,
Arrachent,
Massacrent
Tuent
Le cerf rend coup pour coup; il charge, il rue... Et plusieurs chiens tombent . Combat inégal.
Aboiements rauques résonnent
Résonnent
L'homme arrive. Tout est perdu. Les chiens, cercle de mort reculent. Le chasseur descend de cheval. L'homme, le cerf. Face à face. Regards qui se croisent.
Le couteau a luit
Éclair d'argent
Éclair de sang
Il a frappé
Dans le coeur
La vie palpite
Palpite
Palpite
Et meurt.
Le grand cerf est tombé
Un nouveau cri de peur. L'homme tourne la tête. Il la voit. Blanche robe tâchée de rouge, petit visage déformé par la terreur. Il la voit. Elle est belle.
Cheveux de nuit
Peau de lune
Bouche de sang
Et sous le corsage
Deux colombes
Qui palpitent
Elle a peur la jeune fille
Elle s'enfuit la jeune fille
Biche qui retourne au bois
Le chien de neige la suit
Aboyant sur ses talons
Le coeur du chasseur se serre de désir
Ce fut la première fois que Kullervo l'enchanteur vit la belle Branwen.
Au coin du feu se tait l'aïeule. Le père a pris le relais. Il conte, conte sans plus s'arrêter et taille le bois tout en contant:
Ce soir le roi-sorcier, Bedwyr d'Irlande festoie avec ses vassaux. Ce soir Bedwyr est honoré. Car aux convives s'est joint le puissant Kullervo. Il a apporté un cerf en hommage . Et la vanité du vieillard s'est éveillée devant le présent d'un tel enchanteur. A table des murmures . On dit que Kullervo n'a pas son pareil. Que sa force égale celle de Merlin avant que Viviane ne le prenne dans ses rets. Que son territoire est plus vaste que la petite Bretagne. Le souverain sourit. La coupe de Kullervo n'est jamais vide. Et le regard calculateur de Bedwyr l'épie. Il observe. Il compte. Il prévoit. Il voit que les yeux du magicien s'attardent sur les formes naissantes son unique fille. Et cela le remplit de joie. Bedwyr n'a pas de fils. Kullervo sera un bon héritier pour le royaume. Ce soir il accordera sa fille à l'étranger.
Ce fut la deuxième fois que se rencontrèrent Branwen et Kullervo.
Dans les mains du père le bois prend forme. Tête solide, corps vigoureux, mâchoires puissantes. Il reprend l'histoire du temps passé :
"Les vieilles chuchotent, grimacent et cancanent. Les hommes s'indignent : " Bedwyr a renié les pratiques ancestrales. Il a interdit les cultes d'autrefois et l'antique magie. Il s'est laissé séduire par la nouvelle religion venue d'Orient. Il s'est consacré au Dieu unique. Les anciens autels se recouvrent de mousse et sont oubliés." Et aujourd'hui Bedwyr marie sa fille dans la nouvelle chapelle de son château. Il la marie dans l'étrange liturgie que les moines de l'est ont apporté avec eux."
Pattes robustes, griffes pointues, le couteau creuse le bois. Et le père conte toujours:
"L'odeur lourde de l'encens pèse sur l'assemblée chamarrée. Tous ont les yeux grand ouverts. La chapelle est rutilante. Pourpre de Tyr, jaspe, bleu lapis, dorures... Le roi n'a pas regardé à la dépense. Au milieu de l'écrin précieux se tient Branwen,mince et frêle dans sa robe de brocart rouge. Elle n'a jamais été aussi belle. Mais sur son passage on murmure. Triste. Triste . Si triste est la jeune épousée...
Et ce fut la troisième rencontre de Branwen et Kullervo."
La voix de l'aïeule répond à celle de son petit-fils. Voix d'autrefois qui chevrote et bute sur les mots. Voix magique, voix qui transmet. Voix qui vibre des anciens enchantements:
Et que chantent les troubadours ! Que jouent fifres et tambourins ! Que renaissent les refrains du temps jadis ! Le royaume a trouvé son héritier ! Kullervo et Branwen sont unis pour l'éternité !
Liesse et joie. Feu et lumière. L'odeur des cochons qui tournent à la broche. Les rires résonnent et le vin coule. Kullervo et Branwen sont unis pour l'éternité !
Et même le vieux montreur d'ours se réjouit. Notre demoiselle est belle et son seigneur est riche ! Ce soir les écus rouleront dans l'escarcelle. Ce soir le prêtre a uni la fille de Bedwyr à l'enchanteur des landes sauvages .
L'ours, un anneau dans les narines, seul s'ennuie. Il se meut pesamment. et les enfants crient : "il danse, il danse !". Mais l'ours n'en a cure. L'ours est prisonnier. L'ours se languit de sa forêt. Et Branwen regarde l'ours. Et l'ours regarde Branwen. Ce soir Branwen et Kullervo sont unis pour l'éternité. L'éternité...
L'aïeule songe et oublie de parler... Silence. Le père la soulage du poids des mots à dire. Et sa voix grave résonne. Dans ses mains crocs aigus et queue touffue sont apparus... Et le plus petit des enfants sait ce qui en train de naître sous ses doigts. Alors il écoute... Intensément.
Et l'ours continue de gesticuler.
Une voix avinée retentit :
-"Et tu appelles cela danser ?"
Kullervo interpelle le montreur d'ours.
-"Tu fais bien peu honneur à cette cours, vieillard... et à ma dame...".
Petite est la main de Branwen. Forte et calleuse celle de Kullervo. Une main dans une main. Une main de l'autre se saisit. Et Branwen a peur.
-"Je vais te montrer ce que signifie danser..."
Le sorcier empoigne sa baguette. Ses cheveux roux flamboient aux lueurs du feu ronflant . La baguette s'abaisse. Rayon vert. Branwen a peur.
-"Impero"
Et l'ours danse. Danse comme il n'a jamais dansé. Comme il ne pourra jamais danser. Il saute, bondit, tournoie, virevolte. Il court, roule, lève une patte puis l'autre. La gauche puis la droite. Ou l'inverse. Branwen ne sait pas. Branwen ne sait plus. L'ours se met à faire des gestes obscènes.
Et l'assemblée rit. Une cascade de rires hilares et gras. L'ours s'essouffle. Il n'en peut plus. Mais il danse toujours. Branwen pleure. Et elle supplie qu'on arrête. mais personne ne l'entend. Tous rient encore plus fort. Alors son murmure de vient parole. Et sa parole, cri.
-"ARRETEZ !"
Elle a bondi. Elle a arraché la baguette des mains de Kullervo. Et pour la première fois elle le regarde dans les yeux. Des yeux froids et glacés, des yeux impitoyables comme la haute montagne. Il l'attrape par le bras. Sa prise est forte. Branwen se débat mais en vain. Il la tient ferme.
-"Vous rebelleriez vous déjà, ma dame ?"
Branwen baisse les yeux. Il la contraint à le regarder. Ses doigts laissent des empreintes rouges sur sa peau .
-"Vous auriez tort de ma défier petite épouse... Je n'aime que les animaux... obéissants". Son rire est curieusement aiguë.
-"Et quiconque ne plie pas devant moi... meurt"
Il se saisit de la main droite de Branwen. Il la tord. Lentement. Jusqu'à ce que la baguette qu'elle lui a prise tombe sur le sol. Il la ramasse sans lâcher la jeune fille, un mince sourire sur les lèvres. Il se tourne vers les jongleurs et agite la fine branche de houx . Un éclair vert frappe l'ours. Et Branwen sait que tout est fini. Kullervo lui sourit à nouveau. Ployer ou mourir.
Une bête est dans les mains du père. Une bête aux yeux fous. Mais le père a cessé de sculpter. Et il narre l'histoire de la petite princesse d'Irlande de tout son coeur
Elle est prisonnière. Elle ne dit plus rien. Ils se rassoient. Et lorsque Kullervo l'emmènera loin de la salle du festin elle ne protestera pas. Au loin les rires continueront de résonner.
Ils sont seuls. Face à face. Dans une chambre glacée. Il s'approche. Il pose ses mains sur elle. Elle ferme les yeux. Elle a peur. Elle ne comprend pas. Elle veut hurler. Elle se retient. Ce matin on lui a dit d'être soumise. D'obéir à son mari. Sa robe tombe à terre. La honte l'envahit. Elle se déteste de ne rien faire. Poings crispés, lèvres mordues et les larmes... les larmes qui coulent et ne peuvent plus s'arrêter de couler. Le dégoût. Un corps étranger contre le sien. Alors la honte se change en haine. Et plus il la touche plus elle le hait. Elle n'est plus que haine folle, que rage démente. Le pouvoir afflue en elle. Elle se sent changer. Son corps s'allonge, se distend. Elle se transforme. Et elle bondit sur Kullervo. Le sang gicle. Il hurle. Elle entends les gens accourir. Porte ouverte à la volée. Un homme tenant une torche lui jette un regard horrifié. Elle entend le cri rageur de son mari.
-"Je la veux vivante !"
Alors elle s'enfuit. Bousculant les sorciers attroupés. Elle court, court. Elle s'étonne de courir si vite. Plus vite qu'elle ne l'a jamais fait. Sa vision est changée. Son ouie plus fine, son odorat plus sensible. Elle parcourt les couloirs les uns après les autres . Elle cherche la sortie. On court aussi derrière elle. Et c'est la voix de son mari qui guide la meute. Cauchemar. Et puis enfin ... la grande porte du château... ouverte.... Et les soudards qui la gardent se soulent au vin du mariage.
-"Attrapez la !"
Ils se regardent ébahis : il n'y a personne. Soudain une grande louve grise les bouscule.
-"Attrapez la ! L'animagus ! La louve ! Attrapez la"
Alors ils comprennent. Et se lancent à la poursuite de la bête. Mais il est trop tard. La louve a disparu dans l'obscurité de la nuit.
Kullervo passe la nuit à cheval ses chiens autour de lui. Il cherche celle qui l'a par deux fois défié. Une grande entaille barre son visage. Une entaille qui ressemble à la marque qu'aurait fait des crocs. Mais la nuit est noire et la louve silencieuse. Il comprend qu'il ne peut pas l'atteindre. Pas de cette manière là. Alors une idée germe dans son esprit. Et son coeur assoiffé de vengeance se sent soudain comblé. Il fait tourner bride à son cheval. Il galope vers la petite clairière où il a vu Branwen pour la première fois. La source paisible continue d'y chanter sa chanson. Mais l'herbe est toujours souillée par le sang du cerf. Kullervo descend de cheval. Il s'agenouille.
L'aïeule a interrompu le père. Car l'aïeule connait la magie du temps passé. Elle est un peu sorcière elle aussi. Et sa voix se fait murmure, sombre et inquiétant. Les ténèbres semblent s'étendre dans la pièce. Les enfants frissonnants se rapprochent de l'âtre et de ses flammes dorées.
Chuchotis, chuchotements... Kullervo sait les formules oubliées.
Nuages,
Froid
C'est la nuit profonde qu'il appelle.
Sang
Chasse
Meurtre
Il les invoque...
Chuchotis, chuchotement... La source s'est tarie.
Colère
Vengeance
Larmes
Terreur
Il incante le mal et la douleur...
Chuchotis, chuchotement... L'herbe est recouverte de sang.
La plaie qui se creuse
L'esprit rongé
Le sens altéré
Peine
Peine
Peine et douleur
Douleur et peine
Chuchotis... Chuchotements... Il a maudit Branwen. Il l'a bannie du genre humain.
-"Entrailles stériles
Ventre désert
Nul petit d'homme dans ton giron
Entrailles stériles
Ventre désert
Tu engendres
Nuit et vent
Peine et douleur
Branwen
Fille
Maudite
Lignée
Maudite
Tu répands
Le sang
A travers
L'univers
Tes fils
Retranchés
D'humanité
Tes fils
Monstres
Engendreurs de monstres
Tes fils
Versent
Souffrance et mal
Tes fils
Portent
Solitude et peine
Je le jure
Par ce qui mord et qui déchire
Par le sang et la salive
Par le croc et par la griffe
Par ton corps transformé
Par mon visage défiguré
Par les loups qui courent
Et par la longue chasse
Qui commence.
Kullervo s'est relevé. Il a craché trois fois sur le sol. Et sur son cheval il est reparti dans la nuit
Une ombre maléfique s'est étendue sur l'ancienne clairière. Aucun oiseau n'y chantera jamais plus.
Le feu danse dans la cheminée. Il rougeoie et jette ses reflets dans toute la pièce. Lueur d'or sur le visage des enfant. Lueur de soleil dans les yeux du père. Lueur de sang sur la statuette dans ses mains. Et la voix grave raconte l'inéluctable:
"Branwen a couru de tout son coeur. Mais elle est fatiguée. Une lourde et pesante crainte s'est abattue sur son âme. Elle erre des jours durant, solitaire et désespérée. Elle ne reprend pas sa forme humaine. Elle s'y sent trop faible et trop fragile. Elle est si fatiguée. Elle se couche sur le sol froid. . Elle ferme les yeux. Et soudain au loin retentit un appel. L'appel de ses semblables. Quelque chose en elle frémit. Invoquant ses dernières forces elle se lève. A son tour elle hurle. Elle hurle son épuisement, sa tristesse et sa peur . Dans le lointain la meute lui répond une fois encore. Puis tout se tait. Et Branwen le coeur serré d'espoir, attend. Les secondes, les minutes passent. Enfin ils viennent. En cercle autour d'elle, ils la regardent. Et au bout d'une éternité d'attente ils l'acceptent.
Et Branwen courut avec les loups. Elle chassa avec eux. Elle oublia son nom et les usages humains. Elle devint une louve parmi les loups. Un jour le grand loup noir qui menait la meute la choisit pour compagne. Et ce que Branwen avait refusé à Kullervo, la louve l'accorda au loup.
Ce soir là dans une clairière oubliée de tous une source tarie s'est remise à couler. Charriant du sang. A petits pas la malédiction de Kullervo se met en branle. Petits pas de silence et de souffrance qui vont lentement, insidieusement. Il marche, le sort noir, il marche, marche et marche encore. Et la peur de Branwen emplit le coeur de la louve. C'est dans l'angoisse qu'elle met bas à un étrange louveteau. Un louveteau qui a forme humaine. Un louveteau qui n'a de loup que ses yeux et une petite touffe de fourrure sur le front. Alors la louve, saisie de terreur emporte son petit loin de la meute. Elle le dépose à la lisière des bois tout près d'un village humain. Et le coeur lourd elle s'en retourne laissant l'enfant livré aux caprices du destin. Jamais elle ne reviendra. Jamais son pelage n'abandonnera. Louve parmi les loups elle demeurera.
A la lisière des bois un nourrisson pleure et gémit.
