Disclamer : Les personnages de la série ne m'appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Cheryl Heuton & Nicolas Falacci. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Chapitre 1 : Une enquête officieuse
- Je vous assure que j'avais fait mon devoir professeur…
La jeune fille était au bord des larmes et Charlie se trouvait bien embêté. En toute logique il se devait de sanctionner l'élève qui ne rendait pas le travail qu'il avait demandé deux semaines auparavant en précisant bien que les résultats de celui-ci serait pris en compte pour la moyenne semestrielle. Cependant il avait toujours du mal à se comporter fermement quand un de ses étudiants se montrait bouleversé, comme c'était le cas présentement. Il imaginait d'avance la réaction de Larry et ses allusions à son « cœur encore un peu trop tendre pour un enseignant ayant son expérience », cependant il ne pouvait s'empêcher de laisser une chance à la jeune fille, d'autant que, jusqu'à présent, c'était une élève sérieuse, rendant toujours ses devoirs en temps et en heure, et ayant des résultats très honorables même si elle ne se classait pas dans les premiers.
- D'accord Alice, dit-il. Je veux bien vous croire. Mais si vous avez fait votre devoir, vous comprendrez que je m'interroge sur le fait que vous ne me le rendez pas…
Seigneur ! Voilà qu'il se mettait à parler comme Larry !
- J'avais tout à l'intérieur de mon portable monsieur et…
Perdant le peu de calme qui lui restait, l'étudiante fondit en larmes sous le regard gêné de Charlie, apitoyé de certains de ses camarades et goguenards d'autres.
- Ecoutez, Alice, dit Charlie affreusement ennuyé et commençant à se sentir coupable ce qui, il n'en doutait pas, lui aurait à nouveau attiré les sarcasmes de son si caustique ami et collègue, pleurer ne sert à rien. Je préfèrerais que vous m'expliquiez ce qui s'est passé. Vous avez fait votre devoir sur votre portable, d'accord… et ensuite ?
- On me l'a volé monsieur ! acheva la jeune femme entre deux sanglots.
Charlie recula d'un pas, se demandant, une fois de plus, si on essayait pas de le mener en bateau. Il était de notoriété publique que le professeur Eppes était relativement facile à attendrir.
- J'avais mis plus d'un an à pouvoir me l'acheter, continuait Alice en pleurant de plus belle. J'avais tous mes cours dedans et…
Vaincue par le chagrin, elle s'effondra dans les bras de son amie. Charlie ne savait trop quelle décision prendre : à son avis l'étudiante était sincère et ses pleurs étaient dus tout autant au fait qu'elle risquait d'avoir un zéro qui remettrait en cause sa réussite en mathématiques pour le semestre, compte-tenu du fait qu'elle n'avait que des notes aux alentours de la moyenne dans cette matière, mais aussi visiblement de la perte énorme tant sur le plan financier que pour ses études que représentait le vol de son portable. Ou bien, si elle était en train de le rouler dans la farine, d'ici un ou deux ans elle serait nominée aux Oscars sans l'ombre d'un doute.
- Mais, êtes-vous sûre qu'on vous a volé votre ordinateur ? demanda-t-il, par acquit de conscience, se doutant bien qu'on ne lance pas ce type d'allégation au hasard.
Quoique son si suspicieux agent du F.B.I. de frère se serait sans doute fait un plaisir de lui fournir plusieurs théories, toutes très valides sur les raisons qui pourraient conduire une jeune fille à mentir à ce sujet. Pour sa part, n'ayant pas encore été contaminé par l'esprit soupçonneux de son aîné, il préférait la croire.
Faisant un effort pour reprendre le contrôle, la jeune femme releva la tête, renifla fort peu élégamment avant de se moucher dans le carré de papier que lui tendit Charlie après l'avoir vue fouiller vainement dans sa poche, prit une grande inspiration et, la voix encore tremblante elle expliqua les circonstances de la disparition de son outil de travail, récit qui convainquit Charlie de sa bonne foi.
- Je vous assure que mon devoir était prêt, finit-elle. Je n'avais plus qu'à l'imprimer. Mais… je n'ai pas réussi à le refaire en si peu de temps.
Ca Charlie voulait bien le croire ! Le devoir nécessitait une bonne dizaine d'heures de recherches et de réflexion… Le vol de son portable ayant eu lieu cinq heures avant son cours, c'était effectivement mission impossible.
Les larmes recommençaient à couler sur le visage de l'étudiante.
- D'accord Alice. Je suppose que dans ces circonstances je peux vous accorder un délai… Mais je suis désolé, il ne sera pas de plus de trois jours. Vous comprendrez que…
Avant qu'il n'ait pu terminer sa phrase, Charlie fut interrompu :
- C'est injuste professeur ! Pourquoi Drake aurait-elle droit à un délai et pas nous ? C'est parce qu'on n'a pas les bon arguments ? s'enquit une voix venant de la troisième travée sur sa droite.
Avant même de lever la tête vers l'impertinent personnage, Charlie savait de qui il s'agissait : Earl Wanigan ! Un élève brillant, peut-être le meilleur de sa classe, mais insupportable de morgue, de prétention et d'égocentrisme. Charlie l'avait déjà plusieurs fois remis à sa place trouvant son comportement déplacé et insultant à l'égard de ses camarades moins bien lotis que lui. Parce qu'en plus d'être plutôt beau garçon, ce dont il était d'ailleurs parfaitement conscient, Wanigan avait aussi la chance d'avoir un père ayant fait fortune dans la vente de produits financiers avec aussi peu de scrupules qu'en montrait son fils dans ses relations avec les autres. Chez les Wanigan la devise était : « gagner à tout prix » quelles que puissent être les victimes que l'on faisait sur son chemin.
- Monsieur Wanigan, il me semble que vous m'avez remis votre devoir non ? dit Charlie en se tournant vers le perturbateur, s'efforçant de contrôler sa voix.
Il n'avait pas envie de lui donner la satisfaction de le voir perdre son calme, même s'il se sentait déjà bien prêt de le faire, compte-tenu de l'allusion particulièrement déplacée qui avait suivi la protestation.
- Oui… mais avec trois jours de plus, je pourrai peut-être faire encore mieux… Ce n'est pas juste d'accorder un délai à Drake et pas aux autres…
- Savez-vous qui était Voltaire, monsieur Wanigan ? s'impatienta Charlie.
- C'était un philosophe du XVIIIème siècle il me semble, ironisa l'étudiant et Charlie, une fois de plus, pensa qu'il était vraiment dommage que quelqu'un d'aussi cultivé et brillant soit par ailleurs aussi détestable, sinon il aurait vraiment fait une personne d'exception telle qu'on est heureux d'en côtoyer.
- Exact… je vois que votre culture est meilleure que votre sens de la compassion. Voltaire disait : N'être que juste, c'est déjà être injuste… Je présume que vous comprenez ce que cela veut dire ?
- Hé ! Je croyais qu'on était en cours de maths ici, pas en philo, ironisa une voix grasseyante.
Avec un soupir de lassitude, Charlie se tourna vers le nouvel interlocuteur. Evidemment il s'agissait de Scott Latimer Tellmann, troisième du nom, inséparable de Wanigan et tout aussi détestable tout en étant bien moins brillant, ce qui le rendait encore plus antipathique finalement.
- Ce qui compte monsieur Tellman, rétorqua le professeur, ce n'est pas de quel cours il s'agit, mais de qui l'anime. En l'occurrence c'est moi ! Ce qui, techniquement, fait de moi la personne qui décide dans cette pièce des devoirs à effectuer, des récompenses à distribuer, et, le cas échéant, des délais à accorder en fonction de circonstances exceptionnelles. Je suis aussi celui qui détermine les avertissements à donner en cas de comportement inapproprié, ajouta-t-il en guise d'avertissement.
- Mais elle peut bien raconter n'importe quoi ! intervint alors un troisième élève. Qui dit qu'on lui a effectivement volé son portable ? Qui dit qu'elle ne raconte pas des craques pour vous avoir parce qu'elle a juste besoin d'un peu plus de temps ?
Charlie soupira : évidemment, là où Wanigan et Tellmann intervenaient, on pouvait être sûr que Stroblic ne tarderait pas à se manifester, histoire de ne pas se laisser distancer par ses deux comparses. Jefferson Mickaël Stroblic, fils d'un avocat peu scrupuleux, brillant sujet lui aussi, bien que moins doué que Wanigan et moins cultivé, mais tout aussi arrogant et prétentieux.
- Il a raison, renchérit Tellmann. Qu'en dirait votre frère, le grand agent spécial Donald Eppes du F.B.I. ?
Charlie ferma les yeux, s'efforçant de juguler la colère qui commençait à monter en lui. Décidément il allait devoir un jour ou l'autre affronter ces trois terreurs qui se croyaient tout permis parce que leurs pères étaient riches à millions. Mais il y avait des choses qu'il ne permettrait pas et l'une d'elle était que l'on se moque de son frère.
- Monsieur Stroblic, je vous prierai très fermement de ne pas dépasser certaines limites !
La voix froide et coupante de l'enseignant fit comprendre aux trois compères qu'ils étaient peut-être allés trop loin. Certes leurs pères avaient des bras très longs et le président de l'université, via le conseil, était toujours prêt à passer l'éponge sur les petites facéties des trois garçons contre espèces sonnantes et trébuchantes, mais le professeur Eppes n'était pas du genre que l'on intimide si facilement et il s'était déjà heurté à l'administration de l'université au sujet de ces trois là, exigeant une sanction qu'on lui refusait ou inversement refusant de revenir sur une note que le chérubin estimait imméritée. Et dans cette guerre à chaque fois le conseil d'administration avait cédé : ils ne pouvaient se permettre de perdre un enseignant de la stature de Charles Eppes, qui attirait beaucoup d'étudiants par sa seule renommée. S'il quittait le campus pour un autre, c'est toute la réputation de Calsci qui en souffrirait, et ce d'autant plus qu'il risquait d'emporter dans ses bagages les professeurs Fleinhardt et Ramanujan. Ainsi les trois tyranneaux avaient compris qu'entre eux et le professeur de mathématiques appliquées, c'était pour le moment celui-ci qui avait l'avantage et si Tellmann avait parfois du mal à l'admettre, les deux autres, et Wanigan en particulier, savaient où étaient les limites à ne pas franchir.
- Excusez-moi professeur, s'empressa donc de susurrer Stroblic, d'un air pas vraiment contrit. Ce que nous voulions dire c'est : quelle preuve avez-vous que Drake dit bien la vérité ?
- J'étais avec elle ! Elle ne ment pas ! s'exclama alors la voisine de l'étudiante en se dressant d'un air furieux, toisant les trois garçons.
- Et ce n'est pas la première fois que des choses disparaissent, renchérit un autre étudiant, se levant à son tour.
D'autres se joignirent à eux et Charlie soupira : une fois de plus le ton montait entre les étudiants financièrement à l'aise et les autres. Il devait arrêter ça avant que ça ne dégénère. Puis d'un seul coup il prit conscience des témoignages qui venaient spontanément se superposer et son esprit logique tilta soudain :
- Ca suffit ! clama-t-il sur un ton qui ramena aussitôt le silence dans l'amphithéâtre. Attendez une seconde… J'ai besoin de confirmer certaines choses.
Médusés par l'autorité dont faisait preuve leur enseignant, les étudiants se rassirent dans le calme et répondirent simplement aux questions qu'il posa. Petit à petit l'évidence leur apparut aussi : au cours des trois derniers mois, il y avait eu une recrudescence des vols sur le campus et ceux-ci, bizarrement visaient essentiellement les étudiants les moins fortunés qui se voyaient délestés des quelques rares objets de valeur qu'ils avaient réussi à acquérir à force de travail. Cela dénotait un mode opératoire particulier.
Comme Charlie s'étonnait de n'avoir pas entendu parler de ces vols auparavant, les étudiants répondirent que la police du campus était au courant mais ne leur avait laissé que bien peu d'espoir de retrouver leurs biens.
- D'accord… Alors nous pourrions nous en charger…, proposa Charlie.
- Comment ça ? Vous comptez faire appel à votre frère ? s'enquit un élève.
Charlie se sentit agacé par la question : est-ce qu'on le croyait incapable de mener une enquête de ce genre ?
- Le F.B.I. a d'autres chats à fouetter qu'à poursuivre de petits voleurs, répondit-il un peu plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu.
Le maladroit se le tint pour dit et se rencogna sur son banc sous les regards un peu moqueurs de ses camarades.
- Non, je pensais que nous pourrions organiser un groupe de travail sur ces vols, trouver les points communs, travailler sur les réseaux sociaux, bref, un travail d'analyse mathématiques qui, même s'il ne nous permet pas de donner des pistes à la police, sera de toute façon précieux pour vos études.
- Une sorte de TP alors ?
- Exactement. Qui est volontaire ?
Plusieurs mains se levèrent et Charlie eut l'immense surprise de voir parmi elles celle de Wanigan et de ses deux comparses.
Il choisit rapidement un groupe d'une douzaine d'étudiants. Dans un premier temps, son réflexe fut d'écarter les trois fils à papa, puis il s'aperçut qu'en agissant de la sorte il se comporterait exactement comme eux qui jugeaient sur les apparences plutôt que sur les compétences. De plus, un esprit aussi brillant que Wanigan pouvait se révéler être un atout. Il désigna donc celui-ci, mais pas ses deux amis, ne voulant pas qu'ils s'allient pour railler les autres ou, qui sait, saboter le projet par simple esprit de contradiction. Il vit bien que les étudiants étaient légèrement surpris qu'il choisisse Wanigan, mais aucun ne se permit de réflexion et aucun non plus ne se désista.
Alors que les étudiants quittaient la salle, Charlie arrêta le fils du financier :
- Monsieur Wanigan…
- Professeur Eppes ?
- J'aimerais savoir pourquoi vous vous êtes porté volontaire pour cette recherche.
- Et pourquoi pas ?
- Et bien vous paraissiez mettre en doute le vol du portable de Mlle Drake alors…
- C'est vrai, j'ai eu des doutes, je le reconnais. Mais visiblement, pour une fois (Charlie sourit au pour une fois qui ressemblait si bien au garçon pétri de sa propre importance qu'il connaissait), je me trompais. Il y a visiblement des voleurs sur ce campus et puisque le service de sécurité n'est pas à la hauteur, si on peut l'aider… En plus c'est le genre d'activité qui est plutôt bien vue sur un C.V.
Charlie soupira : bien sûr ! Fidèle à lui-même Wanigan ne faisait pas ça pour aider les autres, mais pour avoir l'opportunité de se faire mousser. Nul doute que si leurs recherches aboutissaient, il ferait croire qu'il en était le principal artisan ! Mais finalement qu'importait… Charlie savait qu'il serait utile pour effectuer certains calculs un peu plus poussés et guider des étudiants moins doués que lui. Par contre, il se promit de ne pas le rater et qu'à la première incartade, quel qu'en soit le handicap pour le groupe de travail, il l'exclurait. Pas question de le laisser saboter le travail de tout le monde !
Charlie rentra chez lui fort satisfait de sa matinée et quelque peu excité à l'idée de se trouver aux commandes d'une vraie enquête. Il était vrai que sa dernière incursion dans ce domaine l'avait plutôt tourné en ridicule et de plus avait tourné court par la faute de Don qui n'avait pu s'empêcher de jouer les super flics volant au secours des mixeurs lâchement kidnappés, et avec succès qui plus est ! Cette fois-ci, pas question de laisser super Don se mêler de SON enquête… Il avait constitué SON équipe et il avait bien l'intention de la mener à SON gré et suivant SES intuitions, sans se laisser détourner de sa mission par quiconque… D'ailleurs, à la réflexion, mieux valait ne parler de tout ça à personne : il exigerait aussi le silence de la part de ses étudiants. Ainsi s'ils échouaient nul ne le saurait, et s'ils réussissaient tout le monde s'apercevrait que Charles Eppes aussi était un bon enquêteur, sans avoir besoin du secours de son grand frère… Et de toute façon, ils n'échoueraient pas conclut-il, se montrant à l'occasion tout aussi suffisant que Wanigan en personne.
(à suivre)
