POUR TON BIEN, RAYMOND (mars 2017)
RED, sombre.
Maintenant, je vais me servir un grand verre de vodka et te raconter qui tu es, qui je suis en réalité, d'où tu viens, comment nous nous sommes connus, qui étaient tes parents, etc.
Il se sert et boit cul sec.
LIZ
Je sais déjà qui tu es, Raymond.
RED
Tu connais ma fonction, Lizzie. Mais mon vrai nom, celui que mes parents m'ont donné, n'est pas Raymond Reddington.
LIZ
Et dire que je commençais à peine à m'habituer à t'appeler Raymond….
RED, souriant.
Tu peux continuer. Tu auras remarqué que tout le monde m'appelle ainsi. D'ailleurs, depuis 30 ans, en dehors de ceux qui se sont succédé à la Maison Blanche, personne ne m'a plus jamais appelé Jason.
LIZ
Jason ? Comme le Jason Bourne des films ?
RED
Jason O'Brien. Pour te servir. Origine purement irlandaise des deux côtés.
LIZ
Cela explique ton teint de blondinet. Et ton goût pour le whisky.
RED
Sans doute, oui.
LIZ
J'aime bien ce prénom…Mais pour moi, tu resteras toujours Raymond. Cela ne t'ennuie pas ?
RED
Je te l'ai dit, Lizzie. Jason a disparu il y a si longtemps que si tu m'appelais ainsi, je ne suis pas certain de me retourner. Donc, maintenant, tu veux toute l'histoire ?
LIZ, peu sûre.
Il le faut bien.
RED, soupirant de nouveau.
Quand j'étais enfant, j'étais une forte tête. J'avais de bonnes notes à l'école, même d'excellentes, mais j'avais des soucis de comportement. Disons que j'étais un rebelle et comme je m'ennuyais en classe, je chahutais, je bricolais des trucs, je poussais les instituteurs à bout pour tester leurs limites…en somme, un véritable emmerdeur ! A la maison, c'était pareil. Alors, quand j'ai eu 12 ans, mes parents – enfin, mon père surtout – m'envoyèrent dans une école militaire pour m'apprendre, je cite, la discipline. (Il sourit en reprenant) J'y ai vécu les plus belles années de ma vie. Là-bas, ils m'ont fait passer un test de QI et devant le 142 affiché, ils ont su mettre à profit l'intégralité de mes compétences. Ce qui me ravissait car enfin, je pouvais faire travailler mon cerveau. J'étais heureux quand je devais réparer des choses, en concevoir et construire d'autres, ou quand on me demandait de percer à jour un ennemi potentiel. J'étais le meilleur de ma promotion, sans me vanter, et le jour de ma remise de diplôme, je fus contacté par un homme qui m'a demandé ce que je voulais faire après ça. Je lui ai répondu : « Je veux devenir Amiral ». Dans toute la splendeur de ma jeune ambition et de ma grande candeur.
LIZ
Et il t'a dit quoi ?
RED
Il m'a dit : « Tu peux devenir Amiral mais tu perdras vite ton temps. Tes compétences multiples auraient besoin d'objectifs à leur hauteur. Je te propose quelque chose de bien plus amusant, plus dangereux parfois, mais certainement plus gratifiant pour un garçon comme toi. » Je l'ai regardé avec de grands yeux et lui ai rétorqué que je voulais vraiment devenir Amiral. Que c'était mon rêve de naviguer. Alors il a convenu que je pourrais le faire tout en acceptant de me rendre à un rendez-vous à la Maison Blanche. Autant te dire que dès qu'il a prononcé le nom de Maison Blanche, j'ai eu des étoiles dans les yeux. J'ai évidemment accepté.
LIZ
Tu avais quel âge ?
RED
19 ans et quelques mois. Je fus donc reçu dans le bureau ovale et le Président Reagan qui était en poste à ce moment-là m'a expliqué de quoi il retournait. Grosso modo, la même chose que ce que tu viens de signer.
LIZ
L'homme qui t'avait contacté, qui était-il ?
RED , hésitant un bref instant.
Ton père. (Il la regarde avant de continuer. Elle ne bronche pas alors il reprend). Il avait une quinzaine d'années de plus que moi. C'était un homme extraordinaire pour qui j'avais beaucoup d'admiration. Ce fut lui qui me fit signer les papiers, qui me présenta mon équipe première, qui m'alloua un logement spacieux, loin de la base de Norfolk où j'étais supposé suivre le cursus pour devenir Amiral. Il s'arrangea pour envoyer un autre à ma place là-bas et je pouvais rester à Washington pour suivre ma formation. Celui qu'on envoya à Norfolk s'appelait Raymond Reddington. Son nom d'emprunt, si tu veux. Tu l'as d'ailleurs rencontré l'an dernier.
LIZ
Gregory Devry ? Celui qui voulait se faire passer pour toi ?
RED
Exact. Après tout, nous jouions tous les deux à ce jeu depuis fort longtemps et quand il a appris qu'il était malade et condamné, il m'a appelé. Tu connais la suite.
LIZ
Dois-je en déduire qu'il faisait partie de l'équipe ?
RED
Tout à fait.
LIZ
Et mon père, il s'appelait comment ?
RED
C'était lui le véritable Raymond Reddington, Lizzie. Mais je ne l'ai appris qu'à sa mort. Tout le temps où j'ai travaillé avec lui, où nous étions amis, il me disait s'appeler Anthony Baker.
Il fait une pause et se sert un nouveau verre de vodka. A moitié. Qu'il boit, comme le précédent, d'une seule traite.
RED, reprenant son récit.
Dès le départ, on m'a confié à une femme, Kate Kaplan, qui était chargée de me former à ce qu'on appelle l'Intelligence. Elle me prit sous sa coupe et nous fûmes amis très rapidement. C'était un petit bout de femme énergique, drôle quand elle devait rester sérieuse, elle ne craquait pas le moins du monde pour moi et préférait de loin une belle espionne Russe que nous étions chargés de surveiller.
LIZ
Ma mère ?
RED
Oui. Nous devions la surveiller parce qu'elle était arrivée aux Etats-Unis avec une mission que nous ne connaissions pas encore. C'est quand on l'a vue, lors d'une soirée, approcher ton père que nous avons compris ce que les Russes attendaient d'elle.
LIZ
Donc, tu savais dès le départ qu'elle devait séduire ton ami pour en soutirer des informations ?
RED acquiesce.
Et je l'ai laissée faire tout en prévenant Anthony. Il était subjugué par cette femme. Et nous avons vite vu que c'était réciproque. Puis il me l'a présentée et elle m'a raconté qu'elle ne voulait pas revenir en Russie, qu'elle y avait un mari, du KGB comme elle, et que lui aussi voulait fuir leur mère patrie.
LIZ
Et qu'avez-vous fait ?
RED
Anthony voulait qu'elle reste et nous l'avons aidée. De plus, des espions Russes devenus transfuges, crois-moi, la Maison Blanche adorait ça ! Nous avons donc fait venir Constantin aux Etats-Unis en inventant, à l'adresse du KGB et de la CIA, une histoire de documents ultra confidentiels relatant des méfaits des deux agences concurrentes. Le fameux Fulcrum.
LIZ, surprise.
Attends, ne me dis pas que le Fulcrum était bidon ! Pas après tout ce que fichu machin nous a fait vivre !
RED, moue piteuse.
Eh bien, au départ, si. C'était totalement bidon. Ou supposé l'être. Nous ne pensions pas que certaines des informations que nous avions inventées allaient s'avérer réelles. Bien sûr, elles devaient tenir debout et nous y avions mis des éléments existants, mais nous n'avions pas idée du bazar que cela allait semer. Autant la CIA que le KGB n'ont eu de cesse que de mettre la main sur ces documents. Et au sein de ces deux agences se trouvaient des agents subversifs qui profitèrent de l'occasion pour s'enrichir. Chantages à gogo, si tu vois le tableau. Ces agents montèrent peu à peu ce qu'on a appelé la Cabale. Mais au départ, ils étaient Russes ou Américains. Depuis, ils ont largement étoffé leur pouvoir sur tous les continents.
LIZ
Quel est leur but à présent ?
RED
S'enrichir toujours plus, dominer le monde, faire tomber des démocraties pour pouvoir librement étendre leur suprématie à travers des gens à eux, des dictateurs pour la plupart et faire chanter, ou essayer de le faire, tous ceux qui se mettent en travers de leur route.
LIZ
Ce sont eux que nous sommes censés poursuivre jusqu'au dernier ?
RED
Oui. Pour l'instant, ils ont Laurel Hitchin en place à Washington et ils pensent qu'en acceptant Raymond Reddington à leur table, ils ont conclu un pacte avec le Diable, leur assurant de pouvoir mener leurs petites affaires en toute impunité. Or, comme tu t'en doutes, il n'en est rien. Leur prochaine grande réunion aura lieu dans 6 mois et j'y suis convié. Je vais voir de visu tous les plus grands salopards de la planète. Sachant que je ne pourrai pas les éliminer tous ensemble. Nous allons devoir procéder comme je le fais depuis toujours, c'est-à-dire lentement, avec précaution, et les faire tomber les uns après les autres. Preuves en main. Tu comprends ?
LIZ
Jusques là, je te suis parfaitement. Et pour mes parents ?
Il soupire fortement.
RED
C'est la partie la plus difficile à te raconter.
LIZ, doucement.
Que s'est-il passé ?
RED
Une fois que Constantin est arrivé ici, la vie de Katarina s'est considérablement compliquée. Elle et moi sommes devenus très amis. Pas intimes, non, plutôt comme frère et sœur. Elle me racontait tout et j'en faisais de même. Anthony et elle furent mes deux témoins quand j'épousais Carla. Mais Kat était malheureuse. Constantin était un brave type sans doute, seulement elle ne l'aimait pas. Elle était amoureuse d'Anthony, et quand elle tomba enceinte, et qu'elle le lui apprit, je n'ai plus reconnu mon ami. Il lui a dit qu'elle était folle, que ça n'aurait jamais dû arriver et qu'elle devait avorter. Elle vint me voir pour me demander ce qu'elle devait faire. Alors j'allais voir Anthony pour lui demander une explication. Il m'a dit qu'il aimait bien Katarina, qu'elle était très belle, mais qu'il ne voulait pas d'enfant avec elle, ni l'épouser, ni quoi que ce soit. Je l'ai traité de sale hypocrite et de tas d'autres noms d'oiseau. Au final, j'ai convaincu Kat de garder l'enfant. Elle a accouché dans le plus grand secret avec l'aide de Kate. Et en ma présence. Puis elle nous a demandé de garder l'enfant. Qu'elle ne pouvait pas t'élever auprès de son mari tout en sachant que tu étais la fille d'un autre. Un autre qui ne voulait pas de toi. Kate et moi avons accédé à sa demande et c'est ainsi que tu as passé les premiers jours de ton existence avec elle.
LIZ
Pas avec toi ?
RED
Carla n'aurait jamais voulu ça. Nous avions déjà une petite fille de 6 mois, prénommée Elizabeth et Carla avait une fille de 8 ans prénommée Jennifer.
LIZ
Tu as une autre fille qui s'appelle Elizabeth ? Je pensais que tu n'avais que Jennifer !
RED
J'ai adopté Jennifer en épousant Carla. Quant à Elizabeth… (Ses yeux se fixent sur le large et il serre les dents pour finir sa phrase dans un murmure) … elle est morte à l'âge de 5 ans. Je t'en dirai plus tout à l'heure, si tu le souhaites.
LIZ, serrant sa main.
Et après, que s'est-il passé pour mes parents et pour vous tous ?
RED
Ta mère est revenue sur sa décision, subitement, parce que Constantin voulait te voir, te connaître, et t'élever. Elle lui avait raconté que la vie d'une petite fille n'était pas auprès de parents comme eux, espions traqués par le KGB et par une bonne partie de la CIA. Leur seule protection était l'unité dirigée par Anthony, ce qui leur semblait suffisant pour eux deux mais pas pour une enfant. Toutefois, Constantin avait réussi à la faire changer d'avis. Il ignorait bien sûr que tu n'étais pas de lui. Comme tu le sais. Toujours est-il que tu fus rendue à ta mère à l'aube de ton premier mois. Et des années s'écoulèrent sans le moindre souci. Anthony était revenu à des sentiments plus humains te concernant, et je crois aussi qu'en dépit de tout ce qu'il disait, il aimait réellement Katarina. Mais tu ne l'appelais pas Papa. Pour toi, il restait un ami de ta mère.
LIZ
Et je te voyais aussi, de temps en temps ?
RED
Non. Je voyais tes parents, séparément. Carla et moi allions souvent dîner chez Anthony et sa femme essayait de nous cuisiner de bons petits plats. Et je rencontrais Constantin ou Katarina en cachette. Ils étaient recherchés, tu sais. Constantin avait pu acheter cette maison que tu connais grâce à nous tous. Et sans doute grâce aussi à quelques malversations bégnines. Katarina m'avait fait promettre que, quoiqu'il advienne à l'avenir, je devais te protéger car tu étais son plus grand bonheur. Je crois que j'ai réussi à tenir ma promesse jusqu'à présent, non ?
LIZ, souriante.
Je ne t'ai pourtant pas rendu la tâche facile. Mais oui, tu t'en es très bien sorti.
LIZ
Quand est-ce que les choses ont mal tourné pour tout le monde ? Le soir de l'incendie ?
RED
Un peu avant. Katarina a été repérée un jour dans un supermarché par un homme appartenant à la CIA. Un petit agent sans envergure dont j'ai oublié le nom. Il appela son supérieur dès son retour chez lui et l'Agence eut tôt fait de découvrir où Kat, Constantin et toi viviez. Ils furent d'ailleurs sans doute surpris de découvrir ton existence qu'on avait réussi à cacher à tout le monde…sauf au Président. Evidemment, la maison fut mise sous surveillance par la CIA et, une semaine avant Noël, Katarina était seule dans la maison au moment où elle reçut la visite non amicale d'un certain Peter Kotsiopulos. Le Directeur dont la mort ne pèse aucunement sur ma conscience. Depuis le temps que j'attendais de lui faire la peau ! Bref. Ce jour-là, il était accompagné de quatre sbires et ils ne se contentèrent pas de questionner Kat. Ils la menacèrent de révéler au KGB l'endroit de sa planque si elle ne leur disait pas où se trouvait le Fulcrum. Or, comme tu l'as su plus tard, nous avions monté un engin pour planquer nos informations. Et Kat ne possédait qu'une seule partie de l'engin. Elle ne leur dit toutefois rien. Ils passèrent la maison à sac, en vain. Ils la battirent tellement fort qu'elle en eut deux côtes cassées. Mais elle ne dit rien. Courageuse Kat ! Ils lui promirent l'Enfer sur Terre, ainsi qu'à toi, et s'en allèrent. Alors elle m'appela. Je la conduisis auprès de Kate qui soulagea ses blessures et j'avertissais Anthony. Il expédia sa tendre épouse auprès de sa mère, malade, prétextant qu'il avait des problèmes avec des Russes et que ceux-ci allaient sans doute venir chez lui pour l'abattre. Son épouse goba tout. Elle n'était pas très futée, cela dit.
LIZ
Attends, attends. L'épouse de mon père savait qu'il était un espion ?
RED
La couverture officielle pour ton père était un emploi de Conseiller à la Maison Blanche pour toutes les questions internationales. Ce qui faisait de lui un homme important, tu en conviendras. Et en parallèle, il se servait de sa fonction pour créer son unité. Notre unité. Si tu regardes dans les archives de la Maison Blanche au début des années 80, tu verras le nom d'Anthony Baker parmi les conseillers de Reagan.
LIZ
D'accord. Ensuite ?
RED
Anthony a demandé à Katarina de venir trouver refuge chez lui. Avec toi. Elle avoua à Constantin la visite qu'elle avait reçu et il décida d'aller mener sa propre guerre contre la CIA. Il quitta la maison en promettant de revenir très vite. Il était très amoureux de sa femme, tu sais. Et il t'adorait. Il fit néanmoins le mauvais choix. Il fut rapidement mis hors course par le KGB qui le renvoya en Russie. Il y resta prisonnier jusqu'à ce que Gorbachev le fasse libérer quelques années plus tard. Il revint aux Etats-Unis pour découvrir que sa chère Katarina s'était suicidée et que tu avais disparu. Nous avons ensuite perdu sa trace puisqu'il a pris un nouveau nom et s'est construit une nouvelle vie loin des réseaux que nous surveillons.
Il fait une pause, inspire profondément et continue.
RED
Ce séjour chez Anthony commença pour vous comme un conte de fée. Toi, tu avais une chambre immense dans laquelle tu pouvais entreposer tes jouets, tes peluches, tes poupées et un grand dressing où tu pouvais aller te cacher. Quant à Kat, elle était plus heureuse qu'elle ne l'avait jamais été. Anthony faisait plus ample connaissance avec toi et c'est là que tu appris qu'il était ton vrai père. Je ne suis pas sûr que tu aies réellement compris ce que cela signifiait mais tu as accepté de l'appeler Papa pour la première fois au lendemain de votre arrivée. Il en était si fier qu'il m'a appelé pour me le dire ! Ce fut la dernière fois que lui et moi avons pu parler. Du moins aussi longuement. Le soir-même, parce que Katarina avait été suivie la veille depuis chez elle jusqu'à chez Anthony, Peter et ses hommes revinrent. Cette fois, ils discutèrent seulement avec Anthony qui leur promit de leur remettre le Fulcrum dès qu'il l'aurait récupéré. Il essayait de gagner du temps, sachant que ni moi, ni lui, ni Kate n'allions remettre nos propres parties de l'engin à ces enfoirés. Mais ce n'est pas ainsi que le comprit Katarina. Elle profita que les hommes discutaient dans la bibliothèque pour m'appeler. Encore. Elle me raconta tout et je tentais de la rassurer en lui disant qu'Anthony savait ce qu'il faisait. Elle paniquait. Je le sentais. Je lui ai alors dit que j'allais arriver. Mais j'étais loin de chez Anthony et je venais de faire mes achats de Noël. Et…
Il se crispe.
LIZ, tendrement.
Continue, Raymond. Je sais que ça te fait du mal mais il faut que tu continues. Dis-moi tout. Je suis là.
RED, dans un souffle.
Je suis arrivé trop tard parce que je me suis arrêté chez moi déposer les cadeaux pour mes filles. Je voulais les embrasser aussi. Et quand je suis reparti, il était déjà trop tard pour empêcher quoi que ce soit.
LIZ
Que s'est-il passé ?
RED
Anthony est sorti de la bibliothèque et est monté à l'étage pour discuter avec Katarina. Ils se sont disputés à propos du Fulcrum. Puis à ton propos. Puis tout a dérapé parce que tu les avais entendus. Quand tu es arrivée, tu as vu que ton père frappait ta mère. Ce que tu ne sais pas c'est que c'est elle qui avait commencé. Ils criaient beaucoup tous les deux et les hommes de Peter montèrent à leur tour. Ils lancèrent une arme à Anthony en lui criant « Tu la fais taire illico ou on s'en charge, comme tu veux ! ». Ils ne t'avaient pas vue. Pendant que tes parents se battaient l'arme a glissé et est venue se loger à tes pieds. Et tu as fait ce que personne aurait pu croire que tu ferais. Tu as tiré sur l'homme qui battait ta mère. Tu n'aurais sans doute pas tiré sur Constantin mais Anthony ? Certes, tu l'appelais Papa mais c'était nouveau pour toi. Puis, tu t'es immédiatement sauvée pour te cacher. Tu avais très peur. Peter et ses sbires restèrent interdits pendant quelques secondes, suffisantes en tout cas pour que ta mère en profite et tente de leur échapper. Mais je suis arrivé. C'est moi qui ai tout fait foirer, Lizzie. Moi.
LIZ
Qu'as-tu fait ?
RED, les larmes aux yeux.
Quand je suis arrivé chez Anthony, je ne savais rien des plus récents développements. J'ai juste vu ta mère qui m'a sauté dans les bras. Elle m'a raconté ce qu'il s'était passé, rapidement, a rajouté que tu avais tué Anthony et que Peter et ses hommes étaient là. Je lui ai demandé où tu étais. Elle m'a dit : « Elle s'est sauvée après avoir tiré sur Anthony. Elle doit se cacher dans la maison. Jason, personne ne doit savoir ce qu'il s'est passé ici ce soir. Et ces hommes qui cherchent Masha, ils ne doivent pas la trouver. » J'ai répondu : « Que veux-tu faire ? » Et c'est là qu'elle m'a demandé de mettre le feu à la maison. D'après elle, cela ferait sortir les hommes et me laisserait le temps d'aller te chercher. Je me suis donc rapproché de la maison, j'ai pris la bouteille de Scotch que j'avais toujours avec moi, j'ai fabriqué un cocktail Molotov simplifié et j'ai lancé le tout à travers une fenêtre de la cuisine. Le feu a pris rapidement. Beaucoup trop rapidement. Peter et ses hommes sont sortis. Je les ai vus se diriger vers Katarina qui était agenouillée dans l'herbe et pleurait fortement. Moi, je ne pensais qu'à toi. J'aurais dû la mettre à l'abri avant de courir dans la maison. J'aurais dû abattre ces salauds comme j'avais été formé à le faire. Ma mission était de protéger Katarina et sa famille et d'éliminer tous ceux qui les mettraient en danger. Pendant 4 ans et demi, je ne fis que ça. Montant, grâce à Kat et Constantin, un dossier avec de vrais documents subversifs, le vrai Fulcrum tel qu'il fut dès lors considéré. Et là, ce soir-là, alors que je n'avais jamais eu à me servir d'une arme en dehors des entraînements, que je n'avais jamais eu à choisir qui devait mourir et qui devait vivre, je faisais le pire des choix. Mais ce ne fut pas le dernier. Hélas.
Malgré elle, Liz s'éloigne de lui.
Il secoue la tête, s'attendant à cette réaction. Son regard se fait plus dur alors qu'il continue son récit.
RED
Ce n'est pas tout, Lizzie. Je n'ai pas seulement condamné ta mère, j'ai aussi laissé ton père mourir brûlé vif dans l'incendie que j'ai moi-même allumé ! Quand je suis entré dans la maison, seul le rez-de-chaussée était touché par l'incendie. Toutefois, les flammes commençaient à monter. L'escalier principal était déjà inaccessible mais j'ai voulu l'emprunter. J'avais gravi les deux premières marches quand Anthony est apparu en haut et m'a crié de passer par l'autre côté. Je lui ai demandé comment il allait, s'il allait s'en sortir, il ne m'a pas répondu. Il a avancé vers l'autre côté de l'étage, vers ta chambre. Il y entré. C'est là que je l'ai trouvé, couché au sol. Toujours en vie mais mal en point. Il m'a dit que tu devais te cacher là, quelque part. Je t'ai appelée mais tu ne répondais pas. Et Anthony était dans les vapes. J'ignorais l'existence du dressing, moi ! C'est quand tu as crié, en voyant la fumée envahir la pièce, que j'ai su où tu te cachais. J'ai ouvert, je t'ai tendu la main, tu fus un peu méfiante au départ mais tu as fini par la saisir. Et quand tu as vu ton père couché sur le sol, tu as dit « Papa », et tu m'as demandé de l'emmener aussi. Mais je ne le pouvais pas, Lizzie. La maison tout entière était désormais la proie des flammes. Avec toi dans les bras, je suis allé dans la salle de bain et j'ai pris toutes les serviettes que je trouvais, je les ai plongées dans l'eau et je t'ai entourée avec. Tu ne comprenais pas ce que je faisais. Tu pleurais que tu voulais ta maman et que je devais aller chercher ton papa. Nous sommes sortis de la salle de bain, je t'ai serrée dans mes bras, et nous avons traversé les flammes pour sortir de la maison. Tu n'avais rien en dehors d'une blessure au poignet. Tu avais les mains sur mes épaules et quand moi (il s'interrompt, semblant hésiter à relater cette partie)….je portais un jean et un pull en nylon. Or le nylon n'aime pas trop le feu. Il a tendance à fondre lentement et à se coller aux chairs. Je sentais mes épaules en train de fondre, ce qui a provoqué ta blessure. Mon dos commençait à en faire de même. Et toi, tu me suppliais d'aller chercher Anthony. Alors que j'hésitais encore, je l'ai vu avancer dans l'encadrement de la porte d'entrée. Il était presque debout et se consumait. Il hurlait mon prénom. Il hurlait « Jason ». Ce fut son dernier mot. Tu étais horrifiée. Je suis allé vers lui mais c'était trop tard. Je l'ai vu tomber à terre. Il était mort et son corps continuait à brûler sous nos yeux.
LIZ, à présent debout contre la rambarde, loin de lui.
Oh mon Dieu !
RED
Il était mon ami, le meilleur que je n'aie jamais eu. Il n'était pas parfait mais je l'aimais. C'est lui qui m'a tout appris. Tout. Et je n'avais pas pu le sauver. J'avais peur. J'étais tétanisé par la peur dès que je suis arrivé sur place. J'ai agi dans le seul but de te sauver et d'honorer la promesse que j'avais faite à Katarina, des années auparavant, mais à la vérité, je mourais de peur. C'est à cause de ma peur que Kat s'est ensuite suicidée. C'est à cause de ma peur que ton père n'a pas eu l'aide dont il avait besoin. J'aurais pu le soulever quand il était à terre et il aurait alors trouvé la force pour sortir. J'en suis certain. Au lieu de ça….
LIZ, assez froidement.
Au lieu de ça, tu m'as sauvée, moi.
RED
J'avais le temps de vous sauver tous les deux, Lizzie.
LIZ, toujours froide et lointaine.
Et tu t'en veux pour ça ? C'est ça le pire du pire que tu avais si peur de m'avouer ?
RED
J'ai allumé l'incendie qui a consumé nos vies, Lizzie. Et je suis responsable de la mort de tes parents. Qu'aurais-je pu faire de pire à part ça ?
LIZ
Tu aurais pu me dire que tu étais amoureux de ma mère. Pour moi, en l'état actuel des choses, ça aurait été pire. Mais ce que tu as fait ce soir-là, j'avoue….je vais avoir besoin d'un peu de temps pour l'accepter. Tu avais quoi ? 24 ou 25 ans ? Tu étais jeune et tu étais confronté pour la première fois à des choix sacrément compliqués. De plus, il s'agissait de gens que tu aimais profondément. Tu es arrivé en retard parce que tu voulais voir tes enfants et déposer leurs cadeaux sous le sapin. Ma mère était ton amie, comme ta sœur. Et mon père était ton mentor. Et là, tu devais choisir de les sauver eux, ou de me sauver moi. Je ne sais que penser, Raymond. Pourquoi moi plus qu'eux ? Le fait que tu m'aies vu naître et que tu aies fait la promesse à ma mère de toujours me protéger ne suffit pas à expliquer pourquoi. Pardon si je ne comprends pas.
RED, ennuyé.
En clair, tu m'en veux sans m'en vouloir ?
LIZ, dans un sourire forcé.
Non. Je ne comprends pas. Je ne t'en veux pas mais j'ai du mal à comprendre. Dis-moi pourquoi je suis tellement importante pour toi que tu laisses tes meilleurs amis mourir pour me sauver ?
RED
Je n'en sais rien, Elizabeth. Je te jure que c'est la vérité. C'était juste…toi. Quand tu es née, je m'en moquais un peu. Je t'ai mise dans les bras de Kate et c'est tout. J'ai bataillé ferme pour que Katarina te reprenne avec elle. Ce n'est d'ailleurs pas ce que j'ai fait de mieux. Mais je ne pouvais pas savoir comment les choses allaient tourner. Enfin, je crois aussi qu'en choisissant de te protéger coûte que coûte pour le restant de mes jours, je demandais pardon à tes parents de les avoir abandonnés. De n'avoir pas su être à la hauteur alors que j'étais le seul sur qui ils pensaient pouvoir compter. Je les ai trahis ce soir-là. Alors peut-être es-tu là pour me rappeler sans cesse que j'ai eu raison de te sauver et peut-être que si je t'aime tellement c'est que tu représentes la seule lumière, la seule note positive qu'il me reste depuis tout ce temps.
Ils se taisent un moment tous les deux. Lui, épuisé et elle…ne sachant pas encore comment réagir. Cependant, après un long silence, elle lui dit :
LIZ, énervée.
Allons, Raymond ! Tu n'étais pas naïf au point de croire que tout ça allait bien finir. Si ? Vous avez tous joué avec des vies, avec des mensonges fabriqués pour que deux espions Russes puissent espérer couler des jours heureux chez nous. Et tu as vu le résultat ? Vous avez fait tout ça parce que mon père et ma mère se sont conduits comme des irresponsables. Elle en fuyant et en tombant amoureuse de mon père, et lui en n'assumant rien. Ou trop tard. Quant à toi, tu étais au milieu et tu étais un débutant. Or avec ton super QI de petit génie, tu n'as pas deviné comment cela allait se terminer ? A aucun moment tu n'as pensé que vous étiez en train de faire mumuse avec des jouets trop dangereux pour vous ? Ne me dis surtout pas que tu croyais que vous vous en tireriez tous sans trop de bobos ! Que mes parents finiraient leur vie ensemble et que je serais heureuse avec eux ! Ne me dis pas que tu voyais dans cette histoire une happy end.
RED, triste.
J'avais été formé pour penser que nous étions plus forts que l'adversité. Je me trompais lourdement. Une fois blessé dans le dos, avec toi sur les bras, je me suis senti seul et vidé. J'ai appelé Sam à la rescousse.
LIZ
Sam faisait partie de l'équipe de départ ?
RED, souriant tristement.
Non. Sam c'était un ami d'enfance en qui j'avais totalement confiance. Il savait ce que je faisais, plus ou moins. Tu le sais, il avait des années de plus quoi et me protégeait depuis toujours. Il l'a fait jusqu'à sa mort. Je n'ai pas voulu appeler Kate en premier car elle était occupée sur une autre affaire. Ensuite, j'ai fait de mon mieux pour te conduire chez Sam et là, je me suis effondré. Le nylon avait très largement atteint mes chairs. Il a appelé Kate qui est arrivée aussi vite que possible. J'étais déjà dans le coma quand elle a pu s'occuper de moi.
LIZ , glaciale.
Qui a bloqué ma mémoire et quand ?
RED
Les premiers jours de ton séjour chez Sam, tu ne parlais quasiment pas, tu refusais qu'on te touche et tu me regardais comme si j'étais un monstre. Il faut dire, à ta décharge, que je devais plus ressembler à une momie qu'à un être humain. Et quand tu daignais enfin dormir, tu étais réveillée plusieurs fois par nuit par des cauchemars. Sam venait te bercer mais tu ne voulais pas de lui, tu le repoussais de toutes tes forces, tu criais que tu voulais ta maman. Alors, après 4 jours, quand je suis sorti du coma et que Sam m'a dit comment tu étais, j'ai décidé d'agir. J'ai bloqué ta mémoire et je suis parti quelques heures plus tard. Je voulais rentrer chez moi.
LIZ , méchante.
Tu es plutôt lâche dans ton genre. N'est-ce pas ?
RED
Que voulais-tu que je fasse d'autre, Lizzie ? Je me suis assuré que tu serais heureuse et protégée par Sam. Je ne pouvais pas te prendre avec moi pour les raisons que tu connais déjà.
TBC...
