(avatar récupéré sur une photo de la talentueuse Katerina Plotnikova : /katerina_plotnikova)

Bonjour à tous ! Tout d'abord, je m'excuse sur un point primordial : la mise en page.

J'ai longtemps hésité à poster cette fanfiction précisément à cause de la mise en page de fanfiction . net que je trouve très foireuse, je dois l'avouer. Il me faut des dizaines de minutes à chaque chapitre pour vérifier que c'est potable... Alors que je n'ai aucun problème sur d'autres sites de publication !

Concernant cette histoire, il faut savoir que ce sera une fan-fiction longue qui s'étalera sur quatre années fictives, et relatant principalement l'histoire de Lily L. Potter, comme vous l'aurez déjà deviné. Pour le nombre de chapitres, je n'ai pas de chiffre précis, mais sans aucun doute plus de 30, chaque chapitre faisant en moyenne 8 à 10 pages word. Pour le rythme de publication, ce sera environ une fois par semaine, tous les vendredis/samedis.

Si vous avez des questions ou si quelque chose vous chiffonne, n'hésitez pas à m'envoyer un mp ou à poster une review !

Bonne lecture à tous.


Chapitre 1 : Une journée mémorable dans la vie d'une adolescente sans souci


Elle avait tout d'abord enfilé son imper jaune si reconnaissable avant de se faufiler au dehors de la vieille maison de campagne aux murs défraîchis et à l'odeur d'herbe mouillée. Ou de chien ou de vache mouillée, au choix. Mais Marie adorait cette odeur, car c'était celle qui la berçait depuis son enfance. Avec le bruit du passage du troupeau chaque matin devant sa fenêtre, parfois si tôt que le soleil se levait à peine, même en été. Juste avant de franchir la barrière, elle se retourna, comme à chaque fois, pour admirer la façade. Même sous la pluie et les nuages lourds, elle trouvait ce lieu magique et apaisant. Mais bon, il faut bien parfois aller s'amuser ailleurs non ? Même à six heures du matin !

En gloussant elle se détourna et courut à travers champs, fouettant les tiges de blé bien pleines et lourdes de grains. Monsieur Lefevre l'engueulerait encore s'il la reprenait à abîmer les épis, mais elle avait quatorze ans et elle n'avait plus peur des grognements de ce petit vieux. Cependant les mèches des épis s'accrochaient à ses cheveux et elle dût ôter sa capuche sous la pluie pour refaire la queue-de-cheval qu'elle n'avait pas pris le temps de refaire ce matin-là. Ce ne fut pas un franc succès, et la jeune fille avait toujours cette éternelle tignasse rousse qui s'éméchait quoi qu'elle fasse. Enfin, roux, pas vraiment roux comme les irlandais, plutôt un brun châtain tirant sur le roux. Marie ne cessait de répéter aux gens qu'elle n'était pas rousse mais « cuivrée », ce qui faisait toujours rire autour d'elle. On l'appelait Marie la cuivrée. Elle préférait ça à Marie la givrée en tout cas.

Grand-mère disait toujours qu'elle ne devait surtout pas utiliser la magie en dehors de la maison. Les sorciers et sorcières étaient rares, et les moldus ne connaissaient rien à ces choses-là. Quand elle était petite, sa grand-mère lui lisait des contes dans lesquels les moldus brûlaient les sorcières rousses, même les gentilles. C'était sûrement pour l'effrayer et la convaincre de ne pas faire de magie dehors. Et ça marchait jusqu'à maintenant, elle avait toujours une peur bleue d'être brûlée vive sans raison !

Marie s'installa sur une barrière, en bordure d'un pâturage, tout près du bois de chênes qu'elle visitait régulièrement avec Nagisa. L'été allait vite se finir, et bientôt elle devrait aller en internat pour faire le lycée. Elle n'aurait jamais du accepter de sauter son année de quatrième. Si elle avait su, enfin elle le savait, mais si elle avait réfléchi... Ca aurait été une année de plus à vivre avec sa grand-mère, la seule famille qui lui restait. Au lieu de ça elle allait partir pour Caen ! Heureusement que certaines de ses copines de troisième y allaient aussi, sinon ça aurait été vraiment trop effrayant. C'était la première fois qu'elle allait partir de ce petit coin paumé, et elle n'en avait même pas envie. Mamie Lily, son petit village et ses copines de collège lui suffisait amplement.

Bon, il fallait se bouger maintenant ! Elle ne s'était pas levée aussi tôt pour rien ! La jeune adolescente ignora le panneau d'avertissement « Attention clôture électrifiée » et escalada la-dite clôture. Elle savait très bien que les Guerin n'avaient jamais installé cette fameuse borne électrique pour alimenter la barrière. C'était comme pour les panneaux « Chien dangereux » ou « Système de sécurité », la moitié étaient des faux. Mais dans ce pays de campagne, les gens étaient vite méfiants et paranoïaques. Marie pouffa en songeant qu'ils n'avaient pas tort. Après tout, ils vivaient avec deux sorcières près de chez eux ! Tout en s'approchant du cabanon quasi-abandonné au fond du jardin de ses voisins (enfin, les plus proches voisins qu'elles avaient, soit presque un kilomètre de distance tout de même), Marie regretta encore une fois de ne jamais avoir rencontré d'autres sorciers ou sorcières comme elle. Elle ne savait pas grand chose de ce monde magique duquel Mamie Lily ne parlait presque jamais. A chaque fois que Marie lui posait des questions, la vieille femme lui répondait en riant qu'elle attendait que sa petite fille lui présente un garçon pour lui offrir toutes les réponses ! Ce qui avait le don de la faire rougir et bouder encore longtemps après.

Elle ouvrit en douceur la porte à moitié défoncée, le bois était humide et vert, et les gonds sortaient complètement. Un relent de poussière et de moisissure flottait dans l'air, mais c'était aussi ce qui faisait le charme de cette vieille cabane à outils. Marie vérifia, comme toujours, que personne ne pouvait la voir depuis la maison des Guerin, mais la nature avait repris ses droits dans cette partie du jardin, et même son imper jaune devait se mêler à la végétation abondante et multicolore qui croissait sur cette terre trempée. Elle entra dans la cabane en susurrant délicatement, et un autre murmure sifflant lui répondit. Nagisa était là !

« Ça fait plaisir de te voir Marrie.

- Pareil pour moi, elle ne me laissait pas un instant pour venir. »

En effet, alors que sa grand-mère lui avait laissé avoir tous les animaux qu'elle souhaitait, chien, chat, oiseau, lapin, hamster, et même une fois un écureuil, elle avait refusé catégoriquement que Marie n'amène un serpent à la maison. Cela faisait déjà deux ans que Marie avait trouvé Nagisa, et découvert ainsi qu'elle pouvait parler aux serpents, mais jamais Mam'Ly n'avait laissé entrer le reptile, pas même dans le jardin. Nagisa était un serpent asiatique au nom compliqué (Calloselasma rhodostoma, elle avait fait des recherches) et abandonné par ses anciens propriétaires. C'était une femelle d'environ un mètre de long, ce qui était plutôt grand pour sa race mais assez petit pour pouvoir se cacher lorsque le vieux Guerin venait parfois fouiller distraitement sa réserve.

Marie allait lui rendre visite le plus régulièrement possible, et lui apportait au besoin de la nourriture sous forme d'insectes capturés ou de souris malheureuses. Mais ce que le serpent préférait c'était la chaleur humaine, et la jeune fille laissait le reptile s'enrouler autour de sa taille, sous les vêtements, tout en nettoyant le repère de ces boules d'os si caractéristiques des serpents. Il ne fallait pas que Nagisa soit découverte et mise en danger, mais elle avait également besoin d'un lieu pour dormir la journée et avait choisi ce cabanon. C'était un serpent nocturne, seulement Marie n'avait pas le droit de sortir passé 21h du soir, aussi elles avaient pris leurs habitudes tôt le matin pour se retrouver.

Tout en se posant une petite demi-heure sur le sol terreux du cabanon, la jeune fille effleurait la tête de son serpent blotti contre elle et grignotait son en-cas du matin, des sucreries principalement. Tout en murmurant doucement, elle laissa le serpent s'endormir petit à petit puis le laissa glisser sur elle pour le reposer dans son petit nid d'amour (un vieux trou sous la table de travail, avec un mélange d'os décomposés et d'autres choses dont Marie ne voulait pas savoir la provenance). Sa visite du matin était terminée ! Restait à rentrer tranquillement et faire croire qu'elle sortait tout juste du lit, ça marchait une fois sur deux.

Elle refit le chemin en sens inverse, sachant très bien que sa grand-mère n'était pas dupe de ce petit jeu. Après tout, des bottes crottées, des cheveux dégoulinants et un imper détrempé n'étaient pas ce qu'on pouvait appeler des indices discrets. Et le sourire que Marie affichait était un indice supplémentaire de sa petite bêtise assumée. Ses yeux verts pétillaient un peu trop lorsqu'elle croisa au pas de la porte d'entrée le regard tout aussi vert mais bien moins amusé de Mam'Ly, en tenue de combat : peignoir rose, bonnet de nuit et chausson-chat.

« Bonjour Mamie !

- Bonjour Marie... Allez ôte-moi ces vêtements trempés et va prendre ta douche ! Quelle petite souillon j'éduque là... Je t'attends pour le petit-déjeuner alors dépêche-toi. »

Et elle repartit vers la cuisine en levant les yeux au ciel et en ronchonnant contre la jeunesse d'aujourd'hui, ce qui fit encore plus sourire la jeune rebelle du matin. Elle savait très bien que Mamie n'était pas fâchée, sinon la punition aurait été autre chose qu'une simple douche ! Certainement de faire la vaisselle sans magie... ce que Marie détestait !

Tout en allant prendre une douche brûlante à l'étage, elle songea que sa vie ne pouvait être plus cool que ça et qu'elle n'avait pas hâte de partir d'ici à la fin de l'été. Mais il y avait une chose qu'elle voulait faire avant de partir pour la ville, et elle le ferait cet après-midi si la pluie s'arrêtait. La météo avait même prévu quelques rayons de soleil, ce serait le temps idéal.

Si elle avait su que ce qu'elle comptait faire allait détruire tout son petit monde tranquille, la jeune fille aurait décidé de rester sagement à la maison devant un bon feuilleton à l'eau-de-rose-et-pas-du-tout crédible comme les adorait sa grand-mère.

C'était donc une journée d'été comme les autres pour Marie. Tout en fredonnant une chanson entendue à la télévision, elle se séchait dans la salle de bain exiguë au carrelage rose et fissuré. Tout était vieux ici, et c'était ça qu'elle aimait. L'odeur du bois, l'odeur des bêtes, l'odeur des champs... et l'odeur du parfum capitonné de Mam'Ly. Beaucoup de ses copines la plaignaient de vivre dans un truc si vieux et abîmé, avec juste sa grand-mère, mais Marie adorait cette vie. Devoir attendre le bus de ramassage scolaire le matin pour aller en cours, et attendre celui du soir pour rentrer, avoir comme excuse d'avoir loupé ce fameux bus pour pouvoir rester dormir chez une copine du patelin... Eh oui, pas de voiture non plus dans la vie des deux femmes. Les voisins les aidaient bien assez, un petit tour au marché le mardi, un petit tour à la supérette le jeudi, un petit tour chez le médecin une fois par mois... et même parfois le cinéma ! Une vie à l'ancienne quoi, loin des brouhaha des métropoles, loin des événements dramatiques et des guerres à tout-va. C'était aussi pour ça que Marie ne voulait pas partir pour Caen, elle avait l'impression d'être incapable de se débrouiller toute seule dans une ''grande'' ville.

En rentrant dans son immense chambre dans le plus simple appareil, Marie surveilla du coin de l'œil le chat roulé en boule sur son lit, puis elle décida d'ouvrir la volière pour laisser les oiseaux aller s'ébattre dans le jardin. Ils s'enfuirent avec vélocité et disparurent par la fenêtre en un claquement de doigts, dans un bruissement d'ailes et de piaillements stridents. Le chat avait levé la tête, mais l'intérêt n'y était pas. C'était un vieux chat miteux qu'elle avait retrouvé dans un fossé, défoncé par une voiture. La magie avait beaucoup aidé à son rétablissement, mais il n'avait plus que trois pattes et son visage resterait déformé tout le reste de son existence. Et Marie n'avait pas pu faire grand chose pour son pelage rêche et revêche. Ce n'était pas vraiment un chat domestique même, dans le sens où tenter de lui faire un câlin revenait à risquer le diable. Mais Marie n'aimait pas les animaux comme des peluches, elle avait juste un complexe quand elle voyait une bête souffrir, il fallait qu'elle l'aide. Ça ne réussissait pas toujours, et elle comptait dans son jardin un véritable cimetière de petites bêtes à demi-apprivoisées, la plupart s'étant simplement entre-tué. Un chat et des souris en liberté, ça ne fait pas bon ménage, un chien et un écureuil non plus... et le nombre d'oiseaux ayant subi des crashs malencontreux ne se comptaient plus.

Marie savait parfaitement pourquoi sa grand-mère lui laissait avoir toutes les bêtes qu'elle souhaitait. Pour la consoler. Avoir perdu sa famille entière dans un accident d'avion, c'était tout de même... triste ? Des sorciers voulant découvrir la technologie moldue et qui en ont été pour leur frais. C'était assez ironique, quand on savait qu'ils auraient pu tout simplement transplaner. Elle n'avait que quatre ans à l'époque et ses premiers souvenirs étaient dans cette maison normande avec le visage rayonnant de sa grand-mère. Mais Mam'Ly avait conservé des albums photos, et Marie les feuilletait souvent, en se demandant à quoi sa famille ressemblerait s'ils étaient toujours en vie.

Mais bon, c'était du passé tout ça, sa seule peur à présent était de perdre sa dernière famille. Heureusement que sa grand-mère pétait le feu, Marie avait même été voir en douce le médecin du village pour en avoir la confirmation.

Elle s'habilla finalement, classique jean résistant et tee-shirt large. Elle aurait quinze ans dans quelques mois et son corps se transformait, ce qui la rendait mal à l'aise. Elle avait toujours été petite et maigrichonne, et maintenant elle avait pris dix centimètres en un an et tout autant de kilos, et ça n'était pas qu'à cause de son grignotage intempestif de sucreries. S'observant dans la glace, Marie soupira en se demandant bien comment elle pourrait faire un jour pour plaire à un garçon, le ramener à la maison et ENFIN avoir des réponses à ses questions sur le monde magique. Oui, c'était un peu vache pour le dit-garçon mais Marie ne s'était jamais vraiment intéressée à eux ils l'embarrassaient trop et semblaient si... idiots ! Elle descendit en trombe l'escalier branlant et rejoignit sa grand-mère dans la cuisine pour le petit-déjeuner. Une délicieuse odeur de croissant chaud remplissait la pièce, et un mince rayon de soleil perçait à travers les nuages et la fenêtre embuée par la bouilloire en action. Elle se posa à table où l'attendait sa grand-mère, qui avait toujours cet air sérieux derrière ses lunettes.

« Marie, combien de fois faudra-t-il que je te le dises... Je ne peux pas t'interdire d'aller voir ce fichu serpent, mais au moins préviens-moi quand tu sors de la maison. S'il t'arrivait malheur et que je ne savais pas où tu es ?

- A part me faire écraser par un tracteur je ne vois pas trop ce qu'il pourrait m'arriver.

- Marie !

- Désolée ! Non, vraiment... C'est juste que c'est super tôt le matin que je peux aller la voir et que tu n'es pas encore levée... »

Sa grand-mère soupira, puis détourna le regard, agitant sa baguette. Aussitôt la bouilloire servit l'eau dans la théière, les croissants chauds sortirent du four et le lait, le chocolat, la confiture, le pain et les couverts arrivèrent sur la table dans un merveilleux bric-à-brac magique. La jeune fille adorait quand Mam'Ly faisait ça ! Sans gêne, elle se servit d'un croissant qu'elle grignota tout en se faisant un bol de chocolat brûlant. Partager ces instants avec sa grand-mère était vraiment magique dans tous les sens du terme, et c'était quelque chose qu'elle ne pourrait malheureusement jamais révéler à ses copines de classe. C'était si dur de garder bouche cousue sur toutes ces choses ! Tandis qu'elle attendait sa part de thé, elle scruta sa grand-mère avec un petit sourire. Bientôt un avion en papier arriva depuis l'étage et se posa juste entre les mains de celle qui l'avait élevée. Avec un petit haussement de sourcils et un sourire au coin des lèvres, celle-ci déplia l'avion et lut le petit message.

« Marie... Je sais que tu les prépare à l'avance... Toujours le petit mot pour me faire plier...

- Bah, j'écris juste ce que je pense. »

Marie en avait préparé des dizaines, pour toutes les occasions, depuis le moment où elle avait vu Mam'Ly éclater de rire en dépliant un de ceux qu'elle avait destiné à un amoureux à l'école primaire. Pour empêcher ça, elle avait eu l'idée d'en faire énormément, comme ça, sur tout ceux qui était déjà fait, on ne savait jamais à qui ils étaient destinés ! Bien sûr, pour les moldus, elle les lançait simplement sans magie. Mais dans la maison elle les laissait voler, comme ses oiseaux, libres. Il y avait toujours deux ou trois avions bigarrés qui traînaient par-ci par-là, animés d'une vie propre et quasiment insaisissable si elle ne faisait pas un effort pour les maîtriser. Cette passion pour les avions en papier, et les avions tout court avait quelque chose d'assez étrange, voire morbide sans doute, lorsque l'on connaissait son passé. Mais elle n'y pouvait rien, elle avait grandi avec les vieux films japonais des années 2000, les Hayao Miyazaki, et ceux-ci étaient remplis d'avions en tout genre et de magie. En fait, elle imaginait le monde magique un peu comme ça, à la façon de ces films, mais vu comme cela faisait pouffer sa grand-mère, la jeune adolescente se doutait bien qu'elle devait être carrément dans le faux. Mais c'était de sa faute aussi ! A ne rien vouloir lui dire...

Le petit-déjeuner se finit sans autre incident, Marie ayant décidé de ne pas évoquer sa future escapade de l'après-midi. Elle savait déjà que ça ne serait pas apprécié si elle se faisait prendre. Mais il n'y avait aucune raison qu'elle soit découverte ! Elle avait déjà tout préparé, ça serait trop triste de ne pas pouvoir tenter ça avant de partir pour la ville. Elle n'aurait pas de nouvelles occasions avant les vacances de la Toussaint sinon. Et il ne lui restait qu'une semaine avant de partir pour ce fichu internat... Bref, c'était cet après-midi ou c'était jamais, et Marie était têtue.

« Que comptes-tu faire aujourd'hui mon p'tit piou ? »

Marie ne releva pas les yeux, continuant de grignoter son deuxième croissant, il fallait qu'elle ait l'air convaincante !

« Je pensais rendre visite à Myriam, elle part demain alors...

- Tu voudras qu'on t'y dépose lorsque les Guérin vont passer ?

- Oh non, j'ai le vélo, je préfère, en plus il va faire beau, c'est plus sympa que la voiture. Et puis ça vous ferait un gros détour !

- Pas de bêtise ?

- Promis ! »

Elle se mordilla la langue tout en croisant les doigts sous la table. C'était pas beau de mentir, mais c'était rien de grave n'est-ce pas ? Oui, la jeune demoiselle insouciante allait profiter de la visite mensuelle de sa grand-mère au médecin pour être tranquille et faire ce qu'elle rêvait de faire depuis des mois ! Elle avait déjà tout organisé dans sa tête, le matériel, l'heure, elle avait vérifié que personne ne serait dans le coin, c'était le plus important.

Le reste de la matinée et le début d'après-midi se passa comme une journée de vacances ordinaire. Une journée calme, bercée par la télévision et la radio, par les bruissements des poules et des canards dans le jardin, du vieux corniaud sur le sofa qui ronflait... Tout ces animaux allaient manquer à Marie. A Caen elle n'avait pas le droit d'amener un animal de compagnie. C'était injuste ! C'était injuste aussi qu'il n'y ait pas un seul lycée à des kilomètres à la ronde et que sa grand-mère soit trop âgée pour déménager de ce lieu paradisiaque. Marie ne lui aurait jamais demandé ça, elle savait l'importance de cette maison pour elles, les Lecomte. Elles ne roulaient pas sur l'or non plus, et vendre la maison n'était pas une option. Et puis qui voudrait d'une vieille (et pourtant magnifique) baraque en ruine à retaper ? Bref, elles n'avaient pas le choix, c'était internat ou rien. Tout en dévorant son livre d'héroic fantasy, les pieds sur le canapé et la tête dans les nuages, la jeune adolescente n'attendait qu'une chose, le coup de klaxon des Guérin pour qu'ils amènent sa grand-mère au village.

Lorsque ce très attendu bruit de klaxon lui parvint, Marie fut aussitôt sur ses pieds, à aider Mam 'Ly à se préparer. Chaussures c'est fait, sac à main c'est fait, papiers pour le médecin c'est fait, le même pull, mais il fait chaud Mamie pourtant ? Et tu ne pourrais pas changer de collier de temps en temps ? C'est toujours le même que tu mets... Bref, une veste grise pour finir, le petit chapeau normand si caractéristique, mais pourquoi tu mets toujours ce truc aussi Mamie... Et voilà, un petit coucou de la main, des salutations de loin avec les voisins encore dans la voiture, et liberté !

La jeune fille sautilla, se mangeant une partie de ses cheveux fous qu'elle tira en arrière à nouveau. Elle était surexcitée ! Elle avait deux bonnes heures devant elle et il faisait un temps magnifique ! Enfin magnifique, ensoleillé et presque pas boueux ! Le sourire étincelant de celle qui va faire une escapade, Marie fouilla rapidement le tiroir où elle savait pertinemment que la vieille femme rangeait sa baguette lorsqu'elle sortait de la maison. Il était protégé par un sort, mais cela faisait déjà plusieurs années que la petite demoiselle savait s'en dépatouiller. Et voilà ! Une baguette une ! Encore une fois la jeune fille admira les nervures du bois sombre et la finesse du travail. Elle lui avait dit que c'était du bois de sorbier avec une plume de... de quoi déjà ? Une bête bizarre. C'était magique, tout simplement. Tout en criant de nouveau à la victoire, elle monta à l'étage pour récupérer ses lunettes d'aviateur datant de la seconde guerre mondiale ainsi que sa cape et ses gants d'aviateur qu'elle avait elle-même bidouillé. Elle trouvait ça classe, même si ça n'était pas réaliste.

Devant le pas de la porte, elle hésita. Si elle avait déjà désobéi et fait de la magie lorsque Mam'Ly n'était pas, c'était la première fois qu'elle allait sortir la baguette de l'enceinte de la maison... Mais bon, une adolescente curieuse et entêtée ne réfléchit pas longtemps aux conséquences de ses actes. Il lui fallut vingt bonnes minutes pour rejoindre son repaire, derrière le bois aux chênes, dans un coin reculé où personne ne vivait ni ne passait. C'était le lieu idéal.

Essouflée, elle trébucha et se rattrapa de justesse, arrivant juste devant la bâche qu'elle avait posé entre deux vieux troncs pour protéger sa création. Elle retira les clous de maintien puis elle tira brusquement sur la toile, admirant sous le soleil pâle son travail de longue haleine.

Un avion à taille humaine fait de barres de fer récupérées, de planches de bois, de cartons et de papier mâché, le tout assemblé par des cordages, des clous et de la colle forte. Il ne payait vraiment pas de mine mais elle le trouvait superbe. Elle avait pris pour modèle l'avion dans Nausicaa parce qu'il ressemblait à un oiseau. Mais pour le faire voler, elle avait besoin de la baguette, et donc de faire de la magie en dehors de la maison !

Prudente, Marie souffla et ferma les yeux pour se calmer et être suffisamment concentrée. Faire flotter des avions en papier c'était facile. Là, c'était un avion d'au moins dix kilos ! Et elle comptait bien se mettre dessus en plus... Elle inspira à nouveau profondément, sortit la baguette et fit le geste de la lévitation. Si elle ne prononça pas une formule magique, c'est qu'elle n'avait jamais appris à le faire. Pour elle la magie était... silencieuse, il ne lui serait pas venu à l'idée de la contrôler plus facilement par des mots.

Il y eut un craquement sourd et inquiétant, et tandis que l'avion tremblotait, la jeune fille eut un haut-le-coeur soudain. C'était... étrange. Comme si quelque chose s'était cassée quelque part. Comme si on l'avait appelé.

Elle regarda autour d'elle puis raffermit sa prise sur la baguette et se força à fixer l'engin d'un air assuré. Un grondement, un souffle d'air, et le voilà qui flottait à quelques centimètres du sol ! Marie piailla en secouant les bras de façon purement enfantine, ce qui eut pour mauvais effet de faire retomber la bête, mais plusieurs secondes se passèrent et elle se souleva de nouveau.

Inutile de raconter les cinq minutes d'euphorie d'une sorcière en devenir qui a réussi son sort. Inutile également de raconter comment elle se dépatouilla pour monter sur l'embarcation en vol et comment elle se ramassa la tête dans l'herbe trempée plusieurs fois sans pour autant abandonner. Elle voulait voler et elle allait voler ! Quand enfin sa démarche fut plus sûre et l'esquif volante plus stable, Marie s'éleva d'un bon mètre puis de deux puis de trois, tout en pépiant sa joie. Ce n'est que lorsqu'elle commença à faire avancer son avion, qu'elle osa se déplacer à des vitesses de plus en plus élevées, grisée par le vent et par la vue des champs sous ses pieds, qu'elle songeait à ce bonheur sans nom de voler, que quelque chose alla définitivement mettre un terme à son expérience.

Le soleil avait disparu, et d'énormes nuages pointèrent leurs nez, sortis d'on ne sait où, et une bourrasque de pluie aussi subite que violente la fit s'affoler, perdre le contrôle et se crasher de cinq mètres au sol. C'était quoi ce temps ! Tout en se relevant et en grimaçant à cause du choc de la chute, la jeune sorcière tenta de comprendre la situation, trop surprise par cette rafale de cordes pour apprécier gentiment ce qu'elle vit. Son avion était fichu ! Une aile s'était brisée et le nez était défoncé. Elle-même n'en menait pas large non plus, toute boueuse et éraflée par les cailloux du sentier. Furieuse et dégoûtée, la jeune adolescente trépigna puis récupéra comme elle le pouvait son coucou pour le ramener à la bâche, ce qui se fit rapidement mais non sans dommage pour ce qu'il restait de l'engin... Bon, au moins elle n'avait pas cassée la baguette de sa grand-mère, ça aurait vraiment été le fiasco total sinon. La pluie cessa aussi vite qu'elle avait commencé, et Marie se frotta le visage et soupira. Il fallait qu'elle se dépêche de rentrer se laver, de récupérer son vélo puis de se rendre chez Myriam pour son alibi...

Cette déconfiture ne l'avait cependant préparée en rien à ce qu'elle allait vivre ensuite.

En contournant le bois, la jeune fille leva les yeux vers l'horizon et son sang ne fit qu'un tour. C'était de la fumée qui s'élevait, noire, énorme, vers le seul lieu habité à un kilomètre à la ronde : chez elle.

Jamais elle n'avait couru si vite de toute sa vie, jamais elle n'avait entendu sa respiration devenir si sourde et son cœur cogner si fort dans sa poitrine qu'il la brûlait. Et pourtant le temps lui parut interminable pour arriver à vue de la maison de son enfance, pour essayer de comprendre ce qui avait bien pu se passer, continuer à courir, sans plus réfléchir. Elle savait juste qu'il fallait courir, que peut-être, avec sa baguette, elle pourrait arrêter le feu et sauver ce qui pouvait bien rester de son lieu paradisiaque.

Mais une autre vision, une vision folle, la fit stopper net. Des choses volaient autour de la baraque embrasée, des choses sombres à forme humaine, sur un balai. Le souffle hiératique, tremblante, Marie écarquillait les yeux, mais l'adrénaline l'empêchait de réagir et d'analyser la situation, elle reprit sa course effrénée, et ne s'arrêta de nouveau que lorsqu'elle manqua de se prendre un éclair en pleine face.

Un sort.

Des sorciers.

Affolée, Marie recula et observa le ciel, brandissant sa baguette comme une protection idiote, elle ne savait rien faire pour se défendre. Partout où elle posait son regard c'était un chaos indescriptible. Sous les nuages lourds et l'incendie, des éclairs de lumière jaillissaient de toutes parts une clameur effroyable de hurlements, de grondements, de paroles inintelligibles venant de la dizaine de personnes qui semblaient se battre férocement à coup de sortilèges, sur terre comme dans les airs. Et, sans doute à cause du cri strident qu'elle avait poussé sans s'en rendre compte, tous semblaient l'avoir vu et vouloir foncer sur elle. Terrifiée, la jeune fille eut un réflexe irrationnel au lieu de fuir loin de ce danger incompréhensible, elle fonça vers la maison, escalada la barrière et alla se planquer là où elle le faisait toujours, entre les deux immenses haies épineuses de son jardin, malgré la proximité de la fournaise. Si personne ne la suivit, ce n'était sans doute pas car sa cachette était efficace, c'était simplement qu'ils étaient trop occupés à défendre leur position. Recroquevillée comme une enfant, Marie se boucha les oreilles en geignant, les larmes aux yeux sous la panique, grands ouverts sur la vision d'horreur qu'elle apercevait à travers les feuillages. Le toit de la maison s'effondra brusquement, dans un brasier de flammèches et d'étincelles verdâtres. Un homme tomba non loin d'elle, dans un craquement sinistre, bientôt suivi de son balai. Marie tenait comme une désespérée la baguette de sa grand-mère, l'appelant de toutes ses forces sans s'en rendre compte.

Puis bientôt, le silence.

Un silence encore plus angoissant que le vacarme d'alors, seulement ponctué du bourdonnement des flammes. Un silence qui dura de longues secondes, les plus longues secondes de votre vie, lorsque vous n'entendez plus que votre respiration étouffante et sifflante et le martèlement de votre cœur.

« Marie ? Marie ! Où es-tu ? »

La voix de sa grand-mère la fit sursauter et elle sortit en trombe de sa cachette. Mais la bataille n'était pas finie, elle entendait des voix derrière elle, et la jeune fille, redevenue une enfant sans défense, chercha désespérément des yeux celle qui pouvait la sauver, l'aider, la protéger de ce chaos. Mais il n'y avait personne dans le jardin, hormis deux personnes au sol, aussi Marie s'époumona à répondre à l'appel, tout en courant à travers ce spectacle de désolation pour faire le tour du foyer vers le garage à l'arrière, d'où venait la voix si rassurante. De nouveaux éclairs lumineux l'arrêtèrent, accompagnés de voix humaines incompréhensibles d'abord, mais son cerveau tournant à mille tours fit enfin le lien. Ces gens parlaient en anglais. Et sa grand-mère aussi. Comme un chaton perdu, l'adolescente couina à l'aide à nouveau, avant de passer le coin de mur qui l'empêchait de voir la partie arrière du jardin.

Plus tard elle reverrait la scène en boucle, elle chercherait à analyser, à comprendre ce qui avait bien pu se passer. Mais dans l'instant immédiat, l'enfant ne vit qu'une chose. Le flash éblouissant qui toucha Mam'Ly. Le nouveau silence qui avait suivi, très court, son propre cri glaçant, enroué à force d'avoir trop hurlé, ses jambes flageolantes qui la portèrent néanmoins jusqu'au corps effondré de celle qui l'avait élevée, chérie et protégée toutes ces années. Elle ne fit pas attention à la personne qui était à trois pas, à la personne qui avait lancé ce flash, non elle s'affaissa sur Mam'Ly, la touchant de ses mains tremblantes, dans l'espoir de la faire ouvrir les yeux. Dans l'espoir qu'elle ouvre les yeux et que ça ne soit qu'une blague, un vilain tour pour lui faire peur, ou un simple cauchemar, oui c'était plutôt ça n'est-ce pas ?

Mais ça n'est pas ce qui arriva. Mam'Ly ne rouvrit pas les yeux, elle ne bougea pas, son corps était lourd et froid, son visage figé et méconnaissable, ses cheveux, d'ordinaire si bien tenus, en désordre. Et alors que Marie gémissait pitoyablement, se balançant d'avant en arrière, arriva la dernière chose auquel elle aurait pu songer. La personne qu'elle chérissait le plus au monde, celle qu'elle tenait fermement pour ne pas la voir s'échapper, celle qui avait été son univers tout entier, son pilier et sa force, cette personne se désagrégea progressivement, des jambes jusqu'à son visage, de la même manière que la demeure en flammes, en cendres dorés, en escarbilles étincelantes, qui s'envolèrent dans la brise agressive qui l'entourait. En quelques secondes terrifiantes, il n'y eut plus de Mam'Ly. Ne restait plus que son éternel collier et son pull grisâtre, le même dont elle s'était moquée encore quelques heures plus tôt.

Alors que ses mains débiles accrochaient ces deux objets avec une force stupéfiante, le délire s'empara d'elle et acheva sa raison. Elle manquait d'air, et alors même qu'elle s'évanouissait finalement, en suffocation sous le manque d'endorphine, son regard flou accrocha la vision de la personne qui était restée à côté, la personne qui avait lancé le flash, qui s'approchait d'elle rapidement, forme brumeuse et vague. Alors qu'elle sombrait, elle entendit, comme un écho, sans pouvoir traduire :

« We go back home, Lily. »