Daniel Chatelot remontait les Champs Élysées à vive allure sur sa Honda noire, il avait passé quatre heures à l'école militaire de Paris pour une répétition. En effet, Daniel était musicien dans l'armée et devait aller trois fois par semaine près de la Tour Eiffel pour ces éternelles répétitions. Le temps morose qui s'abattait sur la capitale ces derniers temps le déprimait, lui qui avait profité d'une enfance ensoleillée dans sa Provence natale. Par-dessus cela s'ajoutait une vie familiale compliquée il avait , perdu sa femme quelques mois plus tôt d'un cancer et son fils avait péri dans un tragique accident. A présent, il lui restait sa fille Alice et les jumeaux Félix et Nicolas. Il se demandait parfois combien de temps restait il avant que ceux ci ne périssent à leur tour, le laissant seul au monde. Il remonta tant bien que mal les champs Élysée, en maudissant tous les touristes qui traversaient sauvagement la place d'étoile qui ignoraient les coups de sifflet menaçants de l'officier de police chargé de la circulation chaotique qui régnait autour de l'arc de triomphe. Arrivé au niveau de l'esplanade La Défense il prit une bretelle d'autoroute pour rejoindre le périphérique. Vers la porte de la Chapelle, des embouteillages commencèrent à se former. Il semblait que le sort s'acharnait sur Daniel.

Des sons de klaxons résonnaient dans sa tête et cela le déconcentrait, si bien, qu'à plusieurs reprises il failli mourir. Au niveau de la porte de la Villette le trafic reprit une allure rapide, Daniel dépassa deux camions hollandais et prit de la vitesse pour en doubler un troisième. Alors qu'il commençait à accélérer pour le dépasser, le camion se déporta vers la gauche et faucha la roue avant de la moto. Daniel perdit le contrôle de sa Honda, dans sa tête tout se déroulait d'une extrême lenteur. Soudain une Citroën C4 gris métallique le percuta à cent dix kilomètres heures et il fut projeté sur la bande d'arrêt d'urgence. Sa moto se mit à flamber et finit de se consumer au milieu d'un océan de phares et de klaxons. Daniel sentit une douleur intense au niveau du torse, il releva brièvement la tête et s'aperçut qu'il baignait dans une mare de sang. Sa tête retomba sur l'asphalte, il eu une dernière pensée vers Alexandre disparu depuis trop longtemps, vers Alice qui avait perdu sa mère quelques mois plus tôt et vers ses jumeaux Félix et Nicolas qui eux aussi avait perdu leur mère dans un accident de train il y très peu de temps, enfin il ferma les yeux... à tout jamais.

Alice Chatelot avait atteint ses quatorze ans le 21 février dernier. Elle vivait, depuis le décès prématuré de son père dans un accident de moto, dans un internat de Gironde , en Aquitaine. Même si elle avait pris elle-même la décision de s'isoler dans un coin de la France dont elle ignorait tout, Alice ne faisait aucun effort d'intégration. Elle évitait le plus possible le contact avec les autres pensionnaires. Elle préférait rester dans sa chambre, pour lire ou bien juste pour penser. Le psychologue de l'établissement lui avait proposé de l'aide, mais elle avait refusé, après tout, qui pouvait comprendre la douleur d'Alice ? Qui sur terre pouvait l'aider ? Personne, Alice en était convaincue. Sa vie avait basculé peu à peu et il lui semblait que sa vie ne pourrait être pire. En l'espace de quelques années, elle avait perdu son grand frère, sa mère, son père, ses petits frères, ses amis. Elle regarda attentivement une photo qu'elle avait fixée au mur près de son lit. Sur celle-ci on pouvait la voir, elle et un garçon de son âge. Ce garçon, Maxime, son plus ancien ami de mémoire, lui manquait autant que sa famille. Elle l'avait perdu de vue lorsqu'elle avait quitté Besançon, sa ville natale, à la mort de sa mère. Elle se remémora les fous rires, les balades dans les champs, le ski l'hiver avec sa mère. Puis, sans s'en rendre compte, ferma et tomba endormie.

En ce même moment, Maxime Lamare,14 ans, était assis sur la banquette arrière de la voiture de ses parents. Il revenait de vacances et avait hâte de revoir ses amis. A sa droite son petit frère dormait à points fermés, mais lui n'avait pas réussi à trouver le sommeil et écoutait son Ipod. Une mèche brune tombait sur ses yeux, elle l'agaçait plus que tout, mais pour rien au monde il ne serait allé chez le coiffeur. A vrai dire, Maxime ne portait pas vraiment d'attention à son apparence. Ses yeux marrons ne lui déplaisaient pas particulièrement, mais il se plaisait à prétendre qu'ils étaient verts. Maxime était quelqu'un d'assez contradictoire. La nuit était calme et ils profitaient d'une pleine lune qui éclairait bien la route. Tout paraissait magique avec toutes les étoiles qui constellaient le ciel. Le père de Maxime conduisait à une vitesse raisonnable, si bien qu'il était possible de distinguer le paysage. Soudain une lumière éblouissante apparut, Maxime plissa les yeux, il parvint à peine à distinguer la forme d'un camion. Un bruit strident de frein, puis un craquement sinistre se firent entendre. Enfin le noir complet. Les événements qui suivirent l'accident furent flous pour Maxime. Il avait pu être extirpé du véhicule familial avant qu'il ne se vide son sang, son frère, lui, mourut sur le choc. Il se souvint vaguement du bloc opératoire, une infirmière maintenait un masque à oxygène pressé sur son visage. Puis un nouveau trou noir.

Lorsqu'il se réveilla, un officier de police s'assit à son chevet et lui exposa la situation. Il lui annonça de manière assez maladroite le décès de sa famille. Étrangement, le jeune homme ne réagit pas. Le cerveau de Maxime tournait à toute allure, il essayait de comprendre les conséquences de ce que venait de lui affirmer le policier.

« -Mais que vais-je devenir ? demanda-t-il avec une petite voix avant de fondre en larmes.

-Écoute petit, commença l'homme, nous allons trouver une solution je t'assure !

-Je vais me retrouver dans un orphelinat, ou bien chez une tante dont je ne connais même pas le nom, lança-t-il entre deux sanglots.

-Écoute bonhomme, je sais bien que tout ça est très dur, mais tu dois te ressaisir ! Nous avons joint la sœur de ton père, malheureusement, elle ne peut pas s'occuper de toi en raison de son activité professionnelle.

-Elle me jette comme de la vermine ! s'indigna-t-il. Elle me déteste, voilà pourquoi elle ne veut pas de moi.

-En revanche, continua l'agent, comme elle est ton responsable légal dorénavant, elle s'est engagée à te payer un place dans l'internat de ton choix. Je t'ai fait une liste des meilleurs. »

Maxime réfléchit, il n'avait vraiment pas envie de voir sa tante, pour lui on n'abandonnait jamais la famille, et, bien qu'il n'avait déjà que peu d'estime pour sa tante, ce qu'elle venait de faire était de la haute trahison. L'adolescent demanda alors :

« -Et, existe-t-il un internat dans lequel on peut rester toute l'année y compris les vacances ?

-Hum, laisse-moi regarder, oui il y en a un en Aquitaine, pas très loin de Bordeaux, répondit le policier

-Je prends, affirma Maxime.

-Parfait, sourit son interlocuteur, je vais demander aux services sociaux de régler les détails administratifs, si ton état de santé le permet tu y sera pour la rentrée. »

Il quitta la pièce d'un pas pressé, laissant maxime seul. Il sécha les larmes qui stagnaient sur ses joues et s'endormit.


Il était 7h30 du matin. Dans la chambre d'Alice, Lisa, sa camarade de chambre lui annonça que son petit-ami Thibault et elle devaient faire visiter l'internat à un nouvel élève. Alice lui demanda son nom et quand Lisa lui apprit qu'il s'appelait Maxime Lamare, Alice sauta de son lit et insista pour l'accompagner et, lorsque Lisa lui demanda pourquoi, Alice répondit qu'elle allait enfin revoir son ami. Juste après cette discussion, quelqu'un toqua à la porte, c'était Thibault qui venait chercher Lisa pour la visite du collège. Alice se précipita dans la salle de bain et se prépara en quatrième vitesse afin de les rejoindre. Ils partirent tous les trois vers l'entrée où ils attendirent Maxime. Au bout de dix minutes d'attente, Alice les informa que Maxime arrivait toujours en retard. Celui-ci arriva comme prévu avec un quart d'heure de retard avec un énorme épi à l'arrière du crâne, l'air tout endormi. Lorsqu'il arriva devant eux, il retira ses lunettes, se frotta les yeux longuement et les rouvrit écarquillés.

« -Alice, c'est toi ? s'exclama-il.

-A ton avis, se moqua Alice. »

Et ils partirent tous les quatre à la découverte pour Maxime et à la redécouverte pour les autres de l'internat Saint Pierre-de-la-Croix.