L'enfant ferme les yeux, aussi fort qu'il le peut. Son cœur bat trop fort, il n'y a plus aucun bruit autour, aucun. Même le vent, dehors, souffle moins fort que sa peur, même les craquements des vieux meubles de la maison sont étouffés par son angoisse naissante. Par contre, le grincement du plancher qui se rapproche de lui, ça, il l'entend bien. Il ne les imagine pas, ces bruits.

Il essaie de calmer sa respiration. Sa main se pose involontairement contre sa bouche, comme pour promettre un peu de silence. Il fait noir dans cette pièce, mais il la connait bien. Il connait l'emplacement de chaque objet. Le grand bureau en bois, la chaise beaucoup trop haute, l'armoire à vitre, l'étagère avec les livres et les souvenirs de voyages, les rideaux sombres… Pas besoin de lumière pour se rappeler le bureau.

Le bruit des bottes contre le plancher se fait plus proche, plus assourdissant aussi. Le garçon recule, encore et encore, jusqu'à ce que son dos rencontre le mur. Tu ne peux pas aller plus loin. Les bras contre la poitrine, il tente d'écraser son cœur qui tambourine étroitement, mais de plus en plus intensément. Les larmes ne viennent pas, pas encore, elles sont plantées dans la gorge. Les larmes, ce sera pour après, lorsque le cœur aura implosé. Ça ne devrait plus tarder.

Les pas s'arrêtent, juste devant la porte. L'enfant serre ses poings qui n'ont pas quitté la poitrine. Une comptine résonne dans sa tête. Tais-toi mon cœur… Pitié, chuchote l'enfant, pitié, ferme-là ! Il force ses bras à se replacer le long de son corps, et il ouvre ses yeux. Il ne pleure toujours pas. Bravo ! Son souffle saccadé, il a appris à le maîtriser, il devient plus rauque. Hors de question de montrer à quel point il a peur. Entre, je ne te crains pas. La porte s'ouvre, juste assez pour laisser passer un filet de lumière. Tais-toi mon cœur, tais-toi…

- C'est bien que tu sois là, Jude.

Un homme pénètre dans le bureau. Dans son bureau. L'enfant se détache du mur. Non, il n'a pas peur. Il fait un pas, puis il attend. L'homme aussi fait un pas. C'est une partie d'échecs, on déplace ses pièces. L'homme est une Reine, et l'enfant est un pion. Le garçon sait très bien comment elle va se finir, cette partie. Elle se finit toujours de la même façon. Il ne bougera plus, c'est à l'homme de terminer la partie.

- Tu as peur ? demande l'homme.

- Non. Monsieur.

La voix est étranglée, mais il cherche à la maîtriser, pour ne rien montrer de ses émotions. Rester calme, distant, jusqu'à ce que l'homme parte, qu'il le laisse enfin seul. Tu es échec, petit. D'accord, j'arrête de résister…


Tais-toi mon coeur, La Mécanique du coeur, Mathias Malzieu, 2007