Delikatesse - Dans la carapace des insectes.
Oh quelle merveilleuse utopie, quel monde parfait. J'étais dans un havre doux et chaud, aussi odorant que crémeux et je m'y prélassais avec paresse. Il faisait frais tout autour mais ici, la fièvre lactée s'emparait des quelques centimètres qui m'abritaient. Oh, j'étais bien, je me roulais dedans, mes antennes battant la liqueur de lait fabuleuse dans laquelle je me gondolais dans des frétillements passionnés. C'était une lande idyllique, ce fromage mou.
La pénombre tout autour de moi ne m'engageait qu'à davantage de liberté, me permettant de danser royalement dans le petit trou verdâtre. Mais soudainement, lumière se fit et je dus me précipiter dans un recoin avec la vitesse de l'éclair. Il y eut un cri perçant, faisant frémir mon thorax dans un gargouillement d'angoisse. Le sol tendre se mit à trembler furieusement et soudain, il y eut une immense chute.
Ma magnifique maison manqua de s'effondrer sur moi alors qu'elle rencontrait elle-même un abysse dur comme la pierre. J'attendais, un peu sonné, et puis quelque chose frappa mon abri avec puissance. Mes longues antennes se dressèrent, en alerte, et quelque chose me heurta à nouveau. Je tremblais littéralement de peur, convaincu à présent d'avoir été repéré. Ma vie allait se terminer comme celle de l'Oncle Frank et je m'en affligeai aussitôt. Puis ce fut le signal : un nouveau coup fut porté violemment à mon fromage adoré et je fuyais, telle une étoile filante.
Des hurlements stridents retentirent, désarçonnant mon maigre courage et me condamnant à bifurquer avec brusquerie sur la droite. La surface froide tremblait sous des à-coups de voutes plantaires gigantesques, m'assommant presque. Complètement terrifié, je me précipitai sous un cylindre métallique, attendant la douleur prochaine avec certitude. Je connaissais bien l'immense cage de métal qui me surplombait : c'était le garde-manger nocturne de Mamie Yvette. Évidemment, l'obscurité salvatrice qui me protégeait me fut retirée : la poubelle avait été soulevée !
Alors je détalai de plus belle, laissant mes innombrables yeux balayer les alentours en quête d'une nouvelle cachette. Un petit trou me tendait les bras, tout près d'un pied de bois. Ni une, ni deux, je me précipitai…
Mais une ombre s'abattit sur moi avec la vitesse du diable, et je ne fus pas assez rapide à lui échapper. Un poids immense percuta alors mon abdomen, et je le sentis éclater dans un bruit déchirant.
SPRAWSH!
J'étais broyé.
Mes antennes se tendirent sous la souffrance : mon pauvre esprit encore concentré sur la fuite se laissait envahir d'une douleur sans nom et je m'escrimais toujours plus contre la force, envers laquelle j'avais paradoxalement conscience que toute lutte se rendait futile. J'eus beau me débattre, je ne sentais plus rien et pour cause : il ne restait plus que ma tête.
Et bientôt, l'immense masse disparut : je crus que j'allais m'en sortir.
Puis l'ombre retomba.
SCHPOUIC!
Plus rien.
