15 janvier 1997

Tu sais ce que je trouve de fascinant ? Tout. Absolument tout est fascinant, et ça me fascine, et j'en reste béate devant les plus quotidiennes actions pourtant banales et présumées sans intérêt. Présumées, parce que je trouve toujours quelque chose à redire, même si le sujet est clos, même si le tableau à l'origine vierge est recouvert de parts et autres de peinture et de mots. Y'a toujours une place, je le sais parce que quand je suis partie à ton enterrement, il y avait grand-père qui m'a dit qu'il fallait pas que je sois triste, que t'aurais pas voulu que je sois dans cet état et que bien que tu sois partie, un morceau de toi était là. Je le verrais pas forcément ce morceau de toi, qu'il a ajouté. Je le verrais pas aussi bien que je vois les gens autour de moi, je le sentirais pas aussi bien que la brise glacée en hiver, je l'entendrais pas aussi bien que ce boucan m'environnant sans cesse, mais je le saurais.

Y'aura toujours une place Hannah, c'est jamais vraiment fini, et tout ce qui t'entoure est une façade.

Et puis il a aussi dit que si j'observais assez et que j'étais attentive, je percevrais peut-être la sensation qui m'enveloperrait dans un drôle de cocon, et ça sera comme une révélation. Y'aurait pas besoin de poser de questions, ni de parler, ni de faire quelque chose. Y'aurait juste à me laisser bercer et me blottir dans cette enveloppe comme dans un lit, et dire ce que j'aurais voulu te dire. Faut pas que ce soit long, faut que ce soit genre une phrase ou deux. Mais c'est pas possible de résumer ce tourbillon et ces entremêlements de pensées en quelques mots. Il me faudrait des litres de salive et il te faudrait des tonnes de patience, mais ça devrait aller étant donné que c'est une de tes qualités.

Alors voilà, j'arrête pas d'observer et d'être attentive, c'est bien la première fois que j'écoute les conseils de grand-père. Et je trouve ça drôle, parce que je remarque des détails que l'on remarque normalement pas, des détails auxquels on ne fait pas attention, des détails que l'on préfère ignorer ou passer sous silence.

Adrian Pucey jette souvent des regards à Emma Dobs. Il est à serpentard et elle est à gryffondor. Il est sang-pur de surcroît et elle est fille de moldus. Il est admiré par certaines filles et elle est tellement discrète qu'elle n'attire pas les convoitises. Il a des amis certainement futurs ou déjà mangemorts et elle a pour entourage des membres de l'AD. C'est des regards discrets à cause du fossé immense qui les sépare, une honte quant à leurs différences, c'est une attirance proche d'un amour et surtout une aimantation constante qui le relie à elle. C'est un peu comme les deux pôles magnétisés, et je le sais parce qu'une fois, elle a levé ses yeux cuivrés vers lui et leurs joues ont pris une jolie teinte rosée, avant qu'une volé d'hiboux et de chouettes n'interrompe leur échange. Je le sais aussi parce que une autre fois, Seamus Finnigan a discuté avec Emma et l'a fait rire. Ils étaient face-à-face à une table à la bibliothèque, il a pris sa main, lui a murmuré une parole suivi d'un sourire se voulant ravageur, elle a rougi, et Adrian qui était caché derrière un rayon, a froissé la lettre qu'il tenait. Des petits bruits de déchirement et quelques secondes plus tard une nuée de papiers voletaient en direction du sol. Des pas précipités et quelques volées d'instants plus tard une silhouette furtive se faufilait en dehors du lieu de prédilection des serdaigles.

Mais ce qu'Adrian ne savait pas, c'est qu'un rien fait rougir Emma et que pendant qu'il prenait la fuite furieux, Emme retirait sa main de l'emprise de Finnigan en lui annonçant qu'elle avait déjà quelqu'un en vue.

Un quelqu'un qu'elle n'avait pas le droit d'avoir en vue, qu'elle a confié, et dont elle tairait le nom et la maison. Puis j'étais là, en devinant sans mal que Pucey avait toutes ses chances, sauf qu'il en pensait tout le contraire.

Eddie Carmichael a un secret qu'il garde superbement bien caché. Tous les lundis matins au petit-déjeuner il scrute l'arrivée du courrier, lueur d'espoir fou luisant ses pupilles, mordillement incessant des lèvres, déception se peignant sur chaque parcelle de son visage quand seule la gazette du sorcier se dépose devant lui. Mais Eddie reprend contenance, sourit, rit, blague, parle pour ne pas éveiller les soupçons de ses amis. Tous les vendredis après le dîner il se glisse discrètement jusqu'à la volière, lettre en poche à l'intention de son père demeurant à Azkaban. Pas grand-monde le sait, l'affaire Carmichael ayant été étouffée par le Ministère. Ce serait scandaleux après tout, que la communauté magique sache qu'un de ses plus hauts représentants était coupable d'un meurtre.

Drago Malfoy ne laisse jamais à découvert son avant-bras gauche et a des rides soucieuses entre ses sourcils, souvent. Il a de temps en temps d'énormes cernes et une fois il est arrivé les yeux gonflés et rougis, prétextant par ailleurs que c'était à cause de la potion de ratatinage préparée la veille pendant le cours de Slughorn. Tout le monde savait que la potion de ratatinage ne causait pas des yeux gonflés et rougis mais personne n'a levé le petit doigt pour savoir ce qui n'allait pas. C'était Drago Malfoy, et on n'insiste jamais auprès de Drago Malfoy à propos de sa vie privée. Il peut passer des soirées dans les toilettes du deuxième étage à se plaindre à Mimi Geignarde. Je le sais parce qu'une fois, moi aussi je supportais plus tout ça, ces regards compatissants, cette absence constante m'opressant la poitrine et cette haine refoulée à l'égard de tes assassins. Ça me vrillait les tympans, trop, ça me les martelait à coup de marteau bien sentis, et tellement, tellement, que je suis partie dans ces toilettes à sangloter tout du long. Et pendant ce temps, Mimi s'amusait à rentrer et sortir d'une cuvette à l'autre en me répétant que je ne pouvais pas être aussi malheureuse qu'elle. J'ai réussi à me calmer, et j'ai ouvert mon carnet, et j'ai griffoné des lettres et des mots et des phrases et des formes jusqu'à ne plus sentir mon poignet. J'entendais plus rien, Mimi s'était tue, j'entendais seulement le crissement de ma plume sur le papier et ma respiration saccadée. Et aussi brutale qu'un coup de tonnerre, la porte des toilettes s'est rabattue contre le mur.

CLAC.

Un miroir s'est cassé, un gémissement a suivi et des pleurs ont retenti. La voix criarde de Mimi lançait des "Mon pauvre, pauvre Drago".

Quelle heure était-il ? Je sais pas, je savais plus, la notion du temps m'échappait, il me coulait entre les doigts, bien que je n'avais aucun idée de son intensité ni de la force du courant. J'ai attendu accroupie dans la cabine, à écouter le mal-être de Malfoy, j'ai attendu jusqu'à ce qu'il daigne s'en aller.

Drago Malfoy est un mangemort, ça, je l'ai aisément deviné. Wayne Hopkins n'aime pas la confiture de fraise mais pour faire plaisir à sa copine, il en prend chaque matin avec un petit air dégoûté. Laura Madley écoute sa meilleure amie bavarder sans vraiment l'écouter, et je suis sûre qu'elle voudrait parfois lui lancer le sortilège silencio. Theodore Nott méprise ses camarades. Sally-Anne Perks se mutile. Ron Weasley et Hermione Granger sont faits pour être ensemble.

Et c'est pourtant rien tu sais, y'a juste à observer et regarder, mais de nos jours, et surtout maintenant, on a plus le temps. On est trop occupés par l'avenir et nos familles pour songer un seul instant à faire une pause, à s'arrêter.

Parfois, je me dis quand même que j'aurais dû le faire avant. J'aurais dû arrêter d'être tout le temps pressée quand on mangeait à table ou quand on faisait des sorties, j'aurais dû arrêter de te faire la gueule comme une gamine en crise, j'aurais dû arrêter de faire ma chieuse, j'aurais dû profiter des étés parce que tu étais là. Peut-être rester à tes côtés et qu'importe si on parlait ou non, on aurait été ensemble à écouter la vie et à la regarder et à vivre, tout simplement.

C'était ça ton truc en plus, la patience et tout ce qui allait avec. C'était ce que papa aimait chez toi tu sais, il me l'a dit, qu'au moins il avait l'impression d'exister avec toi, parce que tu faisais en sorte qu'il le soit. En étant attentive à ses paroles, en remarquant les moindres changements pourtant minimes et détails.

Et il te le rendait bien papa, mais maintenant il est vide, vide, vide, comme moi, sauf que lui c'est pire. J'ai des amis qui m'épaulent, maladroitement mais ils sont là, et je peux pas épauler papa. Il a besoin de toi, c'en est tellement transparent.

J'aimerais que tu sois là maman, ou alors tu pourrais me signaler ta présence, ce serait bien. T'as juste à me faire un petit signe, je le verrai. J'attends que ça.

Hannah