RE-NÉE

Il y avait un prêtre à ma paroisse qui s'appelait Re-né. Pas René, mais bien Re-Né, avec le trait d'union. C'est super poétique et bourré de sens, du genre "re-né, qui nait une 2e fois". Alors j'utilise le titre "Re-née" en jeu de mot, non seulement pour désigner le vrai prénom d'Aramis, mais aussi la renaissance de Renée, qui devient Aramis.

Je vais tenter ici d'écrire comment j'imagine les débuts d'Aramis... Merci de me lire! :) Vos commentaires sont appréciés d'avance!

Chapitre 1

« Pardonnez-moi, mon père, parce que j'ai pêché. »

La jeune fille s'était rapidement engouffrée dans l'étroit confessionnal, se jetant littéralement sur le prie-Dieu, claquant le battant derrière elle.

Le moine, de l'autre côté du mince mur, sursauta. Légèrement ensommeillé, il essayait de comprendre ce que la femme lui disait à voix basse. Mais les mots qu'il entendait étaient précipités, débités avec une rapidité déconcertante, ressemblant plus à un sifflement confus qu'à une confession. Tout ce qu'il parvint à saisir fut un « je ne veux PAS me marier ! » car elle avait haussé légèrement le ton.

Embarrassé, il hésita avant de répondre.

« Mon enfant, le mariage est une noble institution ! »

« Comment peut-on épouser un homme pour qui on n'éprouve aucun sentiment ? » siffla-t-elle, une certaine colère teintant sa voix. « Nous ne nous sommes jamais vus ! »

Le moine soupira imperceptiblement et se massa les tempes. Il avait maintenant reconnu la voix de son interlocutrice et se préparait à lui débiter le discours qu'il lui répétait depuis plusieurs jours.

« Il faut se soumettre à l'autorité et au bon jugement de vos parents. Rappelez-vous le quatrième commandement de Dieu : Tu honoreras ton père et ta mère… »

La femme avait machinalement récité ledit commandement en même temps que l'ecclésiastique, non sans un certain écoeurement.

« Mais ce ne sont pas mes parents ! Ce sont mon oncle et ma tante, et je… »

« Mademoiselle d'Herblay, » l'homme l'interrompit-elle, « Quels que soient les liens qui vous unissent, ils vous ont élevé comme leur propre fille, et vous leur devez respect et obéissance ! Si vous refusez le mariage, vous devez alors considérer de porter un autre voile, celui du couvent ! »

Elle ne répondit rien. Devinant ses pensées, il poursuivit.

« Dieu s'occupera de punir les assassins de votre ancien promis, alors cessez de vous tourmenter et remettez votre salut entre Ses mains. Dieu lui-même a institué le sacrement du mariage ; le bafouer reviendrait à insulter notre Seigneur! »

Elle ne voulait plus rien entendre de ces sornettes. Justement, parlant de bafouer le mariage, n'était-ce pas plutôt une hérésie que de faire une noce hypocrite ? Elle sortit du cubicule sans demander sa pénitence.

Marchant d'un pas ferme, elle se dirigea vers l'autel. Elle n'aurait jamais dû remonter l'allée en reniflant et en implorant le Seigneur de la soutenir. A ce jour, elle aurait dû être déjà mariée avec l'homme qu'elle aimait, et non pleurer sa mort ! Quelle ironie du sort…il fallait que la vie lui arrache la seule personne avec qui elle aurait payé cher pour passer le reste de ses jours…

Elle se laissa choir à nouveau sur un prie-Dieu, cette fois-ci en face de la balustrade devant l'autel. Renée joignit les mains et, pour la millième fois, pria.

Seigneur…que dois-je faire ? Je vous en prie, aidez-moi

Elle laissa couler les larmes sur ses joues avant de sangloter abondamment. Elle ne perçu qu'à peine la personne qui s'était avancée près d'elle dans un léger froissement de tissu rêche.

Un petit « hum hum » la tira de sa prière. Du coin de son œil mouillé, elle aperçu un novice avec sa longue robe de bure noire. Elle leva la tête mais resta agenouillée, l'examinant. Il était un peu plus âgé qu'elle, mais son visage imberbe était si doux qu'il lui donnait l'air d'un jeunot à peine sorti de l'enfance.

« Excusez-moi, je ne voulais pas vous déranger… »

Vous l'avez fait, pourtant !pensa-t-elle, un peu colérique. Décidément, les hommes d'églises la dégoûtaient de plus en plus !

« J'ai…j'ai su ce qui vous est arrivé…c'est vraiment regrettable. » Il baissa le regard et, aux yeux de Renée, semblait réellement sincère dans sa compassion.

Avant qu'elle ne pu répondre, il poursuivit :

« Je sais aussi qu'on veut vous marier à un autre homme…je… » Il s'arrêta et regarda autour de lui pour voir si personne n'épiait leur conversation. Il y avait bien quelques personnes près du confessionnal, au fond de l'église, mais elles étaient trop loin pour entendre quoi que ce soit. Soulagé, il continua. « Je trouve cela injuste. On ne devrait forcer personne à agir contre son gré. »

Quel drôle ! C'est bien la première fois que j'entends un tel discours dans la bouche d'un homme !se dit-elle. A part François…Pourtant, elle était soulagée de savoir que quelqu'un pouvait la comprendre un tant soit peu.

Le jeune novice continua avec un sourire. « Voyez-vous, mes parents voulaient envoyer mon frère cadet dans les Ordres. Il refusait net ! Pourtant, moi, j'aurais bien aimé être à sa place… »

Curieuse, la femme lui adressa la parole pour la première fois. « Et qu'a fait votre frère, puisque visiblement, c'est vous qui êtes dans les Ordres ? »

Le futur prélat eu un autre sourire, triste cette fois-ci. « Il est parti. Je ne l'ai plus jamais revu et il n'a plus jamais redonné de nouvelles. »

« Vraiment ?... »

Son regard se ralluma rapidement de joie. « Mais je sais qu'il est heureux maintenant ! Il fait ce qui lui plaît…et cette pensée me rend heureux aussi. Bien entendu, il me manque énormément…mais…mais je suis heureux pour lui. »

Où veut-il en venir ?

Comme s'il avait deviné sa pensée, il parla encore.

« Pourquoi ne partez-vous pas, vous aussi ? »

« Pardon ? » fit Renée, surprise par l'incongruité de cette question.

« Évidemment, le couvent ne vous intéresse guère, et encore moins une vie avec un autre homme. Alors, qu'est-ce qui vous retient ici, à Noisy ? »

Bouche bée, elle ne savait que répondre. Partir ? mais où ? et comment pourrait-elle subvenir à ses besoins si elle n'était pas entretenue par sa famille ou un mari ? Que ferait-elle ? Elle n'était qu'une aristocrate éduquée pour une vie rurale mais mondaine !

Un prêtre âgé s'avança dans leur direction.

« Je dois y aller… » fit le jeune homme. « S'il vous plaît, gardez cette conversation pour vous ! » Il lui sourit encore avant d'aller à la rencontre de son supérieur. Renée le regarda partir, toujours hébétée.

Partir…elle n'y avait jamais songé.

Elle se retourna pour la centième fois dans son lit. Elle remuait dans sa tête ce simple mot, 'partir'. Où ? Comment ? Quand ? Non…elle ne pouvait pas. Elle n'était qu'une femme…

La fraîcheur de la nuit la fit frissonner, si bien qu'elle se frotta les bras avec ses mains. Elle se sentait si seule dans ce petit lit de jouvencelle ! Elle aurait dû être en train de partager la spacieuse couche de son mari, se réchauffer dans ses bras…

Un autre homme….pouvait-elle être heureuse avec quelqu'un d'autre ? Se laisser prendre par un autre ? Sentir les baisers et caresses d'un autre ?...

Renée essaya d'imaginer à quoi ressemblait cet homme – un certain Robert - qui déjà avait demandé sa main… On l'avait dit bel homme, aux longs cheveux bruns, mais au teint pâle qui contrastait avec sa pigmentation naturelle. On l'avait aussi décrit comme plutôt grand, et doté d'un corps très athlétique et d'une force surprenante. Bretteur incomparable, cavalier émérite…et énormément riche. Le parti parfait, selon tous ceux qui essayait de lui faire accepter ce nouveau fiancé dans sa vie.

Il était passé faire sa demande quelques jours à peine après les funérailles. Elle en avait été tellement choquée qu'elle avait refusé de sortir de sa chambre pour le rencontrer. Loin d'être peiné, l'homme avait insisté auprès de ses tuteurs pour leur assurer de sa patience, et qu'il était prêt à marier ladite Renée d'Herblay au moment où elle le voudra, quelle que soit son apparence, et qu'il tenait à la rendre heureuse, que son malheur l'avait touché…enfin, c'était ce qu'on lui avait raconté.

Il ne m'a jamais vue…comment peut-il vouloir m'épouser ? Mon oncle n'est pas si nanti, ma dot ne doit pas être énorme…

Se pouvait-il que ce Robert tienne réellement à son bonheur ? Peut-être qu'avec lui…. ?

Elle s'imagina en train de l'embrasser, de le laisser promener ses mains sur son corps dénudé, ses lèvres à lui parcourant son cou, ses seins, lui faisant l'am-

Elle se redressa vivement dans son lit. Elle s'était assoupie et rêvait déjà, son imagination ayant déformé les souvenirs qu'elle avait de son ancien amoureux. Non…jamais elle ne laisserait un autre homme la toucher comme François l'avait fait ! Elle mourrait pucelle s'il le fallait, mais jamais elle ne se donnerait à un autre homme, JAMAIS !

Partir… le mot lui revint encore à l'esprit.

Elle se leva et ramassa silencieusement ses bijoux dans une bourse. Elle s'habilla à la hâte et, à pas de loup, sortit de sa chambre, descendit le long escalier et fit face à la porte principale. Allait-elle vraiment la franchir pour ne plus la repasser ?

La porte s'ouvrit doucement et se referma derrière elle sans bruit. Devant elle, le petit chemin menant au manoir d'Herblay était calme et légèrement éclairé par la lueur bleuté de la lune. Renée prit une profonde respiration puis se mit à courir devant elle.

Pour la première fois depuis bien des semaines, elle ne pleura pas cette nuit-là.

A suivre!