Prendre la clef des champs
Chapitre 1
L'atmosphère était lourde, plus que d'habitude, c'était surement la goutte de trop. Je serais les dents et mes poings en la regardant droit dans les yeux. Putain, oui, j'avais merdé, mais pourquoi fallait-il qu'elle ne réagisse que maintenant ? J'aurais pu rectifier le tir, changer… je ne serais pas en train de la perdre. Pour de bon. Les larmes étaient montées quand elle avait prononcé ces mots. Elle était mon dernier pilier, celle qui me maintenait encore la tête hors de l'eau, celle qui me donnait un peu de soleil dans cette sinistre ville, me rechargeait les batteries après ces journées aussi infernales qu'interminables. C'était d'ailleurs ce train de vie qui avait mis en miette notre relation. Je le ramenais chaque soir à la maison, dans l'espoir qu'elle me calme, me guérisse et j'avais fini par l'épuiser. Est-ce que si elle s'en était plainte avant, aurais-je vraiment changé ? L'aurais-je même prise au sérieux, sans lui dire que c'était facile à dire pour elle ? Qu'on n'avait pas les mêmes jobs, le même stress, les mêmes responsabilités ? Une déchirure se fit sentir dans ma poitrine, mais je restais droite sur mes jambes par je ne sais quel miracle.
- "Assez… ASSEZ ! Tout est fini entre nous, hurla-t-elle."
S'en suivi d'un claquement de porte violent, accompagnant parfaitement ses paroles. Le silence était retombé soudainement, ou presque... il y avait comme un écho intelligible à peine perceptible qui tournait en boucle. Avec un peu de concentration… oui voilà, écoute… tu ne l'entends pas ? Le bruit de mon monde qui s'écroule autour de moi.
Je prenais conscience que j'étais à terre, pleurant recroquevillée sur moi-même. J'avais tout perdu et ça m'avait pendu au nez depuis bien longtemps.
Le lendemain fut rude et j'hésitais l'ombre d'un instant à appeler le boulot pour faire part de mon absence. A quoi bon ? C'était tout ce qu'il me restait, cette saloperie de boulot. Puis si c'était pour rester dans cet appart tout aussi pourris pour me morfondre, ça n'en valait pas la peine. Rien n'en valait la peine. Comme zombifiée, je traversais la foule errante quotidienne pour rejoindre les bureaux Joja Corporation. Je cachais de ma veste en cuir ma chemise aux couleurs de l'entreprise, dégoûtée de travailler pour ces gros pourris dans le seul but était de faire du chiffre. Respecter ses employés ? Ainsi que ses clients ? Quelle bonne blague ! Il y avait beaucoup de chose à dire sur cette entreprise… et pas beaucoup en positif, entre la concurrence déloyale au niveau des prix, le rachat des commerces locaux, la publicité mensongère –on s'en lasse pas– et bien sûr la corruption chez les dirigeants. Quant aux conditions de travail… tout le monde regrettait de s'être engagé ici. Mettre un pied dans cette « famille », c'était mourir aux yeux de tout autre employeur. Le directeur voyait d'un très mauvais œil que ces employés démissionnent pour une autre entreprise, ''ça fait très mauvaise impression''. Alors, les RH envoyaient automatiquement un certificat de travail au nouvel employeur en laissant planer la menace de les acheter prochainement.
Bien sûr, tout était fait de manière détourné. Ce n'était pas noté noir sur blanc ''engage-le et tu n'existes plus'', ils avaient enrobé le message de beaucoup de miel pour qu'aucune plainte ne sois émise à leur encontre. Ça sonnait plus « Oh mais si notre employé s'intéresse à travailler chez vous, c'est que vous devez être une entreprise dynamique et de qualité ! Nous sommes heureux que nos employés puissent à présent servir votre département. Nous profitons de cet échange pour vous faire part de notre intérêt à avoir un partenariat avec votre entreprise, nous serions heureux d'en discuter avec vous prochainement ! ». S'il y avait bien un mot que la concurrence craignait, c'était bien ''partenariat''. Joja Corporation en avait une définition très différentes des autres entreprises et beaucoup en avaient appris à leur dépend au moment de glisser la clé sous la porte. Pour se faire bien voir, Joja Corporation reprenait la plupart des salariés de l'établissement. Tout ce processus se faisait en un mois et les employés n'étant pas toujours mis rapidement au courant, il devenait très compliqué de trouver une place ailleurs. Les factures et les loyers ne se payant pas tout seul… c'était comme ça que je m'étais retrouvée dans ce beau merdier. Je me demandais tous les jours si je n'avais pas mieux fait de passer au chômage, cela m'aurait épargné énormément de sacrifices, ma santé mentale et surtout ma vie de couple. Je me mordis la lèvre en me forçant de ne pas y penser. Ce n'était pas maintenant que je me trouvais dans le hall d'entrée du building que je devais me mettre à craquer.
Tel un robot, je passais mon badge avant de monter au troisième étage. A peine les porte de l'ascenseur s'étaient ouvertes que le brouhaha habituel m'assommait. Je traversais péniblement l'open-space, évitant soigneusement de ne pas croiser le chef du service, Lars Grant. J'avais de la chance pour le moment, il était appuyé contre une paroi, dos à moi, pour discuter avec Cindy Spark. Comme tu devines, elle est la « jolie fille de l'étage », ce malgré elle. C'était une chouette nana qui ne savait pas dire non et encore moins à son responsable. Bien sûr, si Lars allait trop loin avec ces mains de rat, elle allait le repousser, mais pas assez pour qu'il comprenne qu'il n'avait aucune chance. Dans le fond, ce n'était pas un mauvais bougre, Lars, je l'avais connu aimable et avec un super esprit d'équipe. Mais il avait beaucoup changé depuis qu'il avait reçu sa promotion, déjà en prenant la grosse tête et… je me demandais s'il n'avait pas reçu un lavage de cerveau.
Je cessais de lui chercher des excuses en arrivant à ma place. D'habitude, j'y trouvais une pile assez grande qui me prenait la tête toute la journée et qui parfois me faisait faire deux heures supplémentaires si tout allait bien. Sauf que là… il y en avait trois. J'émis un rire hystérique en saisissant les premières feuilles. Pas là peine de demander si c'était une mauvaise blague ou une erreur, si c'était sur mon bureau, c'était qu'il n'y avait pas d'erreur.
- "Salut Fred, dit une voix masculine derrière moi, toutes mes condoléances pour… ton grand-père. Je sais que c'est une question con mais, ça va aller ?"
Je ravalais mon envie de… ah, je ne savais même plus comment je me sentais. Si c'était l'envie de pleurer, de rire, de fracasser ou même de tuer quelqu'un, voir moi-même. Je me tournais lentement pour voir mon voisin de bureau, Christian Baker. Je me méfiais de lui, car je le voyais souvent parler avec Lars à voix basses. Étrangement, c'était aussi celui qui avait les missions les moins pénibles à effectuer et avec une charge de travail minime. C'était surement sa récompense pour cafter tout ce qui se passait dans les bureaux… ou j'étais juste mauvaise langue et parano.
- "Salut Chris, répondis-je d'une voix blanche que je corrigeais par la suite, à voir ça, je n'ai pas d'autre choix que d'aller bien."
- "Je peux t'en prendre une partie… je trouve injuste de te faire payer ton congé d'hier après-midi pour l'enterrement… enfin, tu vois."
- "Oui, je vois. Mais ça va aller, merci."
Je me mis au travail sans lui prêter plus d'attention. J'avais peur de lui être redevable en le laissant m'aider. Cela pouvait me coûter cher, c'était ce que mon instinct me hurlait. Il me hurlait aussi d'ouvrir mon troisième tiroir, mais cela ne voulait pas dire que je m'exécutais. Avant que mon grand-père m… meure, il m'avait donné une lettre avec une consigne à respecter. Lui aussi n'avait pas une bonne opinion de Joja Corporation et m'avait toujours dit que j'étais courageuse de m'accrocher dans cette ville folle. Il ajoutait qu'il voulait mon bonheur et qu'il craignait qu'avec cette pression constante, je finisse un jour par ne plus le supporter. Bien sûr, grand-père ne me le souhaitait pas, mais il voulait m'assurer une sorte d'échappatoire. J'avais interdiction d'ouvrir sa lettre avant que ce soit le cas. Être sûre de moi quand à vouloir quitter cette vie d'employée de bureau.
Maintenant, je n'avais plus aucune raison de chasser cette idée de partir d'ici. Plus d'attache. Espérer une amélioration sur le plan carrière serait naïf… quant à Eva… je lui avais suffisamment pourris la vie, pas vrai ? J'avais envie de l'appeler, mais la connaissant, je tomberais sur son répondeur. Elle n'y lisait jamais ses messages. Puis ce serait ridicule de faire ça, hein ? D'aller la supplier de me reprendre… de lui dire combien je l'aimais…
Je me stoppai net.
Je l'aimais. Je l'aimais. Je. L'aimais.
Ces mots n'avaient plus de sens, en plus d'être au passé.
Je tremblais me rendant compte que tout ce que je faisais pendant plus d'une année, c'était m'inquiéter de mon travail. J'avais zappé tout le reste. TOUT. Tentant de reprendre le contrôle, je cherchais à me concentrer sur le dossier que j'avais entre les mains, mais ma vision était brouillée et je me sentais manquer d'air.
Je tiens plus. Je ne veux plus être un robot.
JE VEUX VIVRE, PUTAIN, VIVRE. SORTIR D'ICI. MAINTENANT.
Impossible de reprendre mon sang-froid, alors que chacun de mes gestes s'effectuaient lentement, tout allait à cent à l'heure dans ma tête. Je crois que j'ai poussé les dossiers hors de mon bureau. Je crois que je me suis saisie de la lettre avant de me lever. Je crois que j'ai marché sur les dossiers éparpillés sur le sol. Je crois que j'ai fait un doigt d'honneur à Lars dans le couloir.
Je crois que je suis partie.
Au moment où je pus reprendre conscience de ce que je faisais, je me trouvais sur le toit du building, assise contre la porte d'escalier. Il faisait encore un peu froid, j'en avais même oublié que nous étions en fin de saison hivernal. Le temps passe si vite… et moi je l'avais gâché dans cette tour maudit.
« Une vie meilleure avec Joja ! », criait le panneau publicitaire au-dessus de moi. Si j'avais encore la force de bouger, je le tagguerais en… en « Un fist en profondeur avec Joja ! » ou je ne sais pas quoi d'encore plus flinguant. J'avais même plus la tête à réfléchir à ça. A plus rien du tout d'ailleurs. C'était surement pour ça que l'endroit que mon mode automatique avait trouvé pour me réfugier, c'était ici. Parce que je n'avais nulle part d'autre où aller et que je n'avais aucune idée d'où aller dans cette ville pour être tranquille. Le vide résonnant entre mes deux oreilles me fit comprendre que je n'avais plus qu'une chose à faire. Je baissais les yeux sur l'enveloppe que je tenais comme si ma vie en dépendait et l'ouvrait le plus soigneusement possible.
« Chère Frederic,
Si tu lis ceci, c'est que tu dois avoir besoin de changement.
La même chose m'est arrivé, il y a longtemps. J'avais perdu de vue ce qui comptait le plus dans la vie… de vraies connections avec d'autres personnes et la nature. Alors j'ai tout laissé tomber et j'ai déménagé à l'endroit que j'appartiens vraiment. J'ai joint l'acte de propriété de … ma fierté et ma joie : La ferme of Spades. Elle est située à Stardew Valley, sur la côte sud. C'est l'endroit idéal pour commencer ta nouvelle vie. C'est mon cadeau le plus précieux de tous et maintenant, il est à toi. Je sais que tu honoras le nom de la famille, gamine.
Bonne chance,
Avec amour, Walter, ton grand-père préféré. »
Mon cœur battait la chamade et il me fallut relire trois à quatre fois pour réaliser ce qu'il avait fait pour moi. Il avait gardé sa ferme… !? Pour me la donner ? Cette fois, les larmes coulèrent sans que je puisse faire quoi que ce soit et elles coulèrent longtemps.
Avant que je ne me mettre à trop réfléchir, je devais saisir cette occasion et tout organiser. Je ne devais plus pouvoir faire marche arrière. Je ne devais plus me permettre de vivre comme ça. Plus jamais. Ou la prochaine fois que j'ouvrirais les yeux sur ce qu'est ma vie… ce sera sur mon propre lit de mort. Séchant mes larmes et attendant suffisamment longtemps pour qu'on n'en voit plus aucune trace, j'étais parée à rendre ma démission. Normalement, je devrais attendre trois mois pour sortir de cet enfer, mais j'en savais assez pour pouvoir faire pression sur mes supérieurs et qu'on m'accorde la fin du mois.
Trois semaines où je pris mes vacances et les laissaient régler mes heures supplémentaires sur mon compte. Un joli bonus pour m'assurer un bon début et couvrir toutes les dépenses pour mon déménagement qui s'arrêtait à l'administratif, ainsi qu'un billet de bus. Pour ce qui était du mobilier et de mon appartement, j'allais le laisser à Eva. Je lui lançais d'ailleurs un coup de file, prête à faire face à son répondeur. Quelle surprise j'eus quand la tonalité laissa place à la voix de maman Eva. J'avais retenu mon souffle en l'entendant grogner mon nom, nous n'avions jamais eu de bons rapports et elle n'avait plus de raison de prendre des gants avec moi. Je ne m'en offusquais pas, c'était son droit au vu de comment j'avais traité sa fille… mais je n'allais pas lui demander pardon. Mes excuses attendront qu'Eva veuille bien m'adresser la parole. En revanche, sa mère changea de ton quand je lui exposais mon plan de départ et ce que je laissais à ma… mon ex. Quel choc j'eus quand je la vis devenir sincèrement aimable et respectueuse avec moi par la suite. M'aidant les jours suivant à faire les changements de nécessaire pour sa fille qui refusait toujours de me répondre. Je ne savais même pas si elle était contente, voir soulagée de garder le domicile… ou peut-être qu'elle n'en voulait pas et que sa mère en faisait son affaire.
J'imaginais ne pas être prête à recevoir de réponse… et puis, ça ne me regarde plus. J'aurais quand même voulu lui dire qu'elle allait me manquer. Nous avions passé de supers moments ensembles avant que j'entre chez Joja. Vraiment. Mais là encore, j'imagine que remuer le passé et l'obliger à m'écouter était très égoïste de ma part. Ce pourquoi je n'insistais pas auprès de sa mère qui m'aurait probablement rembarré.
J'eus tout de même un pincement au cœur lors de mon dernier appel et un plus gros au moment de prendre place dans mon bus. Personne ne me disait au revoir alors que le véhicule s'en allait tout doucement. Silencieusement, je lâchais quelques larmes pour me laver de cette vie de citadine. Désormais, la prochaine fois que je pleurerais, cela sera de bonheur devant mes magnifiques plantations ! Vague promesse au vu de ma connaissance en la matière. J'ouvris mon livre « L'agriculture pour les nuls » et attendis studieusement d'arriver dans mon nouveau chez moi.
Minute de l'auteur: Voilà, je reviens en 2019 pour une nouvelle histoire! Oui, je me pose la même question que toi... est-ce que je vais réussir à la finir? Hahaha... enfin, seul ma détermination pourra en décider et en ce moment, elle dit UN GROS OUI! Je laisse un rating T pour le moment, à cause de quelques grossiertés par si, par là. Possible que cela change en M pour plus tard, quand Fred aura trouvé quelqu'un... ;') Oui quand on me connait, on se doute toujours qu'il va y avoir une petite histoire de fesses. Après je ne suis pas encore fixée sur qui sera LA personne restant pour de bon avec Fred, c'est dure de se décider avec tous ses bacheliers. La seule chose qui est, c'est que ce sera un homme. Le yuri, ce ne sera pas pour cette histoire, sorry. Salutations, Ace.
