Il n'avait pas mal dormi, c'était mille fois pire qu'un simple sommeil agité.

Son repos avait eu comme support l'incertitude ajoutée à un sévère agacement. Et pour quelqu'un qui aimait plus que tout les choses ennuyeuses mais stables, la situation en devenait juste insupportable.

À sans cesse se retourner dans son lit où il faisait tantôt trop chaud, puis trop froid. S'agacer en ne trouvant pas une position confortable au bout d'une dizaine d'essais. Ne pas parvenir à s'apaiser même en pensant à Stripe, qui dormait tranquillement dans son petit coussin pour chaton. Ou qui s'était réveillé pour boire, un détail encore plus mignon et apaisant. Mais hélas pas vraiment concluant. Même concentrer son esprit et ses pensées sur un sujet anodin, ou un épisode de Red racer, ne fonctionnait pas. Le même problème obsédant lui revenait toujours en tête, un sujet de toute façon totalement risible.

Craig s'était toujours moqué de Kyle quand celui-ci s'agaçait si son meilleur (et très très très proche) ami Stan mettait trop de temps pour répondre à ses messages. Même Wendy trouvait ça drôle et était ravie de constater qu'un garçon pouvait être pire qu'une petite amie envahissante. (Comme elle)

Ironie du sort, le voilà qui se retrouvait dans le même état de frustration aiguë que ce satané rouquin. À ruminer et ressasser inlassablement ce coche qui avait été loupé. Cette mauvaise réponse lourde de conséquences, selon la loi sacrée de l'amitié. Et surtout, de façon plus basique et moins littéraire, le gamin au bonnet péruvien avait donc passé une très mauvaise nuit à cause de ce petit détail précis et pas si anodin que les apparences voulaient bien le montrer.

Juste parce que Clyde n'était pas resté dormir chez lui alors que son cher ami le lui avait généreusement proposé. Et ce gars toujours partant pour passer du temps avec son meilleur ami et animer leurs moments amicaux avait maladroitement décliné l'invitation. Mais pas pour une bonne raison valable et crédible. En usant de surcroît de tout un panel d'excuses aussi ridicules que blessantes. Alors que Craig avait très bien compris la seule et unique raison de son refus. Même si elle lui faisait très mal et l'énervait sérieusement, il savait maintenant que son ami avait peur de lui. Il se méfiait de son meilleur ami et faisait tout pour l'éviter, comme il l'aurait fait avec un lépreux ou un gars monstrueusement moche. Ou un gay.

Donc Clyde le savait, il l'avait deviné.

Malgré les apparences, son complice n'était pas complètement stupide ou doté d'une naïveté suprême, et avait parfaitement compris que quelque chose clochait si son meilleur ami se lovait contre lui pour se faire du bien alors qu'il était censé s'exciter devant le fabuleux film pornographique qu'ils avaient visionné ce jour-là (Seulement fabuleux pour Clyde, bien sûr)

Un jour fatidique à avoir marqué un sacré tournant dans leur relation amicale jusque-là sans trop de nuages. Craig n'aimait pas les disputes inutiles, et Clyde connaissait les limites à ne pas dépasser pour réellement froisser son meilleur ami. L'homosexualité semblait être l'arme secrète et fatale à avoir d'un coup mis à terre leur idéale amitié. Un beau one shot.

Dès le lendemain de cet événement marquant aux allures de drame intersidéral à changer définitivement les petites habitudes bien rassurantes, Clyde s'était montré distant. Plus de salutations enthousiastes, de câlins surprises, de conversations incessantes, de sourires un peu trop niais mais suintants d'amitié sincère... Juste des petits regards fuyants, de vagues sourires forcés, quand ce n'était pas ces mensonges tellement énormes que même Butters n'oserait pas les sortir aussi effrontément.

Jusqu'à finalement se rabattre sur la fuite bien peu discrète. Et la technique tout aussi lâche du bouclier humain, en passant du temps avec d'autres personnes pour ne pas avoir à affronter Craig Tucker tout seul. Et parfaitement savoir que le fan de cochons d'Inde n'oserait jamais parler du fameux sujet devant un autre. Même s'il s'agissait d'un membre de leur groupe d'amis.

Clyde pouvait paraître assez évaporé et n'était sûrement pas le plus intelligent de l'école, mais il passait maître pour contrer les problèmes et user de maintes et maintes techniques plutôt bien rodées, dignes d'un voleur de haut niveau. Même Feldspar était admiratif de tant de ruse et de dextérité pour sauver ce qu'il restait de leur amitié.

Enfin, un lambeau d'amitié, oui... À ce rythme-là leur statut de meilleurs amis allait vite passer d'étrangers très polis mais en froid, pour ensuite devenir de terribles ennemis trop bien informés sur leur cible.

Cependant, en ne voulant pas aggraver les choses, en plus de ne surtout pas savoir comment aborder cet épineux problème, le terrible personnage volontairement ignoré et évité n'avait pas insisté.

Cela pourrait en plus très vite dégénérer, sa seule conversation en seul à seul avec son cher ami l'avait tellement agacé que la prochaine fois il ne pourrait pas retenir ce coup de poing spécialement réservé à Clyde. Donc pas un coup trop violent non plus... Juste assez pour lui remettre les idées en place et lui faire avouer une bonne fois pour toute que ça le dégoûtait d'avoir découvert que son meilleur ami était en fait homosexuel. Que ce satané bouffeur de tacos pensait que son ami adoré était un dangereux prédateur sexuel, qu'il allait le violer dès qu'il aurait le dos tourné. Ou qu'il trouvait ça simplement répugnant que son compère ose se tripoter en pensant à lui.

Certes, aucune lueur de haine ne s'éveillait encore dans le regard jusque-là bienveillant de son ami. Mais ce n'était qu'une question de temps, de recul par rapport à cette relation qui deviendrait aussi contre-nature que les préférences de cet ami dont Clyde avait placé toute sa confiance. Pour lui, il ne serait bientôt plus question de passer du temps avec un gars qui trouvait ça normal d'embrasser un autre gars. Et de partager des moments innocents de complicité avec un énergumène qui pouvait à tout moment avoir des gestes aussi déplacés qu'anormaux. Un individu qui, par conséquent, ne pouvait plus être un ami normal et digne de confiance.

C'était précisément pour cette raison que Craig ne voulait pas faire savoir cette différence. Il ne voulait pas que ses amis se mettent à le mépriser et l'éviter suite à un éventuel coming-out.

Ou, en moins pire, le regarder d'une façon très différente. Comme une bête curieuse. Un pervers bien trop vicieux et malsain, qui s'intéressait simplement à la sexualité comme beaucoup de ses petits congénères. D'une façon simplement différente. Et plus compliquée à expliquer aux personnes peu compréhensives et pas forcément concernées.

Ainsi, dans la logique des choses, son petit groupe d'amis officiels pourrait très bien lui tourner le dos du jour au lendemain. En apprenant que leur leader officieux était gay et n'en avait même pas honte. Qu'il avait d'ailleurs eu un petit ami. Et surtout, le pire de tous les crimes, le grand fan de cochons d'Inde était très probablement amoureux de Clyde Donovan, un autre membre phare du petit groupe de potes.

Justement ses amis avaient été si gentils en remarquant dès le début que Craig ne paraissait pas en grande forme durant cette semaine à avoir suivi l'affaire Brenda Love. Mais sans en faire toute une montagne non plus, chacun avait plutôt voulu l'aider à sa manière : Jimmy lui avait réservé ses meilleures blagues, auxquelles son spectateur pas si génial avait seulement réussi à esquisser un semblant de sourire. Token lui avait proposé de passer chez lui pour regarder des épisodes de Red racer sur son nouvel écran géant offert par ses parents. Et Tweek, sans rendre son discours inintelligible à cause d'une trop forte pression, lui avait expliqué qu'il pouvait passer au café de ses parents autant qu'il le voulait. Sans payer ses consommations, bien entendu.

Même Kenny avait remarqué que quelque chose clochait. En se rendant compte que Craig était particulièrement irritable, peu loquace, sur la défensive, en plus d'avoir presque terminé les paquets de cigarettes qu'ils étaient censés partager. En clair, très explicitement contrarié.

Seulement, le gamin le plus pauvre de l'école savait faire preuve de tact, d'assez d'empathie pour ne pas forcer la main à un ami si celui-ci ne se sentait pas prêt à lui confier ses problèmes. Ou ne voulait pas en parler, tout simplement. Et Craig lui en était fortement reconnaissant de ne pas lui faire subir d'interrogatoire, à juste traîner avec lui comme d'habitude. En ne faisant aucun commentaire sur cette comédie ridicule, avec Clyde qui venait seulement lui parler quand Craig n'était plus dans les parages ou s'était momentanément éclipsé.

Physiquement, Kenny rentrait peut-être dans la case du petit blond tout mignon aux yeux bleu et à la gueule d'ange, mais il était loin d'être stupide. Il était même relativement mature pour son âge. À cause de sa modeste condition et ses responsabilités familiales. Ainsi, la situation de froid entre Craig et Clyde avait dû lui sauter aux yeux par le biais de tant d'indices évidents.

Mais même devant une situation de crise amicale (et légèrement amoureuse) aussi savoureuse, le blondinet ne cherchait pas à grappiller des informations. Par exemple, savoir lequel des deux se retrouvait fatalement amoureux de son compère qui ne cessait de le considérer comme un frère. Pas la peine de s'encombrer avec ce genre d'information.

Soit parce qu'il en savait déjà assez, grâce à une certaine soirée d'anniversaire au cours de laquelle Craig avait bu assez d'alcool pour s'épancher de façon très privée sur l'épaule de Kenny. Et ensuite tout oublier le lendemain matin, la magie du trou noir après une cuite mémorable faisait parfois bien les choses...

À moins que le célèbre sursaut d'humanité et l'âme d'ami dictaient à Kenny de se comporter justement comme d'habitude, pour rendre les choses moins compliquées et peut-être même les aider à s'améliorer. Secondé par Butters, qui excellait pour capter l'attention de Craig en parlant d'un site web très intéressant avec des photos de bébés cochons d'Inde. Bien sûr, l'admirateur suprême de ces petits animaux connaissait ce site, et renchérissait en parlant d'une vidéo très mignonne montrant des bébés cochons d'Inde en train de manger consciencieusement et adorablement leur foin.

Sans chercher à participer à cette conversation passionnée ou essayer d'imaginer cette fameuse vidéo sûrement très mignonne, le meilleur ami (et seul véritable ami) de Butters s'était donc retrouvé témoin d'une scène assez surprenante. Où il se sentait presque grandement chanceux de pouvoir observer en première loge Craig et Butters en train de babiller avec entrain au sujet des cobayes. Une scène à la fois très étrange, voire un peu bizarre, mais vraiment attendrissante.

Et, après coup, Craig devait bien avouer que ça lui avait fait du bien de se retrouver en si bonne compagnie, au lieu de rester continuellement avec la présence fantôme de son meilleur ami.

Un merveilleux meilleur ami en vérité... Un sale lâcheur incapable de dire les choses en face. Un putain d'égoïste à l'avoir toujours envahi avec ses problèmes, et qui se carapatait quand c'était justement son ami qui avait besoin de lui, de la plus correcte et pure des façons bien sûr.

N'étant pas un idéaliste fini, ce gars dont le seul crime était de ne pas être indifférent face à son pote ne demandait même pas que ses sentiments soient partagés (Il ne fallait pas trop croire aux miracles) Mais un peu de compréhension ça ne faisait pas de mal. Ajouté à un minimum de sympathie.

Hélas, c'était sûrement trop demandé. Et Clyde préférait jouer au soi-disant meilleur ami modèle plutôt que voir les choses en face. Faire comme si tout allait parfaitement bien, qu'aucun incident ne s'était manifesté au cours de la soirée très spéciale consacrée aux grands talents de Brenda Love. Une soirée bien maudite à avoir entraîné que des problèmes...

Après réflexion, Craig se disait qu'il n'aurait jamais dû le faire participer à l'anniversaire de Stripe. Au lieu de le laisser entrer, s'imposer chez lui comme son cher ami le faisait toujours, il lui aurait proprement claqué la porte au nez. Sans céder si jamais Clyde s'était acharné sur la sonnette ou avait frappé avec insistance à la porte. Et, pour bien finaliser la mort de leur amitié, l'insulter devant tout le monde dès qu'ils se seraient revus inévitablement dans le bus, ou bien à l'école.

Voilà, bien l'humilier et lui montrer combien sa réaction puérile lui avait fait mal. Et lui passer l'envie de revenir parader devant lui pour essayer de faire bonne figure devant les morceaux presque mourants de leur pauvre amitié. Sans avoir un soupçon de lucidité et comprendre que cette indifférence feinte faisait atrocement souffrir son compère. À lui refiler en plus de faux espoirs qui lui tailladaient à chaque fois le cœur. Alors que Craig s'était pourtant toujours juré de ne jamais s'attacher à des gars inaccessibles, à avoir une mauvaise influence, prêts à lui faire du mal pour sauver leur carcasse. Et surtout, des gars totalement hétérosexuels. Comme Clyde Donovan.

Si seulement ce dernier ne s'était pas montré aussi attentionné vis-à-vis de Stripe.

Et convaincant. En servant, volontairement ou non, à son ami blessé cet air suppliant et terriblement mignon. Depuis le temps, le fan de cochons d'Inde savait très bien qu'il ne pouvait pas résister à ce genre de regard trop intense pour ses pauvres sentiments. Ni à ces petites fossettes teeeeeellement adorables. Si bien que Craig en était encore à se demander comment il était possible de vouloir embrasser amoureusement une personne qu'il était censé détester, tandis que le fameux personnage supposé être méprisable s'engouffrait dans la maison.

Cette nuit, le gamin au bonnet péruvien se retrouvait encore victime de cette vicieuse opposition émotionnelle. D'un côté, il voulait définitivement oublier Clyde. Et de l'autre, il avait envie de repenser à lui bien en détail.

À ses sourires toujours aussi sincères et affectueux. Son petit rire un peu bête mais assurément craquant. Cet air un peu naïf quand il se concentrait ou posait une question. Et puis surtout, cette attitude très attentionnée que Clyde avait en présence de Stripe. À toujours le prendre avec une grande délicatesse, en ayant un commentaire gentil destiné au cochon d'Inde ou un peu de nourriture à lui offrir.

En fait, quand Craig voyait son meilleur ami avec son cochon d'Inde adoré, il avait l'impression de voir une image du futur. De leur futur. Où ils seraient mariés, installés dans leur maison, avec tout une armée de cochons d'Inde et un chien (car Clyde adorait les chiens)...

Quoique, non. Réflexion faite, cette pensée d'avenir se qualifiait de rêverie beaucoup trop niaise pour mériter d'exister dans son esprit. En plus, son cher ami finalement bien décevant ne serait jamais en couple avec lui et sûrement pas son fidèle ami encore longtemps si sa lâcheté le rendait toujours plus insupportable.

Peu importe. Que Clyde aille se faire foutre, et bien profondément. Craig était persuadé qu'il trouverait un petit ami bien plus respectable, beau, et gentil que ce bouffeur de tacos égoïste et pathétique. En même temps, ce n'était pas trop dur non plus.

Certes, le fan incontesté de cochons d'Inde n'avait pas eu beaucoup de chance niveau vie amoureuse. Entre les vieux pervers à avoir voulu profiter de lui, et ce gars tellement cool qui avait bien voulu sortir avec lui mais qui avait déménagé hélas trop loin pour pouvoir cultiver leur romance. Sans oublier ces sentiments pitoyables (et impitoyables...) tournés vers son meilleur ami, mais définitivement à sens unique.

Pour se plonger dans un véritable sujet aux allures philosophiques et parfait pour trouver le sommeil, Craig pouvait toujours se demander si le plus compliqué était de se trouver un petit ami digne de ce nom ou de définitivement oublier Clyde.