Les personnages de Détective Conan appartiennent à Gosho Aoyama, les paroles de Luka à Suzanne Vega.

Wake me up

My name is Luka
I live on the second floor
I live upstairs from you
Yes I think you've seen me before

Certains lendemains de cuite étaient plus rudes que d'autres… Kogoro Mouri en fît la douloureuse expérience lorsque ce fût autre chose que l'air glacial d'une matinée grisâtre qui lui expédia une gifle à son réveil…

Quelques instants plus tôt, il se débattait dans les bras de Morphée…et d'un rêve qui n'était pas si désagréable que ça malgré la présence de son épouse… Il n'avait pas été le seul à s'y débattre du reste, tandis qu'il glissait quelques mots doux à l'oreille de celle qui n'était pas si frigide qu'elle ne voulait le faire croire au reste du monde en dehors du foyer conjugal.

« Allez Eri… Sois gentille…Si tu me laisses dormir un peu plus, je te donnerais de bonnes raisons de trainer dans ce lit, toi aussi…hehehe… »

Les paroles du séducteur avaient bien suscité un écho brûlant de la part de celle qu'il emprisonnait dans ses bras, mais ce n'était pas celui qu'il avait anticipé… Si une certaine partie de son corps avait senti le contact de celui de son épouse, elle se situait au-dessus et non pas en dessous de sa ceinture, ce que curieusement, il ne jugeait pas très fair play de sa part, tandis qu'il relâchait une harpie pour se frotter une joue endolori…

Ce rêve avait laissé un arrière-goût bien désagréable dans la bouche d'où s'échappait encore un filet de salive, à moins qu'il ne faille blâmer le saké qui avait coulé à flot entre ces mêmes lèvres, quelques heures plus tôt…. Malgré cela, les contours de ce qui avait viré au cauchemar continuaient de se refléter dans les yeux vitreux d'un ivrogne, alors qu'il fixait d'un air hébété la réalité qui l'avait frappé de plein fouet… Une réalité qui avait quelques traits en commun avec son épouse, ne serait-ce que ce regard acéré qui transperçait de part en part l'objet de sa fureur, et la moue de dégoût qui plissait ses lèvres quand un détective la croisait dans un de ses mauvais jours, qui devenaient instantanément un de leurs mauvais jours par ce fait même…

Mais la nuit dernière avait épargné suffisamment de cellules grises au détective pour qu'il remarque les différences, à commencer par l'âge la candidate qu'il avait dû sélectionner la nuit dernière, pour réchauffer un lit qui était bien froid parfois alors même qu'une reine de glace s'en était éclipsé…

Certains remèdes à la gueule de bois étaient plus efficaces que d'autre, et même si celui qu'on lui avait administré de force ce matin-là l'avait dessaoulé en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, il ne l'aurait recommandé pour rien au monde… Quand il s'éveillait les yeux dans les yeux de sa dernière conquête, il arrivait bien souvent à un ivrogne de souhaiter qu'une certaine matinée soit effacée de sa mémoire aussi efficacement que la nuit dernière, cela n'avait jamais été aussi vrai dans le cas de Kogoro Mouri.

En revanche, il ne s'était jamais autant réjoui de s'éveiller, étalée de tout son long, sur un terrain vague surmonté par un pont, plutôt que sous les couvertures d'un love hotel… La gamine qui l'avait giflée avait dû tâter le cadavre d'une nuit trop arrosé du bout d'un bâton, avec une expression aussi dégoûtée que fascinée, avant que ce dernier ne regagne brusquement le monde des vivants, même si ce n'était qu'à moitié, en agrippant la première chose qui était à portée de sa main.

Bon, la dignité de Mouri l'endormi aurait pu se faire épargner cela, mais quelques secondes plus tôt, il s'était attendu à bien pire, ce qui rendit cette pilule un peu plus facile à avaler.

S'appuyant sur ses avant-bras pour se redresser, Kogoro tapota gentiment la tête de l'unique témoin de sa déchéance tout en fouillant dans ses poches de son autre main pour y dénicher son portefeuille.

Avec un peu de chance, ce panier percé avait retenu suffisamment de pièces pour qu'il puisse s'offrir un bon café.

Il fallût quelques secondes de frustration pour que Kogoro remarque qu'on l'avait devancé dans son office pendant sa torpeur. En temps normal, il appréciait qu'une femme glisse la main dans sa poche, mais lorsque la demoiselle en question n'aurait pas pu atteindre la barre de l'âge légal pour ça en se dressant sur la pointe des pieds, l'expérience n'était pas aussi agréable que ça… et le fait que la sale gamine en question se soit mis à déguerpir dès l'instant où il avait aperçu l'objet de son larcin entre ses doigts, abandonnant un ivrogne à son triste sort ? Cela ne rendait pas les choses plus faciles à accepter, plutôt le contraire…

A son plus grand malheur, tout ce que sa tentative de mettre la main au collet d'une voleuse lui rapporta, ce fût d'embrasser un sol terreux en trébuchant, et de soulever un nuage de corbeaux sur le quartier en les éparpillant par un juron qui n'était guère approprié à l'âge de sa cible.

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Cela lui prît peut-être toute la journée, mais il parvint à mettre la main sur son portefeuille, et une petite voleuse.

Sa colère du matin s'était néanmoins singulièrement émoussée au moment de la capture de la criminelle. Après tout, en triturant ses souvenirs embrumés pour en extraire un signalement à donner aux passants, il avait aussi pris conscience la crasse qui avait souillé les vêtements comme les joues de sa proie, et la position des lieux du crime prenait un sens nouveau quand on prenait la peine d'y réfléchir.

Rajoutant le titre de fugueuse au casier judiciaire de cette fillette, il se promit que le savon qu'il lui passerait pâlirait en comparaison de celui qu'il réservait à ses parents, quand il leur expliquerait le fond de sa pensée sur l'éducation dont ils avaient gratifié leur progéniture…

L'averse qui avait fini par détremper les rues de la ville dans les dernières heures de l'après-midi, aurait pu refroidir l'enthousiasme du détective. Cela aboutit plutôt au résultat inverse… L'idée que la fuyarde faisait face aux même intempéries que lui , avec les nippes qu'il se rappelait avoir vu sur son dos quand il s'était éloigné? Ce n'était pas une consolation trop maigre à son goût, plutôt le contraire…

Il retourna sur les lieux du crime qu'il passa au peigne fin à la recherche d'une cachette potentielle, opération qu'il renouvela à l'échelle du quartier, et qui s'avéra payante au moment même où le cœur n'y était plus, alors qu'il parcourait les rues de la ville au petit bonheur la chance, trop têtu pour laisser cette criminelle-là passer entre les mailles de son filet.

Dans son désespoir, il s'était même décidé à aller sonner à la porte de ce petit crétin de Shinichi Kudo. Si ce bon à rien s'était enfin décidé à revenir d'on ne sait où, il pourrait peut-être se rendre utile, pour une fois. Il n'y croyait guère, mais au point où il en était…

Une décision qu'il n'eût pas à regretter… Non pas parce qu'il aurait du accorder plus de crédit à ce morveux, mais parce que c'était devant la grille de sa maison qu'il avait réussi à finalement acculer une morveuse sans lui laisser la moindre chance de lui échapper à nouveau.

Enfin…pour être honnête, le climat maussade avait dépossédé la petite voleuse de ses forces comme de sa conscience au moment où il avait retrouvé sa trace.

La joie mauvaise de voir les rôles s'inverser ne traversa pas la conscience du détective, pas plus que l'idée de rendre sa monnaie de sa pièce à une criminelle en tournant les talons pour l'abandonner à son triste sort après avoir récupéré son bien. De fait, le forfait dont il avait été victime avait été le cadet de ses soucis, tandis qu'il se précipitait vers sa proie, pour la secouer d'un air fébrile.

Un gémissement lui confirmant que ce dossier était loin d'être clos, Kogoro se dépouilla de sa veste pour emmitoufler la fuyarde avant de la soulever dans ses bras pour se précipiter jusqu'à la porte de son agence, en ne cessant de maugréer contre le mauvais temps et une sale gamine qui n'avait surtout pas intérêt à s'échapper en lui laissant une affaire non-résolue, ou plutôt résolue de la plus définitive des manières, sur les bras.

Il hurla le nom de sa fille en écartant brutalement sa propre porte d'un coup d'épaule, pour avoir la désagréable surprise de se retrouver accueilli par un silence qui ne lui avait jamais paru aussi pesant, un silence qui fût comblé par les souvenirs qui remontait à la surface de sa conscience. Pourquoi fallait-il que ce genre de chose lui tombe dessus au moment où Ran était parti à l'autre bout du Japon avec cette maudite Sonoko Suzuki… Et ce n'était pas la peine de compter sur le sale gamin, il s'était prudemment éclipsé en rase campagne avec le professeur Agasa en compagnie de sa petite bande…

Vraiment, certaines gueules de bois mettaient plus de temps à se dissiper que d'autres… Enfin, dans la mesure où, sans ses frasques de la veille, il n'aurait jamais croisé la route de son fardeau du moment, celle-là ne devrait pas laisser trop de traces sur sa conscience…

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Elle n'avait pas desserré les lèvres à son réveil, sans parvenir à dissimuler pour autant le tremblement qui les affligeait. Poussant un détective à se replier dans sa salle de bain, tout en traînant une petite récalcitrante derrière lui d'une main ferme, même si elle n'avait pas la poigne qu'il réservait à un certain Conan.

Il était temps de lui passer un savon, même si ce n'était pas celui qu'il avait eu en tête au tout début, et de l'immerger dans une chaleur qui contrastait avec sa froideur digne d'une certaine avocate. Lorsqu'il s'était agenouillé devant elle pour lui retirer ses vêtements, après avoir commencé à faire couler un bain, cela suscita l'étonnement comme la gêne de sa cible. Et la réciproque s'enclencha quand elle lui demanda, avec un air rien moins qu'innocent, si elle devrait l'appeler papa.

L'expression aussi horrifiée qu'éberluée du détective dissipa néanmoins les appréhensions d'une petite cynique, en plus de donner une nuance plus affectueuse au pli moqueur de son sourire effronté.

De son côté, Kogoro finit par froncer les sourcils, moins devant la gamine que devant sa famille, qui semblaient avoir passé la frontière séparant la négligence de l'abus, s'il en jugeait aux traces de leurs éducations sur le comportement de sa pensionnaire du moment… Une intuition qui se solidifia quand il se rémora la manière dont elle avait agrippé ses vêtements tout en reculant d'un pas pour se mettre hors de sa portée, quelques instants plus tôt… Le tremblement qui avait agité ce bras n'était pas à mettre au compte du froid, ou même de la pudeur.

De fait, si elle avait eue quelques années de plus, et qu'il l'avait croisé au détour du couloir d'un commissariat, son expérience de policier lui aurait murmuré des ragots peu flatteurs sur les relations de cette femme avec son conjoint, ou ce qui en tenait lieu.

Mettant ses soupçons de côté dans un soupir de lassitude, le détective finit par se relever et tourner les talons, invitant une fillette à se décrasser consciencieusement tandis qu'il allait farfouiller dans les affaires de sa fille, à la recherche de vêtements d'une taille appropriée qu'il pourrait laisser devant la porte de cette salle de bain quand elle aurait terminé.

C'est sur ces mots bourrus qu'il referma la porte de la pièce, en sentant le regard, intrigué sans pour autant être tout à fait rassuré, d'une petite métisse.

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Le pyjama que Ran avait porté à son âge ne semblait guère imprégné de l'attitude de son ancienne propriétaire, pas au point de déteindre sur la nouvelle, en tout cas. Ce qui ne manqua pas d'attiser l'irritation de celui qui lui faisait face, installé à son bureau tandis qu'elle était assise sur son canapé.

Pas le moindre mot de gratitude pour celui qui l'avait recueilli, pas la moindre excuse pour celui qu'elle avait dépouillé, pas la moindre explication pour sa présence dans les rues de la ville.

Quand il la menaça de l'escorter au commissariat le lendemain, cela sembla tomber dans l'oreille d'une sourde. Lorsqu'il insista, prenant la peine de lui expliquer qu'elle ne pourrait pas dissimuler son identité éternellement, et que tôt ou tard, ses petites frasques de ce matin-là finirait dans l'oreille de sa famille si on ne lui fournissait pas une bonne raison de retenir sa plainte, la façade s'ébrécha un bref instant.

Ses yeux avaient peut-être été dissimulés par des mèches de cheveux auburn, mais la manière dont ses doigts s'était resserrés sur son propre bras jusqu'à faire blanchir les articulations d'une main tremblante ? Elle n'était pas passée inaperçue aux yeux d'un détective, qui aurait aimé être aveugle aux indices qui se présentaient à lui, pour une fois.

Mais même s'il n'y avait plus de policier sous ce toit pour accueillir sa plainte silencieuse, il avait laissé la place à un détective, qui s'était mis à jauger sa criminelle come une cliente potentielle. Oh, il doutait fortement que cette affaire lui rapporte grand-chose, en revanche, il faudrait beaucoup pour qu'il puisse se racheter une bonne conscience s'il claquait la porte à cette cliente-là. A défaut de cette fillette, ce serait sa famille qui paierait le prix fort pour lui avoir fait croiser sa route… Tant pis si ça ne garnirait pas son compte en banque, la gratification vaudrait largement le coup.

Oh certes, il aurait pu se laver les mains de cette sale affaire sur le commissaire Megure, il connaissait suffisamment son ancien collègue pour savoir qu'on pouvait lui abandonner cette fillette sans en perdre le sommeil pour autant, mais certaines affaires pouvaient devenir personnelles aux yeux d'un père de famille, particulièrement quand le seul souvenir de son mariage qu'il faudrait arracher à son cadavre pour ne serait-ce que l'effleurer était une fille.

Enfin, quitte à ce qu'une rouquine sulfureuse vienne se réfugier chez lui sans autre paiement à lui présenter que ses beaux yeux, il aurait préféré qu'elle ait dix ans de plus que celle-là, qu'il y ait au moins manière de joindre l'agréable à l'inutile, et d'avoir l'espoir fugitif d'un paiement en nature, mais on ne choisissait pas ses cliente.

Celle-là, en revanche, se réservait le luxe de choisir son détective, si on se fiait à la moue sceptique qui avait plissé ses traits devant sa proposition moqueuse de l'embaucher pour résoudre ses problèmes, une proposition qui n'était ironique qu'en apparence.

Même le nom qui avait orné la carte de visite qu'il avait fait glisser dans sa direction ne l'avait pas fait ciller… Bon, elle avait au moins l'excuse d'être suffisamment jeune pour que sa réputation grandissante lui passe au-dessus de la tête, il pouvait laisser passer ça…

En revanche, et pour changer, il se sentait d'humeur à s'adresser à un enfant par son nom, au lieu de s'en tenir à des surnoms appropriée et fort peu flatteurs auquel l'avait habitué la présence du petit Conan Edogawa.

Il s'était présenté et s'attendait à un minimum de réciproques, ce qu'il ne manqua pas de lui faire comprendre.

Après quelques secondes à fixer sa carte de visite d'un air amusé, elle consentit à lui murmurer deux initiales.

« V. I. »

Kogoro buta sur la prononciation anglaise avec laquelle elle avait fait résonner ces deux lettres, qu'il fusionna en un Ai interrogatif. Elle haussa les épaules pour lui signaler que cette version lui convenait.

Il lui proposa bien d'apposer le mot amour sur sa future carte de visite, mais elle préféra le mot tristesse, et lorsqu'il insista pour un nom de famille, la grisaille précéda la rose qu'on lui offrit un retour.

Haibara Ai, hein ? Bon, comme indice sur sa véritable famille, cela ne valait rien, cette petite effrontée n'ayant fait aucun effort pour lui dissimuler le fait qu'il s'agissait d'un pseudonyme improvisé à la va-vite, mais si l'unique témoin qu'il avait sous la main se décidait à sortir de son mutisme, c'était déjà ça.

Essayant de tirer sur cette ligne au bout de laquelle sa proie commençait à mordiller, il s'était dépouille de toute fausse jovialité et avait renouvelé sa proposition de l'accompagner au commissariat, et ce n'était plus sous la forme d'une menace, cette fois, ce qui ne l'empêcha pas de ricocher contre un mur de silence.

D'un autre côté, il fallait s'y attendre, s'il y avait une chose que les parents abusifs ne négligeaient jamais, c'était d'encourager leur progéniture à se tenir le plus éloigné possible des défenseurs de la loi, et vu ce qu'elle avait du subir de ses proches, elle avait de bonnes raisons de dédaigner sa confiance aux inconnus qui l'a réclamait… et c'était ce qu'il restait à ses yeux, hélas… Qui plus est, les circonstances de leur première confrontation ne faisaient pas grand-chose pour épauler sa crédibilité…

Mais si la réputation qui faisait sa fierté n'avait pas encore bourdonné à suffisamment d'oreilles pour lui venir en aide dans ce cas précis, elle avait laissé des traces dans les journaux, fournissant autant de coupures de presse que nécessaire pour entretenir la collection qui suscitait autant d'intérêt pour le père que pour la fille.

Aussi, Kogoro Mouri extirpa-t-il un album volumineux d'un de ses tiroirs avant d'aller le déposer sur la table positionnée devant sa cliente sceptique, l'invitant à consulter ce curriculum vitae bien garni, si elle avait encore des doutes sur ses compétences.

Bien, elle l'avait prise au mot. Kogoro savourait par avance le moment où les yeux de la métisse se lèveraient timidement de ce recueil d'articles pour contempler le héros dont il comptait les exploits d'un air neuf. On verrait bien si elle dédaignerait l'aide de Mouri l'endormi après avoir pris conscience du calibre du détective à qui elle avait affaire !

Malheureusement, son expression sceptique fût loin d'être érodée par sa lecture… Une des affaires résolues par ses soins suscita son intérêt cependant, la maintenant quasiment sous hypnose pendant une bonne minute, au point qu'elle se pencha un peu plus sur l'article, dissimulant ainsi ses yeux à celui qui attendait son verdict. Ce ne fût pas suffisant pour la pousser à relever la tête dans sa direction comme il l'avait souhaité, en revanche, cela la poussa à faire pivoter l'album dans sa direction avant de le frapper d'un doigt accusateur, qui semblait réclamer des explications.

Kogoro se pencha sur l'article qu'on lui pointait, avant de froncer les sourcils devant la photographie macabre qui l'ornait.

Masami Hirota… L'une des rares histoires qu'il évitait d'évoquer quand lui prenait l'envie de conter ses exploits à une assistance ébahie. L'expression de Ran comme du gamin, quand il les avait rejoint sur les lieux du tout dernier crime de la morte avait laissé une saveur amère, au point qu'il n'avait pas eu le cœur d'empêcher Ran d'ajouter cette affaire à son palmarès, quand bien même elle ne suscitait aucune fierté chez lui.

Enfin, aussi tragique qu'en soit le dénouement, ce n'était pas un échec pour autant, et il ne sentait pas d'humeur à verser de larmes sur cette criminelle-là, un suicide était toujours un gâchis mais la faute retombait avant tout sur celle qui l'avait commis, aussi haussa-t-il finalement les épaules devant sa petite cliente, ne voyant guère quel éclaircissements il pouvait lui fournir sur ce mystère qui était définitivement enterré. Son ex-cliente ne l'intéressait guère, sa nouvelle, en revanche… Aussi lui demanda-t-il si elle acceptait de lui confier ses problèmes pour qu'il puisse les lui résoudre, maintenant qu'elle avait une évaluation objective de ses talents entre les mains.

Une désinvolture qui ne fût pas au goût de celle qu'il avait cherché à convaincre, et cette fois, ce n'était pas ses propres vêtements qu'elle agrippa sous ses yeux.

La seule affaire qu'elle aurait jamais voulu le voir résoudre appartenait au passé, et vu la manière dont il l'avait traité, elle ne ressentait vraiment, vraiment, guère l'envie de lui en confier une autre.

L'aider avec sa famille ? Ah, il avait définitivement résolu ce problème-là, avant même de la rencontrer, et s'il avait encore des reproches à présenter à ceux qui l'avaient éduqué, il savait mieux qu'elle où les adresser, quand bien même celle qui les recueillerait serait aussi muette que sa tombe.

Un refus qui aurait été plus facile à essuyer s'il n'avait pas été enrobé de larmes… Des larmes qui avaient rongé la fierté d'un détective comme le pire des acides, le laissant désemparé.

Ce n'était pas la première fois qu'il avait buté sur les limites de la réputation grandissante de Mouri l'endormi, mais en temps normal, c'était quand ce nom suscitait l'ignorance autour de lui… maintenant, il devrait vivre avec l'idée qu'il y aurait au moins une personne devant laquelle il ne pourrait plus se pavaner avec, sans pour autant pouvoir prétendre qu'elle avait confondu un cosmonaute avec un détective…

Après qu'elle ait déniché ce cadavre-là dans son placard, il doutait fortement qu'il puisse arracher d'autres informations sur le passé de la petite Haibara, en dehors du fait, maintenant évident, que sous ce pseudonyme se dissimulait le même nom de famille auquel on avait substitué Hirota…

Il avait cru se payer le luxe de pouvoir prendre une cliente à crédit, pour faire face à la cuisante réalité que son travail au cours de ses derniers mois ne lui en offrait guère les moyens.

Une réalité qui continua de le marquer de son empreinte bien après qu'il eut offert à une fillette la chambre assorti à son pyjama, tant son silence lui apparaissait plus oppressant que les paroles qu'il avait réussi à lui arracher.

Il n'y avait pas toujours besoin de gueule de bois pour que des paroles résonnent douloureusement à vos oreilles à la manière d'un tocsin signalant l'apocalypse, et la sobriété n'était pas toujours le refuge le plus agréable après une cuite, en tout cas, celle-là… Sans doute parce qu'elle rimait avec lucidité, le genre de lucidité qu'on aurait volontiers noyé dans un alcool pour ne plus lui faire face. Mais cette tentation-là ne se présenta pas à conscience du détective… A quoi bon essayer alors même que la lucidité en question serait demeurée intacte, à se reposer dans la chambre de Ran pour mieux revenir le hanter le lendemain ?

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Ce n'était pas la première nuit blanche de Kogoro Mouri, mais en temps normal, il les passait hors de son domicile et les premières lueurs de l'aube lui parvenaient à travers le brouillard de l'ivresse.

Pas une goutte d'alcool n'avait effleuré son gosier, cette nuit là, mais pourtant il ressentait toujours une saveur pâteuse sur sa langue, à force d'avoir mâché et remâché les mêmes réflexions stériles sur un passé qu'il ne pouvait plus changer et un avenir dont il ne savait que faire, enfermant le présent dans une cage si étriqué qu'elle l'aurait presque rendu claustrophobe.

Pour le meilleur comme pour le pire, c'est ce moment-là que choisit sa fille pour revenir au foyer, et comble de malheur, elle y était venue accompagnée de sa mère.

Enfin, il n'avait personne d'autre que lui-même à blâmer, il ne s'était pas senti la force d'aller accueillir Ran à la gare comme il avait été convenu, et il ne lui restait plus suffisamment de fierté à ce moment-là pour le retenir de déléguer la besogne à une avocate. Elle n'avait pas manqué de lui faire sentir ses reproches sur le coup, mais la manière évasive et lasse dont il avait capitulé avait cloué le bec de cette harpie bien mieux que n'importe quel réplique cinglante.

Pour un peu, il aurait cru voir un semblant d'inquiétude se refléter sur les yeux de son épouse tandis qu'elle fronçait les sourcils dans sa direction. La fatigue probablement… Et ce zeste d'ambigüité se dissipa instantanément quand il l'envoya au diable dès le moment où ses demandes d'explications devenaient trop insistantes à son goût.

Sa fierté pataugeait encore dans le cloaque de la gueule de bois qu'avait suscité une petite métisse, mais l'acide qui imprégnait la langue de son épouse constitua le meilleur des remèdes maisons.

Au point que Ran préféra se réfugier dans sa chambre au lieu de demeurer dans la pièce, à jouer les reporters de guerre involontaire d'un conflit qu'elle ne connaissait hélas que trop bien et qui s'envenimait à chaque seconde, chaque choc raffermissant l'ego d'un détective tout en affutant celui d'une avocate.

Elle ne se cantonna guère longtemps à son rôle de réfugié, et jeta une douche froide sur les deux belligérants quand elle demanda des explications sur la filette qu'elel avait trouvé endormi dans son lit.

On aurait eu de la peine à déceler des reproches sur le visage d'une mère et de sa fille, qui paraissait curieuse et étonné par ce coup de théâtre au lieu de s'en offusquer, cela n'empêcha pas un détective de se sentir fusillé par leurs deux regards interrogateurs.

Il ne savait déjà pas quoi faire de cette gamine, et on lui demandait d'improviser une excuse pour sa présence sous son toit… Une présence dont la durée s'obstinait à lui demeurer indéterminée.

Ses pitoyables tentatives de noyer le poisson ranimèrent la fureur d'une avocate, une fureur qui s'avéra contagieuse auprès de la victime de son interrogatoire, au point que la colère joua les ventriloques à ses dépens tandis qu'il égrenait mentalement quantités d'excuse plus ou moins plausible pour expliquer l'accueil de sa petite invité surprise.

« Et si je te disais qu'une de mes conquêtes avait eu le bon goût de m'inviter à prendre mes responsabilités en même temps que les siennes, en laissant le fruit d'une nuit particulièrement torride derrière elle en repartant, pour ne pas que je me risque de l'oublier à nouveau, cette fois, même après plusieurs années ? Non pas que ça me change particulièrement de celle qu'elle a remplacé, un certain soir…»

La tête que tira son épouse le rendit particulièrement fier de cette petite provocation improvisée sur le pouce, une ivresse malsaine qui se dissipa bien vite dans le regard horrifié de l'innocente que cette pique avait transpercé en ricochant sur sa cible.

Il semblait bien que cette petite plaisanterie resterait longtemps en travers de leurs gorges, qu'il les détrompe ou pas, mais qu'il regretterait très vite et très longtemps de ne pas dissiper le malentendu qu'il avait stupidement et volontairement suscité.

Malheureusement, ou heureusement, pour lui, un simple mot dissipa l'hostilité grandissante qui avait commencé à irradier dans la pièce, au point d'en acculer l'un des trois occupants contre le mur.

« Nee-chan ? »

Etant donné le contexte, il y avait une interprétation tout ce qu'il y a de plus plausible de ces deux mots qui se présenta à la conscience de Ran, en même temps que la petite métisse qui la fixait dans une expression aussi incrédule qu'avide, tandis qu'elle se tenait sur le seuil de sa chambre.

Kogoro Mouri n'était visiblement pas la seule personne pour laquelle tout se déroulait beaucoup trop vite à son goût, alors même qu'il lui aurait fallu du temps, beaucoup de temps pour trouver une réponse adéquate aux questions dérangeantes qu'on lui décochait.

Mais il ne fût pas non plus la seule personne qui se laissa déborder par ses émotions, au point de les laisser répondre à sa place.

« Il semblerait bien… »

Si Ran paraissait encore ébranlée au plus profond de son être par la révélation qui avait franchi les lèvres de son père, un sourire sincère n'avait pas eu trop de mal se hisser sur les siennes tandis qu'elle en enlaçait doucement l'incarnation en chair et en os.

Un sourire qui ne dissipa pas alors même qu'elle caressait doucement une chevelure auburn sous les yeux de ses parents éberlués.

S'il demeura figé quelques instants devant cette résolution inattendue de ses problèmes du moment, Kogoro plissa les yeux quand il observa la manière dont la fillette agrippait les vêtements de sa véritable fille tandis qu'elle lui passait les mains dans son dos, de peur que le rêve qui l'avait accueilli à son rêve nese dissipe trop vite.

Ce n'était plus son expérience de détective mais de père de famille qui l'aida à déchiffrer cet indice que lui avait involontairement fourni sa cliente avec ces deux derniers mots. Le tremblement qui agitait ce petit corps, il l'avait observé chez Ran, quand elle avait encore l'âge de porter ce pyjama, au moment où une avocate s'était apprêtée à quitter le domicile d'un ex-policier.

Bien, à défaut de savoir le véritable nom que Masami Hirota partageait avec sa nouvelle colocataire, il pouvait au moins deviner sans trop de peine la nature de la relation qui les avait unis, et qui s'était reflété dans les larmes d'une métisse, hier soir.

« Oui, on dirait bien que je t'ai offert une sœur… »

Une confirmation qui entrainerait son lot de complications par la suite, il s'en doutait bien, mais sur le coup, il n'avait pas eu le cœur de briser le pieux mensonge qu'il avait offert à sa fille légitime, comme à celle qui n'était pas illégitime pour les raisons qu'il avait confessé.

Est-ce que cette petite provocation marmonnée sous le coup de la colère valait le coup ? Oh que oui…Il faudrait qu'Eri place la barre très haut pour lui faire penser le contraire.

La reine du barreau ne semblait pas trop pressée de lui faire payer cette turpitude fictive de toutes manières. S'il en jugeait au verdict final qui finit par faire une aurore timide sur le visage de l'avocate, cette frasque de son mari semblait la faire sourire plus qu'autre chose…