Chapitre 1
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S'il n'y avait pas tous les sortilèges protégeant le 12, square Grimmaurd, on y aurait entendu de drôles de choses, ce soir d'été. Les éclats de voix des membres de l'Ordre du Phénix emplissaient la maison. Tous se disputaient, dans la cuisine. On voyait de temps à autre une assiette, une tasse, un verre, voler à travers la pièce, avant de s'éclater contre le mur, le sol, ou bien la table. Des années s'étaient écoulées depuis que l'Ordre s'était réuni pour la dernière fois, et tout ce beau monde avait, à première vue, du mal à s'accorder. Il y avait d'un côté Alastor Maugrey, Sirius Black et Remus Lupin défendant leur avis face à Severus Rogue, Nymphadora Tonks et Arthur Weasley. Les autres membres s'activaient autour d'eux, prenant un parti ou l'autre, ou même donnant leur avis personnel. Cependant, Albus Dumbledore contredisait cette ambiance hostile. Assis simplement en bout de table, les bras croisés, il jugeait d'un regard intelligent la situation, sans mot dire. Sa longue barbe blanche se détachait au milieu des robes noires. Son regard azur fixait chaque membre tour à tour, et on voyait un léger sourire en coin se dessiner sur ses lèvres fines. Lorsqu'il pensa la querelle arrivée à son point culminant, il voulut se lever, afin de la clamer. Mais un autre événement lui gâcha ce plaisir.
« Hum hum... Ravie de tous vous revoir...
Sur le pas de la porte se tenait une femme. Elle avait un visage de porcelaine que contrastaient des yeux bleu acier très maquillés de noir. Elle semblait avoir vingt ans, alors qu'elle en avait en réalité trente-cinq. Tout ce qui la vêtait était d'un noir profond elle était comme sortie de la nuit. A sa vue, les membres de l'Ordre cessèrent net leur dispute. Un grand silence se fit.
-Nemesis !
Sirius Black, le premier, prononça le nom de la nouvelle venue, d'une voix tremblante.
-Beaucoup d'entre vous n'ont pas changé, à ce que je vois...
Sa voix était très froide et très douce à la fois. Elle s'avança doucement, prenant son temps, retirant ses gants, faisant le tour de la table.
-On en apprend tous les jours, dit Maugrey de sa voix bourrue. Tu entres dans l'Ordre, toi ?
-J'en ai toujours fait partie, Alastor...
En passant, elle jeta un regard à Severus Rogue, qui, lui aussi, avait les mains parcourues d'un léger tremblement. Elle finit par s'arrêter au niveau de Sirius, qui la regardait, les yeux pleins d'une lueur nouvelle.
-Cela faisait une éternité, Sirius, murmura-t-elle.
-Nemesis...
Il semblait incrédule. Sa main glissa sur la joue de la sorcière, comme s'il voulait s'assurer qu'elle était bien réelle. Une fois qu'il en fut certain, il la serra dans ses bras. Nemesis se contenta de poser la tête contre lui, un léger sourire aux lèvres.
-Depuis quand fréquentes-tu les Mangemorts, Black ?
Severus Rogue avait réussi à rendre sa voix, d'ordinaire traînante, acérée. Sirius voulut se retourner, mais Nemesis l'en empêcha d'une pression sur le bras.
-Vous connaissez tous Nemesis Luce pour ses actions de Mangemort. Sachez qu'elle a toujours été un agent double pour nous, jusqu'à ce qu'elle soit manipulée par le Seigneur des Ténèbres, qui l'a forcée à commettre les crimes infâmes que vous lui connaissez. Désormais, elle compte comme un membre à part entière de l'Ordre du Phénix, expliqua Albus Dumbledore.
-Je comprendrais que vous refusiez tout d'abord de me croire, ajouta la sorcière qui s'était entre-temps détachée de Sirius. Je sais que ce n'est pas évident à avaler. Mais c'est la pure vérité. Sirius l'a toujours su, d'ailleurs...
Ils se sourirent, et le sus-nommé passa son bras autour de la taille de l'ex-Mangemort.
-Si j'ai disparu toutes ces années, c'est parce que j'avais besoin de prendre du recul. J'étais sous le choc. Je voulais changer de vie, je voulais oublier les horreurs que j'avais vécues lorsque le Seigneur des Ténèbres était au pouvoir. Je suis revenue il y a peu, à la demande de Dumbledore, mais aussi car je voulais reprendre le combat. La nouvelle du retour de Lord Voldemort est parvenue à mes oreilles, et j'ai une certaine revanche personnelle à prendre.
-Si Dumbledore lui fait confiance, je lui fais confiance, marmonna Maugrey après un moment de réflexion.
Tous finirent plus ou moins par exprimer leur assentiment. L'ambiance se détendit, et seul Rogue fixait encore le couple de ses yeux sombres. Molly Weasley eut la gentillesse d'apporter une chaise pour Nemesis. Les conversations reprirent de bon train, chacun échafaudant des plans plus ou moins farfelus d'attaque contre Lord Voldemort. Seuls Sirius et Nemesis discutaient à voix basse d'autre chose.
-Où habites-tu, désormais ?
-Partout et nulle part... J'ai vécu longtemps en Laponie, coupée du monde, j'ai rencontré quelques chamans, des gens formidables... Albus m'a contactée récemment, je n'ai pas d'endroit fixe en Angleterre.
-Reste ici, avec moi.
-J'y comptais bien, répondit-elle en souriant. Comment vas-tu, toi ? J'avais peur de ne jamais te revoir...
-Chaque jour de ma vie passé à Azkaban a été un enfer, mais je suis à présent l'homme le plus heureux du monde.
Ils se regardaient, les yeux pleins de douceur et d'amour. Leurs doigts s'entremêlaient, leurs sourires se répondaient. On voyait un bonheur sincère transparaître dans chacun de leurs gestes. Severus Rogue, de l'autre côté de la table, les observait toujours, mais un rictus de dégoût se dessinait sur ses lèvres désormais. Ses yeux noirs brillaient d'une lueur mauvaise.
-J'avais peur que tu sois passée à autre chose, Nemesis... Quatorze ans, ça peut être très long. J'avais peur de ne pas te retrouver.
Il lui avait fait cet aveu à demi-voix, mais la sorcière le saisit très bien. Elle posa sa main sur la joue de l'homme, et lui sourit tendrement.
-Je n'aurais jamais pu, Sirius. Je t'aime.
Rogue se leva brutalement, quittant l'assemblée. Nemesis, le voyant ainsi, décida de le suivre, ne laissant pas à Sirius le temps de lui répondre.
-Severus !
Le sorcier s'arrêta au milieu du couloir, sans toutefois daigner la regarder.
-Ne crois-tu pas ta conduite inappropriée ?
-Tu me déçois, Nemesis.
Elle eut un léger rire.
-Qu'est-ce que tu attendais de moi ?
-Je pensais que tu serais sincère.
Surprise de cette réponse, elle ne trouva rien à rétorquer, et se contenta de fixer Severus d'un regard glacial.
-Tu me dégoûtes.
Rogue détachait ses mots, parlait avec froideur.
-Severus... Tu sais bien que ce n'est pas ce que je veux.
-Retourne là-bas. Je vois clair dans ton jeu, Nemesis.
-C'est tout à fait normal, Severus. Après tout, toi et moi sommes dans la même situation.
-Nos situations ne sont pas comparables !
Il avait légèrement haussé le ton.
-Tu es un monstre, Nemesis. N'attends pas un quelconque soutien de ma part.
-Très bien, mon cher, répondit-elle avec un sourire. Je ne comptais pas sur ton soutien, de toute manière. Si tu veux me ranger parmi tes ennemies, libre à toi. Mais sache que j'agirai comme telle. Et surtout, n'oublie pas que je dois être la seule encore en vie à te connaître parfaitement. Je sais quelles sont tes faiblesses, Severus. Je n'hésiterais pas à les exploiter. Alors sois sage, et choisis intelligemment.
Sans lui laisser le temps de répondre, elle retourna dans la cuisine, et se rassit aux côtés de Sirius. Son visage était redevenu impassible.
-Tout va bien ?
-Je suis juste très fatiguée...
Sirius lui prit la main et la mena à travers la maison jusqu'à trouver une chambre inoccupée.
-J'aurais aimé te proposer ma chambre, mais elle est un peu... occupée. En fait, j'y loge un hippogriffe.
-Un hippogriffe ? Tu es plein de surprises.
Elle souriait, à présent.
-Cette chambre ira très bien. J'ai juste besoin de me reposer.
-Je te laisse, alors.
Nemesis hésita un instant.
-Non, Sirius... On ne s'est pas vus pendant quatorze ans... Reste avec moi, je t'en prie.
Ils se regardèrent un instant, il rentra, elle sourit.
-Tu es magnifique, Nemesis, lui dit-il une fois seuls.
-J'ai vieilli...
-Tu n'as pas changé.
-Tu es gentil.
Elle l'embrassa.
-Que t'a dit Rogue ?
Elle sentait du ressentiment dans la voix de Sirius.
-Rien de bien important. Il était jaloux, c'est tout. Nous avons été très proches, à une époque. Je le considérais comme mon frère. Il a du mal à accepter que je puisse être heureuse en amour, voilà tout.
Sa voix, calme, posée, se voulait rassurante.
-Il n'est pas jaloux parce qu'il te désire et que tu es avec moi, j'espère ?
Elle eut un sourire.
-Bien sûr que non. Je te l'ai dit, il était un frère, pour moi, et je sais que cela n'a jamais dépassé ce stade.
-J'ai parfois du mal à te comprendre, tu sais...
-Severus est quelqu'un de valeur, Sirius. Je n'ai pas envie qu'on se dispute le soir de nos retrouvailles, arrêtons d'en parler.
-Arrêtons de parler, tout simplement.
Il l'embrassa à son tour. Peu à peu, ils se dirigèrent vers le lit, et finirent par y tomber.
-Je t'aime », lui souffla-t-il.
Le feu dans l'âtre mourut sans qu'ils ne se préoccupassent de le rallumer.
« Prends garde, Nemesis.
Cette voix, froide, glacée...
-Je te pensais plus forte.
Tout était noir, autour d'elle, elle ne discernait absolument rien.
-Ne me déçois pas.
Ce qu'elle avait mal au crâne...
-Tu sais où te ranger. Tu sais où est le pouvoir.
Mais quelle migraine atroce !
-J'attends ta visite.
Et il faisait chaud, tellement chaud, elle étouffait...
-Lord Voldemort peut être magnanime. Mais sache que je ne tolérerai pas d'erreur. »
Son bras gauche, son avant-bras la brûlait tellement, ses veines acheminaient le sang à exploser, elle avait le bras en feu, la gorge sèche, tout était flou, tout tournait, de l'eau, il lui fallait boire... Un goût métallique lui vint dans la bouche en place du liquide tant désiré... Et cette chaleur...
Nemesis Luce s'éveilla en sursaut. Elle avait la lèvre en sang, de s'être mordue pendant son sommeil. Les rideaux miteux laissaient passer un mince rai de lumière. Elle avait une sacrée migraine, se leva en titubant, récupéra ses vêtements. La sorcière jeta un œil à son avant-bras gauche. La marque des Ténèbres palpitait. Le serpent semblait vivant. Elle n'avait aucun doute, Lord Voldemort avait fait appel au lien tissé quinze ans auparavant pour la contacter directement... Il lui avait parlé dans son sommeil, d'où le mal de crâne. Elle regarda Sirius, endormi sur le lit. Il n'avait pas à connaître ses tourments. Elle poussa la porte, et se retrouva dans le couloir.
« Lumos »
Elle y voyait un peu mieux, désormais. Les murs étaient délabrés, le papier peint miteux. On pouvait voir les marques laissées par des cadres qui furent autrefois accrochés là. La maison était vraiment ancienne... Au bout du couloir se trouvaient les escaliers. Nemesis s'y engagea, souhaitant rejoindre la cuisine. Lorsqu'elle se retrouva au rez-de-chaussée, elle plissa les yeux. Un fin rayon de lumière passait sous la porte de la cuisine. Elle s'approcha de la pièce, loin de vouloir écouter la conversation, simplement pour savoir qui s'y trouvait encore.
« Je lui fais confiance, Severus. Je suis catégorique là-dessus.
-Je la connais mieux que quiconque ici, Dumbledore .
-Je n'en serais pas si sûr, à votre place. Nemesis sentit un frisson la parcourir. Elle ne tint pas, poussa la porte, et se retrouva face aux deux hommes.
-Bonsoir, ou bien bonjour, messieurs. Je ne sais pas quelle heure il peut bien être.
-Deux heures viennent juste de sonner. Bonjour, Nemesis.
Albus Dumbledore avait une voix très douce. La sorcière s'avança vers l'évier, saisit un verre, et se servit de l'eau.
-Alors, reprit-elle, une fois désaltérée. De quoi discutiez-vous, que je puisse avoir l'honneur de me joindre à vous ?
Severus Rogue verdit légèrement.
-Nous parlions de toi, Nemesis, répondit Dumbledore de sa voix posée. Severus ne te fait pas confiance.
-Oh, fit-elle avec un geste désinvolte. Cela ne m'étonne guère. Après tout, nous avons servi le Seigneur des Ténèbres ensemble.
Rogue bredouilla des paroles inintelligibles.
-Qu'y a-t-il, Severus ? Tu as honte de ton passé ?
-J'ai honte du tien.
-Et qu'a-t-il de si honteux, par rapport au tien ?
Elle s'était rapprochée de lui, et lui simplement soufflé ces derniers mots.
-J'ai dit à Severus qu'il n'avait pas à s'inquiéter.
-Tu as bien fait, Albus, répondit-elle sans le regarder.
Elle avait ancré son regard froid dans les yeux de Severus.
-Eh bien, les enfants, je vais vous laisser régler cette histoire entre vous.
-Au revoir et bonne nuit, Albus.
Le grand sorcier quitta la pièce d'un pas léger.
-Alors comme ça, tu ne me fais pas confiance ?
Sa voix était à la fois douce et lourde de reproches.
-Tu ne m'auras pas, je te l'ai déjà dit. Tes agissements sont pervers, hypocrites et malsains. Tu ne fais que tromper tout le monde, leur mentir, les manipuler.
-Ce sont de bien vilaines accusations, Severus, dit-elle d'une voix peinée.
-Ton petit jeu ne durera pas longtemps. Dumbledore te fait confiance, mais j'arriverai à lui faire ouvrir les yeux.
-Ça, j'en doute, très cher.
Un sourire innocent se dessina sur ses lèvres, mais sa voix était froide, cynique.
-Allons, Severus. Je ne veux pas faire de mal à quiconque, tu le sais bien.
Elle lui caressait la joue, tel un enfant que l'on veut réconforter.
-Je pense que Black n'apprécierait pas ce que tu es en train de faire, Nemesis...
-Ce qu'il ignore ne le blessera pas.
Sa voix n'était plus qu'un murmure, tandis qu'elle-même se faisait plus insistante face à Rogue.
-Tu n'as pas à me craindre, Severus. Je t'apprécie beaucoup, tu sais.
-Je...
Il était à deux doigts de craquer, elle le voyait bien. Sa voix tremblait. Ses yeux noirs brillaient d'une ardeur qu'elle ne leur connaissait pas.
-Cesse donc de te morfondre pour un fantôme.
Severus ne l'écoutait plus. Nemesis avait réussi à avoir le dessus, littéralement. Elle était penchée sur lui, le soumettant par ses caresses. Lorsqu'elle sentit les mains de Rogue s'agripper à elle, elle sourit, d'un sourire que seuls peuvent avoir ceux qui ont connu la délectation d'une victoire. Nemesis calma le jeu dès qu'elle sentit qu'elle pouvait être compromise. Elle déposa un baiser abominablement tendre sur le font de Severus, et retourna se coucher, le laissant seul, l'air hébété, dans la cuisine.
Sirius dormait toujours. Elle se surprit à le regarder. Il n'avait beau être qu'un passe-temps, elle s'y était attachée. Sa fidélité l'avait surprise, et tout d'abord ennuyée. Il était plein d'espoir quant à leur relation. Cependant, cela avait permis à Nemesis d'intégrer l'Ordre plus facilement. Cette pensée l'emplissait de joie. Elle se sentait reconnaissante envers Sirius, et dans cet élan lui donna un baiser sur le front. Contre toute attente, il ouvrit les yeux, les cligna, s'éveilla complètement.
-Tous les hommes du monde peuvent m'envier ce moment.
Il avait à peine murmuré ces mots, un sourire aux lèvres, les yeux brillants.
-Tu es adorable.
Un rire s'échappa de sa gorge, un rire étouffé.
-J'aime ton rire... Il n'y a rien que je n'aime pas chez toi. »
Nemesis ne répondit pas. Elle caressa tendrement la joue de Sirius, se réfugia contre lui, et finit par retrouver le sommeil.
