Pluie battante, ruelle sombre, sang s'écoulant sur le paver pour disparaître dans le caniveau. Corps immobile paralysé par la peur, submergé par la tristesse. Larmes brûlantes sortant du plus profond de l'âme. Voix disparue, bloquée dans sa gorge par le poids de la perte qu'elle venait de subir. De cette scène macabre, les yeux zinzolin de l'adolescente ne retinrent que le rouge et le noir. Mais surtout, cette entaille d'un rouge si vif sur le visage du meurtrier.
Elle n'avait que 15 ans. Sa vie n'avait jamais été rose, même si elle avait eu la chance de vivre quelques bonheurs qui lui suffisaient. Orpheline de naissance, elle avait grandit dans un des orphelinats du promontoire divin. Les gens là-bas étaient sa famille, tout ce qu'elle avait. Elle était protégée et protégeait à son tour chacun des membres de cette grande famille. Certains avait eu la chance d'être adoptés, mais jamais ce ne fut son cas. Pourtant maintes fois elle aurait pu l'être. Son attachement profond à un garçon de deux ans son aîné l'empêchait de quitter ce lieu qu'elle considérait désormais comme son vrai foyer.
Et voilà que par cette nuit humide on lui enlevait son meilleur ami, son frère. Andrew, tel était son nom avant qu'une lame finement aiguisée ne vienne libérer tout le pourpre de son être. Leonne savait pertinemment que son frère avait rejoint un groupe de bandit afin d'aider l'orphelinat grâce à ses larcins. Elle le voyait comme un héro anonyme qui aidait les plus pauvres. Il lui racontait chacun des coups auxquels il participait et elle l'écoutait, rêvant d'un jour faire comme lui.
Mais c'était fini. Jamais plus il ne lui raconterait ses histoires. Jamais plus il ne lui rapporterait de pommes dont elle raffolait tant. Jamais plus il ne lui montrerait de techniques de combat. Jamais plus il ne la prendrait dans ses bras pour la rassurer. Jamais plus… Jamais plus il ne serait là.
Un enterrement pour un pauvre orphelin ? Il ne fallait pas rêver, l'orphelinat n'avait nullement de quoi payer au jeune-homme un cercueil. Il fut enterré, simplement enveloppé dans un drap blanc, recouvert de fleurs qu'avaient cueilli les autres enfants. Deux bouts de bois où était inscrit son nom servant de pierre tombale.
La jeune brune n'avait pas été capable de prononcer un seul mot depuis qu'elle l'avait vu périr sous ses yeux. Les larmes avaient coulé longtemps, jusqu'à ce que la source ne se tarisse. Leonne ne mangeait plus, buvait à peine. Les autres orphelins s'inquiétaient pour elle. Chacun savait à quel point Andrew et elle étaient proche. Mais personne ne savait comment aider la jeune-fille à surmonter cette épreuve.
Elle passait la plus part de son temps face à cette tombe qui emprisonnait cet être si cher pour elle. Cela continua jusqu'à ce qu'un jour elle voit un individu déposer une fleur sur la tombe de fortune de son ami et frère. L'individu en question portait des vêtements à l'allure plutôt chic, il semblait être un noble. Mais en s'approchant, elle réalisa qu'il n'avait rien d'un humain. L'homme était un de ces arbres sur jambes, un sylvari. Sa peau ou plutôt son écorce était aussi sombre que le charbon, parsemé de traits de couleur rouge qui devenaient plus voyant avec l'obscurité.
Toujours incapable de prononcer le moindre mots, Leonne avait continué d'approcher et se trouvait désormais face au sylvari, posant sur lui ses yeux empli de colère et de peine. Ce dernier lu tellement de choses dans son regard, bien plus que ces deux émotions, qu'il ne pu retenir un sourire malicieux d'apparaître sur son visage.
- Leonne je présume ?
Le regard de la jeune fille changea quelque peu, se faisant plus interrogateur. Comment savait-il qui elle était, mais surtout qui était-il ?
- J'ai quelque chose pour vous, de la part d'Andrew, lui annonça-t-il en lui tendant une bourse.
Elle hésita, mais fini tout de même par la prendre. Elle l'ouvrit lentement et écarquilla légèrement les yeux en y découvrant une bonne trentaine de pièces d'or.
- Je les aurais bien gardé pour moi, mais malheureusement je suis un homme de parole, fit-il faussement sincère.
Leonne ne prononçait toujours aucun mots, regardant seulement le sylvari avec sévérité, la mâchoire crispée. Alors il lui expliqua.
- Voyez-vous jeune-fille, votre ami et moi-même avions un contrat. Et dans les grosses lignes, ce contrat stipulait que s'il devait lui arriver quelque chose, sa paie ainsi qu'un petit dédommagement vous reviendrez.
Comprenant qu'Andrew avait travaillé pour cet homme, la colère monta davantage à l'intérieur de la jeune orpheline. Ne parvenant plus à contenir toute sa peine et sa rage, elle envoya un direct du droit dans le visage du sylvari. Ce dernier intercepta in extrémiste son poing dans sa paume et la regarde avec un sourire amusé. Il jubilait intérieurement de voir tout ce potentiel chez cette jeune humaine.
- Vous ne dirigez pas votre colère contre la bonne personne ma chère. Et puis, ce n'est pas avec un simple coup de poing que vous obtiendrez vengeance pour ce qu'on vous a dérobé, ajouta-t-il avec un air plus malicieux.
Vengeance ? Etait-cela que son coeur lui crier depuis qu'on lui avait volé Andrew ? Oui, on lui avait volé, on lui avait arraché sous ses yeux. Sans qu'elle ne puisse rien faire, on lui avait enlevé son frère. Repensant à cette nuit tragique, à cette entaille si rouge au niveau de l'oeil de l'assassin de son Andrew, elle serra si fort ses poings que du sang apparut dans ses paumes.
Satisfait de son effet, le sylvari lui fit une proposition qu'elle ne pouvait actuellement pas refuser.
- Que diriez-vous que je vous aide à vous venger ?
Avec ces quelques mots, il attira toute l'attention de l'adolescente. Il poursuivit alors :
- J'ai les moyens de faire de vous une combattante redoutable. J'ai également les moyens de retrouver le meurtrier de notre très cher Andrew. Cependant… chaque chose à un prix dans ce monde, ainsi vous comprendrez que mes services ne sont pas gratuits.
Avec l'habilité dont il faisait preuve, Leonne n'hésita un instant, reparlant pour la première fois depuis des mois :
- Votre prix sera le mien, répondit-elle avec un ton ferme et décidé, motivé par l'espoir de pouvoir venger la mort de son précieux frère.
Suite à leur contrat, le sylvari prit en charge la jeune fille. Leonne quitta l'orphelinat du Promontoire pour s'installer dans une bâtisse d'un coin sombre de l'Arche du lion où elle avait pour voisins et colocataires des individus sûrement peu fréquentable. Là-bas, elle sua, elle saigna, elle manqua même de mourir à plus d'une reprise. Ses « formateurs », si l'on pouvait appeler ces mercenaires et assassins ainsi, étaient dur et intraitable avec n'importe lequel des jeunes qui arrivaient ici. Leonne était une des rares survivantes à avoir tenu le coup face à leurs « entraînements » brutaux. La première fois qu'elle avait assisté à l'exécution sans retenu d'un garçon d'à peu près son âge, elle avait régurgité son repas et avait passé plusieurs nuits sans pouvoir dormir de peur que son tour vienne. C'est alors que l'angoisse et la peur, couplés à son désir de vengeance devinrent moteurs de son être pour survivre et atteindre son but.
A côté de cela, le sylvari que tous appelaient Nostro Le Fossoyeur lui rendait parfois visite et lui confiait de petites missions. Les compliments étaient rare, voir même inexistant concernant les progrès de la jeune-femme qu'elle devenait jour après jour. Aux yeux du nécromant son outil était encore imparfait. Il ne lui manquait qu'une chose pour qu'elle soit parfaite. Être capable de tuer sans une once de remord.
Jusqu'à présent, Leonne n'avait jamais tué. Il fallait reconnaître qu'elle avait même développé un certain talent pour éviter d'avoir à le faire, une discrétion tel que seul le dieu de la mort Grenth en serait capable. Mais la mort réclamait justement son dû pour ce dont de survie que possédait désormais la voleuse.
Pour satisfaire quelques contacts aux goûts prononcés pour certains jeux sordides, Le Fossoyeur avait organisé dans un labyrinthe caché dans des ruines au fin fond de la tyrie un jeu de survie dans lequel il ne pouvait y avoir qu'un seul gagnant. Bien sûr, il n'avait pas informé ses « marionnettes », comme il prenait plaisir à les appeler, de ce qu'il allait se passer. Il avait fait en sorte de les droguer au préalable pour pouvoir les amener sans leur consentement dans l'arène qui serait la scène du jeu macabre du nécromant.
Ils étaient dix mercenaires enfermés entre ces murs. Ce qui servait de présentateur à cette futur boucherie utilisa un haut-parleur asura pour les informer de la raison de leur présence ici, insistant sur le fait qu'il ne devait en rester plus qu'un à la fin. Il omit de leur dire que des pièges avaient été posé, ce qui coûta la vie à deux hommes et une femme.
Habituellement, le nécromant ne s'intéressait pas particulièrement à ce qu'il se passait dans son arène de jeu, préférant parler avec ces convives pour obtenir diverses choses d'eux. Mais cette fois, il observa du début jusqu'à la fin les moindres faits et gestes de Leonne. Cette dernière, évita pendant de longues heures les autres participants. Les spectateurs voyait là une chance insolente, Nostro lui ne voyait que l'immense défaut de son pantin qui s'obstinait à éviter de tuer qui que cela soit.
- Cours tant que tu le peux petite souris… L'heure viendra où tu n'auras plus le choix, avait-il affirmé en un rire diabolique.
Et l'heure fini en effet par venir. Ils n'étaient plus que trois participants et le jeu durée depuis plus de huit heures. Les spectateurs commençaient à se lasser, notamment de la jeune-femme. Alors, Nostro fit transmette un ultime message aux trois survivants par le biais de son présentateur.
- S'il n'y a pas de gagnant dans les trente prochaines minutes, vous serez tous tués de la manière dont le désira le public.
Entend la nouvelle, la voleuse ferma un instant les yeux pour essayer de rester calme. Avec cette annonce elle le savait, les deux autres survivants se rendraient directement au centre du labyrinthe s'ils n'y étaient déjà pas. C'est là que devrait se dérouler les derniers combats. Elle hésita à s'y rendre, espérant que peut-être les deux autres s'entre tueraient, mais si elle voulait vraiment vivre, elle devait aller vérifier par elle-même ce fait, voir même peut-être… tuer.
L'idée de mettre fin à la vie d'un autre ne l'enchantait guère. Elle savait que si elle devait tuer une personne c'était l'assassin de son frère, elle s'y préparait depuis longtemps. Mais tuer un autre individu non. Cependant, elle devait vivre. Elle devait survivre. Elle avança alors lentement, son corps se mit à trembler de plus en plus à mesure qu'elle approchait du centre du labyrinthe. Les battements de son coeur faisait écho à chacun de ses pas. Arrivée au dernier mur la séparant du centre du labyrinthe, elle ferma une nouvelle fois les yeux pour regagner un peu de sang froid.
Au centre, un charr imposant armé d'un énorme marteau couvert de sang attendait que ses futurs victimes approchent. Prêt à le transpercer d'une flèche, un sylvari attendait le moment opportun pour l'abattre sans risquer de représailles mortelles. Le charr aux poils couverts du sang de ces dernières victimes avait senti la présence des deux autres.
- Sortez de là qu'on en finisse, lâcha-t-il avec courage et détermination.
Tout aller se jouer maintenant, sûrement en quelques secondes. Les spectateurs avaient du mal à tenir en place. La plupart avait parié sur le sylvari, quelques uns sur le charr. Seul Nostro avait parié sur l'humaine. Il ne parvenait plus à retenir son sourire sadique. Il savait que le moment était venu pour son arme de s'éveiller, de devenir une des plus redoutables qu'il possède.
Leonne sortit ses dagues, en coinça une entre ses dents, prit une profonde inspiration et se lança dans la pièce centrale, lançant une première dague en direction du mur derrière lequel se cacher le sylvari.
Aussitôt, il sortit à peine de sa planque pour décocher une première flèche que le charr esquiva in extremis, elle arracha un morceau d'une de ses oreilles. Il hurla de rage, tentant d'abattre son marteau sur l'humaine, qui l'esquivait encore et encore, ne parvenant à placer un coup qui ne serait pas mortel pour l'animal. Le sylvari se dévoila davantage, décochant d'autres flèches qui furent repoussées par le marteau du charr et esquivés par Leonne, jusqu'à ce qu'enfin une finisse par se planter dans la jambe du charr et une autre effleure le bras de la voleuse. A ce moment, l'arbre lâcha son arc et sorti son espadon pour fondre sur la masse poilu. Le marteau para l'espadon et les deux opposants restèrent l'un face à l'autre sans bouger, le fer contre le bois. Leonne avait le champ totalement libre pour les tuer si elle le souhaitait, mais elle n'y parvenait pas. Telle une feuille, elle tremblait de la tête aux pieds. Le charr et le sylvari étaient tout deux redoutables, elle le voyait très clairement. Tout comme eux avaient compris qu'elle n'avait jamais tué. Ils savaient que s'ils parvenaient à se débarrasser de l'autre, la jeune femme ne serait qu'une formalité.
Le charr poussa un puissant grognement, repoussa violemment l'espadon de son adversaire et écrasa avec toute sa force son marteau sur la tête du sylvari qui se retrouva par-terre, le crâne défoncé. Il secoua légèrement son marteau et se tourna vers Leonne qu'il regarda trembler, avant de rire d'elle.
- A quoi bon survivre jusqu'ici si tu n'es même pas capable de tuer ? Tu aurais mieux fait de venir plutôt, on aurait gagné du temps. Je te promets que tu n'auras pas le temps de souffrir.
Il ricana une nouvelle fois avant d'arracher la flèche de sa jambe et d'avancer vers elle, prêt à la tuer en un unique coup. Il leva son marteau en l'air. Elle ne bougeait toujours pas, paralysée par la peur comme elle l'avait déjà été le jour de la mort d'Andrew. Elle revit l'entaille rouge vif. Tout devint une nouvelle fois noir et rouge autour d'elle. En une seconde, le regard sûr du charr changea au même moment que la haine s'empara des yeux de Leonne. La seconde suivante, le marteau du charr tomba par-terre, suivi de près par le corps de dernier. Son sang s'écoula sur la pierre sale par de multiple endroit.
Leonne ne tremblait plus de peur. Son corps tremblait d'excitation. Elle ne réalisait pas encore ce qu'elle venait de faire, le monde étant toujours bicolore, elle regardait simplement tout ce rouge qui coulait en abondance.
De la tribune, Nostro admirait son œuvre.
Dans le prochain chapitre : Vengeance, trahison et compassion.
