NB: Cette histoire se déroule de nos jours, mais elle n'est pas vraiment localisée dans l'espace. Ce pourrait être n'importe quelle côte, n'importe quelle mer...


Le vent est frais, et la houle creuse de hautes vagues qui frappe sans cesse l'étrave de mon petit voilier. L'Atlantique n'est pas clément avec nous ce matin et Chipiron joue littéralement à saute-moutons avec les déferlantes. Je me souviens qu'en quittant le port au petit matin je me suis dit que ce ne serait peut-être pas la meilleure journée pour tester ces nouvelles voiles que j'avais acheté la semaine dernière. L'essai s'est toutefois révélé concluant : j'ai battu tous mes records de vitesse, Chipiron a littéralement surfé la crête des plus grosses vagues mais à présent il me faut rentrer au port, avant que le vent ne forcisse encore et que la situation ne m'échappe totalement.

Une vague un peu plus haute que les autres passe par-dessus le pont et inonde le cockpit, me faisant prendre une bonne douche au passage. Heureusement, mes lourds vêtements de quart sont étanches… Il est temps de mettre mon gilet de sauvetage et d'accrocher une longe à mon harnais. Je me décide enfin à lâcher la barre pour attraper mon matériel de sécurité lorsque mon voilier s'arrête net, comme s'il avait été saisit au vol par une main gigantesque. Au même moment un craquement sinistre se fait entendre et Chipiron se met à trembler et s'agite en tout sens.

Mon Dieu, on a tapé… Bordel, on s'est pris un putain de rocher… Merde !

Je connais pourtant bien la passe, et ce ne devait être qu'une petite sortie de routine, je n'ai donc pas pris la peine d'allumer mon GPS. Comment ais-je pu être aussi stupide ? Si la quille n'a pas été trop endommagée, je peux encore espérer sauver mon voilier mais il me faut appeler les secours au plus vite. Le choc m'a projetée dans le fond du cockpit, je rampe tant bien que mal jusqu'à l'escalier qui descend vers le carré du bateau. Malheureusement, une lame soulève Chipiron et le projette sur les rochers qui nous ont stoppé dans notre course ; avec un plaisir évident la mer broie méthodiquement la coque de mon pauvre bateau. Un bruit terrifiant de tôle distordue m'append que la quille vient d'être arrachée. La sanction est immédiate, Chipiron s'affale sur son bord droit et son mat tombe dans l'eau. Avant même de m'être pleinement rendue compte de ce qui m'arrive, je suis dans l'eau, tentant désespérément de me raccrocher aux filières de Chipiron qui commence à s'enfoncer sous la surface. Je nage mal, même dans des conditions normales. Dans la panique, je parviens tout juste à maintenir ma tête hors de l'eau.

Non, c'est trop injuste, je n'ai fait qu'une erreur, une toute petite erreur d'appréciation… je ne vais pas crever pour ça quand même ?

Les vagues qui m'empêchent de conserver ma prise sur la coque glissante semblent me répondre ironiquement : en mer, la moindre erreur se paye au prix fort… Dans un dernier râle, Chipiron disparaît sous les flots et mes derniers espoirs avec lui. Je n'ai plus rien à quoi me tenir, je commence à perdre pied…

Non, je ne veux pas me noyer ! Par pitié, que quelqu'un me vienne en aide, je donnerais n'importe quoi… je donnerais TOUT pour qu'on me sorte de là…

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Les premières choses dont j'ai conscience en me réveillant sont le contact du bois contre ma joue, un goût écœurant de sans te d'eau de mer dans ma bouche et la douce impression d'avoir été piétinée par un troupeau de buffles. A priori – et ma mon grand étonnement je suis encore en vie, mais j'ai le plus grand mal à rester éveillée. La surface sur laquelle je suis étendue tangue et roule, je dois donc être sur le pont d'un navire.

J'entends des pas et des voix autour de moi, je devrais être rassurée mais portant je n'ose pas ouvrir les yeux. Confusément, sans raison pourtant, j'ai peur. Je décide de continuer à simuler l'inconscience.

Une vois forte et cassante s'élève, a proximité de moi : Alors Maccus, la moisson a-t-elle été bonne aujourd'hui ?

Non Capitaine, les quelques pêcheurs que nous avons ramenés ont préféré mourir sur place plutôt que d'être ramené à notre bord. Une pause, un reniflement méprisant et le dénommé Maccus poursuit : nous avons aussi repêché ça, mais je doute qu'elle puise nous servir à grand-chose, elle est salement amochée… Doit on la jeter par-dessus bord ?

Clonk… clonk…clonk un pas étrangement lourd se rapproche de moi. Le capitaine se penche, je sens son souffle dans mon cou ainsi qu'une odeur de… poisson ?

Ouvre les yeux, je sais que tu m'entends. Le ton est calme, mais péremptoire. Je songe immédiatement que j'ai intérêt à obéir. Des yeux bleus, sans doute les plus beaux qu'il m'ait été donné de voir sont posés sur moi. Je voudrais voir son visage, mais je n'arrive pas à me détacher de son regard hypnotique. Pendant quelques instants qui me paraissent une éternité, il me fixe. J'ai confusément l'impression qu'il peut voir jusqu'aux tréfonds de mon âme. Sans prévenir, il me saisit brusquement à la gorge, sa poigne est extraordinairement puissante.

As-tu peur de la mort ? Souffle-t-il.

Je suis bien trop faible pour supporter un tel traitement très longtemps, mes pieds se dérobent sous moi. Il a du le sentir car il relâche légèrement son étreinte. Autour de nous, des gens ricanent et trépignent.

As-tu peur de la mort ? Répète-il avec impatience. Tu n'auras pas d'autres chance…

D'autre chance de quoi ? Je ne comprends rien à ce qui est en train de se passer. Ou suis-je donc tombée. Qu'attend-t-il de moi ?

Alors ? Les yeux bleus me fixent intensément.

Je n'ai même plus la force de répondre,je me contente de hocher péniblement la tête pour acquiescer. Après tout, n'est-ce pas la vérité ? Le capitaine me lache et je retombe lourdement à terre. Avant de sombrer pour de bon dans l'inconscience je l'entends une dernière fois s'adresser à son équipage : emmenez-la dans ma cabine !