Disclaimer : Je ne tire aucun bénéfice de l'écriture de cette fiction, si ce n'est un immense plaisir. Shingeki no Kyojin appartient à ce cher Hajime Isayama, et le scénario de cette fiction sort de ma tête. Il est donc un peu poussiéreux.
Hello tout le monde ! Me revoilà enfin. Je suis vraiment désolée pour ce monstrueux retard, mais ces derniers mois ont été extrêmement chargés. De plus, comme vous le savez déjà, on arrive au bout de l'histoire et mes chapitres me demandent beaucoup de réflexion pour être sûre de déclencher correctement les actions et le dénouement final. Sans compter que ce chapitre ici présent est un nouveau record de longueur avec 13k mots !
Bonne lecture !
Résumé des chapitres précédents : alors que Levi et Eren reconstruisent leur relation sur des bases saines et un nouveau départ, tout semble aller pour le mieux – jusqu'au moment où Christa décide de trahir le secret qu'elle partageait avec le jeune allemand en menaçant de raconter leur aventure à Levi, poussant Eren à la devancer et à tout lui avouer lui-même. Mais les explications doivent malheureusement attendre : Petra débarque en trombe et annonce que quelque chose de terrible est arrivé à Auruo.
Réponses aux reviews anonymes :
Molly : Coucou Molly, merci pour ta gentille review, ça fait toujours chaud au cœur de lire l'avis des lecteurs réguliers ! Effectivement, on approche du but, c'est le moment de s'accrocher ! J'espère que la suite te plaira.
K-fic : Merci beaucoup pour tes encouragements K-fic ! Comme tu as pu le constater, j'ai effectivement trouvé le courage de continuer mon histoire après ce gros coup de mou. Comme j'en suis fière avec le recul ! J'espère que les autres chapitres t'ont plu également.
Chapitre 30 : Ce qui nous attend
XXX
Cela faisait déjà plusieurs heures que le soleil n'éclairait plus les murs bleutés de la chambre, remplacé par la lumière artificielle de l'éclairage nocturne. Tout était calme, à l'exception du trafic routier lointain. Au rez-de-chaussée, on n'entendait aucun bruit : les habitants de la maison se montraient religieusement silencieux. Levi se redressa, bougeant pour la première fois depuis une éternité, sans pour autant quitter du regard la silhouette allongée dans le lit devant lui.
Couché entre les draps blancs, profondément endormi, Auruo semblait presque serein. Pour qui n'eut pas remarqué ses traits émaciés et son ventre plus creux que de coutume, il avait simplement l'air de se reposer. Diverses boîtes de médicaments peuplaient la table de nuit, et une bassine avait été posée au sol. Il flottait dans la chambre une odeur de renfermé et de désinfectant, propre aux personnes alitées.
Levi avait passé l'après-midi sur cette chaise raide, à observer le visage malade de son ami et à travers lui, l'expression de son propre égoïsme. Négligé par ses amis, accablé de résultats décevants aux examens blancs et sans personne vers qui se tourner, Auruo n'avait pas su faire face aux difficultés qui s'étaient accumulées dans son quotidien et avait décidé d'abandonner le combat – ou de pousser un cri de détresse, comme Levi préférait de loin l'interpréter. Les évènements de la semaine avaient dû être le coup de grâce : laissé pour compte plus que jamais au milieu de toute cette agitation, il était rentré chez lui un beau soir et, profitant de l'absence de ses parents, il avait avalé le contenu d'une bouteille de soude. Il ne devait sa survie qu'au retour prématuré de sa mère qui l'avait trouvé sur le sol de la salle de bains, deux heures plus tard.
Auruo avait été conduit aux urgences pour recevoir les soins appropriés et avait passé trois jours à l'hôpital, alimenté par voie parentérale. Une fois le corps médical convaincu de la stabilité de son état, il avait été renvoyé chez lui, où il demeurait alité. Levi avait aussitôt insisté pour le voir, à l'instar des autres amis du jeune homme. Contre toute attente, les Bossard avaient accepté. Ainsi, depuis le retour de leur fils, les visites se succédaient. Levi savait que Petra était venue plusieurs fois, mais lui-même n'avait trouver le courage de se présenter à Auruo que le lendemain de son retour chez lui. Il savait qu'il trouverait probablement son ami endormi et ne pourrait même pas lui parler, mais il voulait le voir vivant, de ses propres yeux. Il en avait besoin.
La mère d'Auruo, qui l'avait accueilli, semblait particulièrement abattue. Levi savait qu'une enquête avait été menée, comme à chaque fois lorsque ce genre d'affaire impliquait un mineur. Cela avait dû être une épreuve redoutable pour les parents. Il n'avait pas pitié d'eux pour autant : ils avaient contribué à paver le chemin qui avait mené leur fils à la tentative de suicide, et devraient en assumer les conséquences. Il serait là pour y veiller. Mais pour le moment, il avait lui aussi certaines choses à assumer.
Même si Auruo était visiblement tiré d'affaire, même si les choses venaient à s'arranger pour lui, Levi savait qu'il se passerait probablement des années avant qu'il ne fût lui-même en mesure de se pardonner ce qui s'était passé. Il n'avait pas su voir – pas pris le temps de voir – la détresse de son camarade, trop concentré sur ses propres préoccupations. Il avait déshonoré son titre d'ami, il n'avait pas été à la hauteur de son rôle et de la confiance que les autres avaient placée en lui. Il avait échoué, encore une fois.
Le simple fait d'imaginer Auruo éprouvant un désespoir suffisamment lourd pour le pousser à boire de la soude caustique le rendait malade. Bloqué dans un cercle vicieux de pensées morbides, il occupait le chevet de son ami depuis plusieurs heures. Il y avait malgré tout un côté constructif à ce drame. Cette terrible mésaventure était un énième et précieux rappel d'une chose que Levi n'aurait jamais assez en tête : la vie de ses êtres chers était inestimable. Inestimable, et si facilement brisée. Là était également le sujet de ses réflexions profondes.
Auruo toussa dans son sommeil et se redressa légèrement. Levi saisit alors la bouteille d'eau à ses pieds et en administra avec précaution à son ami qui but, dans un état second, avant de se rallonger et de se rendormir. Alors qu'il se rasseyait, il entendit la mère de famille parler au rez-de-chaussée de la grande maison, puis les bruits de pas de quelqu'un qui montait les escaliers.
Le petit brun ne se retourna pas pour aviser le nouveau venu : il avait reconnu sa démarche, tout comme il reconnut son odeur lorsque celui-ci tira silencieusement une chaise à lui pour venir s'asseoir à sa droite.
Ils ne s'étaient pas vus depuis le jour où Petra était venue les trouver, paniquée, pour les avertir de ce qui était arrivé à Auruo. Ils étaient alors en plein conflit sentimental et avaient dû se quitter sans pouvoir tirer la situation au clair. Trop pris dans pris par leurs responsabilités et l'esprit ailleurs, ils s'étaient à peine parlé - hormis quelques messages pour se tenir au courant – jusqu'à présent. Voilà qu'Eren se présentait au chevet d'Auruo, sans crier gare.
Il y eu un instant de silence, puis Eren finit par prendre la parole :
« - Je regrette d'avoir été si dur avec lui. Je n'avais aucune idée de ce qu'il endurait.
- Tu voulais simplement protéger Petra. Si ça peut te rassurer, tu n'es pas responsable de ça le moins du monde.
- Tu ne l'es pas non plus.
Quelques secondes s'écoulèrent, puis Eren osa faire ce qui semblait le démanger depuis son arrivée : il prit la main de Levi et la serra. Le petit brun ne réagit pas, plongé dans ses pensées.
- Je crois que nous sommes tous responsables à notre hauteur, reprit-il. Je veux dire moi, Erwin et les autres. Personne n'aurait plus détecter mieux que nous les signes avant-coureurs.
Il sentit la main d'Eren se resserrer autour de la sienne.
- Il s'est passé trop de choses, ces derniers temps. Auruo avait besoin d'aide, je sais, mais vous n'étiez pas en mesure de la lui fournir. Quelqu'un a manqué à ses devoirs, c'est sûr – il jeta un regard rancunier vers la porte, d'où leur parvenaient les sons de la mère d'Auruo qui s'affairait – mais pas vous. Tu ne peux vivre qu'une vie à la fois. Arrête de te torturer.
Le jeune homme ne répondit pas, se contentant de hocher la tête. Son esprit était entravé par les long serpents visqueux de la culpabilité, le forçant à se blâmer encore et encore et à refuser tout propos rationnel. Néanmoins, les mots d'Eren retentissaient au loin. Avec le temps, peut-être serait-il en mesure de se les remémorer – et à ce moment-là, de les accepter.
- Ce n'était pas un adieu, Levi. Pas comme ça, pas dans ces circonstances. S'il avait vraiment voulu mourir, il n'aurait pas fait ça comme ça. C'était le cri de quelqu'un qui a envie de vivre.
Levi se tourna vers lui et, pour la première fois depuis plusieurs jours, sourit.
- Tu sais, c'est en partie pour ça que je suis tombé amoureux de toi.
Il regarda avec amusement le visage du jeune allemand devenir instantanément cramoisi.
- Hein ?
- Quand il est question de réflexions sérieuses à propos de la nature humaine et de la manière de traiter les autres, tu peux faire preuve d'une intelligence surprenante.
A son tour, il serra la main d'Eren, et les deux garçons reportèrent leur attention sur Auruo. Leur ami dormait toujours profondément, d'un sommeil dépourvu de ronflements et de mouvements. Connaissant ses parents, il était peut-être déjà bourré d'antidépresseurs supposés guérir leur fils en quelques jours.
- Les médecins ont dit qu'il ne risquait plus rien.
- C'est ce que sa mère m'a expliqué, oui.
- Il a eu beaucoup de chance d'être trouvé si vite. Nous avons beaucoup de chance qu'il ait été trouvé si vite. Ça n'a tenu qu'à un fil.
Du pouce, il caressa la main de son compagnon pour attirer son attention. Il était temps pour lui de régler la question qui flottait dans l'air.
- La vie n'arrête pas de me le rappeler, ces derniers temps. Comme tout ne tient qu'à un fil.
Durant le temps où il avait été loin de lui, un million de choses terribles auraient pu arriver à Eren. Mourir dans un accident de voiture, tomber gravement malade, partir de l'autre côté du globe sur un coup de tête des Jaeger. Mais rien de tout ceci ne s'était produit. Eren était là et bien vivant, alors s'il avait couché avec une fille au passage, c'était un moindre mal et le dernier de ses soucis.
- Eren. Ce que tu as pu faire pendant qu'on était séparé, ça n'a pas la moindre espèce d'importance. Tu es revenu dans ma vie et tout a repris un sens. C'est tout ce que j'ai besoin de savoir. C'est tout ce qui compte.
Il admira quelques secondes le soulagement se distiller dans les iris vertes, créant une nuance lumineuse et tendre, puis se pencha pour l'embrasser. Le jeune allemand passa une main derrière sa tête et caressa sa nuque d'un geste débordant d'adoration. L'époque où il était persuadé qu'Eren ne l'aimait pas vraiment lui sembla soudain terriblement lointaine. Il se redressèrent, et Levi se sentit obligé de glisser :
- Ça ne veut pas dire que je suis d'accord pour que tu ailles voir ailleurs. »
Fort heureusement, Eren eut la présence d'esprit de ne pas s'esclaffer.
Ils restèrent au chevet d'Auruo encore une demi-heure, mais comprirent bien vite que leur ami ne se réveillerait pas pour les voir. Levi lui griffonna donc un mot stipulant qu'il l'appellerait dès que possible, le déposa sur la table de nuit, passa sa main sur le front d'Auruo une dernière fois, et ils partirent. Au rez-de-chaussée, ils croisèrent la maitresse de maison, qu'ils saluèrent avec la politesse la plus brève possible avant de quitter la maison.
Dès qu'ils furent à l'extérieur, Eren poussa un soupir de soulagement qu'il ne put que comprendre : l'atmosphère de rétention et d'aigreur qui régnait dans la grande demeure des Bossard était pour le moins oppressante. Le style occidental vieillot, tapisseries chargées et meubles d'antiquaire compris, n'aidait pas à s'y sentir à l'aise.
« - J'ai toujours détesté venir ici, avoua-t-il à son petit ami, tandis qu'ils longeaient jusqu'à la station de métro.
- La mère d'Auruo est… un peu bizarre, non ?
- Attends de rencontrer le père. Tu ne seras pas déçu.
Comme Eren le regardait avec curiosité, il développa :
- Les parents d'Auruo sont comme beaucoup de familles de Trost. Ils sont arrivés au Japon dans les années quatre-vingts et ont profité du miracle économique pour s'établir dans le confort et décrocher des postes haut-placés. Le père d'Auro travaille dans l'industrie automobile.
- Et tu ne les aimes pas beaucoup…
- Ils sont étroits d'esprit est dépourvus d'intérêt, mais ça, à la rigueur, ça m'est égal. Ce qui me dérange, c'est que ce sont de mauvais parents.
- Tu m'expliques ?
Levi haussa les épaules.
- C'est dur à expliquer. C'est un ensemble… Disons qu'Auruo ne correspond pas à l'idée qu'ils se faisaient d'un fils idéal et qu'ils le lui font payer. Ils sont un poison quotidien. Sa mère est une vipère, et son père le traine en permanence dans la poussière.
Il serra les dents.
- Il peut aussi être violent, quand il a bu. C'est rare, mais ça arrive. C'est pire depuis qu'il a quitté son travail. Il pensait trouver mieux facilement, mais la crise n'a pas épargné le secteur automobile et ce type est vraiment trop vieux pour faire le poids face aux jeunes japonais qui arrivent sur le marché.
- Ça en fait donc un de plus qui attend impatiemment d'avoir dix-huit ans.
Levi sourit tristement.
- Tu as compris. Depuis quelques mois, Auruo parle de faire une école d'histoire. Ses parents lui pourrissent la vie. Ils voulaient qu'il aille dans les sciences. Je pense qu'il partira dès qu'il aura son bac. »
Le trajet en métro permit à Levi de méditer, de manière à classer l'affaire Auruo dans un coin de son esprit et de la laisser de côté pour le moment. Lorsqu'ils descendirent de la rame pour continuer le chemin à pied jusqu'au domicile Jaeger, toute son attention s'était recentrée sur son compagnon. Le fait que son aventure avec Christa fut une affaire classée ne dispensait pas Eren de raconter à Levi ce qui s'était passé et pourquoi il semblait tant redouter la jeune fille. Ce fut donc le sujet de leur conversation alors qu'ils traversaient les rues paisibles de Shiganshina.
Sans grande surprise, lorsqu'il aborda la question, le premier réflexe du jeune homme paniqué fut de plaider sa cause à nouveau.
« - J-je ne sais pas trop ce qui m'est passé par la tête. Je me sentais très seul à ce moment-là, je n'avais plus le droit de sortir à cause de mes agresseurs qui rodaient dehors et je ne parlais presque plus à aucun de mes amis. Christa… elle a su m'approcher de la bonne manière. Elle t'a utilisé, d'ailleurs ! Elle a appuyé là où ça faisait mal, et, et –
Le petit brun interrompit son débit de paroles affolées en levant le bras.
- Eren, je t'ai dit que je ne t'en voulais pas. Je ne compte pas revenir sur mes paroles.
Ils arrivaient au domicile Jaeger, et franchirent le portail avant de grimper les marches du perron.
- Mais j'aimerais quand même savoir ce qu'elle te veut.
- Si seulement je le savais ! s'exaspéra le jeune allemand.
Comme il ne bougeait pas, plongé dans ses pensées, Levi plongea sa main dans la poche de son compagnon et en sortit son trousseau de clés, qu'il utilisa pour ouvrir la porte d'entrée. Il désactiva l'alarme, un Eren songeur sur ses talons, et se pencha pour se déchausser tandis que Caporal débarquait en jappant.
- Je ne saurais pas dire ce qu'elle attend de moi, expliqua Eren en prenant distraitement le chiot dans ses bras. Je n'arrive pas à savoir si elle essaie juste d'attirer mon attention ou si elle a vraiment une idée derrière la tête.
Il alla chercher deux canettes de soda dans la cuisine tandis que Levi s'installait dans le canapé, et lorsqu'il revint, son expression était sérieuse.
- Je pense qu'il faut qu'on s'en tienne très éloigné.
Le jeune allemand prit place à ses côtés et lui tendit l'une des canettes.
- J'ai entendu des choses louches sur son compte, tu sais.
- Comme quoi ?
Lorsqu'Eren lui raconta les mésaventures qu'Armin avait vécues chez les Lenz, et ce que sa camarade de Stohess lui avait rapporté quant à l'existence d'une potentielle sœur aliénée de Christa, Levi sentit sa curiosité s'éveiller. Ainsi, les Lenz avaient des squelettes dans leurs placards ? Qu'est-ce qui pouvait bien pousser Rhodes Lenz à dissimuler un enfant malade ?
- Intéressant…
- Et ce n'est pas tout, poursuivit Eren après quelques gorgées de soda. J'ai aussi appris que le père de Christa aurait eu une maitresse, une certaine Alma qui serait morte dans des circonstances floues. Cette famille, Levi, elle sent le putride. Il y a quelque chose de pas net, je le sais. C'est là, juste sous la surface, il suffirait que je gratte un peu…
- Tu ne vas rien gratter du tout, s'esclaffa-t-il en appuyant son index entre les sourcils de son compagnon, pour le forcer à arrêter de les froncer. Tu vas surtout te tenir très loin de tout ça.
Ce dernier soupira et posa sa canette sur la table basse avant de s'allonger de tout son long, sa tête sur les jambes de Levi. Il croisa ses bras derrière sa tête, et ne parla plus.
Eren est vraiment stressé par cette histoire, songea le petit brun en observant les traits tendus du jeune homme. Depuis combien de temps dure cette mascarade ? Combien de fois cette garce s'est-elle amusée avec lui, pour qu'il en ait peur comme ça ? Il était évident qu'Eren se sentait menacé par Christa, et pas seulement au niveau de leur couple. Il avait du mal à saisir comment la mignonne petite blonde appréciée de tous avait pu intimider à ce point son petit ami, mais ne savait que trop bien que plus le masque était verni, plus ce qui se cachait derrière était hideux. L'espace d'un instant, il pensa à tous les secrets glauques que devait renfermer le manoir Lenz et imagina les cadavres sortir de leurs tombeaux pour ramper à la poursuite du jeune allemand. Cette métaphore lui donna des sueurs froides, et il se jura de faire rempart.
En attendant, pour changer les idées de l'autre garçon, il décida d'aborder un sujet autrement plus réjouissant. Pour attirer son attention, il caressa légèrement ses cheveux ébouriffés. Automatiquement, Eren ferma les yeux et poussa un grognement appréciateur.
- J'ai quelque chose pour toi.
Ce fut comme s'il avait prononcé le mot magique. Aussitôt, les yeux verts se rouvrirent en grand.
- En quel honneur ? demanda le jeune allemand en feignant le désintérêt.
- Et bien. J'ai raté ton anniversaire, et je voulais y remédier.
Eren le dévisagea quelques secondes, en silence.
- Me dis pas que c'est un autre chien. Ma mère t'adore, mais là elle va criser.
Levi s'esclaffa.
- Ce n'est pas un chien.
- Et qu'est-ce c'est, alors ? insista son compagnon en se redressant sur les coudes, tout sourire.
Oubliée la façade nonchalante, le jeune homme avait à présent du mal à contenir sa curiosité.
- Passe-moi mon portefeuille.
Eren plongea sa main dans le sac posé au pied du canapé et en tira l'objet quémandé. Il regarda attentivement son compagnon en tirer deux tickets et les lui tendre. Il reconnut aussitôt deux billets de Shinkansen.
- Où est-ce que tu veux m'emmener ? s'amusa-t-il en les prenant pour les lire. Kobe… Kobe ! Mais c'est loin ! Mais c'est génial ! Levi, ça a dû te coûter une fortune…
Il agrippa la nuque du petit brun et l'attira à lui pour l'embrasser.
- Mais ce n'est pas n'importe quel anniversaire. Ce sont tes dix-huit ans, rappela-t-il en laissant le jeune allemand l'enlacer plus étroitement. Donc je me suis dit – enlève ta main de là, ta mère va rentrer d'une minute à l'autre ! – je me suis dit que ça nous ferait du bien de passer un week-end… tous les deux.
- J'ai hâte d'y être. C'est pour quand ?
- A la fin du mois. Ce sera le printemps, c'est idéal.
Eren émit un grognement approbateur, sans cesser de caresser le flanc de son petit ami par-dessous sa chemise.
- Il y a un problème, par contre.
- Quoi donc ? s'inquiéta Levi ? Tu n'avais rien de prévu, j'ai vérifié avec ta sœur.
- Je suis libre, c'est vrai. Mais je ne pense pas qu'on va me laisse trimballer un mineur à travers le pays, comme ça… Je voudrais pas qu'on me prenne pour un genre de pervers et – »
Levi lui pinça le nez pour le faire taire.
XXX
En ce début de mois d'avril, les semaines à venir s'annonçaient chargées de travail – entre le concours et le début du dernier trimestre avant les examens.
Les élèves de Trost durent résister à l'appel des températures douces et des après-midi ensoleillés apportés par le printemps pour se focaliser plus que jamais sur leurs études. Pour la plupart d'entre eux, c'était la dernière ligne – celle de toutes les réussites, ou de tous les échecs : il leur fallait obtenir des résultats sans fautes pour parachever leur palmarès, commencer dès à présent à se préparer aux examens et en parallèle, courtiser les universités de leur choix. Ce fut d'ailleurs un sujet à propos duquel leurs professeurs se mirent progressivement à les harceler, les exhortant à choisir au moins trois écoles et à tout mettre en œuvre pour être acceptés au sein de l'une d'elles.
Pour Eren, qui n'avait toujours pas la moindre idée des études qu'il souhaitait faire, il s'agissait là d'une épineuse question.
« - Pourquoi tu ne partirais pas en école de commerce ? lui suggéra sa mère, un soir, alors qu'ils préparaient le repas ensemble. C'est une bonne voie !
- En effet, renchérit le jeune homme, concentré sur l'épluchage des légumes. Je dirais même que c'est la meilleure voie, pour mourir d'ennui.
- Mets-y un peu du tien, Eren ! Le temps va finir par te manquer, tu ne pourras pas rester éternellement indécis !
Il se tourna vers sa mère, exaspéré.
- Je sais, je sais ! Pourquoi est-ce que tu ne tyrannises pas plutôt Mikasa avec ça ?! Elle non plus, elle n'a pas choisi ses vœux !
- Oui, mais elle, je sais qu'elle y réfléchit sérieusement…
Eren ne répondit pas et, de colère, s'acharna sur une pomme de terre. Sa mère lui caressa la tête.
- Tu as un bon dossier. Bien meilleur que ce à quoi on aurait pu s'attendre à une époque. Ce qui signifie que tu as le choix. Il n'y a vraiment rien qui t'intéresse ?
- Je ne sais pas… Rien ne m'appelle, je ne me sens à me place nulle part. J'ai besoin d'y réfléchir encore.
Si seulement papa était là, songea le jeune homme en commençant à rincer les légumes. Son père aurait pu avoir un avis d'un caractère moins explosif que le sien et celui de sa mère. Oui, son père l'aurait probablement aiguillé efficacement. Mais il n'était pas là, puisqu'il était à Seoul, pour les affaires. Encore.
Sa mère s'empara des légumes et les mit à cuire, avant de revenir à la charge en utilisant un angle d'attaque différent.
- Et Levi, que veut-il faire, lui ?
- Il va partir en sciences, c'est sûr. C'est un génie. Il hésite entre une faculté de mathématiques et des sciences plus appliquées. Il a déjà reçu des propositions de la part de certaines entreprises, pour se faire financer ses études. Mais je ne suis pas sûr qu'il accepte. Il ne s'est jamais laissé acheter, ça ne va pas commencer maintenant.
Sa mère n'étant pas sa mère pour rien, elle détecta aussitôt la fissure dans ses propos et s'y engouffra.
- Et où sont-elles, ces écoles ?
Eren serra les dents.
- Il y en a une à Tokyo, et d'autres… ailleurs.
Là était une autre question à laquelle Eren tentait de ne pas trop réfléchir. C'était une chose qui le préoccupait depuis qu'il s'était remis avec Levi et qu'on leur parlait d'« après le bac » – la crainte ultime de tous les couples formés pendant le lycée : les chemins qui se séparent. Rien que d'y penser, il sentait commencer à ramper dans son ventre la peur de voir Levi s'éloigner, enchainé et entrainé loin de lui par la promesse d'études prestigieuses. Ils n'en avaient pas encore parlé, et le jeune homme attendait le bon moment pour aborder le sujet.
Son visage dut laisser transparaitre ses pensées, car sa mère mit ses mains sur ses hanches et se campa en face de lui, l'air sévère.
- Eren, il n'est pas question que tu fasses passer ton avenir au second plan pour suivre Levi à tout prix.
Son expression se radoucit.
- Mais je serais également très fâchée si vous deviez être séparés parce que vous n'avez pas réussi à vous parler pour essayer de trouver une solution qui convienne à tout le monde. Plus vite tu sauras ce que tu veux faire, plus vite vous pourrez concilier vos projets. Qui sait, vous ne serez peut-être même pas obligés de vous éloigner l'un de l'autre. Rien ne vous empêche de trouver une bonne école dans la même ville.
Elle se tourna pour vérifier la cuisson du repas.
- Vous pourriez même vous retrouver colocataires ! Ton père et moi, nous avons – »
Mais Eren ne sut jamais ce que ses parents avaient fait puisqu'il n'écouta pas la fin de la phrase, l'esprit entièrement focalisé sur ce que sa mère venait lui dire. Levi et lui, habitant ensemble ? C'était comme un rêve auquel il n'aurait jamais osé croire de lui-même. Et pourtant, elle avait raison. Qu'est-ce qui les empêchait d'envisager sérieusement cette possibilité ? Une chose était sûre : il leur faudrait avoir une conversation à cœur ouvert sur la question, et rapidement. Eren l'avait juré, plus jamais il ne laisserait les non-dits et les mensonges entacher son couple.
En attendant cette discussion cruciale, Eren canalisa son inquiétude en s'autorisant à passer la soirée à rêver la parfaite vie domestique avec Levi.
XXX
Pendant qu'Eren et ses camarades de Trost réfléchissaient à leur futur proche et aux meilleures décisions à prendre, il en allait bien autrement d'Armin.
De son côté, le petit blond construisait son propre avenir à bien plus court terme, jonglant dans un équilibre précaire entre sa vie au foyer, le lycée de Stohess et tout ce qui l'attendait après cela. Son quotidien au centre d'accueil ne lui posait plus de réelles difficultés. Bien qu'il lui tardât de le quitter, il avait réussi à se faire respecter suffisamment – et à se montrer assez discret – pour qu'on le laissât en paix. Quelques jours auparavant, il avait discuté avec l'assistante chargée de son cas. Celle-ci lui avait promis si tout se passait bien pour lui pendant un mois supplémentaire, il pourrait passer les week-ends chez les Jaeger. Il se gardait donc de causer le moindre remous.
Quant à ses études, son dossier scolaire était sauvé de par le fait qu'il n'avait jamais eu besoin de professeurs pour assurer sa propre éducation. Aussi longtemps qu'il aurait accès à une bibliothèque, il savait qu'il s'en sortirait. Son avenir semblait malheureusement plus incertain : sans un diplôme de l'institut Trost à faire miroiter ni même une victoire au Concours des Vocations Naissantes – car il fallait l'avouer, il devait être le seul de ce lycée à s'y intéresser, il ne pourrait jamais prétendre à une université de renom. Il allait lui falloir rapidement trouver une issue à cette situation, sous peine de se retrouver engagé sur une très mauvaise pente.
Et pourtant, ce problème était pour l'heure le cadet de ses soucis.
En effet, lors de leur dernière rencontre, Armin n'avait pas été complètement honnête avec Eren et Mikasa. Car s'il souffrait réellement de solitude et d'être tenu à l'écart de ses amis, Armin était en vérité inquiet pour une toute autre raison.
Depuis quelques temps, il avait comme le sentiment d'être surveillé.
Ce n'était qu'une impression qui se basait sur de minuscules détails, si bien qu'il n'était pas vraiment certain de ce qu'il avançait. Mais à plusieurs reprises, il lui avait semblé croiser, dans un lieu public, des personnes déjà aperçues ailleurs. Comme s'il était espionné. Parfois, une voiture ralentissait sans raison à son niveau, dans la rue. Une fois, il lui avait semblé que quelqu'un l'attendait devant la tombe de son grand père à laquelle il était allé rendre visite. Il avait fini par supposer que la personne était simplement venue se recueillir aussi. Quelques soirs auparavant, au foyer, il avait découvert que quelqu'un avait essayé de forcer le casier verrouillé qui se trouvait dans sa chambre. Il ne s'en était pas affolé plus que cela : cela aurait pu simplement être un autre élève qui aurait forcé sa serrure pour chercher de l'argent, sans se douter qu'il cachait ses économies liquides à l'intérieur d'une fausse multiprise trafiquée par ses soins.
Mais cela constituait un détail gênant supplémentaire. Et chaque nouveau signe potentiel retenait davantage son attention. Et depuis quelques jours, c'était devenu plus flagrant : pour la première fois depuis qu'il avait commencé à se poser des questions, il était convaincu d'avoir été suivi, alors qu'il se rendait à Trost pour y voir ses amis.
Mais pourquoi diable Armin serait-il suivi, était-on en droit de se demander. Le petit brun devait bien avouer qu'il l'avait cherché. Car depuis quelques temps, Armin fouinait.
L'affaire de la mystérieuse jeune fille aperçue chez les Lenz, l'étrange comportement de Christa et le double jeu de Reiner et Berthold étaient autant d'intrigues qui le taraudaient. Il sentait que la vérité n'était pas très loin, seulement enfouie. Tout avait probablement un rapport, et une révélation en entrainerait une autre. Il suffisait de creuser un peu. Alors Armin avait creusé.
Il avait posé beaucoup de questions à Hitch, tenté d'aiguiller leurs conversations sur la famille Lenz et sur ses deux vieux amis. Elle avait l'air de tout savoir sur tout le monde, il y aurait forcément quelques miettes d'informations supplémentaires, minces mais cruciales, qu'il finirait par lui tirer sans qu'elle n'y prêtât attention. Il essayait également, aussi discrètement que possible, d'interroger d'autres de ses camarades qui avait connu les deux Quarterback.
Jusque-là, non seulement il n'avait obtenu aucune information valable, hormis la confirmation de ce qu'il savait déjà, mais il avait également, de toute évidence, provoqué la méfiance de ses pairs et attiré les soupçons sur lui.
Le jeune homme devait le reconnaitre, il se sentait particulièrement concerné par la jeune personne malade qu'il avait vue chez les Lenz, et qui était peut-être victime de maltraitance : il était faible et peureux, mais il ne serait pas dit de lui qu'il avait laissé quelqu'un dans un tel bourbier sans avoir tenté de l'aider. Alors il avait mené l'enquête de ce côté-là aussi, comme il pouvait, surveillant les allées et venues de Christa en dehors des cours et guettant les voitures qui sortaient du domaine Lenz.
Mais Armin avait trop creusé, et se demandait s'il n'avait pas fini par attirer l'attention. Et à présent, voilà qu'il se retrouvait à guetter les potentiels prédateurs qui rôdaient autour de lui. Il ne les avait pas vu venir. S'ils étaient bien là, alors ils s'étaient rapprochés de lui lentement, progressivement, alarmés au fur et à mesure qu'il fouillait dans leurs affaires.
Le petit blond ne savait pas vraiment ce qu'il devait faire. A vrai dire, il préférait ne pas trop y penser. Car quoi qu'il en fût, il ne pouvait plus s'arrêter. S'il arrivait à détecter la présence des individus qui le guettaient, cela signifiait qu'il était déjà trop tard.
Alors autant aller jusqu'au bout.
XXX
Ces derniers jours, Levi avait beaucoup réfléchi à la manière de gérer le cas épineux de Christa.
Malgré l'insistance d'Eren à lui assurer que tout allait bien et qu'il gérait la situation, il n'avait pas l'intention de rester sans réagir – ne fut-ce question que de faire entendre ce qu'il en pensait.
Il avait songé à une contre-attaque assez agressive : faire courir de fausses rumeurs sur Christa, la mettre dans une situation embarrassante, obtenir à son sujet des informations sensibles… en d'autres termes, utiliser ses armes contre elles. Mais à ce stade, cela eut été risquée : la jeune fille, en plus d'être à moitié folle, imprévisible et de ne reculer devant rien, était visiblement bien protégée. Qui sait ce qui lui tomberait dessus et quels risques il courait s'il s'en prenait concrètement à elle.
Mieux valait s'abstenir.
Mais Levi n'avait jamais eu beaucoup de self contrôle lorsqu'Eren était en jeu, aussi ne parvint-il pas à se retenir de formuler…. une mise en garde.
Cela se produisit lors d'un après-midi consacré à l'avancée du projet qui serait présenté au concours. Ce genre d'atelier se faisait de plus en plus fréquent au fil des semaines, en particulier depuis qu'ils avaient enfin une idée – la maquette ayant été validée à l'unanimité – de la forme qu'ils pourraient donner à leur travail. Ils en étaient encore au stade de la conception, et en cet après-midi pluvieux, tout le monde travaillait sur les plans de la maquette. Levi s'était chargé avec Marco d'effectuer le dessin final des plans : il s'occupait des mesures précises et des détails minutieux tandis que son coéquipier gérait l'aspect artistique. Il travaillait vite et avec efficacité, tout en surveillant sa cible du coin de l'œil. Il n'allait pas tenter quelque chose sans que Christa l'y eut poussé. Il lui fallait attendre qu'elle tentât d'approcher Eren. Et elle le ferait, il le savait. Le jeune allemand la fuyait comme la peste et se raidissait comme un poteau dès qu'elle s'approchait de lui. C'était trop facile, et trop tentant pour un charognard comme elle.
Les heures passèrent, sans initiative de la part de la jeune fille. Elle resta sagement dans son coin, à travailler la rédaction du concept avec Sasha. Elle semblait absorbée par sa tâche et échangeait régulièrement quelques idées et plaisanteries avec sa compagne, si bien que Levi commença à se résigner : il ne se passerait rien ce jour-là. Elle paraissait prendre sa mission très au sérieux, et peut-être valait-il mieux qu'il en fît de même : ce n'était pas le travail qui manquait, et les semaines filaient comme des étoiles.
Puis, finalement, à peu près trente minutes avant la fin des cours, Eren s'éclipsa pour se rendre aux toilettes. Et quelques secondes plus tard, Christa sortit de la pièce à son tour. Levi n'hésita pas. Profitant de l'inattention des autres, il se glissa hors de la salle et suivit discrètement la jeune fille le long du couloir. Elle marchait d'une allure tranquille, fredonnant à tue-tête. Elle aurait pu se rendre simplement aux toilettes, par simple coïncidence, mais lorsqu'elle arriva devant les sanitaires des garçons, Reiner et Berthold semblaient l'y attendre. Elle y entra, rejoignant probablement Eren qui devait se trouver à l'intérieur. Les deux garçons avisèrent immédiatement Levi qui s'approchait à son tour, et se campèrent devant la porte, sur leurs gardes.
« - Qu'est-ce que vous croyez être en train de faire ? leur lança-t-il en s'arrêtant face à eux, l'air nonchalant.
Reiner afficha un sourire surpris et croisa les bras.
- Et bien, je pense qu'on est tous ici pour la même chose, s'esclaffa-t-il en désignant la porte des toilettes. Y a un problème, Ackerman ?
Sous le ton du bon copain sympathique, la provocation ressortait d'autant plus. L'espace de quelques secondes, Levi se demanda pourquoi Reiner ne semblait pas dérangé par le fait que sa petite amie en ait après un autre garçon. Le manipulait-elle si facilement ?
- Ouais, y a un problème.
- Ah, merde.
- Le truc, tu vois, c'est que j'ai l'impression que toi, ton pote Hoover et Lenz ici présente qui te tient en laisse comme un chien, vous êtes venus emmerder Eren. Et quand on emmerde Eren, ça a tendance à me foutre de mauvaise humeur.
Le grand blond souriait toujours, mais son expression se fit brusquement plus tendue. Il ne s'était sûrement pas attendu à ce que Levi l'attaquât de front. A côté de lui, Berthold le dévisageait comme s'il était une bête sauvage prête à lui sauter à la gorge. Et effectivement, Levi réfléchissait déjà à la manière la plus efficace de mettre ses deux opposants au tapis. Chaque seconde qu'il perdait était un délai que Christa mettait à profit pour s'amuser avec Eren.
Puis, soudain, les faux semblants tombèrent.
- Et qu'est-ce que tu comptes faire à propos de ça, mon ami ? l'interrogea Reiner. Je veux bien croire que t'es un dur à cuire, mais je pense pas que tu nous aies bien regardés, Berthold et moi. Je te conseille de le prendre avec plus de philosophie, parce que t'es tout seul.
- Non, il est pas tout seul.
Les trois garçons se retournèrent d'un seul mouvement pour aviser Annie, qui venait d'apparaitre à l'angle du couloir. Elle affichait le même air parfaitement indifférent au reste du monde que celui qu'elle arborait d'ordinaire, si bien que Levi ne fut pas immédiatement certain que ce fût elle qui avait parlé, mais elle s'approcha sans hésitation pour se camper à côté de lui, sans lui accorder un regard. En la voyant s'approcher, Berthold eut soudain l'air beaucoup plus nerveux.
Contre toute attente, Reiner éclata de rire.
- La bonne blague, s'exclama-t-il en tendant les bras vers la jeune fille, comme s'il peinait à y croire. Alors c'est pas une blague, tu es vraiment devenue baby-sitter ! Je peux pas le croire…
Tout le monde attendait une réplique cinglante d'Annie, mais personne n'anticipa le grand coup de pied qu'elle envoya dans l'entre-jambe de Reiner, à la vitesse de l'éclair. Le garçon se coucha au sol, le souffle coupé de douleur. En l'espace de quelques secondes, l'intégralité de sa tête vira au rouge cramoisi. Levi aurait presque pu avoir pitié. Presque.
- Pe-petite garce… vociféra Reiner avec difficulté.
Tremblant, il se redressa sur ses genoux sans lâcher son adversaire de son regard meurtrier.
- Dégagez, ordonna froidement Annie.
Si le garçon au sol ne semblait pas avoir dit son dernier mot, Berthold, qui s'était plaqué contre un mur, ne se le fit pas dire deux fois. Il aida son compagnon à se redresser et, en dépit de ses protestations, ils s'éclipsèrent sans demander leur reste, non sans un dernier geste grossier de la part du grand blond à l'attention de la jeune fille.
- Tu n'as pas peur des représailles ? ne put-il s'empêcher de lui demander.
- Les représailles de qui ? De ces bouffons ? Ne me fais pas rire.
Ce fut ce moment que choisit Eren pour sortir en trombe des toilettes, l'air aussi furieux qu'effrayé. Sa chemise était légèrement débraillée et il y avait une trace de rouge à lèvre sur le col. Il tomba nez à nez avec ses deux amis, et réajusta promptement ses vêtements pour se donner contenance.
Annie le regarda d'un air consterné.
- Tu n'es sérieusement pas capable de te défendre contre ce petit bout de fille de cinquante kilos, Eren ?
- Et qu'est-ce que tu veux que je fasse, que je la cogne ? répliqua le jeune allemand en jetant son sac en travers de son épaule. Arrête un peu.
- Elle n'a pas tort, renchérit Levi d'un ton agacé – et cela n'avait naturellement rien à voir avec la trace de rouge à lèvres. On dirait qu'elle te fait peur.
Son compagnon s'éloigna dans le couloir et il lui emboita le pas, aussitôt suivi par Annie. Décidément, il allait de surprises en surprises.
- C'est son dérangement mental qui me fait peur ! Puisque je vous dis que je comprends pas ce qu'elle me veut.
- Peut-être que ça l'amuse, parce que tu réagis exactement comme elle l'attend ? suggéra la jeune fille.
- Je ne crois pas que ça soit ça.
Levi, lui, avait une autre interrogation en tête.
- Pourquoi est-ce que tu es venue m'aider ? lui demanda-t-il. Qu'est-ce que toute cette histoire peut te faire ?
Annie se contenta de hausser les épaules.
- Faut croire que Reiner a raison. Je suis vraiment devenue baby-sitter.
Eren étouffa une exclamation indignée, et Levi s'esclaffa d'incrédulité. Qu'était-il arrivé à Annie Leonhardt, l'entité la plus impitoyable de Trost ? Il connaissait des individus à Stohess auraient payé cher pour voir ça. Annie Leonhardt adoucie. Annie Leonhardt humaine. Son interlocutrice dut deviner la nature de ses pensées, car le bleu de ses yeux se fit aussitôt plus tranchant.
- Je te conseille de pas te marrer, Ackerman, le menaça-t-elle d'une voix doucereuse. Tu devrais plutôt me remercier. Je te ferai savoir que tout ça a commencé parce que j'ai ramassé derrière toi, et que c'était pas beau à voir. »
Le petit brun ne répondit pas, ignorant ce à quoi elle faisait référence. Jusque-là, il n'avait pas réalisé à quel point la relation entre Eren et Annie avait évolué durant son absence, passant d'une hostilité réciproque à cette étrange amitié. Cette métamorphose avait-elle un rapport avec Armin, ou avait-elle un tout autre point de départ ? Comment ces deux caractères explosifs avaient-ils trouvé le moyen de s'apprivoiser et quel genre de rapport entretenaient-ils ? Il se promit d'interroger son petit ami à ce sujet dès qu'il en aurait l'occasion.
Mais pour le moment, il préféra profiter de la réaction offensée d'Eren qui se lança à son tour dans une joute verbale pour réfléchir de son côté à ce qui venait de se produire. Il ne faisait désormais plus aucun doute que Reiner et Berthold représentaient une menace qu'il allait falloir tenir à l'œil. Lui-même s'était toujours méfié des deux quarterback du fait de leur lien avec Stohess et certaines de ces vieilles connaissances, mais à présent, ils étaient des ennemis déclarés qui avaient pris pour cible ce qui lui était cher. Il allait donc devoir rester sur ses gardes, et se montrer impitoyable.
Il avait également la preuve d'une chose : Reiner et Berthold n'étaient pas seulement liés à Christa par une simple amitié. Ils étaient rattachés à la famille Lenz à un degré beaucoup plus élevé, et quelque fut les affaires louches que tramait Rhodes Lenz, cela signifiait que les deux garçons y étaient impliqués, d'une manière ou d'une autre.
Et si Levi, en temps normal, se serait éperdument moqué de ce que ces gens manigançaient dans leur coin, la question qui le taraudait était la suivante : que voulaient-ils à Eren ?
XXX
« - Tu es sûr que tu n'as rien oublié ?
- Certain.
- Tu as pris ton chargeur de portable ?
- Je l'ai.
- Ton billet de train ?
- Evidemment.
- Ta carte bleue ?
- Yes.
- Est-ce que tu as pensé à prendre quelques préservatifs ?
Eren, occupé à faire une dernière fois le tour de sa chambre, vira instantanément au rouge cramoisi.
- Puisque je te dis que j'ai pris tout ce qui me fallait ! s'énerva-t-il en agitant les bras de façon exagérée. Tu vas finir par me mettre en retard !
Mikasa, amusée, le regarda rassembler le reste de ses affaires avant de fourrer le tout dans un sac à dos.
- C'est la première fois que je te vois content de te lever si tôt un samedi.
Son frère jeta le sac sur son épaule et sortit de la pièce.
- Un week-end à Kobe avec Levi vaut tous les sacrifices du monde.
Puis il fit une brève pause en haut des escaliers, et se tourna vers la jeune fille.
- Ne lui dis pas que j'ai dit ça. Il va se mettre à exiger des choses déraisonnables.
Au rez-de-chaussée, leur mère attendait déjà, encore vêtue de sa robe de chambre.
- Tu as pensé à tout ?
- Oui, oui, j'ai eu droit à un inventaire complet, merci.
Sourde à sa réflexion, elle entreprit tout de même de sillonner le salon pour s'assurer que son fils n'oubliait aucun objet qui se révèlerait indispensable à sa survie lors de son voyage. Bon gré, mal gré, Eren procéda lui aussi à quelques vérifications de dernière minute. Ce n'était jamais que la troisième fois.
Lorsque tout le monde fut pleinement rassuré, il retrouva les deux femmes sous le porche. Leur père dormait encore – fait exceptionnel – et personne n'avait eu le cœur de le réveiller. Caporal, quant à lui, se tenait campé aux pieds de Carla dans une posture alerte. Les absences d'Eren étaient toujours pour lui une source de stress. Le jeune homme se pencha pour le caresser, puis se tourna vers sa mère. Celle-ci l'observait, les yeux illuminés.
- Tu grandis si vite… déplora-t-elle d'une voix émue. Je n'arrive pas à croire que tu pars en week-end avec ton amoureux…
Un frisson dégoûté remonta le long de la nuque du jeune allemand.
- Je t'en supplie, n'appelle pas ça comme ça… C'est vraiment trop niais.
- C'est une blague ? se moqua Mikasa. Tu as littéralement compté les jours.
- Et c'était tellement long ! s'exclama Eren en abandonnant tout faux semblant. J'ai cru que ce week-end n'arriverait jamais, merde !
- Langage…
- Ça va vous faire le plus grand bien, déclara Carla en lui ébouriffant les cheveux. Vous l'avez bien mérité, tous les deux.
Eren adressa un sourire à sa mère : elle avait entièrement raison. Ces deux jours en tête à tête leur permettraient autant de se reposer que de consolider leur intimité renaissante, éprouvée par toutes les mésaventures de ces derniers temps. Entre les fresques de Christa, les malheurs d'Auruo et les aléas de leur quotidien, ils n'avaient pas pu se rapprocher autant qu'il l'aurait fallu depuis leur réconciliation. Il était grand temps pour eux de prendre soin de leur relation. Rien que de penser à ce qui les attendait, Eren sentait l'excitation papillonner dans son estomac.
Le jeune homme jeta un regard à son téléphone.
- Mesdames, je dois vous quitter. Levi m'attend à la gare, et si je suis à la bourre, il va me dépecer.
Sur ces mots, il étreignit brièvement sa mère, embrassa sa sœur sur la joue et dévala les escaliers jusqu'au portillon.
- Faites bien attention ! lança Carla.
- On se détend, on garde à l'esprit que je pars à trois heures de Tokyo, pas sur un autre continent ! lui cria-t-il en retour.
- Amusez-vous bien !
- Compte sur nous !
Alors qu'il s'éloignait dans la rue, il entendit sa mère dire à sa sœur :
- Toi aussi, tu devrais partir en voyage avec ton amoureux. D'ailleurs, tu nous le ramènes quand ? »
Il lui suffit d'imaginer la tête que devait faire Mikasa pour réprimer un éclat de rire.
Malgré l'heure matinale, la gare de Tokyo fourmillait déjà de monde : touristes et hommes d'affaires s'entrecroisaient dans les longs couloirs pour rejoindre leur plateforme, et le bruit était assourdissant. Eren rejoignit rapidement le quai réservé au Shinkansen pour lequel Levi leur avait réservé leurs places. Il était déjà sur place, et lorsqu'il grimpa à bord, la majorité des sièges étaient déjà occupés. Le jeune allemand traversa quelques voitures, puis finit par apercevoir Levi, assis au fond d'un wagon. En le repérant, le petit brun lui fit un signe discret de la main. Il le rejoignit aussitôt, radieux.
« - Content de voir que tu ne m'as pas posé de lapin, le taquina Levi tandis qu'il prenait place à côté de lui.
Ses yeux étaient illuminés, et son visage ouvert. Il était heureux. Cela toucha Eren droit au cœur.
Qu'est-ce que je suis niais, songea le jeune allemand en son for intérieur.
- Désolé. J'ai fait un détour pour proposer à Christa de venir, mais elle avait pas l'air emballée.
- Et merde. Maintenant, tu vas devoir passer quarante-huit heures seul avec moi.
- Quel enfer, ronronna Eren en se penchant pour l'embrasser.
- Tu as été prudent sur la route ? demanda son compagnon, contre ses lèvres. Tu es sûr que personne ne t'a suivi ?
- Certain. Ne commence pas.
Lorsqu'il se redressa, l'alarme de sécurité retentit et les portes du train se fermèrent. A ce son, Levi poussa un soupir puis ferma brièvement les yeux.
- Un week-end entier loin de tout ce bordel. On va pouvoir souffler un peu.
Eren s'enfonça dans son siège et saisit discrètement la main de son petit ami, tandis que le train démarrait. Autour d'eux, les autres passagers du wagon vaquaient à leurs occupations : certains dormaient déjà, d'autres mangeaient. Devant eux, il entrevit un couple très âgé dont le mari lisait le journal. Sur sa droite, de l'autre côté du couloir, une mère montrait à sa petite fille le paysage qui défilait. Ce serait un trajet paisible. Dehors, le ciel radieux célébrait le cœur du printemps et promettait un voyage idéal. Et à côté de lui, Levi vérifiait qu'il n'avait rien oublié. Les sourcils froncés, le regard focalisé, il passait en revue le contenu de son sac. La chemise flanelle à carreaux bleus qu'il portait changeait de son style habituel et adoucissait son allure. Il avait retroussé les manches jusqu'aux coudes, et elle était juste un tout petit peu trop grande pour lui.
Il n'y avait rien dans cette scène qui ne fut pas absolument parfait aux yeux d'Eren.
- Levi, appela-t-il doucement.
- Mmh ?
- Merci. »
La main du petit brun serra davantage la sienne.
Le trajet de trois heures fila comme une étoile. Les deux garçons tuèrent la première heure en discutant et en planifiant leur séjour, puis Eren sortit son ordinateur portable et parvint à convaincre Levi de regarder une série B avec lui. Ce dernier fit de considérables efforts pour s'y intéresser mais, dès qu'ils eurent dépassé Nagoya, il tomba endormi contre l'épaule d'Eren pour ne se réveiller que lorsque le train atteignit Kyoto. Lorsqu'ils entrèrent en gare de Kobe, le jeune allemand ne tenait plus en place.
« - Je veux voir chaque centimètre carré de cette ville et rester collé à toi vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J'espère que t'es prêt, ça va être sportif.
- Calme toi, s'amusa Levi en repliant la carte qu'il était en train d'examiner. On va d'abord poser nos affaires à l'hôtel. »
Sans surprise, la chambre d'hôtel que le petit brun avait réservé pour leur nuit sur place était une élégante suite dotée d'un balcon donnant sur le port et sur le Meriken Park. Levi laissa à son compagnon quelques minutes pour s'extasier devant le luxueux établissement avant de l'entrainer à la découverte de la ville.
Au sein de son entourage et selon l'opinion générale, Eren n'avait toujours entendu que du bien de Kobe. Son père s'y rendait régulièrement pour les affaires et beaucoup de ses amis y avaient déjà fait du tourisme. A présent qu'il la découvrait de ses propres yeux, il ne pouvait qu'aller dans leur sens : Kobe était élégante et singulière, différente des autres villes qu'il avait pu visiter. On y flairait les stigmates d'un lourd passé, mais il y vit des choses qu'il n'avait jamais trouvées ailleurs au Japon.
Après une balade matinale dans le quartier chinois et dans le centre-ville, ils firent une pause pour déjeuner dans une petite échoppe qui proposait du bœuf Wagyu grillé. Ensuite, à l'issue d'une bataille sans merci pour obtenir le droit de payer l'addition – qui fut remportée par Eren – Levi l'entraina plus au nord de la ville. Il y avait là-bas un quartier historique autrefois peuplé de diplomates occidentaux : Kitano, réputé pour ses grandes bâtisses d'expatriés européens. Lorsque Eren et Levi arrivèrent sur place, l'endroit grouillait de touristes venus visiter les illustres demeures. Sur le podium, les demeures Weathercock et Moegi étaient prises d'assaut. Ils décidèrent de suivre le mouvement.
La maison Weathercock était une splendide bâtisse de style germanique, toute en briques et en bois. Son intérieur se composait d'une succession de pièces richement décorées, à mi-chemin entre un musée et une exposition de souvenirs familiaux.
« - J'ai pensé que tu aimerais voir celle-ci, glissa Levi à son compagnon tandis qu'ils déambulaient dans la salle à manger.
La pièce croulait sous les boiseries et le mobilier ancien. Devant eux, un couple de chinois mitraillait le moindre objet qui se présentait.
- Pourquoi ? le taquina Eren. Tu veux qu'on achète ?
Le petit brun s'esclaffa puis s'arrêta devant un portrait de famille exposé sur un buffet massif.
- C'était la maison d'un notable allemand, expliqua-t-il avant de se tourner vers son petit ami. Je ne t'ai jamais demandé si tu avais déjà été en Allemagne.
- Tu veux dire, à part pendant les trois premières années de ma vie ?
Suivant le sens de la visite, ils atteignirent les escaliers et grimpèrent à l'étage. Ce faisant, le jeune allemand se rendit compte que c'était la première fois qu'il évoquait son enfance avec Levi. Jusqu'à présent, il avait surtout eu tendance à se focaliser sur celle de petit brun : bien plus mouvementée et riches en anecdotes prenantes. Les jeunes années d'Eren, elles, étaient lumineuses, lisses et sans vagues. Une enfance de progéniture de riches expatriés, sans rien de notable à raconter en dehors de l'histoire de l'adoption de Mikasa, que Levi connaissait déjà par cœur.
- J'ai toujours vécu à Tokyo à partir du moment où mes parents y ont emménagé. On est retourné en Allemagne une paire de fois, en vacances, mais c'est tout. Et c'était il y a longtemps.
- Ça te manque ?
- Je n'en ai pas vraiment de souvenir, donc ça ne peut pas me manquer.
Ils traversèrent un petit salon élégamment décoré, puis Eren ajouta :
- Mais je crois qu'à l'occasion, j'aimerais y retourner. Après tout, je suis né là-bas. Et puis, il y a ma famille.
- Vraiment ? Tu n'en parles pas souvent.
Le jeune allemand haussa les épaules.
- C'est de la famille de ma mère. Ils sont déjà venus, quelques fois, mais on n'est pas spécialement proche. Dans ma tête, ils ne sont rien de plus que des connaissances. J'ai déjà toute ma famille ici. Mes parents, ma sœur, Armin et toi. Je n'ai besoin de personne d'autre.
Il ne réalisa ce qu'il venait de dire qu'après que les mots fussent sortis de sa bouche, et réprima un léger rougissement. Même s'il pensait chacune de ses paroles, il n'avait pas eu l'intention de cracher le morceau de façon aussi frontale. Certes, il avait la ferme intention d'aborder la question de leur avenir durant ce week-end, mais une approche trop directe risquait de faire fuir son compagnon. Levi, malgré tout le chemin parcouru, restait Levi.
- Ça te choque ? demanda-t-il, l'air de rien, pour s'assurer que son ami n'était pas effarouché.
- Tu rigoles ? Tu as vu ma famille à moi ?
Eren acquiesça, presque déçu que Levi ne relevât pas sa réflexion. Pourtant, il faudrait bien qu'ils abordent le sujet.
- Viens, j'ai envie de voir à quoi ressemble la salle de bains. Après, on ira visiter la maison française, d'accord ? »
Visiter les demeures principales de Kitano leur prit le reste de l'après-midi. En sortant de la villa Moeji – le manoir américain -, le temps s'était brusquement rafraichi et ils avaient presque froid. Néanmoins, Eren insista pour qu'ils se prennent en photo en compagnie de chacune des statues de musiciens disséminées dans le quartier.
« - J'ai l'air ridicule, commenta Levi alors que le jeune allemand le prenait en photos assis à côté d'un joueur de saxophone.
- Non, tu as juste l'air d'un être humain normal qui se fait photographier pendant ses vacances, comme les centaines d'autres touristes qui viennent ici chaque jour.
- C'est bien ce que je dis.
Malgré tout, Eren obtint gain de cause et ils repartirent de Kitano avec une superbe collection de photos compromettantes de Levi. La nuit avait commencé à tomber, et ils firent un arrêt dans un konbini pour s'acheter de quoi dîner dans leur chambre.
- J'espère que ça te va, s'enquit Eren. Je suis vraiment trop crevé pour un restau.
- C'est parfait. Assez de bain de foule pour aujourd'hui. »
Une fois arrivés à l'hôtel, les deux garçons filèrent dans leur chambre y déposer leur butin. Ensuite, après un passage au bref passage aux bains publics durant lequel Eren se fit cruellement rabrouer dans ses innocentes tentatives de flirt – « pas ici, t'es dingue !? » - le couple retourna dans sa suite où le jeune allemand appela sa mère pendant que Levi préparait leur repas.
« - Elle est incroyable, commenta-t-il en revenant de sur le balcon, une fois la conversation terminée. Quelques heures sans messages et elle s'imagine qu'on s'est fait kidnapper. Pas étonnant que vous vous entendiez si bien.
Levi occupé à disposer les différents plats sur la table, leva les yeux au ciel.
- Difficile de la blâmer. Tu attires les situations foireuses comme un aimant.
- Je te signale que tu n'es pas beaucoup mieux, en fin de compte. Merci, ajouta-t-il en prenant place à table. Elle s'inquiète pour toi aussi, tu sais.
L'ombre d'un sourire se dessina sur les lèvres de son compagnon. Parfait, songea Eren. La voie semblait libre pour aborder les questions importantes.
- Elle ne devrait pas.
- C'est trop tard, maintenant. Elle t'a adopté, se moqua-t-il en se servant des gyozas. Elle me demande toujours des trucs improbables à ton sujet. Tes résultats aux examens, si tu manges assez le midi… L'autre jour, on a parlé des études. Elle voulait absolument savoir ce que tu comptais faire après le bac.
Aussitôt, le visage de Levi se figea, l'alertant. Laisser transparaitre la charge émotionnelle que transportait ce sujet lui parut risqué. Il décida de jouer la carte de l'insouciance.
- Je lui ai dit que c'était pas franchement le genre de sujet qu'on abordait et qu'on avait d'autres préoccupations, mais elle voulait pas lâcher le morceau…
- Eren.
- Franchement, comme si on avait la moindre idée de –
- Eren ! le coupa brusquement Levi.
Eren releva la tête vers lui, surpris.
- Oui ?
C'est à ce moment-là qu'il s'aperçut que son petit ami paraissait nerveux, voire fébrile. Alors qu'il allait l'interroger, celui-ci le devança :
- Il faut qu'on parle.
Aussi, Eren sentit sa gorge s'assécher et déglutit avec difficulté. N'importe qui ayant déjà vécu une relation de couple connaissait la toute puissante dangerosité du mot « parler » et de tout ce qu'il pouvait impliquer. Lui-même le redoutait d'autant plus, au vu de leurs antécédents. D'accord, songea-t-il. Ça va bien se passer. Tu n'es pas sur le point de te faire larguer une deuxième fois.
- Parler de quoi ? finit-il par demander, d'une voix blanche.
- De ça. Il faut qu'on parle de ce qui va se passer après le bac. De nous.
- D'accord, répondit bêtement le jeune allemand.
Il y eut un instant de lourd silence durant lequel chacun des deux garçons semblait attendre que l'autre eût le courage de prendre la parole, puis Eren ajouta :
- Pourquoi ?
Levi sembla très embêté par sa question. Il s'agita et ouvrit plusieurs fois la bouche avant de s'interrompre.
- Parce que j'en ai besoin, déclara-t-il soudain.
Ils se dévisagèrent, aussi choqué l'un que l'autre. Lentement, le petit brun posa ses baguettes et se leva de table pour commencer à faire les cent pas.
- J'en ai besoin, répéta-t-il avec concentration, comme s'il découvrait ses sentiments au fur et à mesure qu'il parlait. Parce que je suis inquiet. Parce que je ne veux pas te perdre. Donc j'ai besoin d'en parler. Je veux connaitre ta vision des choses.
Son analyse terminée, il se stoppa et se tourna vers son compagnon.
- Si tu veux bien, évidemment ! ajouta-t-il précipitamment.
- Bien sûr, répondit Eren du tac-au-tac.
Un nouvel ange passa. Ils faisaient peine à voir. Ils ressemblaient à deux handicapés des émotions. A ça près que Levi en était réellement un, et qu'Eren devait encore apprendre à le gérer.
Le jeune allemand réprima un sourire. Ils apprenaient tous les deux. Ils étaient sur la bonne voie.
- Toi qui veux parler ? Plutôt mourir que de rater ça ! ajouta-t-il pour détendre l'atmosphère.
Leur repas à peine touché abandonné sur la table, les deux jeunes hommes s'installèrent sur le lit, assis face à face en tailleur. Eren tira sur la ceinture de son peignoir pour l'ajuster.
- Ça fait un moment que j'y pense, avoua son compagnon. J'aimerais qu'on se mette au clair sur nos projets et sur nos choix d'université. Il n'est pas question de faire passer nos envies avant nos études, mais si on arrivait à accorder nos violons… Ce serait bien.
- Tu es tellement en phase avec ma mère, s'extasia Eren, c'est incroyable.
Levi esquissa un sourire, mais le cœur n'y était pas.
- On en a déjà parlé, mais j'ai reçu des propositions de plusieurs universités à Nagoya et Kyoto. Mais ça ne m'intéresse pas vraiment. A vrai dire, je vise l'école d'ingénieurs de l'université d'Osaka. C'est une bonne école et leur programme est pile ce que je recherche.
Le jeune homme se passa la main dans les cheveux, gêné.
- L'université d'Osaka a une excellente réputation. On peut y suivre pas mal de filière, donc je me suis dit que ça pourrait te convenir aussi. Même si je sais que tu n'as pas la moindre foutue idée de ce que tu comptes faire comme études…
Eren poussa un soupir et s'allongea.
- Trop en phase avec ma mère, Levi. Trop en phase avec ma mère.
- Tu devrais te pencher sur la question…
- Je ne fais que ça, me pencher sur la question ! Mais ça va pas se faire en une semaine, d'accord ? Alors de l'air !
Levi le regarda, surpris. Bien joué, abruti, se sermonna Eren.
- Je suis désolé, je –
- Oui, j'ai compris. Ta mère est passée avant moi.
Le jeune allemand tendit le bras et lui caressa affectueusement la jambe.
- Puisque l'université d'Osaka est si géniale que ça, j'y trouverai bien un cursus pour moi. Et puis c'est pas la seule école d'Osaka. Te bile pas trop, ok ?
Mais le petit brun secoua la tête, l'air préoccupé.
- Et si on n'y arrivait pas ? Si tu finissais à Fukuoka et moi à Nagoya ?
- Tu crois que traverser la moitié du pays va te sauver ? le menaça Eren. Que nenni. Tu ne m'échapperas pas.
D'un coup sec, il tira sur le bras de son petit ami, qui tomba allongé sur lui et croisa les bras sur son torse.
- Je pense qu'on arriverait à gérer une relation à distance, supposa Levi. Ce serait, dur, mais on y arriverait.
Comme cela sentait fort l'auto-persuasion, Eren décida de dissiper ses derniers doutes. Son compagnon avait fait des efforts dantesques ce soir, à lui de prendre la relève. Il était temps de lui exposer sa véritable vision des choses.
- Comme tu le sais, je suis pas le gars le plus stressé de la Terre par sa future carrière. Contrairement à d'autres, ça ne m'obsède pas jour et nuit.
Le petit brun se contenta de lui jeter un regard blasé.
- Levi, je dis ça sérieusement. Ma vie personnelle est aussi importante que ma vie professionnelle. Ecoute, tenta-t-il d'expliquer en lui caressant le dos. Une vie privée, ça se planifie avec le même soin qu'une carrière. On choisit son partenaire, on fonde une famille, on construit son quotidien. Tu peux te moquer si tu veux, mais j'ai été élevé dans l'idée que c'est aussi capital que le boulot que tu choisis de faire.
Son compagnon se redressa brusquement en position assise. Il était suspendu à ses lèvres : inconsciemment, il devait savoir – ou espérer – ce qu'Eren s'apprêtait à dire.
- Et toi, tu fais partie de ma famille, Levi. Tu es bien plus important que le choix de mon université.
Le jeune allemand se redressa à son tour, et serra dans ses bras le petit brun assis à califourchon sur lui.
- En protégeant notre relation, je prépare l'avenir qui nous attend. »
Se dégageant doucement de ses bras, Levi se recula et observa Eren avec les yeux de quelqu'un qui vient de faire un choix.
XXX
Levi était possiblement la personne ayant le pire rapport à l'intimité au monde. Il fuyait ses semblables, n'aimait pas le contact physique et souffrait d'une obsession pour la propreté et l'asepsie.
Bien évidemment, ce comportement trouvait son origine dans toutes les misères endurées dans sa jeunesse – une enfance miséreuse dans un environnement insalubre, la cohabitation avec un adulte incapable de s'occuper de lui, la nécessité qui l'avait poussé à piétiner sa propre personne pour survivre en se vendant au plus offrant. Après de telles horreurs, quelle place restait-il pour l'affection, la confiance et l'amour, quelle envie de proximité avec les autres pouvait subsister ?
Pour Levi, les autres étaient au mieux à tenir à bonne distance, au pire répugnants et sans intérêt. A l'exception d'un cercle serré de personnes qui avaient su gagner le droit de se dire ses amis, au prix d'années d'efforts et de loyauté, personne n'avait le droit de l'approcher : plus personne ne violerait sa pudeur brisée, sa sensibilité bafouée et ses émotions piétinées par la vie. C'était la règle fondamentale qui avait régi sa vie pendant longtemps.
Puis Eren était arrivé.
Les barrières érigées autour de lui, Eren les avait pulvérisées dans tous les sens du terme. Il avait envahi sa vie et son cœur, avait remis en question tous ses repères et n'avait que faire des limites et des règles imposées. Et pourtant, une fois Levi mis à nu, Eren n'avait rien fait. Ne lui avait pas fait de mal, n'avait pas tiré profit de sa vulnérabilité. Eren ne lui avait rien pris. Au contraire, il lui avait donné. Donné sa confiance, son cœur, son âme et sa personne. Il n'avait jamais rien fait d'autre que lui donner.
Et avec tout ce qu'il lui avait donné, Levi avait commencé, inconsciemment, à faire une chose dont il avait à peine rêvé jusque-là : se reconstruire. Réapprendre les autres, réapprendre à aimer, à croire, à vivre. Se réapprendre lui-même. Dire que le jeune allemand faisait partie de lui dépassait la simple métaphore : c'était un état de fait.
Que Levi fît le choix de lui donner tout ce qu'il possédait en retour lui semblait n'être qu'un juste retour des choses.
Et à l'instant présent, alors que leur relation n'était plus un commencement incertain mais une conviction profonde, une évidence, Eren continuait de l'aider à se reconstruire. S'attaquant aux dernières zones d'ombres de son passé. Pour Levi, le sexe avait toujours été une chose glauque, douloureuse et effrayante. C'était une question de survie, une monnaie d'échange qu'il avait été forcé d'utiliser pour subvenir à ses besoins. Une épreuve endurée, des étrangers aux visages flous, des douches froides sur sa peau frottée jusqu'au sang. Des souvenirs à oublier.
Le sexe avec Eren était lumineux, chaud et rassurant. C'était le cheminement naturel de la voie qu'ils avaient emprunté ensemble, l'évolution logique et harmonieuse de leur amour, de leur complicité et de leur confiance. C'était la concrétisation de ce qu'il ressentait pour son compagnon et de tout ce qu'il voulait lui donner à son tour. Il n'avait pas peur, il n'avait pas mal : il avait la réponse à beaucoup de questions, et un lien avec Eren encore plus renforcé qu'auparavant.
Il pouvait le voir, le jeune allemand lui laissait volontiers le contrôle. Certes, probablement pour palier à son manque d'expérience, mais surtout parce qu'il savait que Levi avait désespérément besoin de ce contrôle, pour réapprivoiser ce qu'impliquait un tel niveau d'intimité. Et le petit brun avait l'impression de tout découvrir comme si c'était pour la première fois.
La chaleur partagée, le feu dans ses entrailles, l'émotion vibrante dans chaque fibre de son être. L'odeur de son compagnon était partout, et il sentait ses mains le toucher exactement là où il fallait. Son souffle était saccadé : il n'y avait pas assez d'air dans la pièce pour lui permettre de respirer, et pas assez d'Eren entre ses bras pour le rassasier. A un moment donné, il entendit son compagnon lui demander s'il allait bien. Mais il ne répondit pas. Il était parti trop loin, tout au fond de son cœur, et il y avait retrouvé quelque chose : lui-même.
Plus tard, bien plus tard, lorsque ce fut terminé et que le petit brun se sentait délicieusement somnolent, les deux garçons s'étaient lovés l'un contre l'autre dans le lit et discutaient à voix basse. La baie vitrée de la chambre était ouverte, laissant entrer un léger courant d'air et la rumeur de la vie nocturne de Kobe. Seules les lumières du port éclairaient la pièce, et Levi pouvait distinguer le visage de son petit ami près du sien. Levant une main, il caressa le front moite du jeune allemand et repoussa quelques mèches humides.
« - J'ai toujours su que c'était toi, marmonna Eren sans ouvrir les yeux.
Il semblait étourdi de fatigue et d'euphorie, mais développa tout de même.
- Depuis le début, je le savais. Dès que je t'ai vu. Non… Je le savais même avant de t'avoir vu. Je savais…
Levi sourit doucement et passa une main dans le dos de son compagnon.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ?
- Mmmh… Parce que tu es l'homme de mes rêves...
Cette fois-ci, le petit brun laissa échapper un éclat de rire.
- Ce n'est pas ce que tu disais au début de notre relation…
Alors qu'il allait taquiner le jeune allemand à propos de sa niaiserie, un bref éclair de souvenir traversa son esprit.
- Mais si… commença-t-il en se redressant brusquement dans le lit, s'extirpant de l'étreinte d'Eren. C'est exactement ce que tu as dit la toute première fois qu'on s'est rencontrés.
A présent qu'il y repensait, l'attitude de du garçon avait été particulièrement étrange, à cette époque – et d'autant plus au vu du contexte de leur première rencontre, plutôt…. hostile.
Son petit ami se contenta d'un grognement frustré.
- Reviens-là…
- Eren, pourquoi tu as dit ça, ce jour-là ? C'était bizarre.
Eren se retourna sur le dos et fixa le plafond, comme pour tenter de se remémorer ce dont il était question.
- Ah oui ! finit-t-il par s'exclamer, amusé. Ça me revient, maintenant. Oui, oui… J'avais dit ça parce que tu ressembles à l'homme de mes rêves…
Levi attendit patiemment des explications, mais son compagnon ne semblait pas pressé.
- Je comprends pas. Tu es en train de me draguer, ou…
- Hein ? Ah, non, non ! s'amusa Eren ! Enfin, c'est pas l'idée que j'avais en tête.
Finalement, le jeune allemand se décida à lui fournir quelques éclaircissements. Il croisa ses bras derrière sa tête et observa de nouveau le plafond.
- En fait, je fais des rêves récurrents depuis que je suis tout petit. Et euh…
Il se tourna vers Levi.
- Promets-moi que tu ne me prendras pas pour un dingue.
- Crache le morceau, répliqua aussitôt Levi, pris d'un terrible doute.
Ainsi, Eren aussi faisait aussi des rêves récurrents ? Il avait besoin d'en savoir plus. Immédiatement.
- D'accord, d'accord, soupira son compagnon. Alors voilà : depuis toujours, il m'arrive de faire des rêves bizarres. La plupart du temps, ce sont des cauchemars assez horribles, des fois ce sont de simples rêves. Il s'y passe toujours plus ou moins les mêmes choses. Et ces rêves… ils ont quelque chose de pas normal. C'est un peu dur à expliquer. Ils sont précis, ils ne durent pas longtemps et je les vois toujours à la première personne, tu vois… Comme si je visionnais un genre de souvenir.
- D'accord, fit Levi d'une voix blanche. Mais quel est le rapport avec moi ?
Eren se tourna de nouveau vers lui et lui jeta un regard appréhensif.
- Il y a une personne qui apparait dans chacun de ces rêves. Tout le temps. Elle me parle, et parfois elle… Disons qu'on une relation très étroite.
Le jeune allemand déglutit avec difficulté.
- Et cette personne, c'est toi.
Un lourd silence s'installa dans la pièce, et dura plusieurs secondes. Eren s'agita, probablement inquiet de son absence de réaction. Mais Levi était trop choqué pour s'en préoccuper.
La coïncidence était si énorme qu'elle était à peine croyable. Si les personnes auxquelles lui-même avait parlé de ses propres rêves ne se limitaient pas à Erwin et Petra, il eût été persuadé que son petit ami lui faisait une plaisanterie de très mauvais goût. Mais ce n'était pas le cas, et Eren était manifestement en train de se confier à lui en toute sincérité. Alors il se redressa en position assise, l'esprit en ébullition.
- Tu es tout blanc, lui fit remarquer Eren. Je sais que c'est bizarre, mais –
- Non, tu ne comprends pas, le coupa-t-il aussitôt en plaquant une main sur son visage. Eren, je fais aussi des rêves bizarres et effrayants depuis très longtemps. Et, dans ces rêves, je te vois aussi. Tout le temps.
Eren se redressa à son tour, l'ai abasourdi.
- Qu'est-ce que tu viens de dire ?
- Je –
- Oh, je … La vache !
- Oui –
- J'arrive pas à croire que tu m'aies snobé pendant des semaines alors que tu rêvais de moi ! Tu manques pas d'air !
- C'est la seule chose qui te choque ? s'indigna Levi en lui jetant un oreiller.
Eren s'esclaffa et aussitôt, le petit brun sentit la tension dans son organisme redescendre d'un cran.
- Non, évidemment.
Il remit l'oreiller à sa place.
- Je sais pas trop quoi te dire, Levi. C'est très perturbant et difficile à croire, mais il y a forcément une explication logique quelque part.
Levi se contenta de hausser un sourcil.
- Une fois, Armin m'a dit que le cerveau humain ne pouvait modéliser dans un rêve qu'un visage qu'il avait déjà vu en réalité. Ça veut dire qu'on s'est sûrement déjà croisé quelque part par le passé et nos cerveaux s'en souviennent.
- A Tokyo ? La plus grande ville du monde ?
- On a le même âge, on fréquente les mêmes types d'endroits et on suit le même programme scolaire. Il y a sûrement eu des milliers d'occasions pour que nos chemins se croisent. Qu'est-ce que ça a de si extraordinaire ?
Comme Levi hésitait encore à se laisser convaincre, il insista :
- Franchement, Levi, que veux-tu que ce soit d'autre ?
Le petit brun poussa un soupir. Son compagnon faisait preuve d'un étonnant et appréciable rationalisme. Eren et lui avaient déjà dû se rencontrer par le passé, lorsqu'ils étaient plus jeunes, au cours d'une sortie scolaire ou d'une virée en ville. Il était en train de se mettre des nœuds dans la tête pour rien.
- Tu as raison.
- Allez, viens là.
Après un instant d'hésitation, Levi laissa Eren le tirer par le bras et revint se blottir contre lui. Le pic d'adrénaline passé, le sommeil lui tomba dessus comme une massue.
- Alors comme ça, tu rêvais de moi en secret… On en apprend tous les jours.
- Quoi de surprenant, puisque je suis « l'homme de tes rêves ».
- C'est de bonne guerre. »
XXX
C'était la fois de trop.
Armin sentait que ses nerfs allaient craquer. Après plusieurs de semaines de calvaire et de lutte silencieuse, la peur était sur le point de venir à bout de lui. Il sentait qu'il devait faire quelque chose : et si ce n'était pas pour garantir sa sécurité, alors c'était pour préserver sa santé mentale. Tandis qu'il marchait d'un pas décidé vers sa destination, ce qui venait de se produire se rejouait en boucle dans sa tête.
Quelques heures auparavant, voulant mettre à profit quelques rayons de soleil matinaux, il avait voulu se rendre sur la tombe de son grand père pour y déposer quelques fleurs. Ulrich Arlert reposait dans un cimetière du quartier de Shiganshina, et le jeune homme avait fait un détour dans une rue marchande pour s'arrêter acheter un bouquet chez un fleuriste. Le cimetière était vide à son arrivée, à l'exception d'une vieille japonaise occupée à arroser des plantes. Armin avait pris son temps pour se recueillir et profité de la tranquillité pour lire un peu, assis près de la tombe de son grand-père.
C'était lorsque le moment était venu de partir que les choses s'étaient compliquées. Armin avait rassemblé ses affaires et s'était dirigé vers la sortie du cimetière. Et là, à quelques mètres du portail, quelqu'un l'attendait. Le petit blond l'avait repéré de suite, cet homme posté sur le trottoir comme un vigile. Il lui tournait le dos et semblait attendre la venue d'un compagnon, mais Armin savait qu'il était là pour le surveiller. Sa nuque était tendue, tout son être à l'affut. Et Armin était la cible.
Puisant dans une réserve insoupçonnée de courage et de sang-froid, le jeune homme était sorti calmement du cimetière, son téléphone à la main pour se donner contenance. Il était passé devant l'homme sans le regarder et avait continué droit devant lui, d'une démarche raide mais calme. Du coin de l'œil, il avait entrevu que l'étranger avait aussitôt commencé à le suivre. Sans céder à la panique, il avait tranquillement poursuivi sa route vers les rues les plus fréquentées, et avait entrepris de se mêler à la foule pour que l'individu y perdit sa trace. Un matin de week-end aussi ensoleillé, les rues étaient noires de monde. Des masses de gens se croisaient sur les passages piétons, des files ininterrompues entraient et sortaient des magasins. Lorsqu'il avait enfin osé se retourner, l'étranger n'était nulle part en vue.
Alors, Armin avait pris une grande inspiration. Et il avait commencé à courir. Courir à toute vitesse, prenant des directions au hasard, slalomant entre les gens surpris, usant de détours et de raccourcis pour être absolument certain de semer son poursuivant. Il avait continué sa folle course durant plusieurs minutes, et ne s'était arrêté qu'au bord de l'épuisement, les poumons en feu.
A présent, tandis qu'il marchait lentement pour récupérer, l'esprit à l'affut du moindre danger, une certitude s'était formée : il ne pouvait pas s'en sortir seul. La situation dans laquelle il s'était mis était trop dangereuse et il pouvait sentir l'étau se resserrer de jour en jour. Il lui fallait de l'aide, et au plus vite.
Aussi, lorsque les pas d'Armin le conduisirent devant le commissariat de police central du quartier, le jeune homme avait fait son choix. Alors, après un dernier regard derrière lui, il gravit les marches du bâtiment et poussa les portes, le cœur battant.
XXX
Et nous y voilà ! Alors, qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Vous la sentez, l'accélération finale, haha ? Je pense qu'il restera entre deux et trois chapitres à partir de maintenant, épilogue inclus. Je n'arrive pas à croire que je suis sur le point d'y arriver.
Qu'avez-vous pensé d'Eren et Levi dans ce chapitre ? Leurs échanges, leur relation, leur week-end à Kobe ? Qu'avez-vous pensé de Christa, Reiner et Berthold ? Annie ? Et surtout, que pensez-vous de notre pauvre Armin ? A votre avis, que va-t-il se passer à présent ? Avez-vous des remarques à faire ?
A très bientôt !
