Bla Bla de l'auteur.

Auteur: Uasti

Publication du chapitre : le 08/03/2021

Disclaimer: Masami Kurumada est l'auteur de l'œuvre originale.

RAR : Encore merci, dans l'ordre des reviews à Emma, Olivier88 (welcome back!), Libellule8, Setsunafr, Rulae et Cris29. Comme d'habitude, réponses envoyées par MP ou mail quand possible. Et petite réponse ci-dessous pour les autres:

Emma: je suis contente si la description des sentiments d'Hilda a permit de bien faire comprendre le point de vue du perso, et encore mieux, si ça a même permis de faire ressentir sa souffrance. Pour ma part, raconter une histoire c'est bien, mais ce qui rend vivant des personnages, ce sont les émotions qu'ils dégagent. Du coup, je suis vraiment contente, en tant qu'auteur aspirante, de réussir à créer ça. Pour le conseil, c'est noté, je transmettrai à Hilda de faire mariner le marinas XD Du Kanon dans toute sa beauté sa réplique du "je suis dans votre dos". J'avoue! Même en l'écrivant je me suis dis, il ose? Ouais il ose! C'est Kanon!

Pour Hadès/Ereshkigal/alliance contre Zeus, ça va prochainement se décanter! Patience, patience lol. Idem pour les retrouvailles familiales de nos dieux mésopotamiens. Mais oui ce n'est pas qu'une impression, Hadès évolue au contact d'Ereshkigal, mais la réciproque est vraie.

Ishtar et ses réparties douteuses. Ah la la. Des fois j'ai honte. Y'en a même certaines que je n'ose pas écrire. Entre être habile de ses mains, empaler Hilda avec le trident, ou bien plus vieux, conseiller à Kanon de trousser Hilda dans un coin, j'avoue qu'Ishtar commence à se créer un dossier lol. Et pendant ce temps, notre Dragon des mers affirme sa possessivité sur sa proie (la proie en question est-elle du même avis?). Et Mime qui en rajoute sur ordre d'Ishtar (les petites fleurs les n'oiseaux, tu m'as bien faite rire). Ils sont irrécupérables. Tous.

Pour ce qui s'est produit du côté de Shaka, je laisse encore planer un peu le suspense. Promis il y aura des explications. Pour Voltaire/Radjah eh eh. Moi non plus XD. Ca s'est imposé. Allez courage pour l'attente des prochains chapitres. Tu sais il y a pire: les écrire ! XD

Olivier88: merci pour ton message! Ca fait plaisir de voir que tu suis toujours l'histoire et que tu prends le temps de laisser un petit mot d'encouragement! Même mini, toutes les réactions sont précieuses, parce que c'est vraiment la seule reconnaissance et le seul retour qu'on a en tant qu'auteur de fanfic, donc vraiment merci.

Dans ce chapitre : mariage (d'amour?) arrangé, des cupidons titanesques improbables, une armurerie où tombe le masque, un petit come back antique, un grand come back moderne. Et puisque c'est la journée internationale du droit des femmes et donc des lectrices, devant la demande populaire, une belle présence de Posichéri en cavalier sexy. De rien, ça me fait plaisir ! Et plus sérieusement, gros rating M, pas forcément pour ce que vous pensez, je vous vois venir!

Bonne lecture !


Chapitre 32 - Sous la surface


Le palais du dieu des océans était empli de couleurs, à l'image de son domaine. La plupart des plafonds étaient richement peints et décorés. Les salles bruissaient de serviteurs qui s'affairaient, mais qui disparaissaient pourtant rapidement, s'inclinant respectueusement avant de partir, dés lors qu'Hilda et le général des mers qui l'accompagnait approchaient. Ici, même les serviteurs portaient des tenues aux couleurs du maître des lieux et semblaient mieux habillés que la plupart des humains à la surface.

Des fontaines étaient là dans presque tous les recoins, sous diverses formes et de l'eau coulait le long de nombreuses colonnes, rejoignant des rigoles qui longeaient certains murs, créant une musique constante faite d'un chuintement cristallin. L'eau était omniprésente.

Ca et là sur des piédestaux du couloir qu'ils étaient en train de traverser, des statues ou des curiosités marines étaient mises en valeur: morceau de corail qu'on aurait pensé être fait de pierres précieuses tellement il brillait dans la lumière, ou plus loin, le buste de marbre ailé d'une sirène antique. Ce qui fit serrer les mâchoires à Hilda, alors qu'à quelques pas devant elle, elle reporta son attention sur celui qui lui servait d'escorte et dont elle ne voyait, de dos, que les courtes ailes de son écaille des mers, ainsi que sa chevelure bleue aux reflets presque mauve qui lui tombait en bas de la nuque. Il tenait son casque ailé sous le bras tout en marchant à pas relativement rapides. Ses pas résonnaient du son typique des armures contre un dallage de marbre alors que ceux d'Hilda s'entendaient à peine.

Il y avait peut-être un marinas à qui Hilda aurait eu des raisons d'en vouloir encore plus qu'à Kanon et il était devant elle: le général gardien du pilier de l'Atlantique Sud, Siren de Sorrente. Celui dont elle avait obéi aux ordres alors qu'elle était possédée par l'anneau. Celui qui avait exécuté le plan de Kanon. Celui qui avait entraîné Siegfried dans la mort sans qu'elle ne puisse rien y faire.

Il n'avait pas prononcé un mot, hormis pour la saluer et lui dire qu'il avait pour mission de la mener à Poséidon. Comme si tout avait été parfaitement normal.

Alors qu'ils approchaient du bout du long couloir qu'ils traversaient, la lumière se faisait de plus en plus forte. L'extrémité donnait visiblement sur l'extérieur.

Hilda s'arrêta quelques instants pour observer les alentours, alors qu'ils étaient désormais entre les colonnades à l'extérieur, en haut d'un immense escalier, le long duquel, de chaque côté, de l'eau cascadait dans un son apaisant.

Autour d'eux et de chaque côté du bâtiment dont ils sortaient, de puissantes colonnes à chapiteau s'élevaient dans une architecture parfaitement géométrique, supportant des frontons richement décorés, loin au dessus.

En bas des escaliers, un jardin sans arbres ni végétation, mais aux haies de cristaux et de corail, dans lequel de nombreuses fontaines coulaient. On pouvait y voir au loin une sorte de pavillon circulaire, dont les colonnes étaient en forme de statues. Hilda y percevait distinctement l'aura, puissante mais pas vraiment active, du dieu des sept mers.

Au loin, la rumeur des océans était perceptible et en levant les yeux, on voyait le ciel, comme un immense et magnifique tourbillon, d'où venait la lumière. L'air était doux et empli d'embruns, sans être excessivement humide. C'était sublime, d'une beauté que seul un dieu pouvait créer et imaginer. Difficile de croire que Poséidon, capable de prodiges pareils, puisse pourtant faire le mal. Mais ce qu'il avait fait lors du rituel... Malgré les explications de Kanon, Hilda n'arrivait pour le moment ni à accepter ni à comprendre. Elle aurait eu besoin de temps pour réfléchir, mais le maître des lieux n'était apparemment pas du genre à perdre du temps à attendre.

Devant elle, alors qu'elle observait le ciel et s'était arrêtée, Sorrente s'était retourné et l'observait en silence de son regard violet, qui semblait être fait de sombre améthyste.

Les longs cheveux argent de la prêtresse étaient laissés détachés et les mèches plus courtes qui encadraient son visage voletaient librement dans l'air marin. Elle ne portait aucun bijou ni aucune couronne, mais son port de tête noble la distinguait naturellement, comme une seconde nature. Elle semblait avoir fait exprès de choisir dans les vêtements mis à sa disposition ceux qui étaient le plus éloignés des couleurs de Poséidon. Dans l'univers enchanteur et coloré du domaine sous-marin, elle était donc vêtue d'une longue robe d'un noir profond, au col en V, qui se resserrait à la taille puis s'évasait largement jusqu'au sol, ouverte légèrement sur le devant, donnant vue sur un jupon blanc, qui rappelait les broderies de cristaux blancs qui parsemaient la robe, telle une pluie d'étoiles ou des flocons de neige dans un ciel nocturne. Les longues manches de la robe, ouvertes au niveau des coudes, créaient des pans qui tombaient gracieusement de chaque côté de ses bras et suivaient ses mouvements.

Hilda de Polaris lui semblait plus majestueuse que dans son souvenir, comme si elle avait troqué cette aura de pureté presque naïve qu'elle avait autrefois contre une résolution plus profonde, sage mais ferme, juste mais plus froide. Cela se reflétait dans son regard acier. L'aura de la prêtresse était toujours emplie d'une grande bonté pourtant, mais quelque chose de dur et de ferme y était présent. Ce n'était plus le regard de la princesse encore juvénile qu'il avait piégée autrefois avec l'anneau, mais celui d'une souveraine, bien plus mature, moins naïve et innocente.

"Je ne peux pas vous accompagner plus loin. Le Seigneur Poséidon vous attend. Si vous me le permettez cependant..." Sorrente vit le regard de la prêtresse d'Odin se détacher du ciel liquide loin au dessus d'eux pour l'observer alors qu'il avait pris la parole. Le général de Poséidon s'inclina légèrement, posant une main sur son cœur. "Je vous présente mes excuses concernant mes agissements en Asgard. Je pensais sincèrement suivre les ordres de mon dieu et non ceux d'un usurpateur. Je vous prie de bien vouloir croire en la bienveillance de mon Seigneur. Il n'est pas le destructeur sanguinaire qu'a été Jullian, qui lui même était manipulé."

"Vous présentez vos excuses pour votre maître et non pour vous-même?"

"Je ne suis qu'un serviteur. Mes agissements cependant ont terni l'honneur de mon Dieu. Je ne peux vous demander de me pardonner le mal que je vous ai causé. Mais j'espère que vous saurez comprendre que Poséidon lui-même n'était pas impliqué dans tout cela."

Hilda observa quelques instants le général, en silence, alors qu'après s'être incliné brièvement, il était debout face à elle de nouveau. Elle avait déjà pardonné à Kanon, dans ce qui lui semblait être une autre vie. Et Poséidon lui-même lui avait présenté ses excuses, le soir du bal. Pourtant...

"Un usurpateur? Quelle importance?" La voix d'Hilda était froide et détachée, tranchante comme le froid polaire d'Asgard. "Vous avez accepté de suivre les ordres de votre général en chef et de la réincarnation de Poséidon sans vous poser de questions concernant les vies qui allaient disparaître à la surface... Ce ne sont pas vos actes que vous regrettez, mais de les avoir commis pour la mauvaise personne... Cela est très différent." Elle vit le visage serein du Général sembler être moins lisse soudain, alors qu'il entendait ses paroles. "Obéir aux ordres est toujours soit un choix soit un acte de foi. Dans les deux cas, cela n'efface pas la responsabilité personnelle. J'ai déjà accepté les excuses de Poséidon et même celles du Dragon des mers. Mais en ce qui concerne les vôtres... Sachez qu'à mes yeux, des excuses non accompagnées d'un repentir personnel et sincère n'ont aucune valeur."

Sans un mot de plus, Hilda de Polaris détourna son regard d'un bleu acier du général pour fixer, au loin, le pavillon perdu dans les jardins de coraux et de cristaux, d'où émanait l'aura du dieu des océans. Elle descendit bientôt les marches de l'escalier monumental, d'un pas calme mais déterminé, seule et la tête haute, prête à répondre à la convocation de Poséidon. Elle avait encore les nerfs à vif et n'était pas certaine de pouvoir lui faire face en demeurant parfaitement maîtresse d'elle-même, mais l'invitation d'un dieu n'était pas quelque chose qui se refusait.

Dieu en question qui, en cette heure encore relativement matinale, profitait de quelques minutes de calme avant d'attaquer une journée qu'il savait être chargée, aussi bien pour son emploi du temps humain que pour son emploi du temps divin. Heureusement, il avait dispensé le Dragon des mers d'entraînement ce matin, ce qui lui avait permis de libérer un peu de temps pour ses différents projets. Seul problème, le corps de son hôte humain était terriblement fatigué en raison de la nuit blanche qu'il venait de lui faire subir, passée en compagnie d'Ishtar, et ce, directement après l'utilisation intensive de son cosmos contre Odin.

Le liquide ambré contenu dans la tasse en porcelaine qu'il tenait en main fut troublé par plusieurs cercles concentriques, alors que contre ses habitudes, le dieu y faisait glisser négligemment du sucre. Il appréciait son thé nature, mais le corps de Jullian était épuisé.

Son sommeil n'avait pas été perdu pour rien cependant. Ishtar était décidément surprenante. Ils avaient passé la nuit à discuter de l'état des forces en présence, des stratégies possibles, de leurs familles respectives et de leurs visions du monde. Etrangement, elle n'ambitionnait rien à part de récupérer sa liberté pleine et entière. La plupart des dieux qu'il connaissait, à vrai dire tous, souhaitaient laisser leur empreinte sur le monde, en y imposant leur vision. Ishtar, semblait, en ce qui la concernait, indifférente au sort du monde et n'avait aucune envie d'y imposer une marque particulière, jugeant la démarche perdue d'avance. Il n'avait pas réussi à déterminer si cela venait d'une sorte de lassitude ou de renonciation de sa part devant le chaos de l'existence ou si au contraire, c'était sa manière à elle de modeler le monde, en y laissant le chaos de la vie y régner.

Elle ne s'opposait cependant pas à ses projets. Elle serait une alliée parfaite, à condition de contrôler son imprévisibilité. Si cela était possible...

Il était d'ailleurs étonné de l'étrangeté de leur relation, méfiante mais pourtant presque cordiale. Impossible de se faire mutuellement confiance. Pourtant, après des millénaires sans plus aucun contact avec Hadès, Ishtar était finalement la clé qui allait lui ouvrir la porte des Enfers.

C'était désolant à constater, mais s'ils avaient conquis le monde, ils l'avaient tous payé de ce qu'ils avaient de plus cher. Plus aucun des trois grands ne pouvait se targuer d'être réellement heureux, isolés qu'ils étaient tous dans leurs domaines et rivalités respectives. Par la faute de Zeus, en grande partie, mais pas seulement... Poséidon était conscient qu'il avait longtemps été victime de son propre aveuglement. Passer des siècles enfermés dans une urne aurait dû le rendre fou. Mais bien que cela ait limité son influence sur le monde, il avait pu continuer à subtilement user de son cosmos, mais surtout, réfléchir à ses actes. Et désormais, il était convaincu de deux choses: Premièrement, Zeus devait payer. Deuxièmement, peu importe les pertes, il ne regrettait rien de sa propre vie, pas même ses propres erreurs. Il referait tout de la même manière, parce que toujours, il avait pensé agir le mieux possible avec les choix et les informations à sa disposition.

Tous les dieux anciens finissaient par être écrasés par le poids de leurs pensées, mais pas lui : La mélancolie, le temps, les regrets, rien ne pouvait le noyer. C'était cette certitude qui lui avait permis de tenir, même s'il éprouvait encore ces sentiments là parfois.

Aussi facilement qu'il respirait, le dieu fit tourner avec son cosmos et sans lever le petit doigt le liquide dans sa tasse de porcelaine, avant de consentir enfin à saisir celle-ci pour la porter à ses lèvres. Une légère moue contrariée lui plissa les lèvres.

Il n'aimait décidément pas le sucre dans son thé... Hauteur de la pensée. Bassesse du monde réel et de son corps humain fatigué. La dualité était trop belle. Un fin sourire ironique se moquant de lui-même s'étira sur ses lèvres alors que le liquide sucré, descendait dans sa gorge. Pour un maître du monde, être terrassé par la fatigue était tout de même d'une banalité affligeante.

Son sourire de chat s'étira alors qu'il percevait désormais à proximité immédiate le cosmos de la prêtresse d'Odin, qui s'approchait de lui. Il but une nouvelle gorgée avant de s'étirer souplement en poussant un soupir d'aise puis de se lever.

Hilda se figea, alors qu'elle sentit l'aura de Poséidon l'entourer, comme l'invitant à le rejoindre. Une fois montées les quelques marches qui lui cachaient l'intérieur du pavillon circulaire, elle se retrouva dans ce qui aurait presque pu être un temple : l'endroit formait une rotonde d'un diamètre d'environ une trentaine de mètres et d'une bonne dizaine de mètres de hauteur. Au sol, une immense mosaïque toute en finesse représentait le globe terrestre et les océans.

L'espace était presque vide, ce qui permettait d'admirer les colonnes qui représentaient des statues antiques de femmes, soutenant de leur tête la structure, ainsi que la mosaïque au sol et l'immense plafond circulaire, gravé d'un trident. Sept colonnes, pour sept allégories des mers.

L'endroit, pourtant magnifique et majestueux, ne semblait servir au dieu que de pavillon de jardin. Quelques fauteuils confortables aux coussins couleurs bleu et argent semblaient inviter au repos, accompagnés d'une méridienne. Partout autour, on pouvait admirer les jardins du palais, dont les coraux brillaient dans la lumière si particulière du domaine sous-marin.

La prêtresse d'Odin fut surprise de voir le maître des lieux debout pour l'accueillir. Sa chevelure azur attachée en une queue de cheval, le dieu semblait visiblement prêt à se rendre à une séance d'équitation. Il portait un pantalon blanc surmonté de hautes bottes noires en cuir qui lui arrivaient aux genoux, soulignant la longueur et la forme de ses jambes. Un blazer bleu nuit aux galons argent parfaitement boutonnés et une chemise blanche au col montant, complétaient sa tenue. Il semblait sorti des plus hautes sphères de la société humaine.

Son regard d'un bleu clair mais comme possédé par une présence ancienne, ainsi que son aura puissante alors même qu'il ne l'utilisait pas, empêchaient cependant de le confondre avec un quelconque humain. Jullian était beau, mais Poséidon le transcendait et le rendait divin. Comme en présence d'Ishtar, il était déstabilisant d'être seule avec un être pareil.

"Seigneur Poséidon." Dit-elle simplement en guise de salut. Le dieu nota avec intérêt que comme le Dragon des mers, elle n'hésitait aucunement à le regarder droit dans les yeux. Et qu'à part un léger hochement de tête, elle ne s'était absolument pas inclinée devant lui.

"C'est la deuxième fois que nous nous rencontrons en personne, reine d'Asgard." La salua le dieu en retour. "Je vous en prie, prenez place à mes côtés." Il lui désigna un fauteuil face au sien, puis prit place lui-même. Hilda sentit ses propres nerfs à vif se contracter, mais elle obéit et s'assit en silence, fixant le dieu en attendant qu'il s'exprime.

Il ne parla pas immédiatement, l'observant longuement, comme évaluant l'humaine face à lui. Il avait l'air à la fois particulièrement sérieux et étrangement détendu, les jambes croisées, l'un de ses coudes négligemment appuyé sur l'accoudoir de son fauteuil comme s'il avait été sur son trône, observant l'un de ses sujets qui devait lui avouer un crime. Hilda eut l'impression que Poséidon était en train de tester les limites de sa patience, pour la forcer à attaquer elle-même la conversation si elle tenait à avoir des explications. Elle aurait juré voir briller une étincelle amusée ou sadique, au choix, au fond de ses prunelles azur. Mais la patience était la première vertu d'un souverain. Une crise de nerfs avec Kanon, c'était déjà amplement suffisant. Un long silence s'étira, ou elle soutint son regard. Il semblait presque attendre quelque chose d'elle. Une réaction qu'a priori, elle ne lui donnait pas. S'attendait-il à ce qu'elle s'énerve contre lui et lui reproche ses agissements? Comme si les dieux, et surtout lui, pouvaient être raisonnés.

La divinité finit par saisir sa tasse de thé dans un léger tintement de porcelaine, puis fixa Hilda droit dans les yeux, plus aucun sourire ne s'étirant sur son visage.

"Vous avez trahi Odin. Aux Enfers, il existe une prison gelée pour les traîtres à dieu. J'imagine qu'être enfermée dans une prison glacée ne vous changera pas de votre vie terrestre..." Le ton était mondain et factuel, les paroles étaient sauvages. Elle plissa les yeux sous le coup, direct, mais ne répondit rien. "Cependant," poursuivit Poséidon, "j'aimerais savoir pour quelles raisons vous avez commis un tel acte."

"Est-ce un interrogatoire?"

"Je préfère songer à notre échange de manière moins conflictuelle et plus professionnelle. Vous êtes actuellement en train de passer un entretien de recrutement avec votre nouveau supérieur."

"Vous envisagez réellement de me laisser continuer à gouverner Asgard? Malgré le fait que je suis la prêtresse d'un de vos ennemis?"

"Peu importe le dieu tutélaire, Asgard a besoin d'un monarque. Je souhaite donc savoir dans quelle mesure nous pouvons travailler ensemble et s'il m'est possible de vous faire confiance."

"Tant que vous serez en guerre ouverte contre Odin, je ne pourrais pas..."

"Odin a essayé de vous tuer." La coupa d'une voix parfaitement calme Poséidon.

"Il était en rage." Sembla presque excuser Hilda. "Je ne me rappelle pas qu'il m'ait attaquée. J'étais inconsciente."

"La colère est-elle une excuse?" Il y eut un silence, au cours duquel Poséidon porta sa tasse de thé à ses lèvres pour en boire une gorgée, avant de la poser à nouveau, puis de se pencher en avant, semblant presque lire en Hilda avec son regard divin et insondable. Peut-être était-ce d'ailleurs le cas. "Je vais donc reposer ma première question de manière plus claire : Pourquoi vous-êtes vous jetée sur mon trident?"

Hilda baissa les yeux. Quoi répondre? Mentir ne servirait à rien, et dans sa position, que pouvait-elle faire pour éviter de nuire à Asgard encore plus, à part éviter de contrarier Poséidon? Elle décida de répondre sincèrement.

"J'ai partagé les pensées d'Odin, j'ai vu sa volonté de vous détruire, peu importe l'avenir du peuple que j'ai fait serment de protéger et dont il est le dieu. En vous laissant les armures, j'ai évité de nouvelles guerres et un bain de sang inutile. J'assume ma décision, même si mon acte était irréfléchi. En mettant ma propre vie en danger, j'ai mis en péril la continuité du gel des pôles et risqué un nouveau raz-de-marée."

"Comment pouvez-vous être certaine que ce que vous avez vu étaient bien les pensées d'Odin?" Murmura suavement la divinité, jouant là clairement l'avocat du diable. "Vous savez que Kanon peut manipuler les esprits n'est-ce pas?"

Elle releva le regard vers lui. Le visage de Poséidon, souriant, ne trahissait pourtant rien, à commencer par savoir si ce qu'il impliquait était vrai ou non. Il la testait clairement.

"J'y ai pensé. Mais le changement dans l'aura d'Odin a été trop immédiat, dés qu'il vous a perçu. Je ne crois pas en cette hypothèse. Et je ne crois pas non plus que Ka..." Elle s'interrompit, se mordant la lèvre inférieure.

"En d'autres termes, instinctivement, vous avez douté d'Odin plutôt que du Dragon des mers." Le sourire du dieu s'élargit, alors qu'Hilda eut soudain l'impression de se retrouver coincée dans une conversation qui n'allait absolument pas dans un sens qui lui convenait. Elle préféra donc ne pas relever le commentaire. "Lorsque nous nous sommes rencontrés, j'ai affirmé que vous étiez une femme tout à fait remarquable. Je maintiens mes propos. Vous avez sacrifié votre vie sans aucune hésitation en pensant que cela pourrait sauver votre royaume, même en défiant votre propre dieu. Je respecte cela."

"Mais?"

"Il m'est difficile de laisser sur le trône une femme qui ne respecte pas le dieu qu'elle doit servir. Comment pourrais-je donc m'assurer de la fidélité du trône d'Asgard à mon égard, sur le long terme? D'autant plus si j'accepte de libérer Odin, lorsqu'il sera calmé, cela va de soi..."

"Vous avez déjà détourné les saphirs d'Odin. Nous n'avons plus d'armée à vous opposer."

"Mais votre loyauté envers moi? Les textes de lois que vous édicterez. L'histoire qui sera enseignée à votre peuple... Tout cela sera influencé par la balance que vous devrez faire entre Odin et moi."

"Ma fidélité dépendra principalement de ce que vous comptez faire d'Asgard. Je n'agirai que dans l'intérêt de mon peuple. Elle dépendra aussi de la manière dont vous allez traiter Odin. Même s'il est en colère contre moi, je demeure liée à lui. Ma fidélité est également conditionnée par le respect des guerriers divins. Je refuse qu'ils soient démis de leurs fonctions."

"Voilà qui est regrettable mais qui confirme mes pensées." Poséidon soupira puis détourna le regard, observant les jardins au loin, qui brillaient paisiblement de l'éclat des coraux multicolores.

A cette dernière phrase, Hilda fixa le profil insondable de Poséidon, comme cherchant à y décrypter la décision qu'il semblait avoir prise à son égard.

"Je suis donc votre prisonnière ici?"

Le dieu ne répondit pas immédiatement. Lorsqu'il finit par prendre la parole, son regard était perdu dans le vide alors qu'il semblait contempler un lointain passé.

"Lorsque nous avons exilé Odin, mes frères et moi-même lui avons créé une double prison. Celle où il est enfermé physiquement, mais également celle qui restreint son cosmos. La seule clé qui lui été laissée est le cosmos de ses prêtresses. Sans votre présence en Asgard, Odin est incapable d'user de ses pouvoirs. Il tire son pouvoir d'Asgard et vous incarnez Asgard, en tant que reine et surtout en tant que prêtresse, c'est en résumé, le principe des entraves qui lui ont été infligées." Le dieu reporta son attention sur Hilda de Polaris, qui l'écoutait attentivement. "Il a besoin de vous et des futures prêtresses qui vous succéderont, sans vous, il ne pourra pas user de son cosmos. Il vous pardonnera, il n'a pas réellement le choix. Et il s'en rendra compte lorsqu'il sera suffisamment calmé. Dans quelques semaines, je lui ferai parvenir un message et entamerai des négociations avec lui, pour convenir de son retour. En attendant, vous n'êtes pas ma prisonnière, mais mon invitée ici. Si nécessaire, mes marinas pourront vous servir de messager afin que vous puissiez régler à distance les affaires courantes d'Asgard et continuer à y régner."

"Et sans ouvrir mon courrier ou mes messages au passage, bien entendu... "

"Je ne peux rien promettre là-dessus. La confiance se base sur la vérité. Je ne fais donc aucune promesse que je n'ai pas l'intention de tenir." Le dieu la fixait toujours de son regard incroyablement perturbant, dans lequel il semblait aisément facile de se noyer. "En conséquence, en fonction de ce que je considérerai être votre loyauté réelle envers moi, je vous laisserai ou non remonter seule sur votre trône... "

"Ou non?" Hilda frémit, ayant très peur de comprendre. Un mariage politique pour la mettre sous tutelle? Le dieu n'était quand même pas prêt à...

"Rassurez-vous, votre beauté est tout à fait remarquable, mais un seul mariage m'a suffit... Considérant le fait que j'ai tué ma précédente épouse et que j'étais un mari volage... Je ne puis d'ailleurs pas me décrire comme un bon parti..." Souffla Poséidon, un sourire fin de prédateur s'étirant sur ses lèvres." Je pensais plutôt à l'un de mes généraux. Vous voyez sans doute de qui je parle."

"C'est absurde." Fut la seule réponse cohérente qu'Hilda put formuler.

"Après tout, vous l'avez choisi lui plutôt qu'Odin. Voilà une preuve que mon influence sera présente au plus haut niveau. Ca sera une parfaite punition pour deux traîtres à dieu non? C'est tout le mal que je vous souhaite." Répondit la divinité avec une lueur indéfinissable au fond de son regard bleu et un sourire de chat. "Mais cela n'est bien entendu qu'une hypothèse. Si vous me juriez fidélité, nous n'aurions pas besoin d'un tel procédé..."

"Alors c'est vrai... Vous lui aviez ordonné de me séduire."

"Absolument pas, je désapprouvais même ce que je qualifiais de lubie de sa part. Cependant, votre récente trahison a ouvert de nouvelles possibilités intéressantes qu'il me parait utile d'exploiter. Je comptais initialement ne pas m'encombrer d'Odin et le laisser dépérir. Mais puisque mon Dragon des mers m'a persuadé de le libérer dans sa quête de rédemption personnelle, j'estime donc qu'il me faut des garanties supplémentaires afin qu'Odin ne soit pas aidé aveuglément par sa grande prêtresse... Mais vous avez déjà commencé à contester ses décisions me semble-t-il. Pourquoi ne pas continuer? Nous pouvons cimenter l'alliance entre mon domaine et Asgard. Lorsqu'Odin sera libéré, Asgard bénéficiera d'un micro climat, clément et agréable, comme autrefois. J'ai par ailleurs des idées pour développer votre économie et faire d'Asgard un havre de prospérité, en pointe en matière d'ingénierie financière. Votre peuple va bénéficier largement de notre association."

Hilda fulminait intérieurement.

"Faire d'Asgard un paradis fiscal? Me forcer à épouser Kanon parce que vous pensez sincèrement que je serai une femme docile et malléable s'il me sert de chaperon? Il est au courant de ça au moins? C'est délirant!"

"Quel mal y aurait-il à rendre votre peuple prospère? Si vous ne voulez pas de Kanon, je peux vous proposer un autre général. Sorrente peut-être?" Souffla Poséidon avec un art du sadisme consommé et poussé au rang de chef d'œuvre. " Si je libère Odin, Kanon sera, par ailleurs, la raison de sa libération. Voilà qui le passera de rang d'ennemi numéro 1 à héros d'Asgard en une fraction de seconde. A vous de choisir. Ah, et je vous laisse le soin d'annoncer la bonne nouvelle à Kanon, il n'est effectivement pas au courant de mes nouvelles exigences vous concernant."

Atterrée, Hilda comprit que non seulement Poséidon ne plaisantait pas. Mais qu'en plus, il y avait de fortes chances que même en lui jurant fidélité, il n'estime pas les garanties suffisantes sans un roi consort placé à la tête d'Asgard et choisi par ses soins. Il n'y avait donc qu'une porte de sortie.

"Et si j'abdique et que je refuse de retourner en Asgard? Vous êtes coincé avec Odin incapable d'user de son cosmos, sauf à le libérer totalement... Vous serez donc contraint d'utiliser votre propre énergie indéfiniment pour geler les pôles à sa place. Et je pourrais vivre ma vie librement."

"En abandonnant votre propre famille, ainsi que le peuple, les guerriers divins et les terres que vous aimez tant malgré tout? Je ne crois pas non. Cependant, si tel était votre choix, je m'engage à vous laisser partir. Je dois cependant vous informer que dans un tel cas de figure, c'est votre sœur cadette qui devra donc cimenter notre alliance par son mariage. Je ne renoncerai pas à Asgard." Le dieu sourit. C'était très mauvais signe. "Je me rends compte que je manque à tous mes devoirs, je ne vous ai rien proposé à boire pour m'accompagner. Désirez-vous du thé ou du café?"

Hilda en était quasi certaine désormais : Elle n'avait pas été ramenée à la vie et était bien morte sur le trident de Poséidon. Elle était en train de souffrir dans un Enfer créé spécialement pour elle par un olympien très en forme.

...


...

Hypnos observait de son regard doré, d'un air faussement détaché mais pourtant terriblement intrigué, la scène qui se déroulait près de son frère et lui. Ils étaient tranquillement en train de jouer alors que des nymphes étaient assises près d'eux, écoutant la mélodie des dieux jumeaux, envoûtante, proprement divine.

Hadès les avait rejoint et les avait écoutés en silence, une heure environ, semblant réfléchir tout en griffonnant dans un carnet de croquis. Puis il s'était levé et éloigné en contrebas des marches du temple où ils se trouvaient, allant se promener seul parmi les fleurs sauvages, sous le soleil doux et caressant d'Elision.

Puis il avait fait enfler son cosmos, légèrement. Et Ereshkigal s'était matérialisée près de lui quelques secondes plus tard. Et visiblement, elle n'avait pas l'air d'aimer être convoquée ainsi, parce que sa réaction initiale avait été de croiser les bras et de regarder Hadès d'un air défiant. Autour d'eux, un cercle de fleurs fanées s'était créé suite à l'arrivée de la déesse, mais les deux y semblaient indifférents.

Pourtant, depuis plusieurs minutes désormais, les deux discutaient simplement et leur langage corporel s'était détendu peu à peu. Et de loin, il sembla même à Hypnos voir Hadès sembler être imperceptiblement amusé par moment. Hadès... Amusé...

"Vois-tu ce que je vois?" Demanda-t-il télépathiquement à son jumeau, qui lui aussi, observait la scène tout en continuant à jouer.

"Pensons-nous à la même chose? Elle a refusé de nous aider ce matin, c'était un non définitif... Mais..."

"Oui, je n'ai pas renoncé non plus à l'idée qu'elle peut également nous aider autrement..."

"As-tu commencé à influencer leurs rêves?"

"Seulement ceux d'Ereshkigal. Et même en rêve, elle a refusé de nous débarrasser de Perséphone. Cependant... La forme de son rêve était intéressante et me donne de l'espoir pour notre second plan. Mais s'ils se rendent compte que je manipule leur sommeil..."

"Hadès est si imaginatif pour créer de nouvelles formes de torture, cela me donne presque envie que tu te fasses prendre..." Sourit cruellement Thanatos.

"La création de l'armure semble les rapprocher. Je n'aurais peut-être même pas besoin d'intervenir." Répondit son jumeau en ignorant la remarque de son frère.

"Tu as plus de patience que je n'en ai. Hadès pourrait te demander à tout moment de l'endormir et nous nous retrouverions coincés, contraints d'exécuter sa volonté. Laissons leur un mois, pas un jour de plus."

"Tu as raison. Un mois. Et si d'ici là, nous ne notons aucune amélioration de la part d'Hadès, je manipulerai leur sommeil."

"J'ai hâte de te voir à l'œuvre, Cupidon infernal."

Le surnom fit émettre à Hypnos une très rare fausse note discordante.

Un peu plus loin, Hadès et Ereshkigal avaient disparu de concert, allant visiblement ensemble dans un endroit plus approprié pour se battre, ou converser, et visiblement bien inconscients de l'ombre proprement titanesque qui planait désormais sur eux.

...


...

"Tu ne pouvais pas me matérialiser une armure?"

"Non, j'aurais été tenté de l'adapter pour toi. Je dois te faire combattre avec quelque chose d'encombrant et de non adapté. Je veux voir comment ton style de combat pourrait être contraint afin d'ensuite réellement adapter une armure pour qu'elle ne fasse qu'un avec ton corps. Une armure divine doit suivre son porteur comme si elle était une seconde peau. Par ailleurs, même avec une armure divine, tu vas devoir faire évoluer ton style de combat. Tu en es consciente? Te faire t'entraîner avec un handicap va faciliter ton adaptation par la suite."

Ereshkigal ne répondit rien, se contentant d'observer l'armurerie où ils se trouvaient. Les surplis des spectres avaient une vie propre, et elle n'aurait donc pas été capable d'en porter un sans détruire automatiquement la protection. Hadès avait donc jeté son dévolu sur l'armurerie qui servait aux gardes de Giudecca et plus généralement des Enfers. Des armures parfaitement normales, vides de toute trace de cosmos ou de vie propre. De stupides bouts de métal, lourds et encombrants, de l'avis de la déesse.

"Celle-ci devrait te convenir en terme de taille."

Au milieu de la grande salle emplie de colonnes de roche noire qui soutenaient les nombreuses voûtes du plafond, assez bas, mais suffisamment haut pour ne pas être oppressant, Ereshkigal attrapa à la volée le casque hideux que venait de lui lancer Hadès, alors qu'il se tournait vers elle pour lui désigner une protection, sur un piédestal. L'armure était absolument quelconque. A l'occasion, il faudrait qu'elle lui suggère de revoir sérieusement le design un poil trop macabre des protections des rangs inférieurs. Car oui, même les Enfers pouvaient avoir des standards.

"L'armure d'accord, mais cette chose sur ma tête, jamais." Le casque ressemblait à une tête de mort, sur laquelle des mains squelettiques formaient les pommettes et dont les doigts dépassaient, formant des sortes de petites ailes de chaque côté.

Le dieu des Enfers lui jeta un regard bleu ennuyé.

"Pourquoi tiens-tu tant à ton image Ereshkigal? Tu comptes séduire quelqu'un ou bien as-tu peur d'abîmer ton maquillage?"

"Et c'est moi la langue de vipère? Personne ne te demande ton avis!"

"Mais à toi non plus. Alors mets cette armure et ce casque..."

Le dieu des Enfers sourit, satisfait de voir la déesse fulminer mais demeurer silencieuse. Lorsqu'il l'avait convoquée, Ereshkigal était en train d'inspecter la seconde prison. Elle avait donc dû disparaître en urgence pour rejoindre Hadès en Elision et portait encore la même tenue : une cape avec une capuche noire recouvrant le haut de sa tête et flottant jusqu'au milieu de son dos, dans un mouvement souple. Ouverte devant, la capuche doublée d'un satin rouge sang dévoilait une tenue entièrement noire: pantalon de cuir et corset dans la même matière, avec une échancrure profonde qui lui arrivait presque au nombril et moulait la forme de sa poitrine. Par endroits, la forme de la tenue était accentuée par des éléments métalliques, qui donnaient un aspect guerrier à l'ensemble. Une ceinture faite de multiples lanières et des gants longs complétaient la tenue, et à part son visage et son décolleté, aucune trace de la peau pâle de la déesse n'était visible. Comme à son habitude, la déesse portait une fine chaîne sur le front, et sa longue chevelure d'un blond laiteux était laissée libre, contrastant avec la noirceur de l'ensemble, renforcée par ses lèvres peintes en un noir soutenu et son regard encadré par plusieurs traits d'eyeliner noir, qui, dans un dessin graphique, rendaient encore plus étrange son regard d'un vert minéral si propre aux dieux babyloniens.

"Tu comptes m'observer pendant que je me change?" Finit par dire Ereshkigal d'un ton acide en haussant un sourcil, alors qu'Hadès la contemplait en silence.

"Je vais me tourner. Je reste ici, tu vas avoir besoin d'aide pour régler les sangles et fermer les boucles."

"Trop aimable." Grinça-t-elle, alors qu'il lui tournait enfin le dos. Elle lui jeta un regard en coin. Il portait une toge noire et une cape blanche, et de dos, elle ne voyait donc de lui que sa chevelure de jais, laissée libre, qui contrastait avec la blancheur de la cape qu'il portait. Elle ne doutait pas, cependant, qu'Hadès puisse revêtir sa protection divine en l'espace d'un battement de cils. L'avantage d'avoir une armure dotée de vie.

Ereshkigal fit glisser une main sur son visage, puis se tourna elle-même, jetant un dernier regard par dessus son épaule pour vérifier qu'elle n'était pas épiée en douce. Un homme restait un homme non, même mort vivant? Ne détectant aucun signe suspect, elle finit par faire disparaître la tenue qu'elle portait dans un éclat de cosmos et matérialiser à sa place un T-shirt à manches longues, noir et près du corps, associé à un pantalon fin et moulant lui aussi, qu'il serait aisé de glisser sous une armure, pour éviter les frottement désagréables du métal contre sa peau nue. Puis, elle s'approcha du mannequin en bois qui portait l'armure et saisit d'abord les jambières, qu'elle arriva à mettre seule. Le torse cependant, était plus complexe et s'attachait sur les côtés. Elle réussit également à le serrer.

Par contre, pour les épaulettes et les protections aux bras, impossibles de les revêtir sans aide, sauf à user de son cosmos. Ce qui lui fit donc poser une question essentielle.

"Hadès?"

"Oui?"

"Tu sais que je peux utiliser mon cosmos pour serrer les sangles non?"

"Même celles dans ton dos? Tu ne verras pas ce que tu fais. Ce n'est pas une tenue que tu es en train de créer et que tu maîtrises totalement. Si tu forces, tu vas la détruire. Laisses-moi t'aider."

"Il faudra réviser les armures données à tes troupes. Un soldat doit pouvoir s'habiller seul... Et en plus ces armures sont horribles, même pour les Enfers." Répliqua Ereshkigal, pragmatique et esthète, avant de compléter, en réponse à Hadès. " Tu peux m'aider pour le reste s'il te plaît?"

Pendant les minutes suivantes, l'armurerie résonna simplement du son feutré de sangles que l'on ajuste et serre ainsi que du bruit métallique de boucles qui se ferment, alors qu'Hadès tournait petit à petit autour d'Ereshkigal, complétant son œuvre. La babylonienne respirait à peine, sentant son cœur s'accélérer dans sa poitrine. La proximité physique d'Hadès était déroutante. Elle nota avec surprise cependant que contrairement à ce qu'elle appréhendait, le contact n'était pas forcément désagréable. Il était précis, régulier et respectueux, sans un seul geste déplacé. Après s'être involontairement crispée, elle se détendit peu à peu et baissa le regard, fixant le sol pour éviter de le suivre des yeux et essayer de ne penser à rien. Difficile à faire. Elle notait inconsciemment tous les détails que la proximité physique d'Hadès lui faisait découvrir, à commencer par son parfum. Comme une légère odeur de menthe et d'agrumes, mais avec un cœur plus élégant, un peu épicé, avec une note virile d'ambre et de bois blanc. Un accord presque de cuir semblait aussi présent, mais ça pouvait venir de l'armure et de ses sangles. On ne sentait son parfum, comme une seconde peau, qu'en étant ainsi proche de lui. Et les notes olfactives semblaient ajouter de la sensualité et du mystère à un spécimen masculin qui n'en manquait déjà pas. Ereshkigal ferma les yeux brièvement, s'infligeant une gifle mentale à ces dernières pensées. Brillante idée. Elle allait s'amouracher d'Hadès maintenant? Elle se prenait pour qui? Ishtar? Pourtant loin de se calmer, elle sentait son cœur battre un peu plus vite dans sa poitrine. Saleté de parfum. Pourquoi diable se revoyait-elle en train d'embrasser l'armure d'Hadès maintenant? Son cerveau était possédé?

Hadès quant à lui, bien que concentré sur sa tâche, n'avait pas manqué la réaction initiale de réticence de la déesse, presque de crainte, vite dissimulée mais pourtant bien présente. Etait-ce dû au fait qu'il la touchait? Ou plus exactement, qu'il touchait l'armure qu'elle portait? Il n'avait pas effleuré un millimètre de peau de la babylonienne et ses doigts évitaient tout contact inutile, resserrant l'armure avec une dextérité et une précision presque chirurgicales. Le seul contact physique avec elle était lorsqu'il écartait parfois, les mèches de cheveux blonds qui venaient couvrir l'armure et caresser ses mains.

Il était surpris de constater à quel point, lorsqu'ils étaient proches physiquement, l'énergie vitale de la déesse semblait influencer la sienne, comme repoussant l'influence de son lien avec Perséphone. Les couleurs semblaient plus vives, l'air plus respirable. Il devait être vigilant s'il ne voulait pas que leurs auras se mêlent par inadvertance, comme ce jour là en Elision, où il l'avait touchée. Leurs esprits avaient tendance à communiquer via leurs cosmos sans même qu'ils ne le souhaitent, dés qu'ils étaient en contact. Une mèche de ses cheveux blonds vint caresser de manière accidentelle la main du dieu. Presque malgré lui, il fit glisser entre ses doigts la mèche qui s'était égarée sur sa main. Elle était d'un blond pâle, laiteux, opposé à celui presque doré de Perséphone. La texture de sa chevelure était souple et douce. Comme sa peau? Il se figea en réalisant ce qu'il était en train de faire et de penser. Le bout de ses doigts le brûlait d'une chaleur douce et depuis longtemps disparue. Parce qu'il la touchait?

Près de lui, Ereshkigal bougeait enfin légèrement, se détendant imperceptiblement et se permettant de respirer plus librement, sa tension se relâchant peu à peu.

Ce qui attira l'attention de l'olympien sur à quel point la tension d'Ereshkigal était anormale. Ses pouvoirs n'expliquaient pas tout. Surtout si elle n'avait aucun risque de le tuer. Pourquoi être tendue ainsi?

Intriguée par le fait qu'Hadès avait cessé de se mouvoir, Ereshkigal jeta un regard de côté, puisque l'olympien était a priori en train de finir d'attacher son épaulette gauche.

"Un souci?"

"Je réfléchissais." Répondit calmement Hadès, alors qu'il relâchait la mèche soyeuse qu'il avait saisie, pour la repousser délicatement et attraper librement la dernière sangle à régler. Aussitôt, la chaleur étrange au bout de ses doigts disparu, laissant place au froid habituel qu'il connaissait désormais depuis des siècles. Il préféra ne pas s'attarder sur ce fait, et réfléchir plutôt au comportement d'Ereshkigal.

Elle lui faisait penser à un cheval rétif ou à un animal qui aurait été battu. Les combats ne lui faisaient pas peur, c'était son élément. Mais elle semblait déstabilisée par tout autre contact, y compris lorsqu'il l'avait effleurée sur le front. Il se souvenait parfaitement de la lueur surprise dans son regard. Il y avait quelque chose qui avait déclenché ce comportement en elle. Hadès avait vu passer trop d'âmes devant ses yeux pour ne pas reconnaître ce qu'il voyait. Et au vu des pouvoirs de la babylonienne, il n'y avait pas des centaines de possibilités ou de coupables potentiels. Il fit glisser brièvement son regard vers le visage de la babylonienne, qui observait devant elle sans sembler se préoccuper de lui, alors qu'il se rappelait soudain de ce qu'elle lui avait dit lors d'une de leurs disputes : Que s'il devait créer un Enfer spécialement pour elle, c'était le nom de son Père qu'il fallait lui donner. Bien inconsciente des rouages complexes en train de tourner dans l'esprit de l'olympien (qui n'avait rien à envier à ceux de ses frères lorsqu'un sujet l'intéressait), Ereshkigal ne se doutait absolument pas d'à quel point Hadès était littéralement en train de percer son amure mentale tout en l'aidant à mettre une armure bien réelle, elle.

"Seuls les membres de ta famille peuvent toucher ton sang sans en souffrir n'est-ce pas? Vous étiez quatre: ton frère, ta jumelle, ton père et toi c'est bien cela?"

"C'est exact. Enfin, presque exact. Il faudrait aussi te compter, j'imagine." Il y eut un bref silence. Les engrenages dans le cerveau d'Hadès étaient en train de tirer des conclusions à une vitesse effroyable. Cette cicatrice de son passé à Babylone... La raison pour laquelle tout avait brûlé...

"J'ai terminé." Dit Hadès après avoir bouclé la dernière sangle. Le cliquetis de la sangle aurait presque pu être le clic final de la dernière pièce du puzzle mental qu'Hadès venait de reconstituer.

"Merci" Murmura-t-elle.

Il s'écarta de deux pas, se mettant face à elle et demeurant relativement proche. Ereshkigal avait levé ses mains devant elle et était en train de les mouvoir en grimaçant d'inconfort. Trop occupée à tester à quel point elle était gênée par la protection, elle ne se rendit pas compte immédiatement de l'intensité avec laquelle Hadès l'observait.

"Je souhaiterais te poser une question." La voix était calme, le ton sépulcral. Hadès étant Hadès, il ne s'encombrait pourtant normalement pas de détours pour dire ce qu'il avait à dire... Ayant un mauvais pressentiment mais trop tard, la déesse se pencha pour récupérer le casque affreux qu'elle avait posé sur un banc près d'elle

"Je t'écoute." Ne se doutant pas de ce qui allait suivre.

"As-tu trahi Babylone parce que ton père t'a violée?"

Le casque qu'elle venait de saisir glissa d'entre ses doigts, tomba au sol, puis rebondit avant de rouler sur lui-même et de s'immobiliser au bout de longues secondes, dans un fracas métallique qui résonna fortement dans la salle souterraine emplie de voûtes de l'armurerie.

Le profil de la déesse n'avait plus aucune trace de vie, sauf ses mains qui s'étaient mises à trembler, faisant cliqueter légèrement l'armure qu'elle portait. Le mot choc, pour traduire son état mental à cet instant là, n'était pas suffisant. Les visions, les visions que ces simples mots avaient réveillées. Malgré les millénaires. Malgré la vengeance. La faille. La fêlure était toujours là. La nausée, noire, totale, absolue, aussi. Elle fixa obstinément le vide, alors qu'elle ressentit un bref instant l'envie irrépressible de disparaître. Comme à chaque fois que tout remontait à la surface.

Malheureusement pour Hadès et heureusement pour Ereshkigal, c'est cet instant précis que choisit le maître des sept mers pour contacter télépathiquement son aîné, pour la première fois depuis des siècles. Celui-ci pesta intérieurement en sentant l'aura de Poséidon chercher à entrer en contact avec la sienne, et essaya de la repousser.

Ces quelques secondes d'inattention du Prince des ténèbres furent assez à l'instinct de survie d'Ereshkigal pour qu'elle reprenne contenance et se redresse, elle aussi ayant senti les traces d'une autre aura divine. Sans un mot, elle choisit la seule stratégie sensée dans son état d'esprit actuel: Elle se téléporta en précipitation totale en dehors de l'armurerie.

...


...

"Shamash?"

Le relativement jeune dieu de la justice, âgé d'une petite centaine d'années, observa avec bienveillance sa plus jeune sœur s'approcher timidement de lui. Depuis la naissance des jumelles, il n'avait passé que très peu de temps à Babylone et son père lui avait demandé de visiter d'autres pays et royaumes pour parfaire sa formation. Depuis son retour, un mois plus tôt, et sa prise de fonction officielle pour rendre la justice au nom de son père, il avait eu la désagréable surprise de constater que le comportement de celui-ci envers les jeunes déesses, et plus particulièrement Ereshkigal, était devenu totalement irrationnel.

Cela faisait huit ans déjà que la mère humaine de ses demi-sœurs, qu'il considérait comme des sœurs à part entière, était morte en les mettant au monde. Et avec Shamash éloigné plusieurs années, il avait malheureusement été contraint de constater à son retour à Babylone que non seulement personne n'avait été en mesure de mettre un frein aux agissements de Sin, jusqu'à maintenant du moins, mais que celui-ci semblait avoir sombré dans la violence.

Il avait à peine reconnu ses sœurs. Même sans pouvoir lire dans leurs pensées ou celles de leur père, il avait cependant vite compris que Sin passait ses colères sur Ereshkigal aux traces de coups qu'elle essayait toujours de cacher... Ereshkigal était devenue totalement renfermée sur elle-même. Ishtar, à l'opposé, était devenue une petite peste totalement gâtée, à laquelle leur père passait le moindre caprice. Les jumelles désormais passaient leur temps à se battre dés qu'elles en avaient l'occasion.

Afin d'essayer d'apaiser les choses, il rendait fréquemment visite à ses jeunes sœurs. Il se trouvait ce matin là dans la chambre d'Ereshkigal, qui avait pour le moment fini ses leçons d'écriture.

Il fut tiré de ses pensées par la petite divinité blonde désormais face à lui, qui tendait à son frère ses deux mains jointes, qui semblaient renfermer quelque chose, en lui faisant un immense sourire dans lequel manquait une dent de lait.

"Qu'est-ce que c'est?" Demanda-t-il.

"Un cadeau pour toi!" Souriant, il tendit ses mains et sa jeune sœur déposa une petite figurine en lapis-lazuli, qui ressemblait vaguement à un félin, entre ses doigts. La petite représentation, bien que maladroite, semblait imprégnée de cosmos et la matière était parfaitement recréée.

"C'est un lion?"

"Non, Ishtar adore les lions. Je les déteste! C'est un tigre!"

"Tu l'as fait toi-même avec ton cosmos? C'est très joli."

"C'est pour te remercier de m'avoir protégée." Surpris, Shamash fixa sa jeune sœur, qui le regardait avec un air atrocement sérieux pour son jeune âge. "J'ai entendu les serviteurs. Je sais que tu t'es battu avec Père pour me défendre il y a deux jours."

"Je t'ai déjà dis de ne pas écouter tous les ragots des serviteurs." La rabroua gentiment Shamash.

"Mais c'est vrai?" Insista-t-elle de sa voix aigüe et encore enfantine. "Je suis sure que c'est vrai!"

"C'est vrai." Finit-il par admettre. "Et j'aurais été le voir plus tôt, si j'avais compris plus vite qu'il te battait à ce point." Le dieu soupira, baissant le regard. "Je suis désolé de ne pas avoir pu te protéger toutes ces années. Promets-moi de me dire s'il continue à te frapper. Quoi qu'il dise, ce qu'il te reproche n'est pas ta faute tu comprends? Tu pourras toujours venir me voir quand tu voudras. Je te protégerai."

Elle lui fit un sourire éblouissant comme il n'en avait pas vu sur son visage depuis littéralement des années, avant de demander, presque timidement...

"Je peux avoir un câlin?"

Il hocha la tête et posa un genou à terre, ouvrant les bras pour que sa petite sœur puisse venir contre lui. En silence, il caressa doucement ses cheveux, alors qu'elle se blottissait contre lui. A part lui, quels contacts avait-elle, à part des coups? Sin avait même rendu les jumelles ennemies. Comment pouvait-il essayer de les protéger? Cette pensée le torturait depuis qu'il avait compris à quel point Ereshkigal était maltraitée. Et Ishtar aussi. D'une autre manière, plus subtile. L'une était rabaissée et détruite, l'autre adorée et gâtée. Ca avait détruit leur lien gémellaire et dans les deux cas, c'était toxique pour leur futur à tous.

"Ereshkigal?" Demanda-t-il tout bas, après un long moment à tenir la petite déesse contre lui.

"Grand frère?" Il s'écarta d'elle légèrement pour observer son visage.

"Il n'a jamais rien fait d'autre de mal? Contre toi?" S'enquit Shamash, observant sa sœur tout en maudissant le fait qu'elle était, tout comme les autres membres de sa famille, parfaitement immunisée à ses pouvoirs tant qu'elle ne lui laissait pas volontairement l'accès à son esprit.

"Ca fait deux jours que Père ne m'a pas battue. Je suis sure qu'il ne recommencera pas." Dit la petite en se recroquevillant un peu plus contre lui. Shamash soupira. En venir aux mains avec son propre père... Lui-même n'avait pas été élevé comme ça... Il ne comprenait plus son père, si différent de celui d'autrefois.

"Je suis désolé. J'espère qu'il arrivera à être un vrai père pour toi aussi un jour."

"Je n'ai pas besoin de lui si tu es là." Répondit fort honnêtement la petite.

"Dis, est-ce que tu voudrais que je t'entraînes pour que tu puisses te battre et être plus forte que moi un jour?"

"Plus forte que toi?" La gamine leva un visage très intéressé vers son aîné. "Comme ça je pourrais dire à Ishtar qu'elle est la plus nulle de nous deux? Et je pourrais battre n'importe qui? Même Père?"

"Tout à fait. Tu seras une grande déesse un jour. Puisque Père néglige ton éducation, je vais m'en charger, jusqu'à ce que tu puisses voyager toi aussi et développer tes propres techniques. Ca te convient?"

"Mais tu me protégeras toujours quand même hein?" Emit un filet de voix minuscule.

"Bien sûr. Mais si je t'apprends à te battre, c'est pour te défendre et défendre ceux que tu dois protéger." Il sourit avec bienveillance. "Et n'en profites pas pour te battre avec Ishtar..."

"Mais Shamash!" Il s'était mis à rire de sa tête et elle lui avait tiré la langue, boudeuse.

Après l'intervention de son frère, si Sin n'avait jamais cessé de la détester ou de l'insulter, il n'avait plus jamais levé la main sur elle, ni pour la frapper ou, ni selon ses termes édulcorés à lui, pour la forcer à remplacer la femme qu'elle lui avait volé en commettant le crime de naître.

En grandissant, Ereshkigal en avait développé une adoration et une reconnaissance sans bornes pour son frère, qui n'avait jamais su à quel point il lui avait sauvé la vie en intervenant contre leur Père. Jamais elle n'avait parlé de ce qui s'était produit de ses six ans à ses huit ans. Ni à lui, ni à sa jumelle, ni à personne.

A l'inverse, son opposition avec Ishtar s'était peu à peu muée en haine, alors que sa jumelle, surprotégée et jamais maltraitée, était devenue une peste qui avait tout ce qui manquait à Ereshkigal, mais qui se permettait malgré tout de se plaindre, comme un reflet horriblement distordu de l'existence qu'elle aurait pu avoir et que le destin lui avait volée.

Babylone avait brûlé bien plus tard d'un feu purificateur. La vengeance avait été amère et lui avait aussi coûté la vie de nombreuses âmes dont elle ne souhaitait pas la mort, à commencer par celle de Shamash. Mais Ereshkigal n'avait jamais regretté sa décision. Pour détruire des monstres, il fallait parfois être un monstre soi-même. Son sens de la justice était devenu exacerbé et très particulier.

Némésis incarnée.

...


...

Les deux montures noires, à l'encolure encore luisante, étaient laissées libres et allaient et venaient en suivant de loin leurs cavaliers, qui avaient mis pied à terre et marchaient côte à côte sur la plage de sable fin du domaine privé de Julian Solo, le long du rivage.

"Il a accepté une rencontre?"

"Il se méfie de moi. Nous ne sommes pas directement ennemis, mais j'ai aidé Athéna lors de la dernière guerre sainte."

"Et donc?"

"Il n'a ni accepté ni refusé. Il va réfléchir et s'il accepte, me proposer un lieu. Connaissant son imagination, nous allons certainement être convoqués dans sa cathédrale maudite... Il y sera en position de force. Je sais qu'il acceptera. Mais il va me faire patienter. C'est de bonne guerre."

Ishtar lança un regard de côté à Poséidon, qui parlait calmement comme si tout cela n'était pas si grave.

"Il a parlé de ma sœur?"

"Absolument pas."

"Elle sera là. J'en suis certaine." Ishtar soupira, fermant les yeux pour apprécier la douce chaleur du soleil grec. "Notre alliance est contre nature." Murmura-t-elle. Elle s'était arrêtée de marcher et contemplait désormais la Méditerranée, calme et limpide, face à eux. Poséidon s'arrêta lui aussi.

Poséidon ne répondit rien, observant la déesse à ses côtés. Elle avait revêtu une tenue similaire à la sienne, qu'il lui avait fait remettre: bottes hautes de cavalier, pantalon et blazer. Sa longue chevelure ivoire était tressée en un chignon épais, à la fois élégant et pourtant simple, qui dégageait son port de tête. Elle ne portait pas de maquillage, à part un rouge à lèvres rouge et mat, qui semblait être comme un rappel que peu importe la tenue ou la situation, elle demeurait une séductrice.

Alors pourquoi le tenait-elle à distance respectueuse? Ca intriguait malgré tout le dieu des mers. Elle n'avait pas ce genre de réputation. La babylonienne était plutôt connue pour profiter des plaisirs de la vie. Sauf si elle avait une raison de le repousser? La peur de Zeus? Peu probable. Un autre homme?

Comme devinant le cours de ses pensées, sa compagne fit glisser son regard d'un vert pâle et minéral sur la silhouette de Poséidon.

"Tu sais pour hier, je te testais simplement. Tu n'as pas à passer pour mon amant. Ne prends pas de risques inutiles envers Zeus."

"Et moi qui m'apprêtais déjà à rompre avec ma petite musicienne pour tes beaux yeux..."

"Rompre? Cela impliquerait une relation... Elle a un nom cette humaine?"

"Sans doute. Mais je ne lui ai jamais demandé." Sourit Poséidon, avec un sourire à la fois charmeur et désarmant que seul pouvait avoir un grand séducteur pris en flagrant délit de libertinage mais trop abominablement irrésistible pour qu'on puisse lui en vouloir plus de quelques secondes. Une technique dont il avait usé et abusé sur sa défunte épouse.

"Je vois ce que Kanon admire tant chez toi..." Répondit Ishtar, plissant le nez alors qu'une moue amusée se dessinait sur son visage. "Il dit que c'est ton intelligence, mais je crois bien que j'ai trouvé la vraie raison."

"Le manque de profondeur de mes relations me convient parfaitement. Je n'ai plus aucune envie de m'encombrer de sentiments amoureux."

"Je comprends parfaitement. Mais ça ne se décide pas toujours... Parfois tout ce que l'on peut faire est d'accepter ce qui nous tombe dessus."

"Comme toi?"

"Moi?" Dit-elle à moitié surprise, incapable de dire s'il était en train d'impliquer que soit c'était elle qui venait de lui tomber dessus, peu probable au vu de ce qu'il venait pourtant d'affirmer, soit qu'elle lui cachait elle-même quelque chose du point de vue amoureux.

"Tu es la déesse de l'amour physique, pourtant tu repousses un amant potentiel. J'en déduis donc que tu n'es plus libre..."

"Si tel était le cas... Que ferais-tu d'une telle information?" Dit-elle d'un ton parfaitement neutre, arborant sur son visage sa mine la plus étudiée de poker menteur, afin de ne lui donner aucun indice, dans un sens ou l'autre.

"Notre ennemi est le même et nous sommes alliés. Cela me permettrait juste de t'aider à protéger ton secret. C'est pour cela que tu tenais tant à ne pas être observée par Zeus n'est-ce pas?"

Ishtar eut un rictus, puis sourit.

"Tu sais Poséidon, je regrette presque que ce ne soit pas toi qui ait attaqué Babylone. Si tu avais été à la place de Zeus, je pense que nous serions un vieux couple maintenant."

"Quel tableau charmant. J'espère que tu n'as rien contre les maris volages?"

"Tss avec toi, ça me semble faire partie du contrat. C'est plutôt le contraire qui serait étonnant de ta part." S'amusa Ishtar. "Rappelle-moi de succomber à tes charmes le jour où je serai désespérément seule et malheureuse. Quant à ma situation actuelle, imagines ce qui te fait plaisir."

"Comme tu le souhaites. Mais nous ne sommes pas ennemis Ishtar. Nous devrons apprendre à nous faire confiance pour bâtir le monde d'après Zeus. Si nous nous isolons tous à nouveau dans nos domaines respectifs, rien ne changera et les guerres reprendront tôt ou tard..."

"Peut-être..." Murmura Ishtar. "Mais combien de siècles de paix supporteras-tu avant de t'ennuyer à mourir? Combien de tonnes de déchets supplémentaires dans les océans avant que tu ne souhaites détruire l'humanité?"

"Il y a déjà bien trop de déchets à mon goût... Mais je n'ai aucune envie d'éradiquer l'humanité, mon éternité serait d'un ennui proprement mortel sinon... L'humanité me surprend toujours. Depuis que les dieux se sont retirés et que nous avons décidé de la laisser libre, elle invente chaque jour de nouveaux concepts, de nouvelles technologies et des œuvres d'art que même les dieux ne pourraient pas imaginer. Je préfère veiller de loin et la laisser progresser seule. Il sera toujours temps d'intervenir si les hommes décident de réellement s'auto détruire... D'ici là, j'observerai avec fascination en profitant de ce qui m'est offert."

"Tu es loin de ne faire qu'observer... Tu décisions influent chaque jours des milliards de vie sans même que l'humanité en soit consciente."

"Tes décisions aussi Ishtar. Dans le cas d'un dieu, ne pas agir est aussi un choix impactant."

Il y eut un silence, seulement rompu par le chant des vagues et le souffle bruyant de la respiration des chevaux, à proximité, qui s'ébrouaient de temps en temps. Les deux divinités étaient côte à côte, immobiles face à la méditerranée, dans leurs tenues d'équitation étrangement humaines et modernes.

Il sembla à Ishtar que Poséidon fut soudain brièvement ailleurs, comme conversant mentalement. Elle crut percevoir le cosmos de Kanon sans en être certaine. Le dieu finit par se tourner vers elle avec un air profondément songeur sur le visage.

"Pour ton information, cet endroit fait partie de mon domaine. Zeus ne peut pas t'y voir sans mon accord."

"Pourquoi me dis..." La babylonienne s'interrompit. Un triangle doré venait d'apparaître à proximité. Une aura doublement familière et pourtant atrocement inconnue semblait en émaner.

"Il voulait accéder au domaine sous-marin et avait contacté Kanon. J'ai pris la liberté de lui permettre de nous rejoindre directement, au vu de son aura..." Dit Poséidon d'un air cryptique. "Je vais vous laisser... pour le moment."

La déesse ne l'écoutait plus. Elle avait déjà toutes les peines du monde à garder un semblant de calme, alors que son cœur se mettait à battre à tout rompre. A quelques mètres de là, marchant vers eux sur la plage déserte, se tenait la silhouette blonde d'un être qu'elle aurait reconnu entre mille.

Mais l'aura qu'il avait était proprement impossible. La sérénité, le calme et la bienveillance absolue de Shaka, comme multipliées, et en dessous, la puissance ancienne et familière du cosmos de Shamash... le tout mêlé comme s'ils ne faisaient qu'une seule et même personne. Même sa tenue reflétait ça. Tout de noir vêtu dans la lumière solaire, il portait un sherwani, sorte de long manteau noir qui lui arrivait au dessus du genou, au col légèrement montant, brodé le long de l'encolure et jusqu'en bas par des arabesques dorées, sur un pantalon noir de la même couleur. Il avait l'air d'un dieu oriental, alors que sa longue chevelure blonde détachée se mouvait autour de lui au rythme de ses pas.

Qu'avait-il fait? C'était impossible! Impossible! Elle était figée sur place. De surprise. D'incompréhension. De colère aussi. C'était pour ça qu'il était parti en Inde?! Comment Shaka avait-il pu décider d'une chose pareille sans lui en parler avant?

Elle fit quelques pas en avant, allant rejoindre d'un pas désormais résolu l'homme ou le dieu qui avançait vers elle. Peu importait. Elle allait le tuer. Là maintenant!

"Espèce d'égoïste! Comment as-tu pu faire ça?!" Explosa-t-elle. Poséidon eut la surprise de voir la déesse asséner une gifle retentissante au nouvel arrivé, dont le visage demeurait pourtant parfaitement serein malgré le courroux qui s'abattait sur lui. "Je ne sais même plus comment je dois t'appeler! Shaka?! Shamash?! Bouddha?!" Elle avait noté avec effroi, au gré des mouvements du vent faisant voleter les mèches blondes de son amant, que le point sur le front de la Vierge avait changé de couleur et n'était plus rouge, mais blanc. "Ouvre les yeux et regarde moi!" Hurla-t-elle.

Un peu plus loin, Poséidon, qui avait oublié d'être idiot ou aveugle, tirait de la situation plusieurs hypothèses d'une logique parfaite.

D'une part, que vu la passion et la tension dans l'air, il était très probablement en présence de l'amant d'Ishtar. Restait à déterminer avec précision la nature précise et divine de celui-ci, qui était d'évidence bien plus qu'un simple chevalier d'or désormais.

D'autre part, que Kanon lui avait manifestement caché pas mal de choses. Et au vu des informations que son Dragon des mers n'avait apparemment pas jugées utiles de lui communiquer jusque-là, car il était certain qu'il était au courant, Poséidon ne regrettait absolument pas la petite plaisanterie matrimoniale qu'il lui avait concoctée.

Et qu'enfin, être célibataire (certes pas abstinent) était une bénédiction fortement sous-estimée.

Il détourna son observation de la furie divine babylonienne à quelques mètres de là pour flatter le col des montures, leur ordonnant mentalement de regagner le chemin des écuries.

Puis, il disparut dans un éclat de cosmos d'une couleur similaire à la mer qui allait et venait sur le rivage dans des vagues éternelles et paisibles.