Une des règles principales dans le manuel officieux du chasseur était de ne jamais se retrouver en infériorité numérique quand c'était vous contre les créatures enclines à grignoter de l'humain. Quand ça arrivait par hasard, c'était de la malchance, mais quand vous le faisiez exprès, ça s'appelait un suicide ou un Darwin Awards – parce que ça signifiait que vous étiez tellement con que vous méritiez de mourir.

Dean se sentait horriblement vulnérable, entouré de dieux païens et d'anges. Et dans le salon de Bobby, en plus – vous pouviez vraiment hurler à l'hérésie, là. Mais bien sûr, Dean Winchester étant Dean Winchester, hors de question de le laisser voir. Et ça signifiait masquer le stress en faisant des remarques insolentes.

« Et ben, je savais que tu t'emmerdais pas à jouer les Embrouilleurs, mais regarde un peu toutes ces nanas ! »

Parce qu'à l'exception du côté humain – les Winchester et Bobby – et de quelques représentants parmi les anges – la tortue ninja et Cassiel comptaient définitivement mais il était moins sûr pour Castiel vu l'âge de ce dernier – le salon était envahi de femmes. Plusieurs angelottes menées par une chouette blonde appelée Rachel, tout un contingent Viking, un trio gréco-romain officiellement venu s'enquérir de la santé de Dionysos, et plusieurs déités africaines dont au moins une égyptienne occupée à darder un regard noir vers les emplumés.

Gabriel renifla.

« C'est triste à reconnaître pour les hommes, mais il s'agit de discuter, les femmes sont beaucoup plus raisonnables, en effet. »

Dean lui adressa une mine de chien mouillé, mais ne parvint qu'à provoquer un sourcil haussé chez son interlocutrice. Bon sang, comment s'y prenait Sam ?

Autour d'eux, la conversation battait son plein.

« Alors c'est vous, Yemanja ? Je suppose que je dois vous remercier pour les amulettes... » Sam, toujours poli, même avec les monstres, se voyant répondre par un rire amusé.

« Oh, il n'y a pas de quoi. Maintenant, je comprend mieux pourquoi la magie employé par Loki était si étrange. En rétrospective, quelle farce il nous a joué... »

« Sans vouloir être désobligeante, mon cher Singer, votre peau est dans un état lamentable. Croyez-en une esthéticienne émérite, d'ici cinq ans, vous ferez figure de vieux rideau attaqué par les mites… Et ce que je dis ne vous intéresse absolument pas, n'est-ce pas ? »

« Perséphone, ma choute, aurais-tu idée de comment je devrais annoncer à Zeus que son fils est devenu un humain ? D'accord, ça fait des années qu'il nous traîne sa rébellion adolescente, mais là, c'est tout de même un comble ! »

« A ta place ? Je n'essaierais même pas. Va plutôt empêcher Isis de provoquer un esclandre, je la sens à deux doigts de se jeter sur l'un des anges et ça finirait mal. Elle a eu toujours les yeux plus gros que le ventre, question adversaires... »

« Et voilà mon signal d'intervention » commenta l'Archange féminin à mi-voix.

Le bref éclair blanc dégagé par sa grâce ne dura qu'une fraction de seconde, mais ce fut suffisant pour obliger Dean à cligner furieusement des paupières afin de chasser l'éblouissement qui en avait résulté. Tout le monde se tut.

« Mesdames et messieurs » se lança le Messager d'une voix bien timbrée, « merci infiniment d'avoir répondu à mon invitation. Je me doute que vous avez perçu une nette perturbation dans le tissu de la réalité avant-hier... »

« Plutôt parler de tremblement de terre » marmonna une des femmes du trio grec, à l'air nettement gothique.

« Merci de cette précision, Hécate. Il s'agissait de la conséquence inévitable de l'ascension d'un nouvel Archange, en l'occurrence Hel Lokadottir du panthéon Norrois, provoquée par l'attaque du Serpent contre le demi-dieu olympien Dionysos et l'enfant que tous deux avaient adoptés. »

Il fallait s'y attendre, un froid passa dans l'assistance.

« Décidément » finit par soupirer une des femmes dans le contingent Viking, « toi et ta famille, Loki. »

« Alors quoi ? » grinça la divinité égyptienne, arborant une croix ankh portée en pendentif sur son collier de lapis-lazuli. « C'est le moment où tu nous massacres tous ? »

« Non, c'est le moment où j'implore votre assistance » rectifia Gabriel, « afin de démontrer au reste de l'Univers que personne n'est autorisé à attaquer un membre de ma famille sans attirer de représailles – un sentiment que vous comprendrez sans doute. Et accessoirement, renvoyer le Diable à son misérable petit cachot. »

Dean commençait à comprendre pourquoi Gabriel portait le titre de Messager – quelque chose dans sa voix vous incitait à écouter, à considérer ses paroles.

Elle sourit placidement, son regard sombre balayant son assistance.

« Je suis ouverte à toutes vos suggestions. »