Ma colère contre Alice ne retomba pas les jours qui suivirent ; nous n'avions pas échangé un seul mot depuis notre dernière entrevue et nous étions débrouillées pour ne pas être ensemble en classe. Ces derniers jours, son regard était particulièrement insistant - presque bizarre, et cela avait le don de franchement m'agacer ; elle me donnait l'impression de monitorer mes gestes. Je ne savais pas quoi faire de toute cette situation.

Nous avions mis Emily dans une position plus que délicate et elle avait bien tenté d'apaiser nos relations. Je n'avais cependant eu aucune envie de l'écouter me dire que j'avais été inconsidérée et sexiste à l'égard d'Alice ; quelque chose à propos du fait que même si la blonde était réellement sortie avec la moitié du château, cela ne lui retirerait aucunement le droit de - visiblement, être une connasse à mon égard. Ce n'était évidemment pas les mots exacts d'Emily, mais c'était ce que j'avais retenu entre les lignes. J'avais encore moins eu envie d'entendre qu'Alice avait juste besoin de temps - qu'était-elle supposée faire de ce temps ?, ce n'était pas comme si je lui demandais autre chose que de ne... rien faire. Quand j'y pensais à tête reposée, je me sentais coupable ; Emily ne méritait pas de subir les restes de ma colère envers Alice, mais celle-ci était bien trop grande pour que j'arrive à avoir l'esprit assez clair lorsque la brune tentait de me parler de la situation.

L'avantage, c'était que la performance de Poufsouffle avait grandement paniqué Tyler et Lewis. À nouveau, j'avais été en mesure d'utiliser le quidditch pour me vider la tête et ne m'en étais pas privée. Ce soir, mon entrainement se faisait à part du collectif ; il s'agissait de pouvoir gérer les feintes des poursuiveurs adverses. La tâche était, étrangement, moins complexe que ce à quoi je m'étais attendue et Tyler avait semblé plutôt satisfait de mes capacités. Avoir l'impression de maitriser quelque chose était une sensation agréable au vu des circonstances.

La session des poursuiveurs avait pris fin quelques minutes avant la mienne - Vanessa était déjà montée dans les vestiaires du stade, lorsque je grimpai à mon tour les escaliers en bois. Ma surprise fut totale quand j'aperçus Lilith adossée contre le mur en bois devant l'entrée des vestiaires des filles. Elle releva les yeux avant de sourire en m'apercevant, et j'oubliai complètement avoir été en colère ces derniers jours.

- Tu sais Lilith, souriai-je à mon tour, nous nous sommes déjà affrontés. Je ne suis pas sûre qu'espionner les entrainements de Serdaigle vous soit particulièrement utile.

- Sais-tu que tu as tendance à être légèrement penchée vers la droite ?

- Comment ça ?

- Sur ton balais. Tu penches sur la droite en vol stationnaire. Lorsque tu es redressée, c'est souvent un indice que tu t'apprêtes à partir sur ta gauche. Tu as également tendance à préférer fuir vers la droite plutôt que vers la gauche lorsque tu esquives.

Je n'avais jamais fait attention et – de toute évidence, Tyler non plus. Je ne savais pas si ces détails étaient réellement importants lors d'un match, mais qu'elle les ait noté me laissait tout autant intimidée que flattée.

- Comme tu t'en es douté, ce n'est pas pour cela que je souhaitais te voir, reprit-elle.

Si je fus – stupidement, contente d'entendre qu'elle souhaitait me voir, elle sembla plutôt appréhender de me parler. Elle ferma un court instant les yeux avant de reprendre :

- Il y a certaines traditions que les élèves perpétuent chaque année à Poudlard. Je me demandais si tu aurais envie de les honorer en ma compagnie.

- Certaines traditions ?

- Oui, notamment lors des sorties autorisées à Pré-au-lard.

Heureusement que je pus m'appuyer sur le balais que je n'avais pas encore pris le temps de ranger, Lilith Parker était en train de me proposer un rendez-vous d'une manière beaucoup trop adorable pour que je puisse rester sur mes deux jambes sans assistance.

- Tu ne me sembles pas être du genre à boire une bièraubeurre entourée d'élèves complètement excités de pouvoir sortir du château pour la journée, répondis-je amusée et quelque peu confuse malgré tout. Sans compter tout ce sucre qu'ils avalent chez Honeydukes, ça ne leur réussit jamais vraiment à la fin de la journée…

Les souvenirs des maux de ventre d'Alice me vinrent subitement en mémoire ; à chaque sortie, elle promettait de cette fois-ci faire attention, à chaque sortie, la moitié d'Honeydukes finissait dans son estomac en attendant patiemment que la bièraubeurre termine le travail. Enfin, ça n'avait plus trop d'importance maintenant.

- J'avais en effet une autre idée à l'esprit, répondit Lilith. Mais si moderniser les traditions est une idée absolument inenvisageable à tes yeux, je pense être tout à fait en mesure de supporter les hormones de nos camarades de classe. Enfin, pendant une heure ou deux. Peut-être une demi-heure. En tout cas, tant que la bienséance ne me contraint pas à ingérer quoique ce soit qui se rapproche d'une bièraubeurre, ajouta-t-elle avec dégoût.

- Tu es déjà allée aux Trois-Balais ?

La question eut l'air de lui paraitre étrange ; toute aussi étrange, à vrai dire, que serait sa présence dans ce genre de lieu.

- Non. Bien sûr que non.

- C'est ce que je me disais. Tu ne tiendrais pas dix minutes.

Son visage se décomposa. Son attitude était habituellement aussi rigide que son éducation, mais lorsqu'elle se redressa subitement, elle eut l'air particulièrement droite. Je venais manifestement de piquer la fierté de Miss Parker et ne fus pas déçue du résultat.

- Je suis tout à fait en mesure de maintenir une discussion cordiale avec des hommes de pouvoir qui pensent que leurs avis est plus important que leurs responsabilités, enchérit-elle d'une voix ferme, je peux bien gérer le niveau sonore et l'expansion émotionnelle d'adolescents dans un bar.

- Oui mais tu sais, répondis-je amusée de la voir ainsi, les adolescents et leurs hormones…

- Oh crois-moi, Eyrin, les adolescents me semblent bien plus aisés à gérer que les pervers mariés qui pensent être intouchables car ils étaient seuls dans le couloir le jour où il fallait attribuer leur promotion. C'était eux ou le prédisposé au nettoyage des cheminées, ajouta-t-elle rapidement en levant les yeux au ciel.

- C'est… extrêmement précis.

- J'ai en mémoire beaucoup d'exemples. Et beaucoup trop de souvenirs.

- Et je suis très curieuse, repris-je sur le même ton.

- Peut-être en parlerons-nous un jour autour d'une bièraubeurre, la tienne, aux Trois-Balais.

La Lilith des réceptions, galas et autres diners devait ressembler à celle que j'avais en face de moi. L'habituelle assurance qu'elle affichait en prenant ses distances avec autrui n'avait rien à voir avec cette prestance qui prenait, elle, tout à fait naissance dans son interaction avec autrui. Si sa voix était ferme, elle me sembla pourtant particulièrement chaleureuse et ma bouche devint sèche. Je déglutis. Par un quelconque miracle, je réussis à garder contenance et entrer dans son jeu malgré mon soudain coup de chaud.

- Je risque de te prendre au mot, tu sais.

- Ce serait tout à ton honneur. Tu t'octroierais une demi-heure en très charmante compagnie.

- Je m'estimerais heureuse si j'ai le droit à dix minutes entières. Mais je ne doute pas du fait que la compagnie serait charmante.

Évidemment, je fus celle qui rougis. C'était désespérant. La Lilith des réceptions disparut aussitôt qu'elle sourit en levant les yeux au ciel, manifestement amusée. À sa place, revint la Lilith quelque peu anxieuse de tout à l'heure ; à croire qu'elle s'imaginait réellement que ma réponse puisse être négative. Elle releva des yeux interrogateurs.

- Concernant ce week-end…

- Oui, Lilith, ça me ferait plaisir d'aller à Pré-au-lard avec toi… Il faut après tout respecter les traditions ancestrales de l'école. Je ne voudrais pas décevoir nos Fondateurs.

- Bien, sourit-elle.

- Ok…

- Très bien…

Elle resta plantée là et je n'avais aucune idée de l'usage à suivre dans ce genre de situations.

- Mhm... Est-ce que tu voulais autre chose ? demandai-je finalement.

- Si je suis tout à fait honnête, reprit-elle en se détachant du mur, oui.

Elle rompit rapidement la distance qui nous séparait ; je ne pus empêcher un sourire devant l'expectative. Ses doigts sur mon visage me donnèrent des frissons et elle posa enfin ses lèvres sur les miennes. Nous restions un moment ainsi à nous embrasser et je remerciai mentalement Vanessa de prendre des douches particulièrement longues après nos entrainements.

- J'apprécie beaucoup ton honnêteté, m'amusai-je alors qu'elle se reculait.

- À ce propos, commença-t-elle avec un sourire qui en disait long sur ce qui allait venir, je pense sincèrement que tu devrais songer à arrêter de te mordre ainsi les lèvres, tu risques de finir par te blesser. Je souhaitais déjà te le dire l'autre soir, mais j'ai été distraite…

Elle me prit complètement au dépourvu et mes joues reprirent des couleurs ; si elles avaient réussi à en perdre. Je ne m'étais jamais rendue compte que c'était quelque chose que je faisais, et elle sembla particulièrement amusée de me voir dans cet état. Je secouai la tête en soupirant - ce qui ne fit que plus élargir encore son sourire, elle n'était décidément pas possible.

- Est-ce que tu veux que je te rejoigne à un endroit particulier ? demandai-je.

- Comment ça ?

- À Pré-au-lard.

- Oh, oui. Pré-au-lard. Je me suis permise de t'inscrire l'adresse ici, ajouta-t-elle en sortant un bout de parchemin de sa cape.