Un chapitre avec plein de dialogue... Bonne lecture !

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Chapitre 34 : Visites amicales

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Les deux jours suivants ressemblèrent dans les grandes lignes à ce jour où Charlus avait repris ses entraînements. Le matin du quatrième jour, donc, Dorea eut besoin de changement, et surtout, de voir Lucretia. Elle en toucha deux mots à Charlus le matin.

« Tu fais ce que tu veux, lui répondit-il simplement avec amusement. Mais si tu comptes l'inviter à dîner ce week-end, pense à inviter Ignatius, il sera trop heureux de la voir.

-Tu crois vraiment ? demanda-t-elle avec sérieux.

-Bien sûr, mais peut-être pas comme ta cousine le voudrait, reconnut-il avec un haussement d'épaule.

-Alors il ne vaut mieux pas. Je ne veux pas qu'elle ait le cœur brisé, avoua-t-elle en faisant la moue. »

Elle pouvait bien lui en parler, non ? C'était son mari… Lucretia ne lui en voudrait pas… si ?

« Je t'aurais dit sans hésiter qu'il lui briserait le cœur deux semaines plus tôt mais… »

Quoi ? Et il avait passé son temps à taquiner Lucretia ?

« … mais j'ai reçu une lettre d'Ignatius hier soir, et il me demande quand est-ce que je compte l'inviter à nouveau lui et ta cousine pour une soirée comme celle du nouvel an.

-Je ne vois pas ce que ça change ! dit-elle en essayant de maîtriser son énervement. Tu… Tu t'es amusé avec ma cousine ! Elle a dix-huit ans ! Elle… Elle… Elle est innocente et rêveuse !

-Tout le monde doit grandir, dit-il sans sourciller.

-Comment peux-tu… articula-t-elle difficilement.

-Il vaut mieux qu'elle ait sa première peine de cœur avec Ignatius qui ne tentera pas de profiter d'elle qu'avec n'importe qui d'autre, répondit-il en grimaçant. Et puis vraiment, elle a besoin de grandir.

-Je ne te permets pas de…

-Dorea, enfin, calme-toi, ce n'est pas…

-Elle est amoureuse, bon sang ! explosa-t-elle en sentant ses lèvres trembler. »

Comment pouvait-il… Et si elle, elle lui disait qu'elle l'aimait, est-ce qu'il lui dirait la même chose ? Qu'elle devait grandir ? Qu'ils étaient simplement mariés ?

« Elle l'a vu deux fois, protesta Charlus en levant les yeux au plafond. »

Elle essaya de retenir ses lèvres de trembler en le regardant lui servir une tasse de thé.

« Et alors ? Elle est tout de même persuadée que c'est l'homme de sa vie, et je reprends ses mots. Tu… Et toi tu t'en fiches ! Elle…

-Enfin, calme-toi, la coupa-t-il en essayant d'attraper sa main mais elle se déroba. Dorea, mais qu'est-ce qui te prend ? Ta cousine a dix-huit ans, elle ne sait pas encore ce qu'est la vie. Je pensais que tu comprendrais ce que je voulais dire. Tu as bien attendu d'avoir vingt-trois ans pour te marier parce que tu as compris qu'on ne pouvait pas se marier avec le premier coup de cœur venu, non ? »

Peut-être aussi parce que Theophilius effrayait les moins courageux. Peut-être aussi parce que je ne t'avais pas encore rencontré. Mais non, ce n'était pas ça, puisqu'elle lui avait dit oui avant de le connaître. Et puis, apparemment elle ne le connaissait même pas puisqu'elle n'aurait jamais pensé qu'il puisse manifester si peu de sentiment.

« Tu as raison, fit-elle avec acidité, il vaut mieux choisir un bon parti plutôt qu'un bon amant.

-Dorea, je n'ai pas dit ça, dit-il lentement.

-Ce doit être pour cela qu'on dit aux demoiselles de rester vierges pour leur mariage, continua-t-elle sans pouvoir s'en empêcher.

-Mais enfin, calme-toi ! s'exclama-t-il en se levant brusquement. Tu t'emportes sans me laisser le temps de m'expliquer ! »

Elle se leva à son tour pour quitter la cuisine. Là, elle était furieuse. Il n'y avait rien à expliquer. Il s'était amusé du béguin de Lucretia pour Ignatius, et avait été jusqu'à l'inviter à Nouvel An à escient, et non pour elle comme elle l'avait pensé. Il la rattrapa et la retourna en tirant d'un coup sec sur son coude. Elle se retourna vers lui, plus furieuse contre elle-même que contre lui. Sa mère l'avait prévenue après tout. Amour et mariage ne faisaient pas bon ménage.

« Calme-toi, je ne veux que du bien à ta cousine, dit-il lentement. »

Mais ses yeux chocolat ne pétillaient plus et étaient plutôt furieux. Ses sourcils froncés et sa bouche pincée ne lui avaient jamais paru si secs avant aujourd'hui. Ses traits durs lui montrèrent pour la première fois un homme comme son père le lui avait décrit.

« Tu peux me gifler si tu veux, dit-elle en avalant difficilement sa salive. J'ai haussé la voix contre toi. Et ne t'inquiète pas, je sais encaisser. »

Il fit un pas en arrière en écarquillant les yeux. C'était de la stupeur qui ravageait son visage, mais pourquoi, là, Dorea ne voyait plus.

« Dorea, soupira-t-il en levant une main pour la toucher mais il la baissa avant de l'atteindre. Je… Je ne vais pas te gifler alors que nous discutons. Essaie juste de m'écouter jusqu'au bout, s'il te plaît. »

Elle hocha la tête. Elle préférait qu'il ne la gifle pas, tout de même, même si elle était en tort. Elle n'aurait plus réussi à le regarder autrement que comme la réplique future de son père.

« Je suis navrée, mais ta cousine est encore une enfant et elle doit grandir.

-Je sais que c'est une enfant gâtée mais…

-Mais elle doit grandir, reprit-il implacable. Ensuite, je l'ai taquinée un peu, parce qu'elle réplique, elle se défend, elle n'est pas mal à l'aise. Et je me suis permis de continuer, parce que c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour bousculer Ignatius. Et je crois que ça marche, même. Il apprécie vraiment ta cousine, il me l'a dit plusieurs fois. Et là, il va jusqu'à m'envoyer une lettre pour me dire qu'il attend un autre dîner à quatre. Il n'avait jamais fait ça auparavant.

-Donc Lucretia a une chance ? espéra Dorea.

-Si elle perd son côté enfant gâté, oui, reconnut-il. »

Il haussa les épaules en faisant la moue et Dorea lui sauta au cou. Peut-être qu'il éprouvait quelque chose pour elle quand même.

« Tu n'es plus fâchée ? lui demanda-t-il à l'oreille.

-Non, souffla-t-elle en resserra ses bras autour de son cou.

-Parce que je suis en retard. Alors j'espère que les dix tours de terrain en courant que l'entraîneur me donnera à faire ne seront pas vains. »

Il lui planta un baiser sur la joue, attrapa deux biscuits et traversa le couloir au pas de course pendant que Dorea riait derrière sa main. Elle l'aimait, hein. Et c'était dur de ne pas le crier à tout bout de champ.

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Dorea prit la poudre de Cheminette vers onze heures pour se rendre au 12, Square Grimmaurd. Elle arriva dans le Grand Salon la seconde d'après. Elle se débarrassa de la suie qui s'était accrochée à ses vêtements et chercha autour d'elle qui était dans la pièce à cette heure-ci. Elle ne trouva que Tante Lysandra, l'épouse de son parrain, Oncle Arcturus. Elle était là, en train de broder en marmonnant.

Elle n'attendait pas une salutation chaleureuse de la part de sa tante, qui avait toujours pris soin de la détester, mais tout de même.

« Tu ne portes pas le deuil ? Ou bien c'est l'arrogance à la Charlus Potter ? siffla-t-elle en se levant.

-Je viens de me marier, je peux porter du gris sans me montrer insolente, répliqua-t-elle avec un faux sourire. Ma mère est ici ?

-Elle est sortie, lui répondit sa tante de mauvaise grâce.

-Et ma cousine Lucretia ? demanda Dorea en gardant son calme.

-Sans doute dans le jardin. »

Dans le jardin. C'était la commère qui parlait. Tante Lysandra croyait connaître tous les secrets de cette maison. Dorea se gardait bien de lui dire le contraire au risque de la faire s'intéresser à elle.

« Merci, ma tante, dit-elle sans penser à sourire. »

Les marmonnements de sa tante (« ne prévient même pas de sa venue… blablabla ») manquèrent de lui faire lever les yeux au ciel, mais elle préféra se précipiter dehors à la recherche de Lucretia. Elle la trouva assise sur un banc en train de regarder un livre (elle ne lisait pas puisque son livre était à l'envers). En face d'elle, sur l'autre banc, se trouvait Walburga et l'épouse du frère de Dorea, Irma.

« Bonjour, salua-t-elle à la ronde.

-Dorea ! s'exclama Lucretia en jetant son livre sur le banc pour se précipiter sur elle. »

Elle rattrapa sa cousine, lui embrassa la joue, puis s'avança vers sa belle-sœur et sa nièce.

« Bonjour Irma, comment allez-vous ? Et toi Walburga ?

-C'est une surprise, nous ne t'attendions pas, lui répondit gentiment Walburga (oui, c'était gentil pour Walburga).

-Pollux sera content de te voir, ajouta Irma. Restes-tu pour le repas ?

-Je ne voudrais pas m'imposer, dit-elle par politesse.

-Ne dis pas de bêtises, tu es ici chez toi ! se réjouit Lucretia. Je vais aller prévenir Grand-père !

-Chez elle… C'est chez Mr Potter, chez elle, Lucretia, répondit distraitement Walburga en faisant la moue. »

Mais Lucretia était déjà partie en direction du bureau de son Grand-père. Dorea reporta son attention sur Irma et Walburga.

« Alors Dorea, es-tu satisfaite de ton mariage ? reprit Irma. Aristote a raconté à Pollux que Mr Potter avait peu de retenue et qu'il avait peur qu'il t'épuise. »

C'était une pique ou de l'inquiétude ? Sans doute les deux.

« Aristote et Charlus étaient complètement ivres à Noël, bien sûr qu'ils n'avaient plus de retenue, dit-elle distraitement, ravie de voir le visage de sa belle-sœur se figer sous la surprise.

-Aristote ? Ivre ? insista Walburga.

-Très ivre. Mais ne lui dites pas que je vous l'ai dit, je devais sûrement le taire, dit-elle à escient. »

Elle avait prévenu Aristote de ne plus faire de commentaires désagréables sur elle ou Charlus. Peut-être qu'il se calmerait un peu à l'avenir.

« Par Merlin, je ne puis y croire ! bredouilla Irma.

-Je l'ai vu de mes propres yeux, je vous l'assure, Irma. Son épouse, Ambuela, ne semblait pourtant pas tant surprise. Vous saviez qu'elle était dans l'année juste au dessus de moi à Serpentard lorsque j'étais à Poudlard ? J'ai bien discuté avec elle. Elle est passionnée de peinture, il faudra que je lui présente Oncle Arcturus, elle sera sans doute ravie de le rencontrer. Elle a parlé de ses toiles à Noël. »

Elle y était peut-être allée un peu fort en enchaînant directement sur un autre sujet comme si tout ceci était normal et ne la choquait pas du tout. Enfin, Aristote saurait à quoi s'en tenir à l'avenir.

« Et sinon, tu… est-ce tu penses être enceinte ? demanda Walburga à voix basse. Tu es mariée depuis presque un mois, il faut que tu guettes si tu as du retard. »

La question la prit de court. Elle n'avait rien guetté du tout. Elle perdit un instant son assurance, tout à fait abasourdie. Elle n'avait pas fait attention, mais en y réfléchissant elle n'avait pas été indisposée depuis qu'elle s'était mariée. Mais lorsqu'elle le serait, il faudrait qu'elle le dise à Charlus pour qu'il ne l'approche pas et… Est-ce qu'elle devrait dormir avec lui alors que…

« Dorea ! s'exclama Walburga et elle sursauta en revenant à la réalité.

-Dorea, te perds-tu aussi dans tes pensées quand tu es avec Mr Potter ? s'inquiéta Irma. Ce n'est pas digne d'une épouse attentionnée.

-Non, non, je… Je suis une épouse attentionnée, ne trouva-t-elle qu'à répliquer. Tu me posais une question Walburga ?

-Je te demandais si tu avais du retard, répéta Walburga.

-Pas pour le moment, préféra-t-elle répondre. »

Il fallait qu'elle regarde dans son carnet en rentrant, et qu'elle compte les jours. Elle n'avait pas des cycles très réguliers, donc ce n'était pas alarmant, ni un véritable signe d'une quelconque grossesse.

« Dorea ! s'exclama la voix de Lucretia. Grand-père a dit la même chose que moi, que tu étais chez toi ici ! Et que bien sûr tu dînerais avec nous !

-Lucretia, peux-tu cesser de crier, marmonna Walburga.

-Oui Walburga, répondit distraitement Lucretia. Alors Dorea, raconte-moi, tu es venue pour une raison précise ?

-Je voulais simplement vous voir, répondit Dorea avec amusement. Et je ne voulais pas attendre une heure de plus que le hibou que j'ai envoyé ce matin arrive. Alors je suis venue directement.

-Tu as bien fait ! se réjouit Lucretia. Tu m'as manqué ces dix derniers jours ! il faut absolument que nous nous donnions un rendez-vous hebdomadaire ! Comme tu le faisais avec Sylvestra.

-Tu peux venir quand tu veux la journée en semaine, lui assura Dorea.

-Mr Potter est occupé ? demanda Walburga. Pourquoi ne t'a-t-il pas accompagnée ?

-Charlus a repris ses entrainements depuis quatre jours, et il dîne avec les autres joueurs à la cantine du club. Ils ont un régime spécialement élaboré par leur entraineur, dit-elle distraitement.

-Est-ce que tu passes toute la journée seule ? demanda Walburga avec un froncement de sourcil inquiet.

-Non, je me suis promenée dans Flaquemare, et aujourd'hui je suis ici, répondit-elle.

-Walburga, reprit Irma en regardant sa fille avec contrariété. Dorea prépare la maison pour l'arrivée de son mari la journée, voyons. Si elle est seule pour tout coordonner, elle a du travail. La maison est grande ?

-De taille modeste, reconnut Dorea.

-Je vous l'avais dit, Irma, renchérit Lucretia. Mais vous ne m'avez pas crue.

-Tout de même, je suis étonnée qu'un homme de son importance habite une maison modeste. Il est tout de même Attrapeur d'Angleterre ! s'étonna Irma.

-Il passe beaucoup de temps chez ses parents, et cette maison modeste est un pied à terre, dit Dorea pour couper court à la discussion. Où est ma mère ? demanda-t-elle.

-Mrs Black est sortie voir une amie à elle, répondit respectueusement Irma. Elle devrait rentrer d'une minute à l'autre. »

Et effectivement, quelques minutes plus tard, sa mère entra dans le jardin pour venir la serrer dans ses bras à l'en étouffer. Dorea tenta tant bien que mal de lui faire lâcher prise, mais c'était peine perdue. A croire que sa mère voulait l'étrangler afin de la garder avec elle pour le reste de la journée.

« Oh ma chérie, oh ma petite fille qui est l'épouse d'un homme ! Ma petite Dorea est une femme maintenant ! »

Merci maman. Vraiment. Elle était sûrement aussi rouge qu'une tomate à présent.

« Dis-moi, as-tu le moindre retard ? »

Mais elles s'étaient donné le mot ? Elles ne pouvaient pas plutôt lui demander si Charlus était d'une compagnie agréable ? Si elle avait des discussions intéressantes avec lui ? Si elle avait su tenir sa maison ? Si ses voisins étaient sympathiques ? Si le village lui plaisait ?

« Non, pas pour l'instant, marmonna-t-elle en se dégageant enfin des bras de sa mère.

-Tu marmonnes à présent ? s'offusqua sa mère.

-Tu m'étouffais, dit-elle pour se justifier.

-Ne te fâche pas, voyons. Viens par ici, il faut que je te donne des conseils pour avoir un fils. »

Misère, mais qu'on la lâche avec les bébés.

« Il y a différentes techniques. Quelques conseils culinaires d'abord : salé pour un fils, sucré pour une fille. Ensuite… »

… C'était une blague ? Sa mère ne l'avait pas vue depuis le décès de son père, au cours duquel elle était sans réaction sous sa crêpe de deuil, et à présent qu'elle reparlait, c'était pour lui parler d'un bébé qui n'était même pas annoncé ?

« Je vais saluer Oncle Sirius, coupa-t-elle en retenant son agacement. »

Elle tourna les talons sans écouter sa mère l'appeler pour la retenir. Tout lui paraissait si étrange, si loin et si… si rangé. Elle était partie depuis moins d'un mois, elle était revenue il y a deux semaines pour l'enterrement de son père, et à présent elle ne reconnaissait plus vraiment ce qui l'entourait. Rien n'avait changé bien sûr, sauf peut-être le regard qu'elle y posait. Et l'absence de son père. Ceci la laissait avec une étrange sensation au creux du ventre et en même temps, ses épaules étaient plus… légères. Elle ne risquait pas un sermon ou une reprise à l'ordre un peu violente.

Elle frappa à la porte du bureau de son oncle. La porte s'ouvrit d'elle-même la seconde suivante. Oncle Sirius était assis à son bureau et son fils, Arcturus, faisait les cents pas à côté. Il s'arrêta lorsqu'elle fit un pas dans la pièce, les tocs qui agitaient ses paupières habituellement reprirent de plus belle.

« Bonjour mon oncle, cousin, les salua-t-elle en se sentant sourire d'elle-même. Je suis contente de vous voir.

-Vous ne portez pas le deuil ? lui reprocha son oncle.

-Je viens de me marier, répondit-elle en s'approchant de son cousin. Je vous remercie encore de m'avoir laissé Lucretia pour le Nouvel An. Elle me manque énormément.

-Elle semblait elle aussi heureuse de te voir. C'est important la famille. La Famille Black doit rester unie et…

-Merci Arcturus, le coupa Sirius avec lassitude. Voulez-vous nous laisser, mon fils ? J'ai deux ou trois points à discuter avec Dorea

-Tout de suite, Père, obéit Arcturus en quittant la pièce. »

Dorea le regarda fermer la porte derrière lui avant de reporter son attention sur son Oncle. Et dire… et dire qu'elle ne dépendait plus de lui, en quoi que ce soit. Elle se sentait presque… indépendante à présent. Il n'en était rien bien sûr, mais l'impression restait là. Elle savait que son père ne pourrait plus rien contre elle, ni son oncle. Charlus le lui avait déjà prouvé le jour où il avait accepté qu'elle n'entre pas dans la chambre de son père malade en s'opposant à Sirius Black.

« Asseyez-vous Dorea, lui proposa son Oncle en lui désignant le fauteuil d'un geste de la main. »

Elle obtempéra, et assise bien droite sur le bout du fauteuil, elle ne se sentit pas en position d'infériorité pour la première fois. Elle se sentait… Elle se sentait sûre d'elle. Elle pensait qu'elle l'avait été par le passé, mais elle se rendit compte que non lorsqu'elle ne baissa pas le regard face au visage concentré de son oncle.

« Le mariage vous va bien, dit-il enfin.

-Je vous remercie, dit-elle lentement en attendant la suite.

-Vous semblez plus présente et assurée, continua-t-il en scrutant son visage. Est-ce dû à l'assistance de Mr Potter… »

Il posa ses bras croisés sur le bureau et se pencha vers elle.

« … ou à la mort de mon frère ? »

Dorea eut à peine une réaction. Quand Lucretia lui avait dit que Sirius Black avait posé des questions, elle savait qu'elle aurait droit à un interrogatoire. Sans parler du fait qu'elle avait refusé de faire ses adieux à son père.

« Charlus est un bon époux, préféra-t-elle dire prudemment.

-Mon frère était-il un bon père ? répondit Oncle Sirius.

-Vous en doutez ? répondit-elle. »

Bien sûr qu'elle répondait souvent avec des questions. On lui avait appris à mener une discussion de cette manière.

« Vous devenez insolente, Dorea, remarqua son oncle en plissant les yeux.

-Il paraît que mon frère se plaît à dire que je deviens, je cite, « frappa-dingue », Oncle Sirius. »

Son oncle haussa l'un de ses gros sourcils noirs avant de joindre les bouts de ses doigts les uns aux autres, dans une attitude expectative.

« Et vous lui donnez raison ? reprit Sirius Black.

-Ceci expliquerait la chose qui vous chagrine ? »

Elle ne lâcherait rien sur son père. Il ne la croirait pas de toute façon. Ou bien, il n'y verrait rien d'anormal. La Maison des Black avait ses codes. La famille Potter les siens. Et Dorea préférait faire pencher la balance vers ceux des Potter à présent, de manière légère, mais tout de même. Et ce n'était pas parce qu'elle portait le nom de Charlus. Ni parce qu'elle aimait Charlus. Mais parce qu'elle se sentait mieux dans sa tête depuis presqu'un mois. Et on va toujours vers ce qui nous fait nous sentir mieux, non ?

« La chose qui me chagrine ? reprit son oncle. »

Il commençait à manifester des signes d'impatience. Il ne devait pas avoir l'habitude de ne pas mener la discussion. Surtout face à une femme. Elle hésita un instant à entrer dans la tête de son oncle pour lui montrer qu'elle savait très bien ce à quoi il pensait, puis elle préféra lui montrer par Légilimancie le moment où elle avait refusé de voir son père mourant. Elle l'entendit sursauter de surprise, mais il ne dit rien. Ils savaient tous qu'elle pratiquait la Légilimancie avec aisance. Cygnus Black s'en était assez vanté.

« Pourquoi ? demanda simplement son oncle en fronçant les sourcils.

-Soit vous le savez et vous refusez de le voir, soit vous ne l'avez pas vu et c'est trop tard, conclut-elle.

-Vous étiez sa fille préférée, répondit-elle.

-Il avait une étrange façon de le montrer, dit-elle avec amertume en perdant un instant le contrôle de sa voix. »

Elle se ressaisit la seconde suivante, mais ce simple ton haché avait suffit à Sirius Black pour reprendre le dessus.

« Il vous a appris la Légilimancie à huit ans. Il vous permettait d'acheter tous les livres et les mensuels scientifiques qui vous plaisaient. Il vous entrainait aux Arts Noirs et il vous laissait son bureau pour continuer votre étude lorsqu'il était absent. Il a même accepté votre mariage avec un Potter, ajouta Sirius Black d'un ton agacé. Quelle preuve supplémentaire vous faut-il pour que vous compreniez ma perplexité ? Dois-je vous penser ingrate ou « frappa-dingue » ? »

Devait-elle parler ou se taire ? Passer pour une ingrate ou une folle furieuse ? Il ne comprendrait pas où était le mal de toute façon, sauf peut-être si…

« Avez-vous déjà giflé Lucretia sans raison valable ? souffla-t-elle en se penchant à son tour vers lui.

-Non, répondit-il avec méfiance.

-Avez-vous déjà lancé un Oubliettes à ma Tante devant vos enfants ? continua-t-elle en sentant les digues se rompre.

-Non ! s'exclama-t-il en tapant du poing sur le plateau de son bureau.

-Avez-vous poussé une enfant de huit ans à s'exercer, jours et nuits, pendant des mois, dans le plus grand secret, jusqu'à ce qu'elle tombe épuisée à vos pieds ? Pour vous vanter d'avoir une enfant surdouée ?

-Mais enfin, de quoi parlez-vous ? Que voulez-vous me dire à la fin ? »

Là, elle gagnait, car il avait perdu son calme. Et s'il avait perdu son calme, c'était parce qu'il avait peur de comprendre ce qu'elle lui disait.

« Je vous demande si tous les pères sont comme le mien, Oncle Sirius. J'aimerais que nous en restions là, si cela ne vous dérange pas. J'ai envie de vivre au présent, non au passé, dit-elle en se levant. »

Elle ouvrit la porte sans tenir compte de la question suivante de son oncle. Elle chancela lorsqu'elle referma la porte, se rattrapa au mur, sentit ses jambes se faire lourdes, sa vision se saupoudrer d'étoiles et dut s'asseoir par terre. Elle respira profondément en comprenant qu'elle n'était pas si sereine, finalement. Cette nouvelle confiance en elle était encore fragile. Elle savait qu'elle avait raison, mais que son Oncle lui dise qu'elle était la fille préférée de son père, elle se remettait à douter et… NON. Il n'en était pas question. Charlus. Elle devait faire confiance à Charlus et ne pas se souvenir des conseils de son père.

« Dorea ? demanda la voix enjouée de Lucretia. Tu vas bien ? Que fais-tu assise par terre ? Tu… Oh Merlin, tu as fait un malaise… parce que tu es enceinte ? ajouta-t-elle à voix basse. »

Si seulement !

« Un malaise, oui, accepta-t-elle avec amusement. Mais tu ne seras pas tante tout de suite. Garde-le pour toi ou ma mère risque de s'emporter à nouveau.

-D'accord, mais promets-moi de me le dire en première lorsque tu seras enceinte, exigea Lucretia.

-Je pense que Charlus sera le premier à être mis au courant, et puis, il en fera sûrement part à ses parents dans la foulée, imagina Dorea. »

Lucretia l'aida à se relever, passa son bras sous le sien et se remit à parler. Dorea initia la descente des escaliers.

« Je crois que tu m'as fait des cachoteries, souffla Lucretia.

-Pardon ? s'étonna Dorea. »

Le rythme des battements de son cœur s'emballa. Elle avait déjà parlé à Lucretia de l'attitude impulsive de son père, mais…

« Je crois que tu crois au mariage d'amour malgré tout ce que tu m'as dit, souffla Lucretia en prenant la direction du salon à musique.

-Pardon ? s'étonna Dorea. »

Son cœur ralentit avant de s'emballer à nouveau. Elle aimait Charlus, mais elle ne le savait que depuis quinze jours. Disons plutôt que c'était différent depuis quinze jours. Elle l'avait toujours apprécié mais, depuis quinze jours, quelque chose de différent s'était ajouté. Le désir ne se suffisait plus à lui-même. L'amour s'y était mêlé. Elle ne se contentait plus de recevoir, elle donnait. Et elle le voulait, elle ne s'en sentait pas obligée par l'autorité de son alliance.

« Je l'ai vu au Nouvel An, et je le vois maintenant, reprit Lucretia d'un ton de Miss-je-sais-tout qui agaça Dorea. Tu cherches en permanence son regard et son approbation, tu aimes quand il t'embrasse, tu te mets dans ses bras dès que tu en as l'occasion, tu me dis que tu le mettras le premier au courant lorsque tu seras enceinte et le mieux : tu nous as fait boire ces bouteilles de Vodka-Pur-Glace pour t'assurer qu'elles disparaissent de ta vue pour toujours. Tu étais jalouse, comme je n'avais jamais vu cela ! »

Elle essaya vraiment de maîtriser l'embrasement de ses joues et de se détourner de Lucretia, mais sa petite-cousine lui tourna autour tel un vautour ayant repéré une proie.

« Alors ? Ce n'est pas parce que tu l'as épousé que l'aimes, mais parce que tu l'aimes que tu l'as épousé, non ?

-J'ai toujours admiré sa prestance, avoua-t-elle du bout des lèvres.

-Mais encore ? insista Lucretia, ses grands yeux gris pétillant de mille éclats d'argent.

-Son impertinence me rend folle, continua-t-elle la gorge sèche.

-Folle de lui ? demanda Lucretia avec impatience.

-En quelque sorte, avoua-t-elle difficilement.

-Et puis ?

-Je veux l'assurance qu'il dégage en permanence.

-Tu n'en as pas besoin, mais passons.

-La façon dont ses yeux chocolat pétillant me regardent me donne l'impression d'être invincible.

-Rien que cela ? se moqua à présent Lucretia. Ose me dire que tu ne l'aimes pas.

-Je n'ose pas. Mais, ajouta-t-elle immédiatement pour couper court au glapissement victorieux de sa petite-cousine, ne mélange pas les évènements.

-Tu es trop têtue pour avouer quoi que ce soit, s'agaça Lucretia avec une moue insatisfaite. Je demanderai à Charlus, il me dira ce qu'il en est vraiment.

-Je ne te l'autorise pas ! s'effraya Dorea. Laisse-moi gérer mon ménage !

-Il n'y verra rien, lui assura Lucretia en riant. Sauf si vraiment, il y a quelque chose de scandaleux à cacher. Là, il vaudrait mieux que tu m'en parles toi-même… »

Dorea garda les bras croisés devant elle dix longues secondes avant de s'asseoir rageusement devant le piano. Elle n'avait pas joué depuis au moins un mois, ses doigts étaient engourdis, et elle avait mieux à faire que d'écouter Lucretia lui arracher ses secrets. Elle ignora superbement les appels de sa petite cousine et préféra se dégourdir les doigts avec quelques gammes avant de se lancer dans la première partition qu'elle vit. Lucretia n'était sans doute pas de cet avis puisqu'elle ferma le piano d'un coup sec, manquant de lui écraser les doigts.

« Mais ça va pas ! s'exclama-t-elle furibonde.

-Je déteste être ignorée, se contenta de répliquer Lucretia avec un haussement d'épaules. J'ai compris, je n'aborde plus le sujet pour le moment. Quand tu assumeras tes frasques, raconte-les-moi, se moqua-t-elle avec arrogance. Quand m'invites-tu ? »

Elle aimait sa cousine, vraiment. Même quand elle prenait ce ton hautain et qu'elle faisait son enfant gâtée. Mais elle n'était pas certaine de se retenir de lui arracher les cheveux un de ces quatre.

« Demain après-midi si ton père accepte, reconnut Dorea.

-Il acceptera, lui assura Lucretia avec un sourire éblouissant. »

La cheminée du Grand Salon crépita. Dorea quitta le piano et la salle de musique pour aller saluer son frère, sa sœur et son cousin Regulus qui rentraient du Ministère pour le déjeuner. Ils parurent tous les trois heureux de la voir. Son frère sembla même s'intéresser à sa vie, puisqu'il lui posa plusieurs questions. Sa sœur semblait elle aussi se réjouir de la voir si épanouie. Regulus était renfrogné, pour changer, mais il prononça tout de même quelques mots. Walburga et Lucretia se toléraient à peine, pour changer, et sa mère tenta de lui poser toutes sortes de questions idiotes et de lui parler de bébé, mais Pollux la fit taire d'un geste agacé. Elle pinça les lèvres avec une désapprobation dont Pollux se passa aisément lorsqu'elle vit sa mère sur le point de pleurer. Elle profita de la fin du repas et du départ de Pollux, Regulus et Cassiopeia pour le Ministère pour écouter sa mère lui prodiguer des conseils plus ahurissants les uns que les autres.

Après une partie d'échecs avec son Oncle Arcturus, et la remise d'un tableau les représentant Charlus et elle le jour de leur mariage peint par son oncle, elle décida de rentrer chez elle. Elle laissa son Oncle lui envelopper le tableau dans un drap et reprit la poudre de Cheminette. Elle arriva tout juste pour dix-sept heure trente. Elle avait une heure pour préparer le dîner avant le retour de Charlus. Et elle s'apprêta à s'y mettre avant de voir un parchemin annoté de l'écriture stricte de Charlus qu'elle avait lue la première fois sur la lettre qu'il lui avait envoyée au début de leurs fiançailles.

Il lui indiquait entre autre qu'ils étaient invités chez des amis ce soir pour dîner, et qu'ils s'y rendraient par Cheminette vers dix-huit heures trente.

La premier chose à laquelle elle pensa fut : pas de dîner à préparer ! La seconde : faut-il que j'apporte un présent ? La troisième : quel genre de dîner est-ce ? Était-ce un dîner intime ? Fallait-il qu'elle s'habille de manière élaborée ou une tenue moins protocolaire ferait l'affaire ? Elle demanderait à Charlus lorsqu'il rentrerait. Elle posa le tableau sur la table basse, déroula le drap qui le protégeait et s'émerveilla une fois de plus du coup de pinceau de son oncle. Il arrivait toujours à sublimer les modèles et à peindre leurs émotions sur la toile. Elle accrocherait bien cette toile dans le salon. Elle demanderait à Charlus son avis tout de même.

En attendant, elle pouvait au moins se recoiffer. Son chignon simple s'était effondré, comme d'habitude, et il était à refaire. Elle avait beau acheter les épingles à chignon les plus ensorcelées, la structure finissait immanquablement par s'affaisser. Elle s'appliqua à remettre de l'ordre dans ses cheveux, à les brosser et à les nouer le mieux qu'elle put. Elle ajouta quelques-unes des perles que sa mère lui avait achetées pour son mariage, afin d'être plus élégante sans en faire trop, et remit ses bagues. A chaque fois qu'elle glissait sa chevalière à son petit doigt, un frisson partant du bas de son dos et remontant le long de sa colonne la secouait. Elle se souvenait du regard de Charlus le matin où il lui avait donné la boîte emballée, de l'émotion qu'elle avait ressentie, et de la signification de cette chevalière. Elle se souvenait aussi de la première fois qu'elle avait utilisée son propre sceau, pour une lettre qu'elle envoyait à Lucretia, lui demandant notamment comment s'était passé son après-midi suivant son retour auprès de ses parents. Sa mère avait été la suivante. Son Grand-père Eudes, le père de sa mère, le troisième. Et Donkor le suivant. Elle lui avait enfin répondu, après trois mois de silence, la semaine dernière. Elle avait enfin lu ses lettres contenant des félicitations pour ses fiançailles, des questions sur Charlus, la manière dont elle l'avait rencontré et la date de leur mariage. Les deux lettres suivantes s'inquiétaient de son silence, tout en suggérant que la préparation de son mariage devait lui prendre tout son temps. La dernière lettre, bien plus succincte, la félicitait pour son mariage, et lui demandait si elle se portait bien et si elle pouvait lui répondre, même brièvement, pour qu'il puisse s'assurer qu'elle ait bien reçu ses lettres. Elle ne raconta pas toutes les vérités. Elle avança que son mariage lui avait pris énormément de temps à organiser car elle avait eu moins de trois mois, qu'il y avait énormément d'invités, et qu'elle était piètre brodeuse. Elle lui parla de Charlus en peu de mots, tout en lui assurant qu'elle était heureuse et fière d'être son épouse. Elle lui promit de reprendre sa correspondance avec plus de régularité malgré ses nouvelles occupations.

« Dorea ! C'est moi ! retentit la voix de Charlus, la sortant brusquement de ses pensées. »

Elle dévala les escaliers pour le trouver dans l'entrée, ralentit l'allure en arrivant devant lui, et se figea en le voyant couvert – recouvert même – de boue.

« Mais qu'est-ce qui t'est arrivé ? bafouilla-t-elle sans oser s'approcher.

-Quand je suis couvert de boue, je n'ai pas le droit à un baiser ? se moqua-t-il allègrement. »

Elle le perçut surtout sur un ton de reproche et s'approche de lui en le détaillant de la tête aux pieds. Elle prit garde à ne pas poser ses doigts sur de la boue en frôlant ses joues avant de l'embrasser sur les lèvres. Comme à chaque fois, la petite boule de chaleur derrière son sternum réapparut et elle se sentit sourire sans y être pour quoi que ce soit. Elle s'éloigna la seconde d'après pour reprendre son interrogatoire.

« Eh bien, je n'ai pas pris ma douche au stade pour rentrer plus tôt chez nous et me préparer pour aller chez Anderson directement, répondit-il en lui tendant son balai (boueux lui aussi). »

Elle le prit du bout des doigts, et le laissa enlever sa cape et ses chaussures. Elle était trop surprise pour bouger, et puis le balai l'encombrait assez.

« Tu te retrouves toujours dans cet état après un entraînement ? demanda-t-elle sans y réfléchir.

-Surtout quand il pleut et quand il neige, répondit-il en ouvrant les boutons de sa tenue de Quidditch. Ce n'est pas grave, tu sais, ce n'est qu'un peu de boue. »

Mais bien sûr, pour qui la prenait-il ? Il fit passer sa tenue réglementaire par-dessus sa tête et la laisser sur les tommettes de l'entrée avec ses chaussettes boueuses, ses chaussures boueuses et…

« Mais ne te déshabille pas ici ! protesta-t-elle en le voyant se dévêtir tout à fait. »

Il releva la tête vers elle, son caleçon baissé de sorte qu'elle pouvait voir la ligne de poils sur son ventre se faire plus dense. Elle releva des yeux catastrophés vers lui, lorsqu'elle le vit finir son geste et se retrouver nu sur le pas de la porte.

« Je ne veux pas mettre de boue partout, répondit-il simplement. Allez, j'en ai pour une minute ! Si tu pouvais essuyer le balai à la main, ça m'arrangerait. Les Evanescodétraquent les balais ! Merci ma Dorea ! »

Et il monta les marches de l'escalier quatre à quatre, la laissant là, à côté du tas de vêtements boueux, le balai dans les mains et les joues rouges. Mais on ne se déshabillait pas comme ça ! Juste après être entré chez soi, au milieu du couloir, et…

« Merlin, Morgane, cet homme me rendra folle, marmonna-t-elle en posant le balai contre la porte d'entrée. »

Elle descendit à la cave prendre un torchon (trois en fait) et une éponge avec un seau d'eau et remonta. Elle enleva le gros de la boue avec le premier torchon, puis pris le temps de nettoyer le balai comme il le lui avait montré quelques jours plus tôt avec l'éponge. L'eau prenait une douce teinte bouseuse dans le seau en bois, et le balai retrouvait sa jolie couleur chêne dorée. Avec satisfaction, elle accrocha le balai à sa place dans l'entrée, l'essuya une deuxième fois, puis redescendit le seau d'eau et l'éponge. Et dire qu'elle n'avait plus rien nettoyé à la main depuis… Depuis qu'elle pouvait se servir de sa baguette hors de Poudlard. Elle remonta la corbeille dans laquelle elle avait compris qu'elle pouvait ranger le linge sale, et débarrassa l'entrée des vêtements boueux de Charlus, des deux torchons boueux, et du dernier torchon après s'être essuyé les mains dessus. Une minute plus tard, après être remontée de la cave, elle nettoya rapidement le sol avec un Evanesco et gagna la cuisine pour se laver les mains proprement.

Elle monta ensuite dans leur chambre. Charlus enfilait une robe noire très classique, rien de trop habillé en soi. Elle pouvait donc rester habillée comme elle l'était. Elle préféra lui sortir une cape propre et la poser sur ses épaules avant de lui poser tout de même la question.

« Mais oui, tu es très bien comme ça, répondit-il distraitement. Jim est un vieil ami, et je connais Emily depuis presque aussi longtemps. Il y aura sans doute aussi Bastian, le frère d'Emily, et puis les quatre enfants de Jim et Em. Emily est curieuse de te rencontrer plus qu'en coup de vent.

-Excuse-moi, dit-elle avec embarras, mais je ne me souviens pas d'eux. Tu… Tu me les as déjà présentés ? »

Il la regarda en fronçant les sourcils, leva les yeux au plafond, et lui fit signe de descendre les escaliers. Elle s'empressa de passer devant lui après avoir pris un réticule et une cape noire.

« Anderson et Carley étaient présents à notre mariage, et tu as dansé avec eux. Et puis nous les avons rencontrés la veille de Noël au Chaudron Baveur, tu ne t'en souviens pas ?

-Jim Anderson, oui, je me souviens maintenant, se souvint-elle au milieu des escaliers. Et son épouse s'appelle Emily, et elle est la sœur de Carley, qui s'appelle Bastian, d'accord, je vois à présent, comprit-elle avec soulagement. Pardonne-moi, je ne suis pas très physionomiste et j'ai une mémoire des noms presque… absente, s'excusa-t-elle précipitamment.

-Je sais, dit-il simplement. »

Elle sentit sa main se poser dans le bas de son dos, entre ses reins, et la mener dans le salon. Elle n'eut pas le temps de se demander ce qu'il voulait dire par là avec une étrange impression dans la gorge, parce qu'il vit le tableau posé sur la table basse.

« C'est magnifique ! Qui l'a peint ? se réjouit-il en prenant le tableau entre ses mains pour le lever à la hauteur de ses yeux.

-Mon parrain, Oncle Arcturus, le petit frère de mon père, l'informa-t-elle pendant qu'il faisait signe à la Dorea peinte de tourner sur elle-même. »

Elle secoua sèchement la tête pendant que le Charlus peint passait son bras autour de sa taille et lui embrassait la joue, la faisant rougir d'embarras.

« Allez ! insista Charlus. »

La petite représentation picturale de Dorea finit par soupirer et tourner sur elle-même, pour la plus grande joie des deux Charlus (le peint et le vrai).

« Tu remettras ta robe de mariée, au moins une fois, lui proposa-t-il en reposant le tableau sur la table basse.

-Pourquoi faire ? s'étonna-t-elle.

-Parce que tu es vraiment sublime dedans. J'ai bien cru que je ne tiendrais pas une heure de plus pour te l'enlever une fois que je t'ai eu passé la bague au doigt, avoua-t-il sans manifester le moindre signe de gêne ou d'étonnement.

-Charlus, bafouilla-t-elle.

-Oui, Dorea mon amour ? demanda-t-il avec moquerie en se laissant tomber sur le canapé. Viens, nous avons une dizaine de minutes avant de partir. »

Elle préféra s'asseoir tout à côté de lui, dans ses bras, et ne rien répondre. Il avait aimé sa robe de mariée, du moins, il le disait. Même si une trace de moquerie demeurait dans sa voix. Et puis, il ne pouvait pas parler d'autre chose que…

« Alors, ta journée, raconte-moi, reprit-il en embrassant sa tempe. Je suis passé ce midi pour te parler de l'invitation de Jim et Em, mais tu n'étais pas là. Tu es allée voir Selwyn ?

-Je suis allée au 12, Square Grimmaurd, dit-elle. Je voulais revoir Lucretia, comme je te l'avais dit le matin même, et puis ma mère aussi. Mais… »

Elle se rappela de l'agacement qui avait chatouillé sa bonne humeur et s'interrompit. Elle chercha comment tourner sa phrase, ce que Charlus pourrait en penser et… Peut-être était-il impatient, lui aussi, qu'elle porte son enfant ? Ce n'était pas un désir absolu pour Dorea en soi, c'était une case à remplir qu'accompagnait la longue liste des changements qui survenaient avec le mariage. Elle ne le désirait pas ardemment, mais elle n'était pas contre l'idée non plus. C'était plus… une chose qui arriverait et qui lui semblait normale. Elle était curieuse aussi d'expérimenter cette chose qui restait une idée vague dans sa tête.

« Mais ? reprit Charlus.

-Elles ont toutes passé leur temps à me demander si j'avais du retard et si je pensais être enceinte, et… Et ceci m'a énervée, craqua-t-elle. Je ne les ai pas vues depuis deux semaines, et la première chose qu'elles trouvent à me dire c'est de surveiller mon ventre ! D'abord Walburga, ensuite Irma, ma mère et même Lucretia ! Il n'y a que ma tante Hesper qui a eu assez de tact pour ne rien me demander ! Et encore, ce doit être parce qu'elle croit que j'ai été indisposée le jour où elle est venue ! Mais pourquoi ris-tu ? s'emporta-t-elle un peu plus. »

Il avait renversé sa tête en arrière, sur le dossier du canapé, laissant une vue dégagée sur son cou et sa pomme d'Adam qui ressortait vaguement sous ses éclats de rire. Si au moins il riait, c'était déjà ça. Mais tout de même, qu'il y avait-il de drôle ?

« Pourquoi ceci t'a énervé ? Je veux dire, ce sont des choses de femmes, non, de se poser ce genre de questions ? »

Sa vision se teinta de rouge, un peu. Une chose de femme ? Parce que lui n'en avait rien à faire ? Parce qu'il la réduisait à cette fonction ?

« Tu penses que les femmes ne peuvent parler que chiffon et bébé ? demanda-t-elle en essayant de rester calme. »

Même si elle était tendue de tous ses muscles, il réussit aisément à la pousser pour l'allonger sur le canapé. Elle resta néanmoins crispée, même si elle se laissa faire. Il n'y avait plus cette bulle de chaleur derrière son sternum qui naissait à la simple présence de Charlus habituellement. Il était au dessus d'elle, une main sur sa joue, l'autre sur le dossier du canapé et ceci ne lui faisait rien. Strictement rien.

« Tu peux cesser de te vexer pour un rien, s'il te plaît ? Tu es survoltée depuis trois jours, et tu tiques à chacun de mes mots, lui demanda-t-il en haussant un sourcil insistant. Si je pensais ceci des femmes, ma mère m'administrerait la soufflante de ma vie, je ne serais pas ami avec Enid Forty et surtout je ne t'aurais pas épousée toi, tu ne penses pas ? J'adore t'écouter me parler de Défense et de Magie Antique, j'adore te regarder t'entrainer et t'étirer, j'adore te faire l'am…

-C'est bon, j'ai compris, le coupa-t-elle en faisant la moue. C'est juste que…

-… Que ta mère est ce genre de femmes, que tes cousines le sont peut-être aussi, mais pas toi, je sais, insista-t-il. »

Il se rapprocha jusqu'à ce que son torse touche sa poitrine, la faisait frémir. Son visage était à quelques centimètres du sien, sa moustache brune toujours étirée vers le haut de manière moqueuse et insolente, sa bouche tordue par un sourire provocateur et ses yeux… Merlin, ses yeux chocolat pétillant la rendaient à nouveau toute chose, comme… comme une boule de glace Framboise Explosive : le froid fondait grâce au coulis bouillant à l'intérieur de la boule. Le coulis bouillant était enflammé par le regard fiévreux ourlé de cils noirs que Charlus posait sur elle.

Puis la framboise explosa pour de bon lorsqu'il fit glisser ses lèvres sur les siennes. Une fois. Deux fois, trois et quatre fois avant de rester contre sa bouche, leurs lèvres accrochées l'une à l'autre le temps d'une danse sensuelle. C'était comme les fois précédentes, depuis qu'elle avait compris que tout ce qu'elle ressentait était de l'amour. C'était des frissons partout, des explosions partout, des caresses partout. Elle glissa ses mains dans son dos, sous son chapeau, dans ses cheveux encore humides pendant qu'il enfonçait ses doigts dans sa taille, les faisait remonter sur son flanc, sur sa poitrine que son pouce embrassa d'un geste, sur son épaule et sa joue.

« Et alors, est-ce que tu as du retard ? souffla-t-il contre sa bouche. »

Elle aurait bien explosé d'agacement à nouveau, mais sa bouche se retrouva à nouveau assaillie par la langue de Charlus. Elle apprécia les caresses si particulières qu'il arrivait à lui offrir, se sermonna mentalement d'être si faible face à la moindre marque de tendresse qu'il lui accordait, se demanda s'il l'aimait au moins autant qu'elle l'aimait, ne vit dans cette réflexion que de l'égoïsme déplacé, et le laissa prendre complètement possession de sa bouche. Elle était son épouse, elle s'était donnée à lui, elle était à lui… Elle n'avait que ses yeux pour pleurer de n'avoir pas su rester maîtresse de ses sentiments, et avoir laissé un sentiment plus proche de l'amour que de l'amitié se développer dans son corps.

« Laisse-moi réfléchir, souffla-t-elle contre sa bouche en sentant une main lui serrer la gorge. »

Ce n'était pas la main de Charlus. Enfin si, la main de Charlus était posée paume sur sa gorge, mais il ne serrait pas les doigts autour de son cou. C'était autre chose qui lui serrait le cou.

Elle se glissa hors du canapé et s'enfuit dans leur chambre à la recherche du carnet qu'elle remplissait depuis qu'elle avait quinze ans. Lorsqu'elle eut posé la main dessus, elle s'autorisa à penser à nouveau. Elle l'aimait. Elle aimait ses baisers, ses caresses. Elle aimait le sentir au plus près d'elle, et se sentir prisonnière entre ses bras. Et en même temps… En même temps, elle détestait ça. Elle détestait se sentir si dépendante de toute la tendresse qu'il lui offrait volontiers, elle détestait se dire qu'il n'y prenait sans doute pas autant de plaisir qu'elle, qu'il la touchait elle comme il pourrait toucher une autre… Elle lui donnait tout d'elle, et elle avait l'impression qu'il se retenait toujours avec elle, qu'il était toujours moqueur pour cacher d'autres choses… quelque chose.

Elle secoua violemment la tête, jeta un coup d'œil dans le miroir, remit un trait de rouge à lèvre et regarda son visage se reconstituer. Elle s'y habituerait. Tant qu'il était fidèle, elle pourrait supporter de rester dans l'incertitude. Elle pourrait garder l'espoir qu'il l'aime un jour.

« Dorea ? entendit-elle depuis l'étage inférieur.

-J'arrive, souffla-t-elle pas assez fort pour se faire entendre. »

Elle ouvrit son carnet et le feuilleta jusqu'à tomber sur les dernières pages noircies d'encre en descendant les escaliers. Elle retourna s'asseoir sur le canapé, à côté de Charlus, après avoir pris la plume qui trainait toujours sur le guéridon. Si elle ne s'était pas trompée, ses dernières menstruations remontaient à la fin du mois de novembre. Elles avaient duré cinq jours. On était à présent le jeudi 13 janvier 1944… un mois et demi, un peu moins. Bien sûr qu'elle avait un peu de retard par rapport à la norme des un mois, mais comme elle avait plutôt tendance, depuis un an à avoir des cycles de… au moins un mois et demi, elle n'avait pas de retard… si elle avait à nouveau ses menstruations la semaine qui viendrait. Morgane, c'était tellement gênant. Comment pourrait-elle le dire à Charlus ? Elle ne savait déjà pas comment le lui expliquer là…

« Pas de retard, dit-elle simplement en refermant son carnet.

-Et quand est-ce que je vais devoir me tenir ? lui demanda-t-il nonchalamment en s'enfonçant dans le canapé.

-Il n'y a que ça qui t'intéresse ? explosa-t-elle en se sentant rougir.

-Tu te vexes à nouveau, commenta-t-il distraitement et elle explosa pour de bon. »

Elle bondit sur ses pieds, monta les marches quatre à quatre jusqu'à leur chambre, claqua la porte derrière elle et rangea rageusement son carnet dans le placard de la table de nuit. Elle ne maîtrisait plus rien depuis que ce sentiment encombrant avait pris possession de son corps. Elle ne réussissait plus à se tenir et…

« Mais qu'est-ce que tu as ? reprit la voix de Charlus dans son dos. »

Elle serra les poings. Elle ne pouvait pas lui imposer ce qu'elle ressentait. S'il n'était pas dégoûté, il serait peut-être embarrassé ou inquiet. On dit bien qu'une femme amoureuse est dangereuse. Ou bien il serait seulement flatté… Et Dorea détruite dans ce cas-là.

« Fatiguée, souffla-t-elle en se retournant vers lui.

-Tu es sûre ? Tu… Tu es peut-être bel et bien enceinte, avec les sautes d'humeur et tout le reste, dit-il avec hésitation. Tu… Tu pourrais aller à Ste-Mangouste pour qu'un Guérisseur s'en assure et…

-Toi aussi tu veux que je te donne un fils rapidement ? demanda-t-elle en sentant son ventre devenir froid. »

Elle qui avait pensé qu'il aimait passer du temps avec elle, juste avec elle.

« Je t'avoue que je ne me suis pas penché sur la question et… et comme tu m'as parlé des activités de Slewyn, je me disais que tu gérais sans doute ceci à ta convenance. »

Quoi ? Il était en train de lui dire que… qu'il lui laissait entièrement le choix en ce qui concernait la date à laquelle elle voulait un bébé ? et donc… qu'il ne l'avait pas épousée dans cette optique d'avoir… un héritier pour son nom et sa fortune, mais pour… avoir une épouse, une femme auprès de lui ? L'avoir elle ?

« Combien d'enfants veux-tu ? lui demanda-t-elle. »

Et en le disant, elle se rendit compte qu'ils n'en avaient jamais parlé. Ils n'avaient jamais parlé d'enfants, de la famille qu'ils voulaient construire, de l'avenir en soi. Pour elle, il voulait au moins un fils, comme son père le lui avait dit, et comme tous les hommes.

« Une petite dizaine, dit-il avec un sourire en coin.

-Quoi ? s'écria-t-elle en plaquant ses mains sur son ventre avec horreur. »

Et bien sûr, il explosa de rire. N'en avait-il pas assez de la taquiner ?

« Je ne sais pas, au moins deux ou trois, j'imagine, dit-il en faisant un pas dans la pièce. Mais comme ce n'est pas moi qui les porte, je te laisse le dernier mot. Et toi ?

-Je ne me suis jamais posé la question, je… Je me disais qu'il en fallait au moins un mais…

-Ma Dorea… la coupa-t-il en riant à nouveau. Ne porte pas nos enfants parce qu'il le faut, s'il te plaît, mais parce que tu en auras envie. »

Et si elle n'en avait pas envie ?... Si, elle avait envie de voir ce que c'était de porter un enfant et d'en élever un… Mais elle avait surtout envie d'être irrémédiablement attachée à Charlus. Et peut-être même qu'en voyant le résultat de leurs étreintes, il l'aimerait au moins autant qu'elle l'aimait. Et puis, elle aimerait forcément ce résultat, elle aussi.

« Je vais laisser faire alors, conclut-elle en venant poser sa joue contre son torse. »

Elle passa ses mains dans son dos pour se serrer contre lui. Il lui embrassa la tempe en passant à son tour ses bras autour d'elle. C'était doux. Et c'était chaque fois plus doux. Et à chaque fois, elle se disait qu'il était possible qu'il l'aime au moins autant qu'elle l'aimait.

.

Cinq minutes plus tard, ils s'étaient décrochés l'un de l'autre, avaient emporté une boîte de biscuits de Flaquemare (les Flakis), et avaient emprunté le réseau de Cheminette pour se rendre chez Jim et Emily Anderson. Ce furent les deux amis de Charlus (Jim Anderson et Bastian Carley), qui disaient effectivement vaguement quelque chose à Dorea, qui les accueillirent dans un petit salon. L'un était grand et maigre, l'autre roux et trapu.

L'éclat de rire d'Ignatius, qu'elle commençait à bien connaître, la fit sursauter et elle le chercha autour d'elle sans le voir. Elle préféra glisser sa main dans le creux du coude de Charlus et s'obliger à sourire. Elle se souvenait des remarques de Carley, sur le fait qu'il était Né-Moldu et qu'elle le méprisait, et elle ne savait pas bien à quoi s'en tenir. C'étaient les amis de Charlus, donc c'étaient censés être également ses amis, mais…

Elle se rassura en sentant Charlus la délester de sa cape et de son chapeau tout en saluant ses deux amis.

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L'ambiance était plutôt froide. Bon. Charlus s'y était un peu attendu. Carley lui en voulait toujours d'avoir épousé une Black dont il ne leur avait parlé que pour leur annoncer ses fiançailles, comme s'il s'était arrangé un mariage dans les clous pour faire plaisir à ses parents. Il ne cherchait pas plus loin que le bout de son nez, ce qui agaçait Emily, qui répétait au contraire que c'était très bien que Charlus ait trouvé une femme pour partager sa vie, et une femme à qui elle pourrait parler lorsqu'ils dîneraient tous ensemble. Quant à Anderson, il en avait assez d'être coincé entre sa femme et son meilleur ami.

« Ignatius aussi est là ? se réjouit-il en entendant le rire de son ami.

-Ouaip, marmonna Carley. »

Ignatius avait admis qu'il appréciait Dorea, et que derrière son petit côté glaçon, elle était une personne plutôt intéressante. Il accrocha sa cape et celle de Dorea sur la patère à côté de la cheminée avec leurs chapeaux. Deux des gamins Anderson arrivèrent en courant. Charlus leur ébouriffa les cheveux pour toute salutation pendant qu'ils dévisageaient Dorea. Dorea, quant à elle, restait accrochée à son bras, un minuscule sourire tout crispé aux lèvres.

« Eh bien, je vois que tes garçons sont fascinés par ma femme, Anderson, dit-il avec amusement. Dorea, voici Dylan et Finn. Les garçons, Dorea Potter, ma femme, dit-il en essayant de décrisper tout le monde.

-Ton épouse, corrigea-t-elle distraitement en agitant la main devant elle pour saluer les deux enfants.

-Quelle est la différence ? demanda-t-il avec amusement. »

Ce n'était pas la première fois qu'elle le reprenait là-dessus, à la réflexion.

« Tu me l'as dite toi-même, rappela-t-elle, son sourire s'élargissant un petit peu.

-Ah ? s'étonna-t-il parce qu'il ne se souvenait plus. »

Un battement de paupières plus tard, et sa propre voix résonnait dans sa tête : « Ma femme ? C'est très animal tout cela Dorea. Mais je veux bien être ton homme. »

« Exact, reconnut-il encore perturbé par cette façon si simple qu'elle avait de lui envoyer des images dans la tête.

-Comment ça, exact ? s'étonna Carley. Elle n'a rien dit.

-Elle m'a rappelé le souvenir, dit-il vaguement. Emily est à la cuisine ? demanda-t-il pour changer de sujet de conversation.

-Oui, répondit Jim. Avec Ig. Il lui prend la tête depuis tout à l'heure. »

Cette grande perche de Jim Anderson lui désigna la cuisine d'un geste de la main. Il posa sa main dans le bas du dos de Dorea pour la faire avancer devant lui dans le couloir étroit. Elle regardait tout autour d'elle comme si elle évaluait son environnement. C'était assez perturbant de la revoir glaciale, alors qu'elle n'en avait rien été pendant cinq jours. La porte de la cuisine, à droite du couloir, s'ouvrit sur Ignatius qui riait aux éclats. C'était une des spécialités d'Ignatius de faire sortir Emily Carley-Anderson de ses gonds.

« J'veux plus de te voir, Prewett ! s'époumona-t-elle pendant que la porte claquait derrière lui.

-Tu aurais pu attendre le dessert, Ig, lui reprocha-t-il faussement.

-C'était trop tentant. Bonsoir Charlus. Bonsoir Dorea. Eh bien, je vous laisse saluer la maîtresse de maison, se moqua-t-il en reculant dans le couloir. »

Il fit signe à Dorea d'ouvrir la porte. Ignatius, derrière Dorea, le regardait avec amusement, et lui, il leva les yeux au ciel…

… avant le splash qui résonna dans toute la maison.

Merlin.

Pas ça.

« Ig, je t'avais dit que… Oh Merlin ! »

Il quitta du regard le visage de sa femme qui venait de recevoir une bassine d'eau pour regarder un instant le mur sur lequel un rond d'humidité apparaissait pour revenir à Dorea. Il ne voyait que son profil, yeux fermés, maquillage déjà coulant, cheveux rebelles plaqués sur le front, robe mouillée jusqu'à mi-ventre.

« Mrs Potter je… Je pensais que… c'était Ignatius… bredouilla la voix d'Emily avec effroi.

Et merde.

Dorea ne bougeait toujours pas, sans doute peu habituée à un tel accueil. A vrai dire, lui aussi aurait été surpris d'un tel accueil chez des amis de Dorea qui lui aurait été inconnus. Il ne parvint même pas à parler en voyant les joues habituellement pâles de Dorea virer au rouge. Il vit tout son corps se crisper si bien qu'il crut qu'elle était sur le point d'exploser.

« Je…

-Auriez-vous une serviette ? demanda Dorea d'un ton horriblement neutre. »

Sa voix redonna la sienne à Charlus.

« Putain Em, mais qu'est-ce qui tourne pas rond chez toi ! explosa-t-il en sortant son mouchoir de sa poche pour le tendre à Dorea qui essuya ses yeux avant de les ouvrir. »

Dorea fit un pas en arrière, garda les yeux levés au plafond bien trop longtemps pour paraître naturelle et prit le torchon que lui tendait Emily.

« Mais je pensais que c'était Ignatius, bafouilla Emily. »

Phrase stupide sur laquelle Ignatius ne trouva qu'à exploser de rire. Charlus l'aurait bien étranglé sur ce coup avant de voir Emily se charger de lui et l'insulter copieusement. Puis elle entraîna Dorea dans son sillage vers la salle de bain.

A croire que ce léger cafouillage avait permis à Dorea et Emily de faire connaissance sans chichi, puisqu'elle revinrent en discutant paisiblement dans la salle à manger. Dorea était toujours froide comme un glaçon, mais dans la robe qu'Emily lui avait prêtée (une robe orange qui dévoilait sa cheville et le début de son mollet et qui donnait un drôle de rendu sur sa femme), elle semblait s'insérer à leur groupe d'amis. Le plus perturbant fut de voir Emily mettre son petit dernier d'un an dans les bras de Dorea pour aller chercher le chaudron. Dorea regarda l'enfant avec un air perplexe et presque apeuré une longue minute avant de l'installer sur ses genoux et de lui laisser sa main baguée à observer. Elle parlait au petit comme si elle parlait à un adulte, et non comme Emily parlait à ses enfants. Et en ça aussi, elle était amusante malgré elle. Ceci lui rappela aussi la discussion qu'ils avaient eue avant de partir chez les Anderson. Il avait longtemps entendu les filles de sa classe soupirer qu'elles voulaient se marier et avoir pleins d'enfants. Alors que pour Dorea, un bébé semblait plus une… conséquence du mariage. Il s'était dit que décidément, elle ne faisait rien comme les autres.

Lorsqu'ils rentrèrent plus tard ce soir là, le mutisme de Dorea l'intrigua plus qu'ordinaire. Elle gardait les sourcils froncés et répondait des réponses vagues. Ce n'est qu'une fois couchés, qu'une fois dans ses bras, lorsqu'elle se mit à tracer des dessins abstraits sur son torse du bout de son index qu'il lui demanda ce qui la taraudait.

« Emily a de drôle de manières, avoua-t-elle sans détours.

-En quoi ? s'étonna-t-il. »

C'est qu'il n'était pas habitué à une réponse aussi directe avec elle.

« Eh bien, avec ses enfants par exemple, commença-t-elle. Ils trainent tout le temps dans ses robes, même lorsqu'elle cuisine. Et puis elle coupe sans arrêt la parole à son mari et à son frère… Même à Ig et à toi ! Je… Ce n'est pas très respectueux. Et puis, elle ne vous a même pas proposé de vous laisser entre hommes. Je veux dire, ça ne me dérange pas, mais ça me surprend un peu que tu n'y trouves rien à redire. »

Hum. Au moins Dorea n'avait pas vu pourquoi Emily avait agi de la sorte… C'est que Carley lançait pique sur pique pour déstabiliser Dorea et qu'Emily essayait de le faire taire. Elle essayait aussi d'empêcher son mari de dire trop de grossièretés parce qu'il était épuisé et agacé par la guéguerre entre Em et Bastian. Elle coupait aussi la parole à Ignatius quand il s'apprêtait à hurler sur Carley qu'il devrait avoir honte d'avoir laissé sa femme, sa fille et de courir à droite à gauche au lieu de s'occuper de son foyer. Et à lui ? Elle essayait de l'empêcher de partir avant la fin du repas. Finalement, grosso modo, la soirée avait été agréable, surtout la toute fin à vrai dire. Mais Charlus espérait que tout se tasserait rapidement.

« Em est montée avec toi coucher les quatre gamins et nous a laissé tous les quatre, dit-il simplement. Elle ne l'a pas dit explicitement, mais c'était l'idée. Et puis d'ordinaire, elle est la seule femme alors nous n'allons pas lui demander de rester seule.

-Peut-être, dit-t-elle en apposant un léger baiser sur son torse. »

Il fit remonter sa main le long de son dos, et sourit au vide en sentant la chair de poule se former sous ses doigts. Si douce.

« Tu l'apprécies ? demanda-t-il du bout des lèvres.

-Je ne pensais pas que les Moldues pouvaient compenser l'absence de magie de manière si maligne, souffla-t-elle.

-Ah ? »

Mais elle dormait déjà. Et lui, après un baiser et avoir dégagé son bras, s'endormit à son tour.

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(... Que pensez-vous du passage au 12, Square Grimmaurd? De la "dispute" entre nos deux zamoureux? Et puis du passage chez les amis de Charlus ? et puis de tout ce que vous avez aimé ou pas aimé ? :D

Merci Titou Douh ! Oh la coïncidence pour l'aquarium de Brighton ! ça aura eu le mérite de te rappeler des souvenirs ! Charlus est très bien dorloté... après la soirée du nouvel an et ses entrainements, il en avait besoin ;)

Le prochain chapitre est l'avant-dernier... Par Merlin, on va arriver à la fin, ça me fait tout drôle aha. Mais surprise : j'ai prévu pleeein de suite

Des bisous !)