Je vois mon chef partir pour une réunion vers 16h et j'en profite pour m'éclipser plus tôt. Je rentre à l'appart avant d'aller à la salle car j'ai oublié mes affaires de sport ce matin.
Tandis que je cherche mon sac dans ma chambre, j'entends la porte claquer et je vois Deku passer, il est complètement perdu dans ses pensées.
Il se dirige vers la cuisine et je le rejoins sans bruit. Il est en train de prendre un bol dans le placard et quand je dis "salut !", il sursaute.
-Kacchan ! Tu m'as fait peur, je pensais être seul à cette heure !
- Surprise, dis-je sur un très blasé, ce qui fait rire le nerd.
Il remplit son bol de céréales pour enfants et les noie de lait. Je le regarde, jugeant cette habitude très néfaste à sa santé mais je ravale mes insultes. Malgré mes efforts je n'avais jamais réussi à le convaincre de bouffer des fruits pour le goûter.
- Bonne journée ? me demande-t-il alors que j'allais quitter la cuisine avant de m'agacer tout seul sur la quantité de sucre qu'il était en train d'ingurgiter.
- Mouais, enfin heureusement elle était courte.
Je lui avais rien demandé mais il avait tellement l'habitude de mon incapacité à m'intéresser aux autres qu'il enchaîna comme si j'avais ajouté un "et toi ?".
- Moi aussi même si Ochako avait mit son réveil à 5h30 et qu'elle a mis au moins 15 minutes avant de l'éteindre. Mais la journée était vraiment cool !
- J'ai entendu...
- Ah, désolé, je lui ai dit de le mettre moins fort, mais elle me dit que sinon elle l'entend pas.
- T'inquiète, ça va. Si ça m'avait vraiment saoulé, je serais venu lui faire manger.
- Et sinon, des plans pour ce weekend ? Tu as déjà fini ton mémoire ? demanda-t-il curieux avant d'enfourner une cuillère dans sa bouche.
- Non, et oui.
- Cool, tu as du temps pour chercher un appart du coup ?
Je m'étais pas attendu à avoir ce genre de discussion, là, tout de suite, avec lui.
- Non, pas encore.
- Pourquoi ? demande-t-il étonné.
Bonne remarque. Rien ne m'empêchait de chercher, j'ai du temps, je sais où sera mon prochain travail et j'ai les moyens. Alors, pourquoi ? C'est dur de commencer à passer à autre chose ? Pourtant il fallait aller de l'avant et je le savais, pour le bien de tout le monde.
- Pour être parfaitement honnête, j'en sais rien.
- Ça va être étrange, hein ? De plus vivre tous les deux, dit Deku.
- Calme tu veux dire.
Il me sourit.
- Tu sais je suis un peu triste au fond de partir, on a plein de bons souvenirs et je me sens chez moi ici et le changement, ça fait toujours un peu flipper...
- Ouais, je l'aime bien cet appart aussi. Et puis ça va être vide chez moi sans toutes tes merdes.
- Tu es inquiet ? me demande-t-il, sans doute parce qu'il sait que si je le taquine comme ça, tout en évitant de répondre à ses questions, c'est pour éviter de parler de ce que je ressens.
- Ouais, un peu, normal non ?
- Tu veux qu'on en parle ?
Je veux parler ? J'en sais rien. Je n'ai même pas encore pris le temps de spécialement penser à cette vérité. L'idée que d'autres personnes vivent ici me hérisse. Et l'idée de ne plus avoir les clés de chez Deku, pas pouvoir le voir quand je veux, pas savoir ce qu'il fait, où il est, quand il rentre, l'idée qu'avec ça on va s'éloigner un peu plus chaque jour. On se verra moins, se parlera moins et petit à petit la personne la plus proche de lui deviendra la naine, même si je le connais depuis toujours.
- Je me dis qu'avec tous les changements à venir, on risque de moins se voir. Et j'arrive pas à me dire que c'est la vie, je trouve ça injuste. Et en même temps, je suppose que c'est bien, je veux dire, on pouvait pas habiter en coloc pour toujours.
- Oui, je pense que ça sera compliqué. Mais on reste amis. On se verra encore souvent et on a nos téléphones.
- Ouais, tu dis ça mais regarde, Eijiro venait souvent me casser les couilles à l'appart avant. Depuis qu'il est avec Mina, il est pas revenu beaucoup. Pas comme ça. Et toi aussi tu vas t'éloigner et c'est normal. Tu vas avoir ta vie, ton travail, ton couple, des projets et je sais que tu veux des enfants...
- Je vais pas te laisser tomber ! Tu me fais pas confiance ? me demande t-il l'air un peu blessé que je puisse penser qu'il va m'oublier.
- Si... mais je pense que tu pourras rien y faire. C'est comme ça. C'est dur de dire au revoir à tant de choses. Je veux dire c'est un tout, j'ai arrêté de bosser à la pizzeria et on se voit un peu moins, on a nos stages donc on se voit plus à la fac et on va déménager... Je sais pas, c'était cool et tout se termine d'un coup.
- C'est assez normal d'être nostalgique d'une époque, mais pense à tout ce qui change en bien. Je veux dire, tu es content de faire de la cuisine et d'être avec Shoto ?
- Ouais
- L'avenir peut être cent fois mieux que le passé. C'est le but qu'il faut se donner ! Et je serais toujours là quand tu auras besoin de moi. Promis !
- Je vais essayer le nerd. Et moi aussi je serais là pour toi.
Il finit d'engloutir son bol de céréales et le dépose dans l'évier.
- Tu fais pas du sport à cette heure-là d'habitude ? me demande-t-il .
- Si, j'allais partir avant que tu me fasse subir ton interrogatoire.
- Pffff pour toi n'importe quelle conversation de plus de 2 minutes ressemble à un interrogatoire. Je te signale que c'était qu'une petite conversation et je vais aller plancher sur mon mémoire puisque c'est comme ça !
Il fit semblant d'être offusqué et parti s'enfermer dans sa chambre pour travailler. Je suivi mes plans initiaux et sort de l'appart avec mon sac de sport direction la salle.
J'avais les paroles du nerd qui me trottaient en tête "il faut faire en sorte que l'avenir soit cent fois mieux". Ce n'était pas une mauvaise idée et en soit ça ne devrait pas être si dur. Même si j'aime Deku, cette voie était pleine de souffrance, de manque et de regrets.
Je choisi Shoto, aujourd'hui. En conscience, pas par défaut, pas parce qu'il a insisté mais parce que je l'aime et que la vie avec lui va m'offrir tant de possibilités. Pour la première fois depuis que Deku m'avait annoncé son départ, j'étais vraiment persuadé que c'était pour le mieux.
Une fois arrivé à la salle je m'attelle à mon entraînement, je faisais beaucoup d'exercice en ce moment. Ça n'était pas une mauvaise chose puisque j'allais passer d'un boulot, où j'ai le cul sur une chaise toute la journée, à un travail bien plus physique.
Sur les machines, mon esprit vagabonde. Je ne me rappelais des bons moments, les soirées passées avec Deku à rigoler, jouer à des jeux vidéos, les sorties entre potes, les petits moments simples de la vie que j'appréciais partager en sa compagnie. Les moments de tendresse volés, les quelques câlins, les fois où je le réconfortais et les siestes partagées.
Puis je mis en parallèle les moments de douleurs, les soirs où je voyais le nerd se coucher avec tête d'ampoule, les phrases et les promesses qui n'avaient pas le même sens, mes rêves d'un avenir impossible et ces moments de dépression passés à tenter de me ressaisir seul dans ma chambre.
Ça faisait un moment que j'étais au courant que je ne pouvais pas rester dans cette situation, mais tant que j'étais seul, me pourrir la vie pour cet amour à sens unique était moins grave. Je préférais être malheureux et continuer à ressentir ce désir, ce besoin, ce sentiment puissant.
Mais si je voulais vraiment avancer et être heureux avec Shoto et pour Shoto, je me rendais compte qu'il fallait changer ça. Je devais redonner à cet amour le sens qu'il aurait dû avoir depuis toujours, on était des frères, il m'aimait comme un frère. Il y avait une légère pointe d'amertume sur ma langue, mais pour une fois, je voulais vraiment que ce soit ce qu'il soit pour moi.
Va savoir pourquoi, la moitié de la salle est couverte de miroirs, peut être que les gens qui viennent s'entretenir sont contents de s'admirer en faisant du sport. Et moi j'aperçois ce petit con de sourire qui perce sur mon visage, quand mon esprit s'attarde enfin sur Shoto.
Je me rends compte que l'avenir peut être cool. Il me réserve encore des surprises, des projets, des joies. J'ai hâte de vivre tout ça avec lui. Se découvrir et s'apprivoiser, se connaître par cœur et me sentir de nouveau bien, serein avec une personne. Se challenger, s'encourager, partager les joies et s'aider dans les moments durs. Être heureux, simplement. Ça devrait être possible, il a rendu ça possible.
Est-ce qu'on peut vraiment décider d'arrêter de s'apitoyer, de déprimer, se promettre de changer à cet instant, être une version de soi différente, une qu'on aurait plus de satisfaction à être ou doit-on toujours subir ce qu'on est et ce qui nous arrive ? Aujourd'hui il me semblait que c'était possible de faire ce choix et ça me donnait l'impression d'être la personne la plus forte au monde.
