De ce que j'avais cru comprendre de Peter et James, la sortie à Pré-au-lard avait permis aux élèves de pouvoir respirer. Sortir du château et, symboliquement, de ses pressions, avec la seule préoccupation de déambuler entre les échoppes de la rue principale et de gérer son budget entre Zonko et les Trois balais leur avait visiblement fait le plus grand bien. Il était dommage que les Deuxièmes Années ne pouvaient profiter de ces sorties. Nous avions bien évidemment mis en place des rondes particulières en nous basant sur leur emploi du temps afin d'avoir une présence significative dans les couloirs lorsqu'ils y avaient cours. Mais pour le moment, nous ne réussissions pas à réellement percer leur bulle. Les Deuxièmes Années nous avaient cependant bien repérés et s'étaient montrés particulièrement civilisés lors de leurs changements de salle – ce qui n'avait pas amélioré notre inquiétude.

À cet égard, les Gryffondors commençaient bel et bien à disparaître des lieux de vie collective. Ce n'était plus juste une impression post-match. Nous ne voyions la majeure partie d'entre eux que très rapidement à chaque repas ; ils avaient de toute évidence fait le plein de gadgets chez Zonko et s'amusaient entre eux d'un niveau sonore relativement élevé, avant de disparaître aussitôt le repas terminé. Certains prenaient à peine le temps de descendre dans la Grande Salle ; il y avait certains visages que je n'avais pas vu depuis quelques jours et quelques repas qui semblaient être montés dans leur salle commune. Il ne restait que quelques rares cravates rouges téméraires à la bibliothèque et, depuis que le froid s'était définitivement installé, l'extérieur avait persuadé les derniers Gryffondors qui sortaient encore à rejoindre le feu de leur salle commune. Ils n'étaient plus que la moitié à nous côtoyer au quotidien, le reste semblait avoir été aspiré par la tour de Gryffondor. C'était assez inédit.

Aujourd'hui encore, alors que nous avions une heure de libre entre deux cours, la plupart des Gryffondors de notre promotion s'étaient dirigés vers leur Tour aussitôt le cours fini. James avait semblé aussi perplexe que moi dans le couloir en voyant toutes ces cravates rouges s'empresser de monter des marches qu'ils finiraient par redescendre dans une demi-heure, grand maximum.

- Tala aussi est plus distante ces derniers temps, dit-il soudainement, brisant la règle implicite que nous avions instauré de ne parler ni de Carter ni d'Alice. Ca s'est empiré après le match.

- Ils se sont montés la tête et se referment physiquement sur eux-mêmes, maintenant, répondis-je.

- Je pense qu'il y a autre chose. À un moment, nous étions dans notre endroit habituel avec Tala, et un autre Gryffondor est passé par là, j'ai presque eu l'impression qu'elle avait… honte ? C'était vraiment… étrange et désagréable. Je veux dire, elle est bizarre cette année et très distante, mais je n'avais pas pour autant l'impression d'être un poids comme ça.

- Elle a dit quelque chose ?

- Non, c'était dans son attitude. Je l'ai juste… ressenti.

- Désolée, Mattew.

Il haussa les épaules.

- Quand j'ai essayé de lui en parler, reprit-il, elle s'est évidemment mise en colère. C'est récurrent ces derniers temps. Je ne l'ai jamais vue comme ça. C'est comme si je n'arrivais plus ne serait-ce qu'à… entrer en relation avec elle d'une certaine manière, tu vois ce que je veux dire ? vérifia-t-il avant de continuer devant mon hochement de tête. C'est comme si elle n'était pas vraiment là. Dès que j'essaye de parler d'autre chose que de choses superficielles, elle entre tout de suite en confrontation. Elle a toujours été sanguine, mais pas comme ça. Pas pour rien. C'est comme si elle était tout le temps… sur le qui-vive, tout le temps alerte et épuisée de l'être. Elle est à fleur de peau et tout la déclenche à une vitesse folle. L'incident avec Clakdant était déjà étrange, mais on a atteint un autre niveau depuis le match.

- Il y a des sujets particuliers qui déclenchent sa colère ?

- Non, c'est un peu tout. Mais elle a en revanche tendance à toujours trouver un moyen de finir par parler de la Guerre. Ce qui est ironique, puisqu'elle n'y a pas participé. Chose que je ne dois absolument pas souligner, sinon elle part dans un monologue d'une demi-heure sur la manière dont il avait été totalement injuste d'empêcher des Gryffondors de combattre s'ils le souhaitaient, que ça allait contre la volonté de Godric. Mais ils ont des grands récits de certains Septièmes Années et des anciens qu'elle est capable de me raconter de tête.

Je le regardai, surprise.

- Ils sont toujours en contact avec des anciens ?

- Tu as l'air particulièrement mécontente d'apprendre ça, Eyrin, alors je ne vais pas prendre le risque de me tromper : je crois. Elle a dit deux-trois choses qui sous-entendraient qu'ils ont au moins communiqué avec le frère Weasley et un autre que je ne connais pas, Finnigan ou quelque chose, mais s'il te plaît, vérifiez avant de faire vos trucs de préfets. Quand elle s'énerve, elle dit tellement de choses qu'il est possible que j'ai confondu deux-trois trucs au passage.

- Tu m'étonnes qu'ils tournent en boucle sur la Guerre après, putain, m'énervai-je.

- Eyrin !

- Hypothétiquement, rajoutai-je. Si ces informations venaient à être confirmées.

Je soupirai. Les vacances auraient peut-être au moins l'avantage de mettre fin à cette tendance étrange des Gryffondors. À leur façon, ils rappelaient le renfermement des Deuxièmes Années. Ces derniers étaient juste bien plus discrets.

- Votre dispute avec Alice, c'est à cause de Parker ? demanda-t-il soudainement. J'ai été patient toute la semaine, mais je suis vraiment trop curieux.

- De quoi est-ce que tu parles ?

- Eyrin, insista-t-il, en potions l'autre fois, tu as rigolé bêtement comme une troisième année à qui Ian a dit bonjour et tes joues étaient plus rouges encore que la cravate de Griffin.

- Par Merlin, soupirai-je particulièrement mal à l'aise.

J'étais vraiment ridicule. Pourquoi fallait-il toujours que mon corps réagisse comme ça ? Avec le temps, on aurait pu penser qu'il finisse par avoir l'habitude de ressentir des émotions et arrêter de rougir constamment.

- Je ne savais pas que Miller avait, malheureusement, du succès auprès des troisièmes années.

- Tu rigoles ou quoi ? s'indigna-t-il. On a déjà dû évacuer trois fois nos dortoirs devant les amortentia ratées qu'elles lui envoient. Elles sont malignes, en plus. Nulles en potions, mais malignes.

Je soupirai. À quel moment avions-nous collectivement décidé qu'il était tout à fait approprié pour des élèves de réaliser des philtres d'amour ? À nouveau, la violence était si ordinaire qu'elle devenait drôle, une simple anecdote lancée entre deux couloirs, et personne dans cette histoire ne semblait réellement inquiet du consentement et de la manipulation. Nos usages de la magie ne connaissaient aucune limite éthique, nous ne devrions pas nous étonner des ravages de la magie noire.

- Maintenant que nous avons établi que les brunes mystérieuses et inaccessibles ne te laissaient pas indifférente -

- Nous n'avons rien établi du tout, le coupai-je.

- Ta tête parle pour elle-même, enchérit-il. Vous ne voulez pas au moins essayer d'en discuter, avec Alice ? Je veux dire, tu en pinces pour Parker, c'est pas la fin du monde. Tu restes sa meilleure amie.

- Tant qu'elle ne revient pas sur ce qu'elle a dit, je n'ai rien à lui dire et je ne lui dois très certainement pas de l'écouter.

- Tu sais qu'il va y avoir les vacances…

- Comme chaque année, oui, répondis-je froidement.

- C'est juste… Eyrin, maintenant vous vous faites la tête, mais vous vous voyez tous le temps. Vous dormez dans le même dortoir. Les vacances peuvent vraiment mettre de la distance entre deux personnes, crois-moi. Vous devriez discuter avant de partir chacune de votre côté.

Peut-être n'avait-il pas tout à fait tort. Pour autant, c'était à Lilith que j'avais spontanément penser en l'entendant parler. Nos cours en commun étaient les seuls moment où je l'avais aperçue. La voir aussi distante à nouveau, comme elle l'était d'habitude avec Harper, me laissait une impression étrange ; il y avait toujours une certaine condescendance dans cette mise en retrait, mais, après les moments que nous avions passé ensemble, je ne la voyais plus réellement de la même manière. Cette distance me paraissait beaucoup moins froide et bien plus grisante. J'eus soudainement peur que les vacances la rende à nouveau froide. Oh Merlin. J'étais ridicule. Lilith avait été relativement claire vis-à-vis de ses sentiments, ce n'était pas les vacances qui allaient y changer quoi que ce soit. Je soupirai. Toutes ces histoires me fatiguaient et il fallait vraiment que je me calme ; et James me regardait étrangement.

- Il a l'air de s'être passé tout un monde dans ta tête, s'amusa-t-il.

- Désolée.

- Essaye juste d'y penser, Eyrin. Ca ne veut pas dire que vous êtes obligées d'être à nouveau inséparables, mais tu ne veux pas regretter plus tard d'avoir laissé les vacances passer.