SILENCE DANS LA BIBLIOTHÈQUE
Plus tard, lorsqu'il y repenserait, Arthur se souviendrait particulièrement du silence, de l'incroyable silence qui avait envahi la Bibliothèque à ce moment.
Un silence étrangement familier.
Le silence du quai de gare rempli de lumière qui revenait parfois dans ses rêves.
"Qui es-tu ?"
"Un ami. Mon nom finira par te revenir. Pas encore. Mais bientôt. J'ai hâte. Il y a si longtemps que je t'attends, Arthur."
Il avait oublié.
Mais maintenant il se souvenait.
"L'ombre, le sang, l'oublié, l'épée."
Quatre mots très simples, terribles, dans lesquels il y avait le début et la fin de leur histoire.
L'histoire du guerrier endormi.
L'histoire d'Harry Potter.
L'histoire d'Albus Severus.
Son histoire.
Et celle du garçon qui attendait.
Il s'appuya sur l'épaule d'Euphrosine, accepta la main que Scorpius lui tendait et se releva, un peu chancelant. Hermione avait ramassé les livres et les serrait contre elle.
Quatre paires d'yeux bleus identiques se tournèrent vers lui et, pour la première fois, il sentit buller dans sa poitrine le rire chaleureux d'Artos.
Son père et son grand-père lui avaient parlé des émotions qu'il partagerait avec l'Autre – dans des termes radicalement différents – mais il n'avait pas compris à quel point cela le submergerait.
Pas étonnant qu'Harry ait cherché désespérément à se débarrasser de l'horcruxe de Voldemort et qu'Albus ait tant redouté perdre sa connexion avec le dragon.
Ce n'était pas comme si quelqu'un avait pris le contrôle de lui-même.
C'était comme si son propre cœur lui était devenu inconnu.
Il essaya d'avaler sa salive, mais sa gorge resta affreusement sèche.
N'avait-il pas toujours su que Merlin trouverait un moyen de le retrouver ?
Ce Merlin insupportable. Il n'y avait bien que lui pour…
Non, il n'en avait rien su. Merlin n'était qu'un nom dans un bouquin, pas un ami associé à de multiples souvenirs. Il était Arthur – pas Arthur. Le frère d'Euphrosine, le Traqueur, pas le roi.
Il était ici et maintenant, pas perdu dans le temps.
Il serra les poings et fit face aux quatre figures qui étaient son passé et son avenir.
- Racontez-nous, dit-il.
Terrence Swanson hocha le menton, les mains toujours dans les poches. Merlin se jucha sur une branche de l'arbre. Dumbledore se cala avec un petit soupir dans un gros fauteuil surgi de nulle part. Zach s'installa par terre en tailleur.
Euphrosine et Hermione échangèrent un coup d'œil, partagées entre leur anxiété et leur envie d'en savoir plus, puis elles s'assirent timidement sur le banc du piano à queue, l'une contre l'autre.
Arthur se cala sur ses jambes légèrement écartées, les bras croisés.
- ça va être long, prévint le médicomage.
- C'est toujours long avec toi, rétorqua Scorpius.
Et il resta aussi debout, fit apparaître la canne à pommeau d'argent que Drago avait hérité de Lucius et s'appuya dessus d'un air nonchalant qui ne trompa personne.
- Comme tu voudras, soupira Terrence.
Il se racla la gorge, jeta un petit coup d'œil en direction de Merlin, comme pour s'assurer que celui-ci ne voulait pas prendre la parole à sa place, puis commença.
- M. Binns disait souvent que si l'Histoire était un long ruban tissé dans la fabrique du temps, alors les actions des hommes n'étaient qu'un motif qui se répète. J'avais l'habitude de penser que c'était la prose de Malefoy qui transformait ces cours ennuyeux en poésie, mais en fait c'était vrai.
- Ils recopiaient tous mes notes, grommela Scorpius.
Dumbledore lissait sa longue barbe blanche d'un air amusé.
- Les mêmes choses sont arrivées, encore et encore. L'obscurité a envahi le monde, des vies ont été sacrifiées, de l'aide est arrivée de façon inimaginable et il a fallu que quelqu'un prenne les armes.
Terrence hésita.
- Te rappelles-tu la photo qu'Harry t'avait montrée avant de t'emmener au Département des Mystères, Arthur ? demanda Dumbledore.
Le jeune homme fronça les sourcils.
- Euh… oui. C'était celle de l'Ordre du Phoenix. Celui de la première guerre contre Voldemort. Vous, euh… vous étiez dessus, avec mes arrière-grands-parents et son parrain, Sirius Black.
Il se tourna vers Hermione.
- Plus tard tu m'as montré la photo du deuxième, celui dont vous aviez fait partie.
- Ce n'était pas le "deuxième", ni même le "premier", corrigea tranquillement Dumbledore. "L'Ordre a été fondé il y a des siècles et il ne s'est pas éteint avec la chute de Voldemort, il existe toujours."
Zach avala sa salive.
- C'est juste que… c'est juste qu'il n'est plus en Angleterre, dit-il timidement.
- Sa création m'a été attribuée à tort, comme pas mal d'autres choses, continua paisiblement l'ancien directeur de Poudlard. "Peut-être à cause de Fumsek, je ne sais pas. Ça n'avait pas particulièrement d'importance. L'Ordre était en déclin à cette époque. Caradoc Dearborn et moi étions les deux seuls véritables membres et nous avions, hum… perdu un peu la foi, dirais-je. Nous avons donc laissé la confusion se faire et préféré utiliser les moyens de l'Ordre pour contrer la menace bien réelle à laquelle nous faisions face."
Un nuage passa dans ses yeux bleus.
- Caradoc a disparu fin 1981 – envoyé dans un camp de prisonniers en Europe – et je n'ai su ce qu'il était devenu que…. très longtemps après.
Hermione leva la main.
- Professeur, je ne comprends pas. Si l'Ordre du Phoenix n'a pas été créé pour combattre Voldemort, alors…
- Avez-vous entendu parler de cette confrérie moldue appelée l'Ordre de l'Ours ? interrompit Merlin. "C'est une société secrète qui est convaincue qu'Arthur Pendragon reviendra un jour. L'Ordre du Phoenix est en quelque sorte la version sorcière. Ils attendent le retour de Merlin. Le mien, quoi."
- Oh, dit Hermione.
Et elle pinça les lèvres exactement comme Molly Weasley quand celle-ci se retenait de faire un commentaire.
Dumbledore rit doucement.
- Je ne nie pas que ma vision de l'Ordre était effectivement très romantique quand j'y ai adhéré. J'étais très jeune… et très loin de me douter qu'un jour je serai choisi.
- Choisi ? répéta Euphrosine en se troublant. "Choisi pour quoi ?"
- Choisi pour être celui qui aiderait Arthur, souffla Zach.
Terrence prit une longue inspiration.
- L'histoire ne cesse pas de se répéter. Nous sommes tous 'Merlin'.
- Ah vraiment ? lâcha Scorpius d'une voix ironique.
Euphrosine laissa échapper un soupir et se massa les tempes, comme si la fatigue l'envahissait soudain en entendant une pareille ineptie après avoir eu les nerfs vrillés par l'attente.
- Et vous le saviez ? balbutia Hermione.
- Oh, moi je croyais que j'étais Perceval au début, dit Dumbledore avec un petit gloussement.
Terrence fit rouler ses yeux, mais Zach se mordit les lèvres. Il avait l'air au bord des larmes.
- C'est vrai, bredouilla-t-il d'un ton un peu désespéré. "Nous avons été choisis, nous-nous avons été – appelés. Je ne mens pas, il dit la vérité, nous ne… ce n'est pas… il faut nous croire !"
Quelque chose se pinça à l'intérieur d'Arthur devant cette détresse. Une bouffée de colère l'envahit, qu'il ne put réprimer.
- Suffit ! lança-t-il, premier surpris de la sèche autorité qu'il y avait dans sa voix. "Laissons-les aller jusqu'au bout avant de douter."
- On ne disait rien, marmonna sa sœur entre ses dents, tandis qu'Hermione se raidissait, rouge comme à quinze ans.
Mais dans l'arbre, Merlin remonta son genou contre son torse et posa son menton anguleux dessus, une expression de profonde tendresse sur le visage.
- L'Ordre de l'Ours n'a probablement jamais réalisé que la prophétie s'était réalisée – plusieurs fois – mais nous sommes apparus parce que le Roi est revenu, continua Terrence. "Il avait besoin de nous, alors nous nous sommes réveillés, chacun à notre tour, pour aider celui de notre génération."
- Ils n'étaient pas le Arthur Pendragon qui dort en toi, Potter, précisa Zach hâtivement. "Seulement un écho, quand le pays en avait besoin, de la même façon que nous sommes aussi des-des échos de… de lui."
Il montra timidement Merlin sur sa branche.
- Artos ne se réveillera vraiment que pour la fin des temps, expliqua celui-ci, le menton toujours calé sur son genou. "Mais son désir de protéger Albion était tellement fort que cela s'est infusé dans l'air. Chaque fois qu'une menace se profile, cela provoque une vocation chez un individu. Et alors… forcément… quelqu'un doit aider ces grands idiots à sauver le monde."
Zach adressa au frère d'Euphrosine un regard dans lequel il y avait des excuses, une admiration enfantine et de la crainte aussi.
- Albus était mon Arthur, murmura Terrence.
- Harry était le mien, ajouta doucement Dumbledore.
Hermione, qui avait joint les mains, l'air de penser que l'histoire de cette amitié éternelle était l'une des choses les plus adorables qu'elle n'ait jamais entendues, faillit soudain s'étouffer.
- Et vous le saviez ? répéta-t-elle, cette fois toute trace d'incrédulité disparue au profit d'une dangereuse indignation.
- Oui et non, avoua Dumbledore. "L'Angleterre était au plus bas, si Arthur Pendragon ne se montrait pas, alors cela voulait dire que cet espoir était vain, que la légende n'était qu'une histoire. Mais tout à coup, au moment où nous nous y attendions le moins, la guerre s'est interrompue grâce à Harry."
Il eut un sourire ému.
- J'ai bien compris qu'il y avait un lien, mais je n'avais aucune idée de l'étendue de ce qui commençait ce jour-là. A l'instant où ce bébé qui avait miraculeusement survécu au sortilège de Voldemort a plongé ses yeux dans les miens… j'ai seulement senti que je devais veiller sur lui.
Ses yeux bleus cherchèrent ceux d'Arthur par-dessus ses lunettes en demi-lune.
- Ce n'est que plus tard, quand Voldemort est revenu, quand les choses se sont accélérées, quand j'ai finalement réalisé que ce n'était pas pour rien que j'avais été tant fasciné par les Reliques des Peverell… que j'ai commencé à comprendre qu'il y avait quelque chose de plus grand que nous à l'œuvre. Harry ne me connaissait pas. Cependant il m'a fait confiance instinctivement. Il a placé sa vie entre mes mains de multiples fois, alors que je continuais pourtant à le mettre en danger, il s'est confié à moi, encore et encore, alors que je lui cachais la vérité. Et à la fin…
- A la fin, il s'est sacrifié, comme vous aviez su qu'il devrait le faire depuis le début, compléta Hermione amèrement.
Dumbledore ferma les yeux derrière ses lunettes en demi-lune. Il avait l'air soudain très las, très âgé.
- Ce n'était pas aussi clair que cela peut te paraître maintenant, mais… commença-t-il.
- ça ne me paraît pas du tout clair, riposta la sorcière avec un éclat vif dans les yeux. "Pour tout vous dire, j'ai l'impression que vos regrets vous font chercher des excuses même dans l'au-delà."
Euphrosine hocha vivement la tête et Terrence ferma les yeux un instant, comme si le reproche était trop prêt de la vérité.
Scorpius inhala abruptement par la bouche.
- Arrêtons-nous-en là pour les choses sentimentales, dit-il d'un ton sec, posant sa main froide sur l'épaule d'Arthur qui tressaillit, tiré des pensées noires dans lesquelles il s'enfonçait. "Le temps nous est compté. Laissez-moi résumer. Environ mille cinq cents ans en arrière, vous (il inclina son menton pointu en direction de Merlin) et lui (il eut un geste vague dans la direction où la silhouette habillée d'une grande cape s'était tenue avant de disparaître à l'intérieur d'Arthur) avez voulu créer une utopie et ça s'est terminé par un bain de sang et un plongeon derrière le Voile.
- C'est humiliant, mais c'est à peu près ça, soupira le jeune homme assis dans l'arbre.
- Sept cents ans et des poussières plus tard, les frères Peverell ont fait une rencontre… hum, particulière, au bord d'une certaine rivière.
- Ces idiots se livraient à des expériences sur le Voile, dit platement Merlin. "Ils l'ont payé chèrement."
- Terrifié par ce qu'il avait découvert de l'autre côté du pont, Ignotus Peverell a créé les Trois Sceaux…
Scorpius s'interrompit et arqua soupçonneusement un de ses fins sourcils noirs.
- Est-ce que quelqu'un lui en a donné l'idée, par hasard ?
Merlin se contenta d'hausser les épaules.
Scorpius soupira. Il voulut reprendre, mais Dumbledore le devança.
- La cape d'invisibilité d'Ignotus Peverell s'est transmise jusqu'à Harry Potter, et les soi-disant Reliques de la Mort ont permis de vaincre Voldemort, expliqua-t-il. "Le recueil de contes dont j'avais hérité avait rempli sa fonction. Mais sans les autres livres, sans avoir connaissance des Trois Sceaux, il était très difficile de réaliser que l'histoire ne s'arrêtait pas là, que nous n'en étions qu'au premier tome."
- Mais toi, tu savais, accusa Euphrosine en se tournant vers Terrence. "Quand tu es venu à nous avec Calcifer, tu savais tout, n'est-ce pas ?"
Le médicomage baissa la tête.
- A ce moment-là, oui. Mais pas avant, je te le promets ! Quand j'étais…
Il avala sa salive.
- Avant de franchir le Voile, je ne savais rien, dit-il d'une voix enrouée. "Les gens disaient que j'étais le jeune sorcier le plus intelligent de ma génération, mais je n'ai rien deviné, rien vu venir. Al était mon meilleur ami, mais quand je… quand je doutais, quand j'étais en colère contre lui, je… je mettais sur le compte de l'influence du dragon le fait que je ne pouvais pas imaginer de le laisser tomber."
Dumbledore et Zach avaient détourné la tête, mais Merlin n'avait pas bougé et son visage reflétait une immense compassion.
- Ce n'est qu'après… après m'être… perdu… que j'ai su, balbutia Terrence.
Il se laissa tomber sur une pile de livres, étendit ses longues jambes devant lui.
- Savez-vous ce qui ressemble le plus à un phœnix ? demanda-t-il avec un petit rire amer, en enlevant ses lunettes rondes pour les essuyer sur un pan de sa blouse. "Une étoile… Calcifer a essayé de me prévenir, mais je me suis entêté… et à la fin, j'ai échoué."
Tout le sang s'était retiré du visage de Scorpius.
- Tu veux dire que si tu étais… resté, tu aurais trouvé le second livre de contes et Albus aurait eu à nouveau à combattre ? articula-t-il d'une voix blanche.
Plus que n'importe qui, il savait quelle déchirure la bataille contre l'Anghenfil avait laissé dans le cœur d'Albus.
- Non ! Non, souffla Terrence. "Mais si j'avais eu plus de courage… j'aurais pu être là, avec lui… au moment où il est mort… cela aurait dû être moi qui… qui…"
Il se tut, enfouit son visage dans ses mains en étouffant un sanglot.
Arthur le regardait, l'air épouvanté. À quelques pas de lui, Zach se tordait les mains silencieusement, l'air de se détester.
Euphrosine finit par comprendre à son tour et elle devint d'une pâleur de craie. Le regard anxieux d'Hermione alla de l'un à l'autre, puis revint sur Scorpius qui s'était figé comme une statue de sel. Soudain elle réalisa aussi ce que cette phrase inachevée impliquait, et elle porta vivement ses mains à sa bouche, étouffant une exclamation horrifiée.
Merlin descendit souplement de sa branche et passa au milieu d'eux comme s'ils étaient les figures immobiles d'un tableau glacé. Il posa sa main sur l'épaule de Scorpius et ses yeux bleus si anciens et si jeunes étincelèrent.
- Ce n'était pas une erreur, dit-il, doucement mais fermement. "Ce n'était pas non plus un piège cruel du destin. Personne ne s'attendait à ce que vous fassiez ce choix, pas même les astres. Vous deviez "renoncer", vous vous rappelez ? Si vous aviez cédé aux mensonges qui vous étaient chuchotés ou si vous vous étiez écroulé sous le poids du chagrin… alors notre histoire se serait arrêtée là. Mais ce jour-là, contre toutes attentes, vous avez réécrit ce chapitre, vous avez brisé la malédiction ancienne des Malefoy… vous avez redonné au monde son espoir."
Il sourit avec beaucoup de tendresse.
- Parce que vous avez cru en la lumière au plus profond de la nuit, parce que vous l'avez aimé plus que n'importe qui… vous avez clos le chapitre de la haine et de la jalousie et rompu avec le cycle qui nous aurait peut-être tous détruits à la fin.
Scorpius hocha la tête, les mâchoires serrées, et Merlin lui donna une petite tape amicale dans le dos, comme il l'aurait fait à un jeune garçon.
La vision d'Arthur se brouilla.
- N'ai pas peur. Relève la tête.
Peut-être que c'était à cause du Voile, mais à la silhouette altière de son parrain se superposait celle d'un gamin dégingandé aux poings serrés et à l'expression butée.
- Il y a toujours le choix, Mordred.
Il chancela et quelqu'un le rattrapa. Quand il cligna des yeux pour essayer d'y voir plus clair, il s'aperçut que c'était Zach qui le soutenait.
Sur son visage très pâle, il y avait des traces de larmes mal essuyées, mais une expression résolue.
- Je croyais qu'il comprendrait… je ne voulais pas en arriver là…
- Un jour, peut-être. Dans une autre vie, un autre temps… peut-être que nous le retrouverons et que, cette fois, tu le sauveras de lui-même, comme tu m'as sauvé moi.
Arthur se redressa tant bien que mal. Il avait toujours la tête qui tournait et les jambes en coton, mais une bizarre sensation de réconfort l'envahissait, lui donnait confiance qu'il pourrait se tenir debout tout seul.
- Je ne m'en souviens pas.
- Je sais. Pourquoi tu crois que je te dis tout le temps de manger plus de poisson ? C'est bon pour la mémoire, il paraît.
Les voix s'évanouirent et il en fut presque déçu.
Il était toujours dans la salle de musique. Derrière les hauts vitrages, l'obscurité opaque s'était habillée de velours noir et se piquetait d'étoiles. Il aurait presque pu croire qu'ils étaient revenus du bon coté du Voile, s'il n'avait pas senti sa magie s'effilocher de plus en plus, comme une corde sur le point de se rompre.
- Nous n'avons presque plus de temps, dit Euphrosine d'une voix inquiète.
Le malaise de son frère ne lui avait pas échappé – c'était même probablement ce qui l'avait réveillée de la transe dans laquelle les révélations de Terrence l'avaient plongée.
- Dites-nous, vite. Qui est l'ennemi ? Comment devrons-nous affronter ?
- La Nuit Éternelle que le Chasseur de Trolls a empêché Gunmar d'établir, un autre plus puissant, plus maléfique encore que lui la planifie depuis l'autre côté du Voile, dit Merlin.
- Son nom est Hafgan, précisa Dumbledore. "Il ne pourrait s'échapper seul des Terres Sombres, mais quelqu'un l'aide – un être corrompu, à l'âme encore plus fractionnée que celle de Tom Jedusor, et un humain dont la folie et l'ambition n'ont pas de limite."
- Ce sont eux qui font résonner les tambours, expliqua Terrence. "Une constante, monotone, imperceptible mais dévastatrice psalmodie qui rentre peu à peu sous le crâne de tous ceux qui l'entendent, altérant leur volonté d'une façon bien plus insidieuse que l'Imperium."
- Tu as affronté Muirgen, Arthur, tu connais ses pouvoirs, continua Merlin sombrement. "Rappelle-toi qu'elle s'est rangée du côté d'Hafgan parce qu'elle pense qu'il est vain de lui résister. Ce ne sera pas la dernière à renoncer au combat avant même que le premier sang ne soit versé. Beaucoup auront trop peur – ou trouveront dans les mensonges séduisants d'Hafgan leur excuse pour se soumettre à lui."
- Comment pourrons-nous allons-nous gagner, alors ? souffla le jeune homme.
- En vous rappelant que nous l'avons déjà vaincu une fois, dit Merlin avec fougue.
- En vous unissant, en refusant d'écouter les mensonges de l'ennemi, en oubliant les préjugés et en mettant de côtés les vieilles rancunes du passé, ajouta doucement Dumbledore.
Terrence se mordit les lèvres.
- En vous organisant, en puisant dans vos ressources, en faisant preuve d'ingéniosité, en partageant vos idées… et en vous relevant même lorsque certains tomberont, dit-il gravement.
- En persévérant malgré les erreurs, les échecs, la souffrance et le découragement, souffla le vieil homme en fermant les yeux un instant.
- En pleurant, mais en croyant, chuchota Merlin. "L'aube viendra toujours, Arthur, même après la plus sombre des nuits. Tu dois seulement t'en souvenir."
Dans le silence de la Bibliothèque, le jeune homme sur qui reposait le sort du monde hocha humblement la tête.
Euphrosine se rapprocha de lui et lui prit la main.
- Je le lui rappellerais s'il l'oublie dit-elle avec ferveur.
Elle était plus grande que son frère, une jeune femme, maintenant, mais Terrence revit la petite fille rousse qui levait hardiment le menton dans la chambre mortuaire.
"Ne t'inquiète pas", maman, disait-elle fermement. "Je protègerai Arthur pendant qu'il sauvera le monde, moi. Et s'il n'y arrive pas, à la fin, je le consolerais."
Ils y arriveraient. Il avait foi en eux.
Si quelqu'un pouvait se dresser contre le monstre qui hantait l'autre côté du Voile, sans jamais se laisser corrompre, sans jamais abandonner… c'était bien ces deux-là.
- Qu'est-ce qu'il y a d'autre que nous devrons savoir ? pressa Hermione. "Quelles sont les armes que nous pourrons utiliser ? Est-ce qu'il y a, euh… une épée à récupérer quelque part ? Excalibur, par exemple ?"
Dumbledore eut un petit rire involontaire devant ces yeux bruns brillants qui lui rappelait la jeune fille si intelligente mais si romantique parfois aussi, qui s'était tenue aux côtés d'Harry pendant toutes les années à Poudlard.
- Il n'y a pas d'épée. Ou plus exactement, l'épée est Arthur, toussota Merlin. "Okay, Harry avait une épée, oui, mais ce n'est pas précisément avec elle qu'il a vaincu Voldemort, si vous en souvenez. Bref, à l'époque une épée était ce qui vous permettait de combattre. Artos n'avait pas la moindre magie en lui, je vous rappelle. Or il lui fallait une arme qui résiste à des sortilèges aussi bien qu'à des trucs bêtement tranchants. D'où Excalibur."
- Est-ce que tu es en train de dire que tu es réel, mais qu''Excalibur n'est rien d'autre qu'une légende ? s'écria Euphrosine, choquée.
Merlin lui adressa une grimace embarrassée.
- C'est encore moins que ça, en fait, avoua-t-il. "C'est une… hum. Une arnaque. Le temps pressait, nous étions pressés de toutes parts par les Saxons et Hafgan était sur le point d'anéantir le monde. Nous avions besoin que moldus et sorciers cessent de perdre du temps à se battre entre eux ou à chipoter sur qui devrait les mener au combat. Le fait qu'Artos retire ce bout de ferraille d'un rocher quand personne d'autre ne pouvait y arriver a mis tout le monde d'accord."
Arthur sentit à nouveau buller en lui un rire chaud et il le partagea cette fois sans peur, sans dégoût, sans arrière-pensées – comme le souvenir d'un vieil ami.
- Alors avec quoi est-ce que je vais me battre ? demanda-t-il d'un ton presque gai.
- Tu es un sorcier, Potter. Tu auras droit à une baguette magique, marmonna Zach en faisant rouler ses yeux.
- Oh ne sois pas si lugubre, lança le Traqueur en lui jetant familièrement son bras sur les épaules. "Admets qu'une épée ça a quand même plus de class'."
Et Euphrosine ne put s'empêcher de pouffer, parce qu'elle avait beau savoir que c'était l'épuisement, la fuite de plus en plus dangereuse de leur magie, qui causait cet enthousiasme enivré, elle avait quand même envie de croire que tout irait bien.
Hermione serrait toujours les livres contre son cœur, les yeux pleins de larmes, mais un sourire sur le visage.
Scorpius fit tourner autour de son doigt la chevalière des Malefoy, puis il releva la tête, prit une longue inspiration et lissa ses cheveux blancs en arrière avec l'air suprêmement ennuyé qui n'avait jamais trompé sa famille et ses amis. Il n'avait pas la moindre idée du courage qui revêtait ses traits mince à ce moment-là.
- Tous les personnages sont rassemblés, dit Dumbledore solennellement. "La boucle est bouclée. La fin va pouvoir commencer."
- Nous sommes finalement arrivés au bout. C'était compliqué pour nous de comprendre parce que son histoire allait de l'avant, mais que la nôtre était réécrite à l'envers, expliqua Terrence, un feu brûlant dans ses yeux bleus. "Il y a eu en premier eu Harry, l'enfant élevé loin des siens, maltraité, incompris. Puis Albus, à l'intérieur de qui brûlait un amour immense, capable de pardonner à la plus corrompue des créatures. Et maintenant vient Arthur, quand tous les secrets tombent, prêt à prendre les armes pour défendre sorciers et moldus ensemble comme un seul peuple."
Il reprit sa respiration, regarda tristement l'ancien directeur de Poudlard.
- Mais pour nous, il y a d'abord eu le vieillard qui dissimula tant de secrets que deux communautés se créèrent, séparées par un mur infranchissable.
- Puis le jeune homme enthousiaste, orgueilleux, qui se prêtait à toutes sortes d'expérimentations sans se rendre compte qu'il flirtait avec à la limite de forces bien trop grandes pour lui, murmura Dumbledore.
- Et enfin… maintenant, c'est l'heure du garçon né au mauvais moment, au mauvais endroit, qui trouva sa raison de vivre quand Arthur le sauva, conclut le médicomage à voix basse, jetant un coup d'œil furtif en direction de Zach qui avait piqué un fard.
Merlin avait regrimpé sur sa branche. Des bourgeons avaient fleuri pendant le récit, puis des pommes avaient grossi. Il en cueillit une et mordit dedans.
- Ce qui veut dire, dit-il gravement, sans se rendre compte que ses oreilles décollées s'agitaient de façon plutôt comique pendant qu'il mâchait, "que la tâche sera plus compliquée que si nos histoires s'étaient alignées. Vous voyez aujourd'hui le dernier écho de ma conscience. Après cela, je pourrais plus vous aider – tout reposera principalement sur Zach. Et Artos ne sera pas facile à gérer : vous avez vu la dernière forme qu'il a pris, après des siècles piégé derrière le Voile."
Euphrosine eut un long frisson en se souvenant du monstre qu'elle avait vu se dessiner sur le toit du train, il y avait de cela si longtemps.
- Ne faites pas l'erreur de l'oublier. Arthur et l'Evideur sont les deux faces d'une même pièce. L'un est l'avenir de l'autre et le second le cauchemar du premier.
Les mots résonnèrent dans le silence de la Bibliothèque, aussi terribles que le jour où Terrence les avait prononcés dans la chambre où Albus et Arthur reposaient côte à côte.
Scorpius hocha le menton.
- Nous n'oublierons pas, dit-il fermement.
- Alors je crois que c'est le moment de se dire adieu, dit Dumbeldore avec émotion. "Quoi que ce ne soit pas tout à fait adieu, n'est-ce pas ?"
Les yeux bleus de Merlin, si anciens et si jeunes, enveloppaient toute la pièce, comme si l'arbre avait étendu ses ramures et les couvraient de son aile verdoyante.
- Il reste une dernière chose à faire, dit-il. "Pour que le prochain chapitre puisse commencer, il faut terminer le précédent."
Arthur serra fort la main de sa sœur et inspira profondément.
- Je dois tuer Terrence, n'est-ce pas ?
Il était prêt. Il savait maintenant ce qui attendait le médicomage s'il continuait à s'attarder derrière le Voile sans franchir la Rivière. Un sort pire que la mort.
Il ne laisserait personne subir cela, même si…
- Ils n'ont jamais su faire dans la dentelle, soupira Merlin. "Ni lui, ni sa sœur. Oui, tu dois mettre un point final à l'histoire de Terrence Swanson, Arthur. Mais pas le tuer – en tout cas, pas en lui lançant un sortilège ou une hache à la tête !"
Quelque chose s'étrangla dans la gorge d'Arthur : un gargouillis ahuri qui pouvait aussi être une exclamation de soulagement, et Terrence hoqueta, entre rire et larmes.
- Je n'ai pas dit que ce serait facile, observa sévèrement Merlin. "Ce n'est jamais facile de mourir."
- Comment pourriez-vous le savoir ? marmonna Scorpius entre haut et bas, et Hermione dut à nouveau plaquer une main devant sa bouche.
Zach passa ses mains moites sur son visage et brossa en arrière ses cheveux noirs emmêlés et il étouffa lui aussi un rire épuisé.
C'était maintenant.
Le moment qu'il avait attendu toute sa vie, le moment pour lequel on l'avait préparé pendant des jours et des jours, le moment dont il avait rêvé mois après mois.
Et ça n'avait rien à voir avec ce qu'il avait imaginé.
Oui, il allait revêtir le manteau de Merlin et entrer dans l'Histoire.
Mais c'était beaucoup plus que cela.
Plus beau – plus émouvant – plus humain.
C'était un flambeau transmis depuis des siècles. Une responsabilité immense. Mais plus que tout cela, c'était une offre d'amitié.
- Que dois-je faire ? demanda Arthur.
- Ce que tu sais faire de mieux, dit Merlin simplement.
Et il désigna le violon.
- Joue, Arthur. Joue simplement. Tes sentiments feront le reste.
Le recueil de partitions s'ouvrit de lui-même devant lui et se feuilleta jusqu'à la bonne page. Euphrosine se tendit, prête à rassembler les personnes qu'elle devait ramener.
Le vent souffla dans le feuillage épais du pommier et la musique s'éleva, les enveloppant de douceur.
Des lucioles s'envolèrent au-dessus de l'étang. Elles voltigèrent dans les roseaux, butinèrent les nénuphars, effleurèrent la surface de l'eau qui se rida en cercles infinis, puis voletèrent jusqu'à la fenêtre et se fondirent dans les étoiles.
Dumbledore, debout au milieu de la pièce, fut le premier à disparaître.
- Adieu, professeur, dit Hermione, le visage ruisselant mais avec un sourire radieux. "Merci. Merci pour tout."
Le médicomage commença à s'effacer ensuite et des gouttes de sueur perlèrent au front d'Arthur alors que la partition se faisait infiniment triste.
- Adieu, Terrence, souffla Scorpius. "J'espère que tu trouveras enfin ta paix."
Euphrosine hocha la tête, la gorge nouée.
Va de l'avant, vieil ami.
Ne regarde pas en arrière, cette fois.
Papa t'attend, là-bas. Rentre à la maison.
Arthur ne savait pas quelles notes il jouait – ce n'était pas celles du recueil de partitions, c'était certain. Il était aveuglé par ses larmes et ne risquait pas de les déchiffrer.
Sa magie était toute autour de lui, crépitante au bout de ses doigts, chaude sur sa nuque comme une caresse, bouillonnante dans sa poitrine.
Il cligna des cils et vit Zach, au milieu de la salle de musique.
Il était environné d'une nuée de lucioles et il riait et pleurait à la fois, dansant les bras levés d'une façon absolument ridicule.
Le cœur d'Arthur se gonfla de tendresse et il ne put s'empêcher de sourire.
Il était là, son ami de toujours, son frère. Un vrai gamin et un compagnon d'armes en qui il avait entièrement confiance. Le plus puissant sorcier de l'Histoire et le plus maladroit des serviteurs.
Les notes se précipitèrent sur la partition et le violon chanta joyeusement, virevoltant avec Zach, glissant autour d'Hermione et de Scorpius et renouvelant leurs forces, pétillant autour d'Euphrosine comme une comète.
- A bientôt, mon ami, articula silencieusement le garçon qui avait attendu, appuyé nonchalamment contre le tronc du pommier, les bras croisés.
Son sourire immense faisait ressortir ses pommettes osseuses et ses grandes oreilles, mais ses yeux bleus étaient brillants de larmes sous sa tignasse de cheveux noirs.
Ils ne se rappelaient plus de lui, à présent.
Tout était bien.
Zach allait être magnifique.
Quand la musique s'arrêta et que le silence revint dans la Bibliothèque, il n'y avait plus personne sous le vieil arbre noueux à côté du piano à queue.
Hermione se laissa glisser du coffre, les jambes tremblotantes comme de la gelée, les bras toujours serrés autour des livres.
- C'était réel ? bredouilla-t-elle.
- Aussi réel que vous pouvez l'imaginer, grogna Scorpius en se relevant avec difficulté.
Il alla d'un pas un peu chancelant jusqu'au rayon de bibliothèque contre lequel Euphrosine était affaissée, la tête sur l'épaule de son frère.
- Elle va bien, murmura Arthur dont le visage était gris d'épuisement et le t-shirt trempé de sueur.
- Et toi ?
- ça ira, bizarrement, si on considère qu'on s'est probablement aventurés plus loin dans le Voile qu'on ne l'avait jamais fait, dit le Traqueur sans essayer de bouger. Il eut un geste de menton en direction de Zach qui ronflait doucement, étalé sur les dalles recouvertes de mousse, une pâquerette penchée sur la joue. "Il a dû partager sa magie avec nous, d'une façon ou d'une autre, je ne vois que ça comme explication."
Les feuilles du pommier bruissèrent doucement, comme si un rire courait dans les branches.
- Sacré gamin, en tout cas, dit Scorpius.
- Bah, dit Arthur avec un sourire attendri. "C'est Merlin, quoi."
