« Quand on est adolescent, il arrive parfois qu'on soit victime de harcèlement scolaire. Dans ces cas-là, on peut toujours se réfugier auprès de sa famille pour trouver du réconfort... »
Vendredi 10 juillet
Il est un peu plus de 17h30 lorsque Kozue arrive devant chez elle. Elle habite dans l'arrondissement Midori situé au sud-est de la ville de Chiba. Lorsqu'elle arrive devant la porte de sa maison, elle reste plantée devant quelques instants, quelque-chose semble la faire hésiter à entrer... Au bout de 2 minutes, après avoir pris une grande inspiration, elle se décide enfin à pousser la porte.
La maison où vit Kozue n'est pas très grande. Directement en entrant on arrive dans un couloir au bout duquel se trouve un escalier qui monte à l'étage. Au milieu de ce même couloir, sur la droite, une grande ouverture dans le mur donne sur la cuisine et la salle à manger au milieu de laquelle trône une grande table en bois. Arrivé à l'étage, le couloir pivote à 360° pour desservir les trois autres pièces de la maison : d'abord la salle de bain, puis une première chambre et en dernier une seconde, celle de Kozue. Chose frappante que l'on constate dans cette maison : du fait de son exiguïté, le nombre de meubles est quasi-inexistant. On peut noter cependant la présence, dans le couloir d'entrée, d'une petite table en bois en forme de demi-lune contre le mur de gauche, sur laquelle est posé un téléphone fixe.
- C'est moi, je suis rentrée, annonce Kozue.
Une silhouette féminine se manifeste alors dans l'encadrement du mur entre la salle à manger et le couloir. Cette dernière semble plutôt rachitique, elle a un visage mince, des yeux rouges, étroits et cernés et de longs cheveux grisonnants. Alors que son âge doit avoisiner les 40 ans, son physique peu flatteur lui donne l'impression d'être plus vieille qu'elle ne l'est. Vêtue d'un sweat gris foncé, d'un pantalon de survêtement noir et les pieds nus, elle tient un cigarette à la main.
Elle lance un regard blasé à Kozue.
- Ah, te voilà... dit-elle d'un ton dénué de toute émotion. Franchement, je vois pas l'intérêt d'être revenue ici pour que ton père vienne ensuite te chercher. T'aurais pas pu lui dire de te récupérer à Mahora ? Ça aurait été plus simple, t'es complètement débile...
- Ça lui fait moins de trajet en passant par ici, argumente timidement Kozue, et au moins il connaît bien la route...
- Ouais ouais, c'est ça, réplique irrespectueusement sa mère. Des excuses à deux balles tout ça, le GPS ça existe pas pour rien, que je sache...
Ce début d'interaction avec sa génitrice met Kozue extrêmement mal à l'aise.
« Mais que faire quand c'est au sein de notre plus proche famille que se trouvent les sévisses ?... »
- Au fait, j'ai reçu ton bulletin de notes, informe la mère en prenant un ton méprisant. T'as encore eu des notes pourries à ce que je vois...
« Arrête... »
- Tu t'es résolue à foutre ton avenir en l'air, c'est ça ?...
« Tais-toi... »
Kozue ne répond pas et passe à côté de sa mère sans la regarder pour monter dans sa chambre.
- Hé, j'te cause !... Pff, tu vas encore m'ignorer pour te réfugier dans ta chambre et jouer à tes jeux débiles ?...
« Par pitié, tais-toi... »
- T'es bonne qu'à ça, de toute façon... T'es vraiment la honte de la famille...
Exaspérée, la mère de Kozue retourne s'asseoir à la table de la salle à manger tandis que sa fille, la boule au ventre, gravit une à une les marches pour monter à l'étage. Elle traverse le couloir et franchit la porte pour arriver dans sa chambre.
Cette dernière est petite, carrée et a les murs peints en violet. Le lit de Kozue est tourné dans le sens horizontal pour que sa tête soit appuyée contre le mur de droite et son côté droit contre le mur de dos. Il est éclairé par la lumière de l'extérieur transmise par une porte-fenêtre au cadre noir placée à droite sur le mur de face et munie de rideaux couleur bordeaux. Sur le mur de gauche se trouve une grande armoire où est rangée toute la garde-rode de la jeune fille, et dans le coin au fond se trouve son bureau avec son ordinateur personnel, un ordinateur gaming très performant, bien entendu.
Kozue referme la porte derrière elle en lui donnant un tour de clé, laisse tomber son cartable au pied de son lit, ferme les rideaux de sa fenêtre puis se laisse tomber dos au mur, à côté de sa petite table de chevet qui se trouve à gauche de son lit, et se recroqueville. Elle fourre sa tête entre ses genoux fléchis et se met à pleurer à chaudes larmes. Elle ouvre ensuite le petit tiroir de sa table de chevet et en sort un cutter qu'elle présente à la paume de sa main droite. Celle-ci porte déjà de très nombreuses cicatrices, signes de mutilations passées.
« Les paumes de mes mains sont les seules parties de mon corps que je m'efforce de ne montrer à personne... Elles sont le reflet de mes tourments... »
Kozue se taille la paume jusqu'au au sang d'une extrémité à l'autre.
« J'ai mal... Ça fait mal... Mais ça ne fait pas aussi mal que ce qu'elle me fait subir... Cette douleur physique est en quelque sorte mon seul exutoire quand la douleur psychique est trop forte, un peu comme un fumeur s'allumant une cigarette pour faire disparaître temporairement le stress de sa journée de travail... Je sais, c'est vain et futile... Mais que puis-je faire d'autre ?... À part souhaiter qu'elle disparaisse... »
Kozue reste recroquevillée contre le mur, à pleurer et se scarifier...
Lorsqu'elle finit par enfin se calmer, elle se lève, se rend dans la salle de bain pour nettoyer le sang sur ses main et sa lame de cutter, puis retourne dans sa chambre pour se caler devant son ordinateur. Elle se recroqueville sur son siège à roulettes et s'avance au maximum pour que ses mains soient à portée de son clavier et sa souris. Dès que le bureau Windows® s'affiche à l'écran, elle ouvre l'application Skype™ et envoie un message à Katsumaru.
Kozue : Yo ! T'es là, Katsu ?
Katsumaru : Ouep. Tu lances l'appel ?
Kozue : Oui.
Kozue s'équipe de son casque à micro et appelle son amie via l'application.
- Yo, lance Katsumaru après avoir décroché. Tu veux qu'on se fasse une partie de League of Legends® ou deux ?
- Non, chuis pas d'humeur, ce soir, répond Kozue.
- Ah bon ? s'étonne son amie. Quelque-chose ne va pas ?
- Non, c'est pas ça, assure-t-elle, je me sens juste pas de jouer ce soir, c'est tout.
- OK, pas de soucis. Tu préfères qu'on discute, alors ?
- Ouais, ça me va. T'as prévu de faire quoi pendant les vacances ?
- Je te l'avais pas dit ? Mon petit-ami arrive lundi, on va passer les vacances ensemble.
- Sérieux ?! Mais c'est génial ! Chuis trop contente pour moi !
- Merci, moi aussi j'ai trop hâte.
- Bah ouais, tu m'étonnes !
- Et toi, tu vas aller chez toi père, c'est ça ?
- Yep, il vient me chercher demain.
- Il habite où ?
- Dans la ville de Sunagawa, à Hokkaido.
- À Hokkaido ? Eh ben au moins tu risques pas de crever de chaud, cet été.
- Ça c'est clair ! rit Kozue. Mais du coup, si on est occupées chacune de notre côté, on va avoir du mal à trouver du temps pour jouer à League.
- Bah moi je vais un peu laisser le jeu de côté pour profiter de mon copain, mais il n'est pas exclu qu'on y joue ensemble, lui et moi.
- Pour moi ça va être compliqué, l'ordi de mon père commence à avoir de l'âge, je suis même pas sûre qu'il serait capable de faire tourner League. Et puis surtout c'est son ordi perso, donc bon...
- Bah pourquoi t'embarques pas ton propre PC là-bas, alors ?
- En vrai... j'hésite. D'un côté j'ai envie de le prendre avec moi pour jouer, mais d'un autre j'ai envie de passer un maximum de temps avec mon père. Ça fait des mois que je l'ai pas vu, alors je veux profiter de ces longues vacances pour être avec lui.
- Ah ouais, je comprends. T'es sûre de pas vouloir jouer avant que tu partes demain, du coup ?
- Nah, t'inquiète, je survivrai à 2 mois sans jouer.
- Très bien, c'est toi la cheffe, après tout.
Les deux amies poursuivent leur discussion durant la soirée.
- Je reviens, Katsu, la prévient Kozue, je vais me chercher un coup à boire.
- OK.
Kozue enlève son casque et le pose sur son bureau, puis se lève de son siège en se saisissant d'une paire d'écouteurs qu'elle branche à son portable pour écouter de la musique, et sort de sa chambre. Elle descend les escaliers pour aller se chercher à boire dans le frigo de la cuisine. Sa mère est toujours assise à la table de la salle à manger, elle est en train de dîner.
- Je t'ai pas préparé à manger, l'informe cette dernière d'un ton apathique. De toute façon tu bouffes jamais rien, alors... T'as toujours pas décidé de m'écouter ?...
Grâce à la musique diffusée directement dans ses oreilles, Kozue s'épargne d'entendre les paroles désobligeantes de sa mère. Elle attrape du jus d'orange dans le frigo qu'elle boit directement à la bouteille avant de la reposer et de s'en aller pour retourner dans sa chambre, toujours sans adresser le moindre regard à sa mère. Kozue se rassoit à son bureau, renfile son casque et réactive son micro.
- C'est bon, chuis revenue, annonce-t-elle.
- Kozue, je connais un jeu qui t'irait parfaitement, affirme Katsumaru.
- Ouh là, toi t'as une idée derrière la tête, flaire-t-elle.
- Je vois pas ce qui te fait dire ça ~ nie son amie d'un ton innocent.
- Tu as dit « qui t'irait » au lieu de « qui te plairait », y a forcément anguille sous roche.
- Bien joué, tu m'as percée à jour en analysant la tournure de ma phrase, j'ai manqué de subtilité, tu me connais trop bien. Effectivement, j'aimerais te faire goûter à un jeu excellent intitulé Dark Souls™.
- Ah, oui, le fameux Dark Souls™... J'ai vu plein de vidéos parlant de ce jeu et de sa difficulté légendaire, je me doutais que tu me le proposerais un jour ou l'autre, je suis même étonnée que tu l'aies pas fait avant.
- À vrai dire, connaissant ton amour pour le challenge et sachant que Yumi et Himawari possédaient déjà le jeu, j'étais persuadée que tu l'avais déjà aussi. Pour ma part, je l'ai depuis l'année dernière et je l'ai poncé comme jamais. Être confrontée à un jeu qui oppose une telle résistance a mis mes nerfs de gameuse à rude épreuve, j'ai particulièrement apprécié cette expérience. Ça devrait te plaire, à toi aussi.
- Sûrement, mais me connaissant, ça risque de me faire péter des câbles en boucle, badine Kozue.
- C'est précisément pour cette raison que je t'incite à y jouer, la charrie Katsumaru.
- Enfoirée, va ! l'insulte amicalement son amie.
La conversation entre les deux amies se prolonge jusque tard dans la nuit... Aux alentours de 2h du matin, la fatigue commence à sérieusement se faire sentir.
- Bon, Katsu, je vais te laisser, déclare Kozue en lâchant un gros bâillement, demain je dois éviter d'être trop fatiguée lorsque mon père viendra me chercher.
- Ça marche, acquiesce-t-elle, de toute façon moi aussi je vais aller me coucher, je suis crevée. Bonne nuit, amuse-toi bien chez ton père.
- Merci, bonne nuit ~
Kozue met fin à l'appel, ferme toutes ses applications ouvertes sur son ordinateur et l'éteint. Puis elle se lève de son siège en bâillant à nouveau et se dirige jusqu'à son lit. Elle retire ses vêtements jusqu'à n'avoir plus que sa culotte sur elle et se laisse tomber sur le matelas comme une pierre. Elle rampe dessus comme une chenille jusqu'à atteindre son oreiller et finit par se glisser sous ses draps. Elle retire ses lunettes, les replie et les pose sur sa table de chevet avant de s'étirer un bon coup.
- Aah, j'ai trop hâte d'être demain ~ soupire-t-elle en serrant son moelleux coussin contre elle. Cette soirée n'étais qu'un mauvais moment à passer, heureusement que Katsu était là pour m'aider à l'endurer...
Elle prend son portable et vérifie dans les paramètres que l'alarme de réveil est correctement réglée, puis le pose à son tour sur la table de chevet.
- À demain, Papa... se dit-elle en blottissant agréablement sa tête sur son oreiller.
Et elle s'endort en ayant le sourire à l'idée que demain sera une bonne journée pour elle...
Le lendemain matin, elle est réveillée par un trait de lumière passant entre les rideaux de sa fenêtre. Elle émerge, bâille, se frotte les yeux et s'étire. Elle attrape ensuite son portable pour regarder l'heure et constate qu'il n'est même pas encore 8h, elle s'est réveillée avant même que l'alarme sonne, ce qui lui laisse donc encore un peu de temps pour se prélasser dans son petit lit douillet. Lorsque le réveil retentit, elle le désactive aussitôt et se lève, sort de sa chambre en se dandinant joyeusement et se dirige dans la salle de bain pour se préparer. Elle prend sa douche, se brosse les dents, se coiffe, et une fois fin prête, elle retourne dans sa chambre en sifflotant gaiement. Pour célébrer ce jour spécial, elle se pare de ses vêtements les plus cool : un pantalon slim rouge au motif écossais, un t-shirt bordeaux à manches longues pourvu de fausses lacérations allant des épaules jusqu'au bout des manches, et une veste en jean noire sans manches décorée de divers badges punk, rock et metal. Après s'être habillée, elle prépare sa valise en un temps record puis s'allonge sur son lit et attend patiemment que son père arrive. Elle est tellement impatiente qu'elle ne veut même pas écouter de musique pour passer le temps et préfère rester à l'affût du son de la sonnette à l'entrée. Lorsque cette dernière retentit un peu avant 10h, Kozue se lève d'un bond et quitte sa chambre avec sa valise pour rejoindre le rez-de-chaussée. Sa mère s'est déplacée jusqu'à la porte d'entrée pour ouvrir au visiteur.
- Bonjour Tamaki, fait-il d'un ton courtois.
- Salut Takehito, répond-t-elle sans aucune conviction.
- Ça va bien ? demande-t-il.
- Hm, rien de nouveau...
Le père de Kozue est un homme qui, physiquement, inspire la sympathie. Il est un peu dodu, a le visage rondouillet et les épaules tombantes. Il a des cheveux courts brun foncé, des yeux marrons et un peu de barbe. Il porte une chemise beige à carreaux, un pantalon marron foncé serré par une ceinture noire, des mocassins noirs avec des chaussettes grises et une paire de lunettes ovales sans monture.
- Papa ! s'écrie Kozue en descendant frénétiquement les marches de l'escalier.
Elle se précipite jusqu'à lui et se jette dans ses bras.
- Ouh là, fais attention, la modère-t-il en riant, tu as failli me faire tomber !
- Tu m'as manqué, Papa ~ lui dit-elle chaleureusement.
- Toi aussi, Kozue, lui renvoie-t-il en lui caressant affectueusement la tête.
- Bon, c'est fini ces niaiseries ?... soupire Tamaki d'exaspération.
- Oui, pardon, on va te laisser tranquille, s'excuse Takehito en se grattant derrière la tête avec un sourire gêné.
Kozue enfile ses superbes bottines noires qu'elle a gardées spécialement pour aujourd'hui, puis elle peut enfin partir avec son père.
- Au revoir, Tamaki, dit-il à son ex-épouse.
- Ouais ouais... répond cette dernière avec indolence avant de refermer aussitôt la porte.
- Eh ben, on dirait que ta mère m'apprécie toujours autant, badine-t-il en s'adressant à sa fille.
- Ouais... répond-t-elle sobrement, ne voulant pas s'étendre davantage sur le sujet.
Tous les deux se mettent ainsi en route.
Ils prennent le train pour se rendre jusqu'à l'aéroport international Tokyo-Haneda. Le prochain avion pour Sapporo n'arrive pas avant plusieurs heures, alors, pour patienter, ils s'assoient à la table d'un café pour discuter autour d'une boisson.
- Alors, comment ça se passe au collège ? demande Takehito à sa fille.
- Ça se passe bien, répond-t-elle d'un ton guilleret. Avec mes amies du club d'e-sport on a participé à un super tournoi qu'on a nous-mêmes organisé, c'était génial !
- Oh, c'est super, ça ! la félicite son père.
- Bon, on a pas gagné, malheureusement, mais on a quand-même passé un super moment. Je te montrerai des photos, si tu veux.
- Volontiers !
- Et de ton côté, comment ça se passe ?
- Oh, tu sais, avec le boulot je n'ai pas beaucoup de temps pour moi. Mais bon, j'ai pu poser mes congés pour passer du temps avec toi, donc ça me va amplement.
Ces mots font sourire Kozue. À cet instant on peut clairement déceler chez elle un fort sentiment de bonheur, il est clair qu'elle aime profondément son père et qu'être à ses côté la comble de joie et fait s'évaporer toute trace de sentiments néfastes en elle.
