Bonjour bonjour !
Alpo : Merci pour ta review, pour connaître la suite, ça devrait arriver la semaine prochaine, en attendant je te laisse découvrir un nouvel extrait de carnet ! :)
Bonne lecture à tout le monde !
Carnet n°4 : Partie 2
Quitter la caravane m'a à peine provoqué un pincement au cœur, étant donné que je m'étais toujours tenue à l'écart des autres. Et même comme ça, j'ai quand même réussi à m'attacher à certains membres du groupe. Le départ n'a cependant pas été trop difficile. Peut-être que je commence à m'habituer aux au revoir, je ne le sais pas.
Maintenant, James et moi voyageons à deux, à la recherche d'un endroit où nous pourrons nous poser, au moins pendant quelques temps, le temps de savoir quelle suite nous donnerons à nos vagabondages.
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Nous avons fini par dénicher un endroit paisible où nous avons trouvé où nous employer. C'est un endroit à l'écart de la ville proprement dite, entouré de verdure, où un vieux couple de bourgeois a trouvé refuge. James a eu l'indécence de leur demander un travail, sans détour, et son effronterie a payé.
Le couple a alors déclaré qu'un coup de main aux écuries et aux cuisines ne serait pas de refus, leur personnel se faisant vieillissant, à leur image.
Nos nouveaux employeurs ont également beaucoup d'animaux sur leurs terres et nous autorisent à nous occuper d'eux, quand nous le souhaitons. C'est avec un grand plaisir que je passe ainsi du temps avec les poules ou les moutons, de temps en temps. L'un des chats du couple m'a également adoptée et me suit partout où je me rends, même dans la cuisine, dans laquelle il n'a normalement pas le droit de se rendre.
Cette vie me plait bien et j'ai l'impression que James s'en complait lui aussi, pour l'instant en tout cas.
Cet endroit m'apparaît comme le paradis sur Terre. Un endroit où on peut facilement oublier le monde, comme si le monde se résumait à cette propriété seule et à ses habitants. Et pour le moment, cette existence me va.
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Nous côtoyons si peu de gens en ces terres que j'ai l'impression que ma relation avec James s'en trouve changée. A part quand nous travaillons aux côtés des vieux servants du couple, nous sommes quasiment toujours seuls, tous les deux.
Bien souvent, à force de nous parler tout le temps, nous finissons par n'avoir plus rien à nous dire et le silence devient notre compagnon. Pourtant, pendant ces silences, j'ai toujours l'impression que quelque chose se joue. Je ne suis pas habituée à voir James silencieux, mais quand il l'est, j'ai l'impression qu'il pense beaucoup. Probablement que quand il ne parle pas à haute voix, il se parle beaucoup à lui-même, dans sa tête.
Parfois, j'ai envie de lui demander à quoi il pense, mais je ne cède jamais à la tentation. La vérité, c'est que j'ai un peu peur de découvrir à quoi il pense. Et s'il songe à me quitter, à repartir sur la route parce que cette absence de mouvement l'ennuie profondément ? Je ne lui en voudrais pas, je le comprendrais. Mais l'idée de me retrouver seule… Plus le temps passe, plus cette idée m'effraie.
Pourtant, cela va finir par devenir inévitable. Ou bien nos chemins à James et moi finissent par se séparer, ou bien il finit par découvrir mon secret. Il n'y a pas d'autre alternative.
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James m'a finalement confié ce que je craignais. J'ai osé lui demander à quoi il pensait, s'il songeait à repartir d'ici parce que cette vie ne lui correspondait pas. Il m'a dit qu'il resterait où je me trouve, comme il me l'a si souvent si souvent dit auparavant. Mais j'ai insisté, « Pourquoi James ? Tu sais que tu ne me dois rien. Au contraire, c'est moi qui te dois tout ! »
Il m'a alors dis que je me trompais. Qu'il ne s'agissait pas de devoir quoi que ce soit à quiconque. Il m'a dit qu'il m'aimait trop pour me quitter. Je lui ai dis que moi aussi, je l'aimais beaucoup, que je tenais à lui plus que tout, mais que je souhaitais aussi son bonheur, et que si ce mode de vie ne lui convenait pas, je comprendrais qu'il choisisse de s'en aller.
« Mais je ne veux pas ! » m'a-t-il presque crié, comme si je lui proposais quelque chose de parfaitement indécent. « Je ne veux pas et je ne peux pas. Je ne te quitterais pas, Aina. »
Surprise par cette humeur soudaine, je n'ai pas osé répliquer quoi que ce soit. C'était la première fois que je voyais James se mettre presque en colère comme ça et je n'ai pas compris contre qui ou quoi cette émotion était dirigée. Je me suis demandée si j'avais fait ou dit quelque chose de mal.
« Tu ne comprends toujours pas, hein, Aina ? » m'a-t-il ensuite dit. Je l'ai regardé bizarrement, attendant qu'il m'explique ce que je ne comprenais pas. Il s'est alors approché et m'a pris les mains. Il m'a regardé droit dans les yeux, et je me suis sentie très mal à l'aise soudainement. Je crois que j'ai compris dans son regard avant même qu'il ne prononce les mots.
« Je t'aime, Aina. Je t'aime et je ne veux pas te quitter. Je ne le peux pas. C'est au-dessus de mes forces. Où tu es, je resterais. »
« Je t'aime aussi » lui ai-je répondu, et comme si je m'obstinais à ne pas comprendre, j'ai ajouté « Mais je ne veux pas te retenir là où tu n'es pas heureux. »
Il a levé les yeux au ciel, exaspéré par ma détermination à ne pas comprendre ce qu'il me disait. Pourtant, en mon fond, je savais très bien de quoi il parlait. Je savais que nous ne parlions pas du même amour.
« Je crois que tu n'as pas bien compris la façon dont je t'aime. Nous ne nous aimons pas de la même façon, Aina, mais ce n'est pas grave. Ça me suffit. »
Tous les mots qu'il a prononcés au cours de cette conversation sont restés gravés dans mon esprit. Mais ces mots, je ne sais pas bien quoi en faire. Après me les avoir dit, James m'a laissée seule. Je pense qu'il a voulu me donner du temps pour réfléchir toute seule avant que je ne dise des choses que je pourrais regretter.
Et maintenant, je me demande effectivement quoi penser de la déclaration de James. La question n'est même pas de savoir si moi aussi je l'aime de la façon dont il m'aime. Je suis incapable de décrypter ce que je ressens pour lui. Il est mon ami et je n'en sais guère plus. Cependant, James ne sait pas ce que je suis. Il ne sait pas que je ne suis pas comme les autres. N'a-t-il donc pas remarqué que je ne changeais pas ? Que mes cheveux poussaient mais que ma peau restait lisse en dépit des années ? Que les rides qui apparaissaient naturellement sur tous les visages, y compris le sien, n'apparaissaient pas sur le mien ?
Je crois qu'il faut que je lui avoue la vérité. Je crois que je ne peux plus y échapper. Si James m'aime autant qu'il le dit, alors je dois être honnête avec lui. S'il ne compte pas me quitter, alors il faut qu'il sache. Il finira par le découvrir de toute façon. Mais comment seulement lui expliquer la situation ? Alors même que je ne la comprends pas moi-même ?
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Je lui ai tout dit. Je n'en reviens pas de l'avoir fait, mais je ne regrette rien. Alors même que j'avais l'air complètement dingue au moment de tout lui avouer, parce que les mots pour expliquer ma situation étaient bien difficiles à trouver, mais il n'a pas douté de moi un seul instant, n'a pas ris ne serait-ce qu'une seconde.
James m'a dit qu'il a toujours pensé que j'étais différente, même s'il ne savait pas dans quel sens. Dans le fond, il n'était donc pas étonné de ce que je lui apprenais. Il a dit que ça ne changeait rien du tout à ses yeux. J'ai insisté sur les conséquences de ma situation, mon impossibilité de vieillir qui me conduirait toujours inexorablement à voyager vers d'autres ailleurs.
« Je te rappelle que je suis un vagabond » m'a-t-il dit. « Voyager ne me fait pas peur. »
J'ai à nouveau insisté. J'ai dis à James que je ne changerais jamais, que ça pourrait être effrayant et dangereux d'être en ma compagnie si ça venait à se savoir. Il n'a rien voulu savoir. Il a dit qu'il serait là pour me protéger.
Je n'ai donc rien ajouté. Quoi que je dise, je savais que James ne changerait pas d'avis. Il m'aimait manifestement beaucoup. Je sais pas si on m'a jamais aimé autant. Jørgen m'aimait-il à ce point ? Suis-je seulement digne d'un tel amour ?
Maintenant, je me demande si une telle vie est possible pour James et moi. Et si oui, qu'arrivera-t-il lorsque je perdrais James ? Parce que je finirais forcément par le perdre, non ?
Cette éventualité m'emplie pourtant de terreur.
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Maintenant que James connait mon secret, j'ai moins de difficultés à me confier à lui sur mon passé. J'ai donc osé lui parler de Søren et Ellen. Il n'a pas caché sa surprise de savoir que j'avais des enfants, mais il m'a écouté parlé d'eux, du déchirement que ça avait été de les abandonner derrière moi.
James m'a alors posé cette question : « Et si tu en avais la possibilité, voudrais-tu partir les retrouver ? »
Et cette question là ne me quitte plus. Serait-ce possible, avec les années qui ont passé ? Serait-ce seulement envisageable ?
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Le temps a passé, même si en cet endroit, j'ai l'impression qu'il s'écoule différemment. Je ne saurai dire combien de temps a passé depuis que j'ai vu mes enfants pour la dernière fois. Plusieurs années, c'est certain, au moins une dizaine si je réfléchis à tous les voyages effectués entre temps, avec les deux caravanes, et puis le temps passé en la seule compagnie de James.
Le temps a tellement passé que l'envie de retrouver mes enfants n'a fait que croitre. Aujourd'hui, cette idée fixe s'est transformée en résolution. Je dois les retrouver. Et James me soutient dans cette résolution. Je le suspecte d'être bien trop content d'avoir à nouveau la possibilité de voyager, de quitter cet endroit auquel nous nous sommes trop longtemps attardés.
Alors aujourd'hui, c'est décidé. Nous allons prendre la route vers l'ouest, traverser la Manche et, enfin, rejoindre les terres des Cornouailles. Et là-bas, je reverrais mes enfants.
