Chapitre 45 : Maux et mots
L'année dernière, c'est à cette période-là nous venions de fêter l'anniversaire d'Edward. Je n'avais même pas osé lui envoyer un SMS cette année... je l'avais finalement fait et avait reçu un simple « merci. » en réponse.
Comme l'avait dit Alice, il n'était pas présent. Je refusais toujours qu'elle me dise comment il allait, bien que ce soit très lâche. A chaque fois, mon cœur me faisait mal, me pinçait encore.
Elle dut avertir ces parents parce qu'ils ne me disent rien à son sujet.
Alice me montra la chambre d'amis, au troisième étage, et me proposa de m'y installer, de rester dormir ici après la fête.
Toute seule dans cette grande chambre, j'étais soudainement morose. La sienne se trouvait juste à côté et c'est là que...
Enfin. Nous avions partagé beaucoup de choses dans cette chambre.
Je voulais aller la voir, voir si quelque chose avait changé. Ou si tout était comme avant...
Sur le point des pieds, j'ouvris donc cette porte. Je pris une grande inspiration. Elle sentait encore comme lui.
Une petite larme coula le long de ma joue, nostalgique.
Je me souviens de ce lit, sur lequel nous nous étions aimés, touchés pour la première fois.
Je me souviens de ces CD et de sa radio, le nombre d'heures que nous avions passés couchés à simplement écouter et apprécier la musique. Je n'avais plus fait ce genre de choses depuis. Je n'avais plus écouter de la musique depuis longtemps. Seulement celle des cafés, de la radio. Jamais... volontairement. Elle me faisait penser à lui.
Sa grande baie vitrée où l'on pouvait voir les étoiles. La lune. Le clair de lune illuminant le ciel. Le nombre de fois où nous l'avions contemplée, l'admirant et aimant ce ciel éclairé par sa luminosité. Tout comme aujourd'hui, le ciel était clair et la lune rutilante.
Son bureau, toujours bien rangé. Sauf cette fois. Il ne laissait jamais rien dessus, détestant avoir sa chambre désorganisée.
Je vis une enveloppe au centre de la table en bois. Mon prénom y était inscrit dessus. Automatiquement, ma main glissa vers le collier que je portais toujours autour du cou. Jamais je n'avais réussi à l'enlever, même si je savais qu'il appartenait à sa mère et sa valeur. Ce collier me faisait penser à lui et j'aimais étrangement cela. Il était mon porte-bonheur, en quelque sorte.
Tremblante je pris la lettre en main, l'ouvris et la lis.
« Bella... Isabella...
Tu as un si joli prénom. Malheureusement, je ne suis plus en mesure de pouvoir le prononcer.
Tu te souviens, je t'avais promis de t'écrire quelque chose de plus beau que n'importe quel autre texte que tu liras. Celui-ci ne rime pas et tu trouveras probablement quelques fautes – aussi intelligente que tu es, tu les trouveras sûrement – tellement je réfléchis aux moindres des mots écris sur ce bout de papier.
Le 12 juin 2003. Je fais une promesse. Je souhaite me souvenir de cette date. Je suis dans ma chambre et je me demande ce que je deviendrais dans dix ans. J'en suis venu qu'à une seule solution, considérant que je ne suis qu'humain et non devin. Donc, le 12 juin 2013, je le saurais.
Tu me trouves probablement stupide et trop fleur-bleue et tu ne mesure peut-être pas l'importance de ces mots. Mais je souhaite que dans dix ans, tu seras de retour à mes côtés. Que je verrais la vie comme un enfant et que le monde sera beau, avec toi.
As-tu déjà entendu l'histoire de l'Amour et du Temps ? La morale de cette histoire est qu'il faut toujours prendre le temps de réaliser ce qu'est l'amour véritable. Mais c'est plus que ça, pour moi. Il faut aussi prendre le temps de se rendre compte de ce que l'on a. Prendre le temps de profiter du temps qu'on passe ensemble, à s'aimer, à rire, à se battre... non pas l'un contre l'autre mais l'un avec l'autre.
Je voudrais tellement t'avoir à mes côtés, je me sens si faible.
Je veux être avec toi, être la personne qui te donnera le sourire et qui te rendra heureuse.
Et, quand tu liras cette lettre (ce que je suppose n'arrivera jamais parce que je ne te la donnerai probablement pas mais j'espère qu'elle t'arrivera un jour par quelque moyen ce soit), pense à moi. Pense à tout ce que je représente, ou bien tout ce j'ai représenté pour toi.
Je veux pouvoir me dire que j'ai finalement trouver la bonne personne, celle qui restera pour la vie. Tu es et tu resteras cette personne, à tout jamais.
La vie est parfois compliquée et souvent impossible à comprendre. Plusieurs choses nous échappent, certaines notions sont difficiles à théorisées.
Les sentiments sont insensés.
Le temps nous joue des tours. Parfois, il semble long et s'éterniser. Parfois, il passe bien trop vite.
Tu dois surement penser que tout a une fin, mais lui n'en possède pas.
Tout comme chaque instant que tu vis restera à jamais gravé en toi. Dans ta mémoire. Souvenir éternel.
Ce moment que nous avons déjà tous ressentis, ces moments de joie et de peine font de nous qui nous sommes – de toi qui tu es.
Nous ne pouvons le changer.
Il est éternel ce sentiment, il est éternel ce moment, ce sentiment est vrai et restera à jamais gravé en nous.
Il existe plusieurs temps.
Le temps qui tourne, comme l'heure ou les saisons. Ce temps n'est qu'éternel recommencement. Une spirale infinie cependant variable. Ce temps ne finit pas. C'est celui que nous percevons.
Il existe également ton temps. Et le mien. Et celui de n'importe quel être sur terre.
Celui-ci se termine une fois que ton cœur cesse sa course. Tes souvenirs, tes sentiments ne partirons jamais de toi. Ils partirons avectoi.
Tu laisseras aussi tes impressions aux autres. Si ton temps est terminé, toi tu ne partiras jamais vraiment.
Souviens-toi, tout est éternel.
Même si tu pars, tu resteras à jamais mon éternité.
Mon éternité du moment.
Parce que le temps fait sa boucle mais ne revient jamais en arrière. Si à ce moment-là, à cette seconde tu es dans mon cœur tu y auras à jamais ta place. A cet instant autant qu'un autre mais surtout en cet instant.
J'espère t'avoir fait croire en l'éternité, à la longévité du moment, ne serait-ce qu'une seconde.
Donc, ne penses pas à la fin. Elle n'existe pas.
Laisse-toi guider par le présent, lui ne dure pas.
Vit et laisse-toi vivre.
Aime et laisse-toi aimer.
Pleure et accepte la tristesse.
Rit et accepte la joie.
Chaque action laisse une trace éternelle.
Ne l'oublie pas, pas comme j'ai pu le faire.
En ce moment, j'écris ces lignes en pensant à toi.
Elles resterons à jamais.
Et jamais je ne pourrais oublier le jour où je t'ai aimée.
Je terminerais avec les trois mots les plus importants que l'on réserve pour les personnes les plus importantes : je t'aime.
A jamais tiens,
Edward. »
Je relis les deux pages recto-verso rédigées de sa main. Et le relis encore. Mes mains tremblent, mes yeux sont humides.
Je n'ose pas croire ce qu'il a noté. C'est tellement touchant.
Où qu'il soit, j'espère qu'il est heureux.
J'ai tellement envie de lui dire « Oui Edward, j'y ai cru une seconde » mais je ne peux bouger. Je suis pétrifiée.
Il me disait m'aimer. Il m'aimait et il m'aimait assez pour me permettre de vivre ma vie, d'être heureuse... d'accepter ma décision.
Je pris la lettre et la rangea secrètement dans mon sac.
Pendant des semaines, je me demandais de quelle histoire il pouvait bien parler. L'Amour et le Temps. J'en avais jamais entendu parler.
Lors de mes heures perdues à la bibliothèque, je recherchais dans n'importe quel livre pour trouver ce que cela signifiait. Je ne pouvais me concentrer sur autre chose avant d'avoir trouvé.
Je trouvais finalement ce que je cherchais dans le département théologique de l'Université. c'était un livre de contes, dont la plupart étaient anonymes.
Je lis le texte :
« Il était une fois une île sur laquelle vivaient tous les sentiments et toutes les valeurs humaines : le Bonheur, la Tristesse, la Sagesse… ainsi que tous les autres, y compris l'Amour.
Un jour, on annonça que l'île allait être submergée. Alors tous préparèrent leurs embarcations et s'enfuirent. Seul l'Amour resta, attendant jusqu'au dernier moment.
Quand l'île fut sur le point de disparaître, l'Amour décida de demander de l'aide.
La Richesse passa près de l'Amour dans un bateau luxueux et l'Amour lui dit :
– "Richesse, peux-tu m'emmener ?"
– "Je ne le peux pas car j'ai beaucoup d'or et d'argent dans mon bateau et il n'y a pas de place pour toi."
Alors l'Amour décida de demander à l'Orgueil qui passait, lui aussi, dans un magnifique bateau :
– "Orgueil, je t'en prie, emmène-moi."
– "Je ne peux pas t'aider, Amour. Tu es tout mouillé et tu pourrais endommager mon bateau."
La Tristesse étant à côté, l'Amour lui demanda :
– "Tristesse, je t'en prie, laisse-moi venir avec toi."
– "Oh Amour", répondit la Tristesse, "je suis si triste que j'ai besoin de rester seule".
Le Bonheur passa aussi à côté de l'Amour mais il était si heureux qu'il n'entendit même pas qu'on l'appelait.
Soudain une voix dit :
– "Viens, Amour, je t'emmène avec moi."
C'était un vieillard qui l'avait appelé.
L'Amour était si heureux et si rempli de joie, qu'il en oublia de lui demander son nom.
Arrivés sur la terre ferme, le vieillard s'en alla.
L'Amour se rendit compte combien il lui était redevable et demanda au Savoir :
– "Savoir, peux-tu me dire qui est celui qui m'a aidé ?"
– "C'est le Temps", répondit le Savoir.
– "Le Temps ?", demanda l'Amour. "Pourquoi le Temps m'aurait-il aidé ?"
Le Savoir plein de sagesse répondit :
– "Parce que seul le Temps est capable de comprendre combien l'Amour est important dans la vie". »
Le texte ajouta quelques explications, démontrant concrètent ce que raconte ce conte :
Ce conte nous montre à quel point l'entrée en scène de l'ego dans la sphère des sentiments exclut l'amour.
La richesse est trop imbue d'elle-même, sa suffisance n'invite pas l'amour.
L'orgueil par excellence est une enflure de l'ego et un ego boursouflé ne peut inviter l'amour, pour inviter l'amour il devrait se convertir en humilité.
La tristesse, comme le chagrin, nous replie sur nous-même et nous coupe des autres, elle nous isole. Comment peut-on, dans un isolement que l'on a soi-même créé, être capable d'aimer? Le chagrin exclut l'amour.
De même, un bonheur qui s'enivre de lui-même, qui ne se communique pas, ne va pas vers l'amour.
Qui invite l'amour ? Le texte dit : le temps.
L'amour a la patience du temps. C'est dans le temps que l'on aime vraiment et non pas dans un bref élan éphémère de passion. Le temps créé de l'altérité. Il peut se marier avec l'amour qui lui tend vers l'unité.
"Monte donc sur ma barque, nous avons quelque chose à faire ensemble!
Je suis capable de comprendre quelle importance tu as dans la vie".
Cependant, cela, le temps ne le dit pas, c'est la Connaissance qui le découvre, qui le révèle et cette révélation est un mot de sagesse.
Dans le couple, l'amour s'entretient et se construit dans le temps. »
Ce texte était si beau, je crus m'évanouir. Je le relisais, encore et encore, jusqu'à l'apprendre par cœur et en connaitre toutes les subtilités.
Edward en connaissait beaucoup sur l'amour. Peut-être même mieux que moi.
Personne n'est à l'abris de commettre des erreurs, pas même le plus sage d'entre nous.
Comme il le disait, peut-être que nous nous retrouverions dans dix ans.
En attendant, je suis son conseil et j'essaie d'être heureuse. De vivre une vie riche et sans regrets.
J'essaie, mais en ce moment ma gorge est nouée par l'émotion.
Je n'ose y croire...
Il ne voulait certainement pas que je lise cela mais je l'ai fait. Et, en le faisant, j'ai appris à quel point l'amour pouvait briser. A quel point il pouvait faire mal. Mais aussi, a quel point il pouvait être beau, fort, et passionné.
Quitte à vivre une vie éternelle, comme il le prétend, autant avoir plus de bonheur que de malheurs.
Et je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel et de regarder une dernière fois les étoiles, une dernière fois cette lune miroitante, en disant, et en espérant qu'il l'entende :
« Merci. »
Merci de m'avoir aimé.
Merci de m'avoir appris à vivre.
Et ce, même si j'ai dû être blessée.
Le phénix ne renait-il pas de ces cendres ?
Je pense être devenue plus forte.
Grâce à toute cette histoire.
