Chapitre XLVIII - Un Arc-en-ciel aux Bleu et Blanc

La patience était une notion qui pouvait trouver diverses définitions. Certains l'apparentaient à la résignation, au fait de trouver le courage de supporter quelque chose, quand d'autres, voyaient dans la patience une sorte de persévérance. Parfois, différencier les deux n'était pas mince affaire, d'autant plus qu'il s'agissait là d'une aptitude particulière. Attendre... Mais dans quel but ?

Voila de longues minutes que je patientais à ne plus savoir quoi faire. Ironie du sort, je ne savais pas si j'attendais la future impératrice ou bien de seulement prendre une décision. Les faits étaient que j'étais toujours là, devant les dortoirs de Garreg-Mach, à seulement prendre racine. Évidemment, une part de moi se demandait pourquoi je me tenais debout ici, surtout après les paroles presque acerbes de la jeune souveraine, mais une autre n'attendait que son retour afin de la provoquer un peu plus. Ce n'était pas dans mes habitudes de la laisser avoir le dernier mot, et je restais frustrée de l'avoir laissé disparaître sans rien dire. Mais qu'aurais-je pu répondre ? Ses paroles se firent peut-être amères, elles n'en étaient pas moins sincères. Je ne pouvais pas lui donner tort, elle avait tout simplement raison.

J'entendis bientôt claquer sur un bruit de pas qui retint toute mon attention. Peut-être qu'enfin Edelgard en avait terminé de se changer ou de se pouponner, même si d'après Dorothea, cette préoccupation était loin d'être une de ses priorités. Je me rendis très vite à l'évidence car les talons que j'entendais claquer n'étaient certainement pas ceux de mon Aigle de Jais. Le jeune individu apparu mais me restait pour le moment inconnu puisque derrière les quelques caisses qu'il portait je ne pouvais voir son visage. Nul doute que derrière sa petite taille et le bleu de ses poils se cachait le lionceau qu'enfin je reconnu.

« - Auriez-vous besoin de mon aide ? demandai-je à la hâte avant que le gamin ne trébuche. »

Car déjà un sac de terre noirâtre me tomba dans les mains quand un autre manqua de s'écraser au sol de justesse.

« - Non, je... Je ne voudrais pas vous déranger. »

Trop tard, je m'étais déjà saisis d'une des caisses et découvris le visage de l'archer et sa crinière argentée. Ses joues rosées et son souffle court paraissaient à l'instant mettre en évidence une certaine fragilité. Ashe n'était pas l'un de mes élèves mais j'avais entendu de son talent particulier. Il n'avait peut-être pas l'endurance ni la force de son déléguée mais au tir à l'arc personne ne pouvait l'égaler. Pas même Bernadetta ou bien Petra à qui je n'avais plus à vanter ce talent. J'étais presque persuadée qu'il était capable de faire mouche les yeux fermés. Un petit à ne pas sous-estimer.

« - Vous ne me dérangez pas, lui répondis-je en lui emboîtant le pas. »

Nous entrâmes dans la serre et déposèrent les caisses à terre. La responsable n'était pas là et j'imaginais qu'il était encore très tôt, sans doute était-ce le calme que recherchait le lionceau. Je levai enfin les yeux et remarquai le panel de couleur que la végétation offrait. Il y avais des espèces de plusieurs pays, et peut-être même d'autres continents que Fódlan. J'étais presque sûre d'avoir vu certains des fruitiers pousser par delà ses frontières lorsque j'avais voyagé avec mon père. Plus loin dans la serre un peu à part je remarquai la plante carnivore dont s'occupait Bernadetta qui attendait patiemment que ses victimes ne tombent dans le piège que formait sa bouche. L'humidité ambiante élevée avait l'air de lui plaire. Ma curiosité me poussa à m'approcher mais certainement pas à la toucher, je n'avais pas peur d'être avalée mais bien de la faire se flétrir si j'osais ne serait-ce que l'effleurer. Je n'avais ni la main verte ni la délicatesse de m'occuper de pareille espèce. Et d'ailleurs, je n'étais capable de prendre soin d'aucune fleur.

Je m'approchai de nouveau du fauve argenté et m'accroupi à ses côtés. Je l'observai creuser plusieurs trous plus ou moins profonds dans de la terre humide dans lesquels ils déposa des graines aux formes atypiques et colorées. Je ne savais pas si je devais me saisir de la petite bèche pour lui donner un coup de main ou bien seulement le laisser faire, après tout je n'avais aucun talent en tant que jardinière.

« - Ah... Attendez... Non, comme ça. »

Décidément, que cela soit dans les cuisines ou bien dans cette serre, j'étais vraiment une calamité. A croire que je n'étais bonne que lorsque je faisais parler mon épée. D'ailleurs, j'aurais certainement été plus habile avec elle qu'avec un râteau ou une pelle.

« - Il ne faut pas trop la tasser ou vous risquer d'étouffer les graines. »

Je restais attentive devant ses conseils et sa main qui tapotait presque tendrement la terre. Nul doute qu'Ashe mettait autant de délicatesse dans ses gestes que celle que renvoyaient maintenant ses yeux. Son regard était doux et emprunt de gentillesse.

« - Je ne vous ai jamais remercié, Ashe, pour l'aide que vous avez fourni à Manuela.

- Oh... Non... fut soudain gêné le garçon. Je n'y suis pas pour grand chose... En fait, Dame Edelgard s'inquiétait pour vous... »

Mes yeux s'agrandirent quand le lionceau prononça le prénom de mon aiglon, comme si celle-ci avait déjà toute mon attention.

« - Ah... Mais je ne sais pas si je devrais vous le dire.

- Vous venez de le faire, Ashe, lui fis-je remarquer en esquissant un sourire.

- Elle ne savait pas quoi faire pour vous, alors j'ai seulement suggéré d'avoir recours à ses fleurs qui poussent sur les montagnes d'Oghma. Vous savez, reprit-il avait plus d'assurance, il n'y qu'ici qu'on peut les cueillir ! »

Il m'en apprenait une. Enfin, ce n'était pas très difficile puisque mes connaissances en botanique était à la hauteur de mes compétences en cuisine.

« - Je n'avais jamais vu Dame Edelgard sourire comme elle l'a fait quand nous avons enfin trouvé ces plantes... Je crois que je ne l'avais d'ailleurs jamais vu sourire.

- J'ignorais qu'elle et vous aviez ce genre de proximité, je restais étonnée.

- On ne l'a pas, réfuta le garçon. C'était la première fois que nous parlions. Dame Edelgard est ce genre de personne qui parait... hésita-t-il.

- Détachée ? finis-je pour lui.

- Distante, me corrigea le lionceau en souriant d'un air embarrassé et en passant ses doigts derrière sa nuque. »

Je ne pouvais pas le contredire alors qu'il était indéniable que mon aigle plaçait toujours une certaine distance entre elle et les autres. Déjà envers ses propres camarades, donc j'imaginais que cela était encore plus vrai pour les membres des deux autres maisons. Rares étaient les personnes de qui je l'avais trouvé proche, en dehors de Hubert, et de Dorothea, peut-être. Et il y avait également Lysithea, la petite biche pour qui elle semblait nourrir une attention particulière.

« - Quoiqu'il en soit, merci, finis-je par lui avouer.

- Non, c'est moi qui vous remercie... bafouilla le jeune homme. Je sais que Lonato a fait des choses impardonnables mais...

- Vous n'arrivez pas à lui en vouloir. »

Je levai mes yeux sur le fauve qui me paru plus être un petit agneau à cet instant. La douceur de ses yeux n'avait d'égal que la souffrance de sa voix, qui pourtant, tintait de soulagement.

« - Il représente beaucoup pour moi, et vous l'avez épargné. »

Mes lèvres s'agrandirent nerveusement en repensant à ce qu'il s'était vraiment produit se jour là. Même si les souvenirs avaient été dans un premiers temps plutôt flous, ils m'apparaissaient aujourd'hui très clairement.

« - Vous avez bien conscience qu'il s'est échappé car j'ai été blessé, Ashe.

- Oui... Et j'en suis désolée... »

Ah, je n'avais peut-être pas trouvé les bons mots alors que la culpabilité noyait de nouveau le visage de l'archer. Décidément, je devais vraiment apprendre à manier ma langue et à ne pas être si franche.

« - J'ai envie de croire que si çela n'avait pas été le cas, les choses se seraient tout de même passées ainsi, soufflai-je à demi-mot. »

Cela aurait été une belle histoire, certainement plus que celle du conte qui aurait été écrit ce jour là et qui aurait raconté comment la bête avait encore ôté la vie. Comment aurais-je pu de nouveau admirer la bonté que reflétaient les yeux du valeureux si je lui avais prit la personne qu'il admirait encore il y a peu ?

« - J'aimerais être comme vous, Professeure.

- Je ne vous le conseille pas, ne pus-je que lui répondre. »

Voir une âme si pure se teinter de noirceur serait malheur à ce monde dans lequel rares étaient les personnes avec une telle humanité et pareil cœur.

« - Hé Ashe ! »

Je me relevai précipitamment aussitôt imitée par le garçon d'argent et trouvai près de l'entrée le visage d'un autre enfant.

« - Oh, Professeure, vous êtes là ! »

Caspar venait d'arriver et semblait attendre quelque chose de l'archer. Je ne tardai à remarquer que l'Adrestienne se trouvait également à ses côtés, elle avait enfin terminé de se changer.

« - Je suis désolée, s'excusa encore le garçon à la peau tachetée. J'espère que vous ne m'avez pas trop attendu.

- T'en fais pas, c'est plutôt les chats qui vont s'impatienter. »

Je n'avais pas oublié que l'on avait surprit Caspar et Ashe à nourrir les chats du monastère en secret, ou bien à faire tout autre chose, en fait. Mais pour l'heure je préférai mettre cette curiosité de côté plutôt que demander quelque chose qui aurait eu l'air déplacé.

« - Vous ne trouvez pas que ça sent les écuries ? demanda sans gêne l'aigle aux plumes bleues. »

Je vis le petit oiseau s'agiter pour essayer de trouver la source de cette odeur comme un chien renifleur. Mon regard dévisagea aussitôt l'héritière qui venait de faire un pas en arrière.

« - N'aviez-vous pas quelque chose à faire, Caspar ? Demanda l'Adrestienne de façon presque autoritaire.

- Qu'est-ce qu'il te prend, Edelgard ? T'es bien sérieuse d'un coup.

- Vous risquez de faire des impatients, préférai-je ajouter.

- Ah, c'est vrai ! termina l'oiseau bleu en tapant son poing dans sa paume. A plus tard Professeure !

- Professeure, Dame Edelgard, salua l'archer en suivant son camarade. »

J'emboitai le pas des garçons en sortant de la serre et me libérai de sa lourde et humide atmosphère. Les deux disparurent presque aussitôt vers l'étang non loin où Edelgard et moi-même les avions découvert la dernière fois. On ne faisait pas attendre des chats.

Je fis de nouveau face à un mur. L'héritière de l'empire n'avait pas laissé ses airs froids dans sa chambre apparemment, son expression se faisait dure. J'avais envie de souffler désespérément mais cela n'aurait en rien aidé, alors je pris sur moi et me demandai comment pouvoir arranger cela. Non pas que j'avais quelque chose à me reprocher même s'il me semblait évident que l'héritière le faisait, mais j'avais tout simplement envie de pouvoir respirer, alors, je proposai :

« - Edelgard, que diriez-vous de sortir un peu d'ici ? »

Je vis l'héritière lever un sourcil curieux. Ni elle ni moi n'étions habituée à une quelconque invitation de ma part, mais j'eus cette certitude de l'avoir détendue au moins un peu. J'avais très vite appris qu'il nous était impossible de parler ici librement, et encore moins d'exprimer ce que l'on pensait vraiment. Je passais tant de temps à vouloir lui faire tomber le masque que je ne réalisais pas que le mien m'encombrait également.

« - Et où souhaitez-vous aller ?

- Loin d'ici, répliquai-je. »

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La notion du lointain était à relativiser pour une personne qui avait voyagé comme je l'avais fait pendant plusieurs années, mais il me suffisait de passer ces grands murs pour me donner l'impression de m'évader. Pour Edelgard, ce sentiment était probablement encore plus vrai, elle qui avait passé une partie de sa vies enfermée, dans son palais doré, à l'académie des officiers, et même entre les mains de ses geôliers.

Nos pas empruntâmes de façon presque mécanique le chemin qui guidait dans la forêt dans la petite clairière qui avait l'habitude de nous voir nous entraîner. Ici, il n'y avait qu'arbres et végétations pour nous observer, et peut-être le ciel et le soleil qui nous éclairait. J'appréciais la chaleur que distribuaient ses rayons comme s'ils permettaient d'illuminer mes journées. Même si le loup hurlait sous les rayons de lune appréciait également la lumière de l'astre diurne.

« - Je n'ai pas pris ma hache, professeure, me fit remarquer l'aigle toujours tendu.

- Je vous ai déjà prévenu que nous n'irions pas nous entraîner. »

J'observai Edelgard attentive au moindre de mes gestes et de mes mouvements. Sa main sur sa hanche et ses doigts qui soulevèrent ses mèches blanches m'indiquèrent que celle-ci était toujours braquée, toute vêtue de fierté.

« - Edelgard.

- Que voulez-vous, professeure ? ne me laissa-t-elle pas continuer. »

Ses doigts remontèrent sur son visage pour retracer ses sourcils avant qu'elle ne se frotte les tempes. Son mécontentement était à peine feint tandis que je devinais agaçante son attente. Il était bien rare de voir l'Adrestienne si transparente et laisser tomber ainsi son masque de souveraine. Je sentais peser son impatience.

« - Vous êtes le jour et la nuit, vous-

- Edelgard, je la coupai.

- Qu'attendez-vous de moi, Professeure, pourquoi m'avoir conduite ici ?

- Edelgard ! répétai-je quand mes mains attrapèrent ses épaules. »

Mes doigts remontèrent sur son uniforme pour aller à la rencontre de son col. J'écartai le tissu pour trouver la teinte diaphane de sa peau marquée de mes propres péchés. J'imaginais déjà la lueur de mes yeux bleuet se ternir sur la douleur que je lui avais infligée mais qu'elle ne m'avait jamais reprochée. Pas une seule fois, non, pas une seule fois Edelgard n'en avait reparlé. Des marques que je lui avais laissée, ou bien de ce qu'elle ressentait. Je restais dans l'ignorance de son innocence, sous la sentence que m'imposait son silence.

« - Edelgard, murmurai-je de nouveau. Je suis désolée. Pour ce que je vous ai fait. »

Mes doigts caressaient la peau de ce sombre oiseau que j'osais pour la toute première fois touchée depuis que j'étais prise de regrets. J'avais si peur de la blesser. Encore une fois. J'avais si peur de ce qu'elle pouvait penser. De ce qu'elle voyait maintenant en moi.

« - Professeure... chuchota l'aigle avec douceur. »

Ses mains vinrent se placer sur les miennes et son regard me perfora comme s'il déchirait le ciel lui-même. Sous le soleil et les nuages je sentis les premières perles ruisseler sur mon visage. Curieux, comme si mon pardon avait été entendu par les Dieux et avait transcendé les cieux.

« - Il n'y a qu'à vous que ces excuses soient nécessaires. Pour ma part, je n'ai jamais eu besoin de vous pardonner d'une quelconque manière. »

Dans l'air, j'entendis retentir le tonnerre, comme s'il tentait vainement d'étouffer les hurlements silencieux que je poussais depuis des jours, depuis toujours. Rien n'avait laissé présager qu'aujourd'hui un orage viendrait frapper, mais à ce que l'on disait, tout comme le jour se succédait à la nuit, après les éclairs perçait de nouveau la lumière.

« - Mais si vous tenez absolument à vous faire pardonner, alors cessez simplement de toujours me repousser. »

Ah, je ne m'étais pas rendue compte d'ô combien mon aigle avait grandi, ni que son sourire était mon éclaircie.

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Le tonnerre qui grondait dans l'air et alourdissait l'atmosphère ne dura qu'un bref moment éphémère. Il ne restait que les larmes du ciel pour nous contraindre à nous abriter sous la cime des arbres au cœur de cette forêt.

Je m'étais assise au sol contre l'écorce d'un pin, et Edelgard m'avait rejoint. Nous attendions seulement que l'averse passe mais profitions également de ce moment qui ne durerait, hélas. Malgré les perles qui noyaient le ciel, mes yeux ne quittaient pas le soleil. Avec un peu de chance, il nous serait possible de voir le spectre de lumière allant des teintes mauves à celle de la couleur vermeille.

« - Soyez prudente, Edelgard. Seteth se doute de quelque chose, et vous attirez particulièrement l'attention de l'Archevêque.

- Vous ne m'apprenez rien concernant Rhea, Professeure. Ses yeux se sont posés sur moi dés mon arrivée au monastère, et je suis au fait que mes ambitions lui déplaisent. »

Je l'entendis expirer mais sa voix restait pourtant très calme. Je ne savais pas si Edelgard était simplement trop naïve pour se rendre compte des dangers qu'elle encourrait à oser tenir tête à la dirigeante de l'église, ou bien si au contraire, elle ne se laissait tout simplement pas déstabiliser par l'attitude de cette dernière.

« - Je suis une Hresvelg, ma famille a toujours soutenu l'église, elle m'expliqua. Je sais déjà qu'elle n'accordera pas l'indépendance de l'empire à ma simple demande. Mais...

- Vous êtes préparée à toutes les éventualités, finis-je pour elle.

- En effet, je ne renoncerai pas à mes projets. »

Je le savais très bien, et j'avais depuis longtemps déjà renoncée à la faire changer d'avis. Rhea ne pourrait pas m'y contraindre, et je n'avais surtout pas le pouvoir de le faire. Edelgard ne m'avait jamais écouté, il était vain de penser pouvoir ne serait-ce que l'influencer. Sur son immense échiquier, son seul but était de faire tomber la Reine.

« - Soyez honnête, Professeure. Je doute fort que mes plans soient la seule chose qui déplaise à Rhea. Elle est au courant, n'est-ce pas ?

- Je me le demande, je lui avouai. Rien ne semble lui échapper. »

Après tout, l'Archevêque ne m'avait jamais dit exactement ce qu'elle savait, et je n'allais certainement pas de moi-même aller chercher des réponses qui répondraient aux questions qu'elle se posait. C'était un risque que je n'étais pas prête à prendre, surtout maintenant que je savais de quoi était capable ce Dragon, qui nourrissait pour moi ou pour mon aigle, une certaine obsession.

« - Peu importe ce qu'elle sait ou non, elle n'est pas la seule à se poser des questions. »

Je n'eus besoin d'observer l'Adrestienne pour deviner ses lèvres s'étirer sur le son de l'air qui s'y échappait. Edelgard ne semblait pas surprise, mais ne paraissait pas non plus aussi inquiète que moi, pouvais ces derniers temps régulièrement l'être.

« - Cela fait déjà bien longtemps qu'Hubert m'a fait part de ses craintes vous concernant. Il demeure après tout être le plus loyale de mes alliés, et il aurait été surprenant de sa part de ne pas m'en faire part puisqu'il est également mon plus proche conseiller. »

Edelgard était très clairvoyante, et d'une lucidité sans égale. Celle-ci semblait penser à tout avant même que certaines de mes pensées ne m'effleurent. Elle avait toujours un coup d'avance. Cela était peu surprenant au vu des projets qu'elle nourrissait. L'Aigle Impérial savait qu'elle ne pouvait rien laissé au hasard, elle en avait conscience depuis le départ.

« - Soyez sans crainte, il n'attentera pas à votre vie, m'assurait-elle.

- Parce que vous le lui avez interdit ? m'étonnais-je.

- Parce qu'Hubert vous estime plus que vous ne pourriez le croire, elle corrigea. »

Je ne pouvais en effet pas simplement la croire, pas après que les menaces du serpent n'aient murmurées dans mon esprit jour après jour, nuit après nuit. J'avais conscience du risque que je représentais, et combien même j'aurais voulu la rassurer, je ne pouvais me le permettre. Je n'avais aucune idée de quoi demain serait fait, et on ne pouvait ignorer qu'un jour, peut-être qu'elle et moi, devrions nous affronter. L'avenir était bien trop incertain pour miser sur son destin, ou bien le mien.

« - Quoiqu'il en soit, Edelgard, vous ne vous êtes toujours pas décidée concernant votre prochain examen.

- Vous recommencez, souffla la future impératrice.

- Et à quoi je recommence ?

- A jouer au professeur, me répondit la blanche.

- Je n'ai jamais cessé de le faire. »

Je sentis ses doigts effleurer ma main comme pour me prouver le contraire. J'aimais tant son caractère et ses manières. Il était vain de croire que ce poussin n'avait pas fait mon cœur sien.

« - Il est inutile de vous dire que je ne choisirai pas la classe de brigand, cela va s'en dire. Et je ne pense pas pouvoir être à l'aise sous une armure de chevalier.

- Peut-être devriez vous penser à apprendre à manier autre chose qu'une hache, alors.

- Et peut-être devriez vous songer à apprendre à manier votre langue, Professeure. Ou bien auriez-vous besoin que je vous donne des leçons moi-même ? »

Je sentis mes joues s'empourprer sous l'assurance d'Edelgard et ses paroles qui ne manquaient ni de sous-entendus ni de lascivité. Et je sentis mon cœur frapper.

« - Vous êtes bien sûre de vous... ne pus-je que chuchoter. »

Les mèches de ses cheveux vinrent me caresser quand sa tête trouva mon épaule sur laquelle elle retomba avant de lentement y glisser. J'attrapai son visage dans mes mains, remarquai ses yeux fermés et sur mes cuisses la laissai doucement retomber. Quelques minutes seulement, je profitai de ce moment suspendu au cours du temps.

J'observai son visage sur lequel se reflétaient les rayons qui perçaient le coton des nuages. De sa cape je recouvris son plumage, admirai son courage. Ce petit oiseau possédait tant de force, tant de valeurs, peu à peu, sa chaleur avait su apprivoiser mon cœur. Aujourd'hui je savais que dans ce paysage qui s'étendait à perte de vue, dans lequel se déployait maintenant ce dégradé de couleurs continu, voir cet aigle voler était bien le seul et le plus sincère de mes souhaits. J'approchai silencieusement de ses lèvres rosées, sur lesquelles je déposai le plus doux des secrets.

Un seul baiser ne pouvait mesurer tout l'amour que lui portais.