Munich, 14 août 1943.
Nott se tenait là, à quelques mètres de là et à l'abri des regards indiscrets. Draco dut se faire violence pour ne pas se jeter à sa gorge et lui régler son compte ici, à quelques mètres des festivités. Il porta sa cigarette à ses lèvres dans un mouvement dicté par l'habitude. L'habitude et un besoin impérieux d'écraser son poing sur le faciès souriant de son maître-chanteur.
— T'en as une à me donner ?
Draco peina à comprendre à quoi il faisait allusion. La boîte où il rangeait ses cigarettes toujours en main, Nott la désigna d'un mouvement nonchalant du menton. Le blond se retint de ne pas refuser immédiatement, avec une âpreté cinglante et une répartie tout aussi mordante. De mauvaise foi, il tendit à son interlocuteur ce qu'il lui demandait, la mâchoire serrée au point où la tension le faisait souffrir. Sans se presser, Nott exhala une bouffée, tournant à peine le visage pour ne pas recracher sa fumée sur le visage crispé de son interlocuteur.
— Tu n'as pas l'air très content de me voir. J'ai raconté à tout le monde que je te devais ces places, il faut jouer le jeu et s'afficher ensemble, comme de bons amis !
— Tu me dois cette place ici, Nott, rétablit Draco, son regard ombrageux épinglé à celui de l'autre.
— C'est vrai ! Mais tous ces gens s'attendent à ce qu'on affiche une complicité exemplaire. Je ne t'apprends rien si je te dis que les apparences sont maîtresses de tout, ici.
— Ne compte pas sur moi pour ce petit jeu tordu. Tu peux roucouler autant que tu veux, profiter de ton instant de gloire à ta guise, mais n'attends rien de moi.
— Oh…
Nott afficha une mine déçue, boudeuse. Une caricature de l'ami attristé qui ne tarda pas à voler en éclats. Le jeu de comédien de l'homme se brisa et un sourire de requin s'afficha sur ses lèvres. Draco le maudit alors qu'il portait la tige à ses lèvres pour en savourer la promesse interdite d'une mort lente. Cet homme était fou, murmura une voix, à l'oreille de Draco, fou à lier.
— Tu oublies que je peux tout attendre de toi. Je peux te demander ce qu'il me plaît et tu n'as qu'à t'exécuter. Tu sais quoi ? J'ai envie, mais une envie folle, d'aller hurler à cette bande d'aristocrates mal débouchées que je t'ai sous ma botte. Le grand Draco Malfoy à mes pieds !
— La ferme, Nott.
L'intéressé ricanait.
— Tu as peur qu'on m'entende ? Que dirait ton père si je le lui disais ?
— Tu ne le feras pas, martela Draco, immobile, à mi-chemin entre l'attitude du prédateur et de la proie.
Car Nott n'était plus le seul à jouer un jeu. L'aristocrate allemand gagnait du temps, il divertissait cet odieux personnage aussi longtemps qu'il le fallait. Il se retint de vérifier la montre à son poignet. Ce geste pourrait bien le trahir et il se devait de ne pas risquer de porter préjudice à l'ensemble de leur mission nocturne. La présence de Nott avait pour effet d'endiguer le stress, ou du moins le remplacer par cette haine viscérale que l'homme lui inspirait.
— Et pourquoi ?
— Parce que ça mettrait fin à ton chantage.
— Je préfère le mot « accord ».
— Cela signifierait que tu avais mon accord, grinça Draco.
Nott haussa les épaules sans se départir de son rictus.
— Tu n'as pas tort. Je n'ai pas prévu de mettre un terme à notre accord avant un moment. Je sais que tu as mieux à m'offrir qu'un bal annuel.
— Que le bal et la majeure partie de ma rente mensuelle ? Je ne vois pas ce que tu exiges de plus.
— Une place dans ce monde ? Une place de choix, même. Ton père est proche d'Hitler, qui ne convoiterait pas sa place ?
— Personne ne la convoite. Mon père a son lot d'ennemis et ils restent bien sagement terrés dans leur trou. S'ils se montrent trop hargneux, mon père saura les faire taire, définitivement s'il le faut. L'honneur et le rang d'un nom valent plus chers que ta pitoyable vie, ne crois pas que mon père ne s'est jamais sali les mains pour le défendre.
Draco cracha toutes ses paroles, de sa voix traînante, mais vibrante de colère. Il avait toujours vécu avec le fardeau d'être né Malfoy. Il avait vécu avec les attentes intarissables de Lucius et avec le devoir dû à son nom. Cet homme pensait pouvoir écoper des privilèges qui lui étaient réservés sans avoir à subi les difficultés ? C'était impensable et une telle audace méritait d'être punie.
— Dommage que tu ne puisses pas demander à ton cher père de te venir en aide.
— Mon père n'a jamais supporté que je lui sois dépendant. Il aurait refusé, à moins que son honneur ou celui des Malfoy ne soit en jeu, récita Draco, de cette voix détachée qu'il tint en horreur.
— Et tu ne crois pas que l'honneur des Malfoy serait terni si on apprenait tes… penchants ?
La gorge de Draco se noua sans qu'il ne sache si la fureur en était la cause, ou bien s'il s'agissait plutôt de l'entendre dire. Il vivait son inversion comme un penchant naturel depuis son retour à Strasbourg et s'en étonnait lui-même. Il avait pris le parti de considérer son amour comme un fait qui lui appartenait, une simple addition de sa personne qui ne le rendait pas plus différent d'un autre. Il ne réalisait pas alors à quel point sa mentalité avait changé depuis sa première visite à Strasbourg. Bon nombre de préjugés avaient disparu et Harry n'y était pas étranger.
— Tu n'as rien à gagner à le lui dire. Il pourrait te faire tuer pour le chantage que tu m'as fait subir.
— Imagine les conséquences s'il le savait… Imagine ce qu'il penserait de son brave fils, de son fier héritier. Son fier héritier qui préfère fourrer des hommes plutôt que de sa femme !
— Tais-toi !
Draco était blême de fureur. Rares étaient les hommes à lui avoir fait pareil affront et cet énergumène les additionnés sans risquer d'en subir les conséquences. Une injustice ne nous était jamais plus infâme que lorsque nous nous en voyons personnellement concernés. Ce soir, dans cette nuit festive, Draco en faisait les frais. Sa peau pâle avait perdu toute couleur et les ombres nocturnes y faisaient vivre des ombres. Des ombres auxquelles il n'hésiterait plus à succomber. Il conservait, malgré tout, assez de conscience pour ne pas sauter à la gorge de Nott pour qu'aucune autre injure ne s'en échappe. Il frémissait dans la nuit fraîche de ce mois d'août et son interlocuteur semblait se moquer de son courroux.
— Eh bien, si j'avais su que ce garçon… ce… quel est son nom, déjà ?
— Potter, maugréa Draco, certain que cette perte de mémoire était aussi feinte que son sourire.
— Ah, oui. Potter… Une jolie gueule, ton Potter… Un joli cul, aussi.
C'en fut trop. Draco sentit nettement quelque chose se relâcher en lui, exploser, se répandre. Un élastique qui se rompt après avoir subi une trop forte pression. Draco se jeta à la gorge de l'individu et, avant même que Nott n'eut le temps d'avoir un mouvement de recul, les longs doigts de son agresseur s'enroulèrent autour de son cou. Emporté par son élan, l'aristocrate sentit le corps de son maître-chanteur basculer sous le sien et ils roulèrent au sol. L'impact fut rude, surtout pour Nott dont le crâne heurta violemment les dalles régulières. Il exhala tout l'air de ses poumons, sonné. Avant qu'il n'ait le temps de reprendre ses esprits, Draco entreprit de détruire son arrogance. Pièce par pièce. Il s'occupa d'abord de ce sourire arrogant d'un seul coup de poing. Il se battait rarement, mais la rage suffisait à le rendre d'une redoutable efficacité. Une de ses mains épinglait son adversaire au sol tandis que la seconde se levait à nouveau, prête à tout voler dans le visage haï de l'homme.
— Draco !
L'exclamation ne tira pas l'intéressé de sa fureur débridée. Il frappa à nouveau. Le geignement de Nott lui procura une satisfaction si brutale qu'il ne put se contraindre à arrêter. Il s'était promis de ne pas être victime des provocations intempestives de l'ignoble personnage. Il avait cédé. Il avait lutté, mais l'insulte avait été de trop.
— Salopard ! cracha Draco, à son visage, après lui avoir asséné un nouveau coup.
Un coup qui cueillit du sang sur les traits de Nott. Une fleur de sang. La douleur dans les phalanges meurtries de l'Allemand n'était qu'une simple éraflure en comparaison et il se satisfaisait de l'idée que l'homme puisse souffrir bien plus que lui. Il avait l'impression de trouver enfin un semblant d'égalité. Cette pourriture méritait cette douleur, il méritait chaque coup qu'il recevait. Brusquement, Draco se demanda comment il comptait en finir avec Nott. Il se surprit de n'y avoir jamais pensé au préalable tant cette question était primordiale. Severus y avait pensé, lui, cela ne faisait aucun doute. Cette idée s'éprit de lui au même moment que la situation la plus charmeuse. Pourquoi ne pas se débarrasser de cet être odieux tant qu'il le pouvait encore ?
— Draco ! Lâche-le !
Cette fois, l'intensité vibrante de la voix de Severus tira Draco de sa fureur. Il le tira de son courroux dévastateur suffisamment longtemps pour qu'il réalise le sang qui coulait le long du visage de Nott. Ce dernier avait probablement le nez cassé et sa lèvre était fendue sur toute sa longueur. Des hématomes ne tarderaient pas à courir sur ses joues, sur son arcade et sur l'œil injecté de sang qui lançait un regard de pur mépris à celui qu'il avait sciemment manipulé. Draco se redressa après avoir pris conscience de l'étendue des dégâts. Il ne regrettait pas encore son acte et la vision du visage meurtri de son ennemi le soulageait, d'une certaine manière. Il relâcha sa vigilance un instant, et un instant seulement, et ce fut suffisant pour que Nott y perçoive une forme de faiblesse. Il enfonça son poing dans l'estomac de Draco, puis, avant que le choc ne se résorbe tout à fait, l'atteignit au visage, juste au niveau de la pommette. Il empoigna le col du blond et s'apprêtait à lui fracasser le crâne au sol, juste à côté de son corps étendu sur les dalles dures, lorsque Severus intervint. Il s'empara du corps de Draco sous les aisselles et l'entraîna hors d'atteinte.
— Cela suffit, tous les deux. Vous voulez donc vous faire prendre ? Ni l'un ni l'autre ne le souhaite, alors tenez-vous en hommes civilisés, vous n'êtes pas des bêtes, ni des enfants en manque d'attention.
Severus crachait ses paroles, mais avant qu'il n'achève ses réprimandes, ce fut Draco qui cracha un mélange de salive et de sang au visage de Nott. Un dernier point marqué avant l'intervention de l'arbitre. Il vit, entre ses cils blonds qui battaient au rythme de sa respiration sifflante, le visage déconfit de Nott et le geste qu'il eut pour retirer le crachat de son visage le dégoût, la haine, tant d'émotions qui déferlèrent sur les traits de son adversaire. Il se redressa à son tour en position assise et sans quitter du regard celui qui avait osé le défigurer de la sorte. Il ne tarda pas à se recomposer une expression transpirant le cynisme et la provocation.
— Alors, Malfoy, il semblerait que tu sois décidément incapable de gérer tes petites affaires seules ?
— Draco n'a aucun scrupule à employer des méthodes déloyales à compter de l'instant où celui qui le manipule n'en possède aucun.
La sempiternelle répartie de Severus laissa bouche-bée Nott l'espace d'une poignée de secondes. Le regard froid, calculateur et méprisant de l'aîné le terrassait sans mal et il avait manifestement affaire à un homme d'une autre trempe. Un homme qu'il ne pourrait pas manipuler à sa guise en usant de sa seule faiblesse. Il étouffa un juron. Une injure qui se perdit dans le silence de la nuit.
— Qu'est-ce que vous me voulez ?
Severus ne lui fit pas l'honneur de lui répondre. Il s'assura que Draco tenait sur ses jambes avant de jeter un regard derrière son épaule. À quelques pas, la fête battait son plein et les échos des conversations leur parvenaient. Personne ne se doutait de ce qu'il se passait et il devait absolument en être ainsi.
— Nous ne devons pas rester là.
— Vous ne croyez quand même pas que je vais vous suivre bien gentiment ? railla Nott, toute sa verve habituelle retrouvée. C'est la meilleure ! Deux contre un et vous pensez que je vais vous suivre.
— Tu vas nous suivre parce que tu ne veux pas que ces gens apprennent la pourriture que tu es ! siffla Draco.
— Parce que tu t'imagines qu'ils seront enchantés d'apprendre que tu couches avec des hommes ? Des juifs, en plus, tu signes ton arrêt de mort, Malfoy et tu es idiot de penser que tu vas t'en tirer.
L'intéressé se redressa avec hauteur. Il considéra cet homme, une part de sa colère retombée tandis que l'autre pulsait encore lui. Le venin de la rage contrôlait une part importante de ses pensées et son corps, arme dans une guerre sans fin, ne demandait qu'à s'y plier. L'animosité qui régnait entre eux était telle qu'il aurait suffi d'une parole pour que la situation dégénère à nouveau. D'un coup d'œil discret, Draco consulta sa montre. Hermione et George devaient déjà avoir libéré Harry et Blaise. Du moins, il osait encore l'espérer.
— Il suffit.
Severus s'était exprimé d'une voix grave, frémissante d'une autorité que peu lui niait. Nott se campa sur ses jambes et put enfin rendre son regard à Draco. Ils s'examinèrent comme s'ils hésitaient encore à poursuivre cette conversation. Sans l'intervention de Severus, nul ne savait où cela les aurait menés.
— Qu'est-ce que vous voulez ? Que je me repente ? Vous pouvez toujours courir !
— Régler cette affaire, contra Severus.
Nott les gratifia d'une œillade mauvaise. Il les méprisait, il méprisait tout ce qu'ils représentaient et cela n'aurait pas pu être plus réciproque. Il était même difficile de concevoir qu'ils puissent tenir une conversation sans achever ce qu'ils avaient commencé. La tension était identique, puissante et dévastatrice. Ils avaient le choix entre y mettre un terme ou la mener à l'explosion. Une explosion qui leur serait cette fois fatale.
— Tu ferais mieux d'aller rejoindre ta femme là-bas. J'imagine qu'elle ne sait pas pour tes petits penchants.
Severus ne réagit pas. Son visage ne souffrit aucune expression et Draco tâcha de l'imiter. Alors, de la manière la plus imprévisible qui soit, Nott admit, du bout des lèvres :
— Mais je dois admettre que ce n'est pas une si mauvaise idée.
Draco secoua la tête, incrédule. Ce revirement de situation aurait dû l'alarmer, mais il se trouvait tellement obnubilé par sa haine et par l'inquiétude qui nourrissait à l'égard de son meilleur ami et son amant qu'il se révélait incapable de le comprendre. Severus le comprit lui aussi, une ombre planant sur son visage. Le danger était omniprésent, trop proche pour qu'aucun ne l'ignore. Ils avaient tous une idée en tête, un plan, un projet à mener à bien. Quel était celui de Nott ? L'homme avait repris son calme et Draco avait appris à le craindre, à y voir une menace plus qu'une faiblesse. La fraîcheur nocturne éveilla un frisson sur sa peau.
— Ce n'est pas un endroit pour discuter de nos petites affaires. Allons ailleurs !
— Sage décision, souffla Severus, avant d'initier le mouvement qui les éloigna du cœur des festivités.
Sur ces belles paroles, la nuit les happa tous les trois.
