C'était comme si le monde entier s'était rempli de bruit blanc, tout à coup. Pas juste dans les oreilles de Tony, mais aussi dans ses globes oculaires, juste sous son épiderme, à l'intérieur de ses narines. Quelque chose de glacé, crépitant, irritant. Il avait à peine conscience de Jon dans ses bras.
« Quoi. »
Le mot sonnait déformé. Brouillé. Trop faible pour se maintenir en l'air, préférant dégringoler de la bouche de Steve pour s'écraser au sol.
« Loki et Maria Stark sont la même personne » répéta Bruce et ça n'avait toujours pas de sens, ça ne voulait pas faire sens, parce que…
Parce que…
(c'était Maria qui était supposé être le parent fiable)
(c'était sur Maria que Tony avait toujours pu compter)
(sa mère ne l'aurait jamais abandonné pendant vingt ans)
« Mais ça s'est fait comment » crépita la voix de Legolas, « elle n'est tout de même pas sortie de nulle part, Maria Stark, et c'était pas la première venue de Loki sur Terre, de toute façon ? Ou alors il s'est esquivé en douce... »
« Ou il a été puni » intervint la voix de Romanoff. « Thor, vous n'aviez pas dit que pour avoir engendré Locke, votre frère avait été puni via l'exil ici ? »
Tony déglutit péniblement, la salive lui lacérant l'arrière de la gorge.
« Si j'en juge d'après votre propre expérience, il n'aurait pas été différent physiquement d'un simple humain... »
« Oui, mais il y a une différence entre un extraterrestre temporairement humain et une femme née de parents humains, quand même ? »
« Ça dépend de la sévérité du châtiment. »
La voix de Thor était bizarrement nette. Tranchante, pointue. Un peu comme un couteau de cuisine, lorsqu'on fait un faux pas et tombe dessus.
Tony sentit Jon remuer contre sa poitrine.
« Oh, vraiment ? » grinça Fury.
« Ma punition visait à m'instruire, l'exil de Loki visait à l'humilier. Pour ce faire, il a été condamné à expérimenter la vie sur Midgard depuis son origine, de la naissance à la mort, au moyen de la transposition de son essence dans un corps mortel. L'entreprise n'est guère aisée même pour un pratiquant aguerri de l'arcane, mais pour le Père de Tout... »
« La possession pratiquée par des aliens Vikings, il nous manquait plus que ça » marmonna Legolas.
« Et si je ne m'abuse, vous aviez précisé que l'exil de Loki remontait à environ quatre-vingts-dix ans, et qu'il n'était revenu qu'il y a vingt ans ? En d'autres termes, de 1926 à 1991, c'est ça ? »
La voix de Romanoff vrillait les tympans de Tony. Si sa langue congelait d'un seul coup, est-ce qu'elle se tairait ?
« Je ne suis guère familier de votre calendrier, mais… oui, je pense que les dates correspondent. »
« Et… ce n'est pas traumatisant, de se réveiller tout à coup dans un autre corps, de se rappeler des choses qu'on ne devrait pas ? » demanda Bruce.
« Oh, Loki était certainement dans tous ses états lorsqu'il a réintégré son enveloppe originelle, il a ravagé une aile entière du palais et n'arrêtait pas de répéter qu'il devait retourner sur Midgard. Père a dû le purger de ses souvenirs pour qu'il se calme... »
Tony était debout, il ne se rappelait pas s'être levé, il ne se rappelait pas avoir repoussé son fils. Ses veines charriaient des glaçons.
« Vous… avez effacé sa mémoire. »
Sa propre voix était étonnamment plate, inexpressive, comme l'océan juste avant le raz-de-marée.
« Il le fallait bien, ami Stark. Loki avait effectué sa peine, il se devait de reprendre sa place légitime, et celle-ci n'était pas sur Midgard. »
La rapidité avec laquelle Tony se déplaça provoqua une étincelle surprise dans son cerveau engourdi de choc autant que de froid, mais l'ingénieur était trop concentré sur le fait que Thor avait esquivé de justesse le poing qu'il aurait dû recevoir en pleine figure.
Il attaqua de nouveau. L'Asgardien esquiva de nouveau.
« Tony !
« Stark ! »
« Vous avez volé ma mère » laissa tomber l'ingénieur, qui sentait le froid suer par tous les pores de sa peau, des particules de givre commençant à se former dans l'air. « Vous avez empêché ma mère de rentrer chez elle. »
(de revenir près de moi)
« Le foyer de Loki n'est pas sur Midgard » tenta de plaider Thor, essayant de toucher l'épaule de Tony comme pour le calmer. « Il est avec sa famille. »
Tony saisit le poignet de l'Asgardien, notant sans passion l'armure se craqueler et partir en morceaux sous la froideur de ses doigts.
« Je suis sa famille aussi » riposta-il avant de projeter son autre bras en avant, enroulant ses doigts autour de la gorge de Thor et serrant.
Des coups se mirent à pleuvoir sur lui, le reste des Vengeurs s'efforçant de l'arracher à Thor, l'Asgardien lui-même voulant lui faire lâcher prise, mais le froid les faisait vite glapir et reculer, et il avait beau ne pas avoir une sacrée force dans les mains, il voyait la chair de la gorge qu'il étranglait à moitié noircir et se fendiller, il avait juste à tenir un petit peu et ce serait bon…
Un cri strident fendit l'air. Une intonation encore enfantine, vide de toute trace d'hormones. Tony se déconcentra.
Thor le repoussa d'un coup de poing sur la poitrine, mais il le sentit à peine, subitement focalisé sur Jon qui se débattait dans l'étreinte de Bruce.
« Je peux savoir à quoi tu joues ? »
Le regard de Bruce était vert émeraude brillant, et sa voix siffla tandis qu'il s'expliquait :
« Je pensais qu'aucun gosse n'a besoin de regarder son père commettre un meurtre, mais si tu veux traumatiser le tien, ne compte pas sur moi. »
Et tout à coup, Tony prit conscience de la situation.
Une croûte de givre recouvrait toutes les surfaces disponibles dans la pièce, y compris les gens – Capsicle grelottait de tous ses membres, visiblement pas fan. Legolas se frottait désespérément les mains, déjà couvertes d'engelures. Natasha était penchée sur Thor qui respirait avec difficulté, des morceaux d'épiderme noirci pelant de sa gorge.
Jon le fixait comme il aurait regardé un parfait inconnu, quelqu'un qui prétendait être son père mais qui était si loin du compte que c'était à pleurer.
« Oh » souffla Tony à voix très basse.
Fury grimaça.
Clint avait su à l'instant où le Tesseract avait recraché un gars à l'aspect on ne peut plus frappadingue que ça annonçait une embardée spectaculairement merdique dans sa vie, mais il était loin de se douter que ce serait à ce point-là.
Le bilan, c'était New York ravagé, Fury crachant des flammes, Nat sur les nerfs, lui avait l'impression de s'être fait passer les neurones au presse-purée et sentait qu'il allait avoir des cauchemars au moins pour un mois, au moins une puissance galactique avait désormais la Terre dans le collimateur, et la racine de toute cette histoire, c'était une histoire de famille ayant dégénéré en beauté. Parce que ni les dieux ni les familles royales ne pouvaient agir en êtres rationnels, et quand vous combiniez les deux, ça se terminait de manière proprement apocalyptique.
Il avait très, très envie de rentrer à la maison, là. Embrasser sa femme, câliner ses deux gosses, et oublier que le reste du monde existait.
Hélas, le monde ne voulait pas oublier que Clint Barton existait. Heureusement pour lui, Fury avait eu pitié et lui avait ordonné de ramener Jon Stark chez lui, après quoi il pourrait se poser dans un coin et faire sa crise de nerfs.
Le petit n'avait pas fait de caprices apparemment, il était trop occupé à digérer les révélations qu'il venait d'entendre et était passé en mode automatique. Tout de même, il conservait un brin de malice, vu qu'à l'instant où Clint avait commenté sur son teint bleu, le garçon avait repris son habituelle coloration pâle avant de lui adresser un regard innocent.
Pepper Potts paraissait inhabituellement éreintée quand il se présenta à la Tour Stark. Une réaction très fréquente chez les civils suite à une attaque terroriste. Une partagée par le gosse, qui s'empressa d'aller s'avachir tout contre elle.
« Tu te sens mieux depuis tout à l'heure, champion ? » demanda-t-elle en s'efforçant de sourire.
Le grognement par lequel répondit le petit contenait une nette part d'ambiguïté. La rouquine coula un regard suspect à l'archer qui décida de laisser son visage parler de lui-même, ne prenant pas la peine de masquer son épuisement.
« Tout le monde est à cran, et Stark ne va probablement pas rentrer tout de suite » avoua-t-il.
« Mais il va rentrer ? »
« Absolument. »
Vu la façon dont les épaules de la femme se détendirent, ça lui avait lourdement pesé, cette sinistre perspective de se retrouver veuve avant même d'être mariée.
Clint n'avait pas grand-chose en commun avec Tony Stark. Il se serait bien passé d'apprendre que l'une de ces ressemblances, c'était la capacité à traumatiser leurs familles respectives.
