Munich, 15 août 1943.
Au loin, on sonnait minuit.
Le glas.
Draco frissonna dans la nuit froide et ne put percevoir, dans ce son qui résonna en échos jusque dans ses os, qu'un funeste présage.
Les trois Allemands se fondaient dans la nuit tels trois ombres noirs. Ils s'éloignaient des festivités et s'enfonçaient dans la bouche béante de Munich. L'éclairage public faiblissait dans les ruelles à mesure qu'ils s'éloignaient du centre. Draco, sur ses gardes, finit par ralentir le pas. Se tenir trop loin du centre de la ville pouvait tout aussi bien les condamner que préserver le secret honteux qui les incombait. Nott en savait trop et eux aussi, quoi qu'il advienne, il y aurait de cette discussion de courtoisie, de cette mascarade ridicule, qu'un seul vainqueur.
Severus marchait sans un son, avisant en silence leurs possibilités. Ils se trouvaient en surnombre et ce constat aurait dû écarter toute crainte, mais ils avaient à faire un homme ambitieux, à un dément qui n'hésitait pas à employer des moyens discutables pour parvenir à ses fins. De plus, son assurance tandis qu'ils s'éloignaient du cœur de la fête n'avait rien d'un bon présage.
— Et si on s'arrêtait ici ? Je ne voudrais pas trop m'éloigner des festivités, je compte bien les rejoindre dès que nous aurons fini notre petite conversation.
Sa remarque fut accueillie par un silence glacial. Draco s'immobilisa et fit face à Nott qui fanfaronnait comme s'il avait une parcelle d'honneur et d'humanité à sauver.
— Ne compte pas y retourner, intervint le blond, le nez retroussé sur une expression mauvaise. Il te serait trop difficile d'expliquer ta gueule en sang.
— Ne t'inquiète pas pour moi, je n'aurais qu'à simuler une attaque d'un jaloux et je serais leur héros.
— La jalousie et toi, vous êtes proches amies, n'est-ce pas ? N'espère pas de reconnaissance de leur part. Tu n'es qu'un visage qui restera inconnu et demain déjà, ils t'auront oublié. Tu espères t'intégrer à eux, mais tu ignores leurs codes, leurs règles. C'est pathétique !
Draco retrouvait de sa verve et une modique part de sa superbe. Il toisait Nott avec mépris et l'autre lui rendit une œillade noire, à mi-chemin entre la rage pure et un début de moquerie. La tension revint, décuplée, trop grande pour être ignorée et si la présence mûre de leur aîné ne siégeait pas juste à côté, ils se seraient probablement déjà jetés l'un sur l'autre pour achever ce qu'ils avaient entamé.
— Pourquoi ? lâcha Severus, d'une voix plus froide que doucereuse.
— Pourquoi je veux rejoindre la fête ? Ça ne paraît pas…
— Pourquoi cette mise en scène ? Pourquoi aller jusqu'à l'enlèvement ?
Un sourire s'étala sur les lèvres de Nott et Draco se fit violence pour ne pas en faire de la bouillie. Les traits de Nott étaient déjà suffisamment abîmés pour ne pas qu'il écrase son poing sur son visage. Pourtant, à l'heure qu'il était, Blaise et Harry devaient être libérés du joug pervers de celui qui se dressait face à lui, tout en impertinence et en provocation.
— Parce que c'était la manière la plus sûre de m'assurer l'obéissance d'un Malfoy. Je ne savais pas encore à quel point, déclara Nott, détachant chaque syllabe comme s'il s'en délectait.
— Il existait pourtant tout un tas d'autres chantages moins risqués et tout aussi efficaces. Non, je veux que tu me donnes la véritable raison de ce procédé.
— Qu'est-ce qui vous dit que je mens ?
Un soupir. Severus s'impatientait sans rien n'en laisser paraître. Dans la nuit aux mille ombres terrifiantes, Draco admira le sang-froid sans pareil de son parrain et sa logique implacable. Il formait un modèle inatteignable qu'il contemplait en secret enfant. Bien des choses avaient changé depuis, mais pas son admiration pour cet homme. Elle avait grandi, elle avait mûri, elle était devenue incontestable à chaque visite de Severus au manoir Malfoy. Encore aujourd'hui, Draco se taisait, il écoutait chaque parole de cet homme fort, invincible.
— Je connais les hommes. Tu n'es qu'un enfant qui veut se faire un nid dans un milieu de grands. Je connais les hommes et ce qu'ils cachent. La guerre éveille en eux les plus sombres comportements et je pense que tu es de ceux-là.
— Intéressant, gloussa-t-il.
— Tu profites de la guerre. Tu profites de ce merdier pour y creuser ta part du butin. Certains fondent leur entreprise sur le dos de la guerre, ils s'enrichissent alors que d'autres meurent. Toi, tu profites de la faiblesse des autres, celle de Draco en l'occurrence et tu puises tout ce que tu peux.
— Pourquoi vous me demandez de répondre si vous connaissez déjà la réponse ?
— Parce que je souhaitais l'entendre de ta bouche et parce que je désirais savoir si tu en étais conscient.
Une marque de lucidité traversa le regard de Nott et Draco y prêta une attention toute particulière. Il avait le sentiment d'être le spectateur de cet échange surréaliste dans une atmosphère des plus menaçantes.
— J'en suis conscient. Que m'avez-vous diagnostiqué, docteur ? Un narcissisme aigu ?
— Un peu de cela, poursuivit Severus, sans se démonter, sans trahir une quelconque affectation. Un penchant sadique aussi.
Nott laissa s'échapper un rire aussi bref que désagréable. Il secouait la tête, comme si les propos de l'homme avaient éveillé en lui quelque chose de profondément enfouie.
— Vous savez, les gens n'ont pas tous les mêmes chances ! Y'en a qui naissent avec une cuillère en argent dans la bouche, et puis il y a les autres !
— Il me semble surtout que vous n'êtes pas le plus mal lotis. Que penseraient les plus miséreux de votre discours ?
— Je me moque de ce qu'ils penseraient ! rugit Nott. Je me moque d'eux !
Un égoïsme certain, compléta mentalement Draco.
— Je hais ceux qui ont tout sans lever le petit doigt ! Cette guerre, toute cette merde, si je peux en tirer quoi que ce soit, je le ferai ! Vous m'avez demandé tout à l'heure pourquoi, eh bien je vais vous le dire !
Il suspendit sa logorrhée, inspirant une profonde bouffée d'air. Il semblait fou, dément, au bord d'abandonner toute forme d'humanité. Draco vit le vrai visage de cette ordure dans ses yeux exorbités et dans les postillons qu'il répandait à chaque syllabe.
— Parce que je crève d'envie de voir ces types payer ! Parce que je sais que j'ai coincé Malfoy de la manière la plus immonde qui soit et que…
— Et que quoi, Nott ? l'encouragea Draco, d'une voix blanche, saturée de haine.
— Et que j'ai jamais connu meilleure sensation que celle-là !
Nott haletait, comme si prononcer ces derniers mots l'avait émotionnellement écorché. Draco recula d'un pas, comme une bête acculée qu'il l'ignorait encore. Cet homme était fou, véritablement fou. Il ignorait ce qui l'avait mené à de telles extrémités, mais l'empire de sa conscience s'était effondré sur lui-même et les vestiges restant portaient le visage de l'immondice. Ils avaient affaire à une folie ordinaire, de celle qui rongeait l'humanité. La guerre en était-elle la cause ou la raison se révélait-elle plus profonde, plus intime ?
Nott se calma. L'ombre qui s'était déposée sur lui s'envola et la seule trace physique qui demeura fut la salive à la commissure de ses lèvres. C'était de cela que les deux hommes devaient se méfier, de ce calme froid et calculateur. Le calme avant que la tempête se déchaîne.
— Mon père a travaillé toute sa vie pour rien, pour que des types lui volent son travail. Mon père s'est fait manipulé jusqu'à ce qu'il ne reste de son entreprise qu'une épave. Ils l'ont ruiné avec leurs belles promesses, des escrocs qui ont fait miroiter mon père avant de foutre le camp lorsqu'il ne restait plus rien de lui. Alors on l'a pressé pour qu'il s'engage et qu'il se batte pour la grande Allemagne. Il est mort et je sais qu'il aurait mis fin à ses jours si l'ennemi ne l'avait pas fait. On lui a tout pris, tout !
— Il est mort et tu as décidé de reproduire le schéma des hommes qui ont mené votre père à la ruine, releva Severus.
— Je ne vous demande pas de comprendre et je veux pas de votre pitié !
— Je n'ai pas pitié de ceux qui se servent des autres pour apaiser leur soif de pouvoir.
Un temps s'écoula. Severus croisa le regard de Draco qui, manifestement, se retenait de prendre part à la conversation. Sage décision. En s'écartant du noyau de la civilisation, ils avaient certes fait en sorte de ne pas se trahir et de conserver intact le secret qui bridait l'héritier Malfoy, mais ils risquaient aussi de voir la folie de Nott les emporter. Draco en avait conscience et, s'il s'écoutait, il abandonnerait son maître-chanteur aux bons soins de Severus et courraient rejoindre Hermione. Quelque chose lui soufflait pourtant qu'un élément clochait.
— En revanche, je ne pensais pas que tu cherchais à accomplir le rêve de grandeur de ton défunt père.
Nott ricana. Ils étaient si proches qu'ils auraient pu se toucher. Un pas suffirait et, pourtant, sans trop savoir pourquoi, personne n'effectuait le moindre geste. Ils parlaient, tout simplement.
— Jusqu'à où serait allé ce manège ? Jusqu'à ce que ta poule aux œufs d'or est épuisée son stock et que tu n'es plus rien à espérer d'elle ?
— Précisément.
— Et maintenant, que comptes-tu faire ?
Le sourire qui couvrit les lèvres de Nott déplut immédiatement à Draco, comme s'il décelait déjà l'atrocité qu'il s'apprêtait à dire. Severus ne prononçait pas un mot plus haut que l'autre, calme, froid, presque aussi calculateur que son interlocuteur. Pourtant, il paraissait suspendu au creux de ses lèvres.
— Vous êtes misérables, vous deux !
Cette fois, et pour la première fois depuis de longues minutes, Nott s'adressait à Draco et à Severus. Il se gaussa grassement durant quelques secondes, comme pour extérioriser une part du rôle qu'il lui avait fallu jouer.
— Vous croyez que je n'ai pas compris votre petit jeu ? On n'est pas seulement là pour faire la causette. Vous, vous voulez juste me faire perdre mon temps et m'éloigner des festivités, mais moi… moi j'ai d'autres projets !
La respiration des deux hommes se suspendit lorsqu'ils virent apparaître un pistolet entre ses doigts. Un pistolet pointé dans leur direction.
Le temps se suspendit, Draco et Severus s'immobilisèrent. Chacun connaissait la menace d'une telle arme et, surtout, savait que Nott n'hésiterait pas un seul instant à s'en servir. Il ne s'agissait pas seulement d'une menace en l'air, d'un objet destiné à soumettre autrui à sa volonté. Si le jeune allemand le présentait ainsi à eux, c'était bel et bien pour en faire usage.
— Je ne pense pas que ce soit la solution, avança Severus, qui se trouvait déjà dans l'optique très pragmatique de gagner du temps.
— Ah oui ? Et qu'est-ce que vous en savez ? C'est la guerre, je vous rappelle, qui est-ce qui ira pleurer sur un mort de plus ou de moins ?
— Mon père ne pleurera peut-être pas sur ma dépouille, mais je peux t'assurer qu'il mettra tout en œuvre pour que son unique héritier soit vengé, articula Draco, d'un calme qui l'étonna lui-même.
— Pas s'il sait quels penchants immondes sont les tiens, persifla Nott, qui ne semblait pas prêt à en démordre.
La gueule du pistolet pointé dans leur direction, l'urgence primait sur tout le reste. Les cerveaux fonctionnaient à toute allure. Ils se devaient de sauver leurs peaux et si l'envie de fuir la menace de l'arme à feu grandissait à chaque instant, Draco avait cessé depuis longtemps d'incarner la victime qui se serait enfoui en larmoyant. La guerre l'avait endurci, impitoyablement, et il s'apprêtait à en donner la preuve.
— Qui viendra le lui prouver lorsque je serais mort ? Si je disparais, tu dis adieu aux privilèges que tu voulais me dérober, cette place que tu n'obtiendras jamais.
Le pistolet souffrit un tremblement.
— Encore votre petit jeu ! Si vous saviez à quel point vous êtes pathétiques à vouloir sauver vos vies à tout prix. Je pourrais vous descendre tous les deux, comme des lapins !
— Tu as l'occasion rêvée, consentit à admettre Severus. Qu'est-ce qui t'en empêche ?
Un nouveau sourire. De ces rictus glaçants que Draco avait appris à craindre, à haïr, à souhaiter annihiler. La nuit les enveloppait et il craignit de ne jamais s'en échapper. Il refusait pourtant de mourir ainsi, alors qu'il se trouvait si proche de retrouver Harry, de le sauver pour de bon. Nott ne pouvait pas lui refuser cette chance.
— Vous avez déjà tiré sur un animal ? C'est tellement plus grisant de viser la jambe et de le regarder se traîner, de le regarder souffrir avant de l'achever. Tout comme la traque est meilleure que le résultat. Là, c'est pareil.
Le cerveau de Draco fit le lien et il risqua un regard pour Severus afin d'avoir la certitude qu'il en était de même pour lui. Un bref instant, il quitta des yeux la gueule affamée du pistolet. Il se consuma de peur lorsqu'une balle fendit l'air dans un sifflement déchirant. Nott venait de tirer en l'air, rien que pour le plaisir de voir l'effroi le capturer, fendre ses prunelles que la nuit assombrissait et le soumettre.
— Allez, je vais vous donner une chance de vous en sortir.
Le silence qui accueillit ses propos ne parut pas combler les attentes de Nott qui poursuivit malgré tout, de bonne foi :
— Si l'héritier Malfoy s'agenouille devant moi, je consens à vous laisser repartir et… et nous reprendrons notre petit arrangement.
— Jamais !
— Draco… gronda Severus.
— Arrête de te foutre de nous, cingla l'interpellé. Tu n'as pas l'intention de nous laisser nous en tirer.
Nott prit un air peiné qui révulsa Draco, une moue affligée qui n'avait rien de naturelle, encore moins de sincère. Dans l'ombre de cette ruelle, de ce monde endormi qui restait cloîtré chez soi même lorsque le coup de feu avait déchiré le silence placide de la nuit. Munich était en guerre, elle aussi, et sa population avait appris l'indifférence. Personne ne se risquerait à mettre le nez dehors à une heure pareille de la nuit et Nott le savait aussi bien que Draco.
— Quelle vision affligeante tu as de moi…
— Tu n'auras jamais la place que tu convoites. Ces places sont comptées et même si je consentais à t'offrir mon aide, elle ne serait pas suffisante.
— Si tu consentais ? C'est un acte de rébellion que je vois là ? Prends garde, j'ai toujours de quoi te faire chanter…
La mâchoire de Draco se contracta alors qu'il retenait la vérité de toutes ses forces. Severus l'observait du coin de l'œil, réfléchissant manifestement à une solution. Il aurait pu tenter de désarmer le garçon, mais il craignait qu'il se révèle plus habile qu'il ne le laissait paraître. Un coup de feu pourrait bien le cueillir avant qu'il ne mène son projet à bien. Enveloppé dans son vêtement large et sombre, il ruminait un plan, construisait une idée avant de la défaire.
— À moins que ça ne soit plus le cas… souffla Nott, guettant avec une certaine délectation les réactions qu'il tirait à ses deux interlocuteurs.
Draco mit en œuvre toutes ses leçons pour demeurer parfaitement impassible. Une ombre furtive se glissa sur les traits, mais s'envola avant d'être interceptée. Nott s'apprêtait à poser le doigt sur la vérité, une vérité qui les condamnerait. Son regard oscillait entre le visage du blond et celui de son aîné. Il secoua la tête.
— Bien sûr que ce n'est plus le cas, sinon vous n'auriez pas pris un tel risque. Votre but, qu'est-ce que c'était ? Me descendre histoire de veiller sur son silence ?
— C'est également ce que tu as l'intention de faire, remarqua Severus.
— Ouais, dommage pour vous.
— Lâche ton arme, siffla Draco. Lâche ton arme et on pourra discuter de notre arrangement.
— Oh non… Non, non, non. C'est trop tard pour notre arrangement. C'est trop tard pour vous.
Draco avait toujours imaginé que Nott tirerait sur lui en premier, qu'il descendrait en premier lieu son ennemi par simple esprit de vengeance. Pourtant, lorsque le déclic retentit, aucune douleur ne cueillit le blond, aucun écrin de souffrance. Rien. Rien à l'exception de ce silence assourdissant qui emplit ses oreilles et l'odeur de poudre qui parut l'asphyxier.
À défaut de cela, le corps de Nott accusa un recul conséquent et s'effondra au sol, sa chute ralentit sous le regard interloqué de Draco. Dans son ombre, et avant que le garçon n'appuie sur la détente, Severus avait sorti son arme et avait tiré un coup de feu. Un unique coup de feu qui avait déchiré l'épiderme en pleine poitrine. Un coup de chance, une seconde d'avance qui venait de les sauver. Ce fut du moins la pensée de Draco avant qu'un second tir ne parte, du pistolet de Nott cette fois.
Une ultime vengeance qui s'apprêta à les surprendre, à leur dérober ce qu'ils leur restaient : la vie.
Je sais, cette fin est cruelle et je m'en excuse. Vous avez un élément de réponse puisque Nott a bien pris une balle, mais qu'en est-il de la seconde ? Les épargnera-t-elle ? Qu'en pensez-vous ? Je vous laisse là-dessus en espérant que ce chapitre aura été... divertissant !
Pour ma part, je réfléchis depuis quelques semaines à un troisième Drarry et le projet se concrétise très largement. Je pense commencer l'écriture très prochainement et je vous en tiendrai informés. Je ne vous en dis pas plus, si ce n'est que ça sera très différent de cette fanfiction.
Je vous souhaite une belle semaine !
