Je remets une mise en garde. Je ne cherche surtout pas à heurter la sensibilité de qui que ce soit. Mon histoire a commencé à explorer une dimension délicate. Je vais commencer à parler de suicide, d'automutilation et de TCA. J'espère ne blesser personne en mettant des mots sur ces troubles.
Meredith passa la nuit à opérer, d'abord une appendicectomie et ensuite des calculs biliaires avec complications. Elle passa les dernières heures qui la séparaient du lever du soleil à mettre à jour ses dossiers et ceux du docteure Paulson. Au petit matin, elle se chargea de réorganiser et réalimenter le stock de fournitures de la mine et, peu avant que les gardes de jour ne commencent, elle avait effectué les pré-visites. Pas une seule minute n'avait passé sans qu'elle soit occupée. Ç'avait été son mécanisme de défense de nombreuses fois, se plonger dans le travail sans une seconde de répit pour éviter de réfléchir, de penser à ce, ceux qu'elle fuyait.
Six heures tapantes s'affichèrent sur la grande horloge de l'unité de soins intensifs et le docteure Grey soupira. Dans une heure, une nouvelle journée commencerait, encore une à affronter.
Une infirmière s'approcha.
« Docteure Grey ? »
Mer sursauta, surprise.
« Oui ? »
« On a urgemment besoin d'un lit en soins intensifs pour un trauma qui va sortir du bloc sous peu. »
« Je ne vois pas ce que je peux faire. »
« Le transfert de madame Luddington, de la chambre numéro 1, en chambre normale était prévu à 10 heures. Aucun de ses médecins n'est encore arrivé mais son état est suffisamment stable pour qu'elle soit transférée. »
« Il n'y a personne d'autre qui peut s'en charger ? »
« C'est vraiment urgent, docteure, » fit l'infirmière.
« D'accord. Je vais m'en occuper. Vous avez préparé les formulaires ? »
« Ils ont été signés par la patiente et ses médecins hier, il ne manque plus que votre signature pour approuver le transfert. »
Mer hocha la tête, signa les documents déposés sur le comptoir du poste de soins et entra dans la chambre d'Alicia.
Elle était endormie, ce qui rassura Mer, qui redoutait de devoir parler à quelqu'un. Imaginer le regard d'un de ses amis, même d'une brève connaissance, se poser sur elle la terrifiait. Parce qu'elle savait ce qu'elle pourrait lire dans leurs yeux. La désapprobation, l'inquiétude, la déception.
Le docteure Grey, assistée d'un résident dont le visage ne lui évoquait rien et de deux infirmiers, paramétra les moniteurs, les diffuseurs de médicaments, régla la pompe à morphine et après une demi-heure, ils purent transférer la patiente sur un lit classique qu'ils firent rouler jusqu'à l'ascenseur. Les étages défilèrent et, enfin arrivés au service post-opératoire, Alicia se réveilla entourée de gens et traversant les couloirs en silence.
« Meredith ? »
« Salut Alicia, reste tranquille, on est en train de te transférer en chambre normale. Ça veut dire que ton état s'est grandement amélioré. »
« Pourquoi c'est toi qui t'en occupes ? Sans vouloir te vexer, tu n'es pas mon médecin. »
« On a dû avancer ton transfert de quelques heures, un patient avait besoin de ta chambre en urgence. Et les gardes de jour n'ont pas encore commencé alors j'étais la seule disponible. »
« Hmm, » approuva Alicia.
« Tu as une tête affreuse. »
Mer lui adressa un petit sourire.
« Insomnie. Et la grippe traine partout dans l'hôpital. Ne t'inquiète pas pour moi. »
La patiente la regarda, l'air sceptique, puis se résigna à poser plus de questions et changea de sujet.
« Clive est au courant ? Parce que s'il arrive dans ma chambre là-haut et qu'il trouve un vieux motard avec ses deux jambes au bon endroit, je pense qu'il va paniquer. Il va sûrement croire que je suis morte. »
« Il a été prévenu au téléphone, » l'informa le résident inconnu.
« Bien. »
Ils arrivèrent dans une chambre vide.
« Voilà mon palace. Wow, superbe vue, » lança-t-elle avec ironie face à la fenêtre qui donnait sur bon nombre d'autres buildings.
Le bipeur de Meredith sonna à sa hanche.
« Désolée, il va falloir que j'y aille. Les infirmiers vont s'occuper de t'installer et tes médecins devraient arriver dans moins d'une heure. Pas de questions ? »
« Tu vas faire peur à tes patients avec une tête comme ça. »
« Ce n'est pas une question, ça. »
« Meredith. »
Alicia la regarda, la tête inclinée.
« Il faut vraiment que j'y aille. Je repasserai plus tard si j'ai le temps. »
Une fois arrivée à la mine, Meredith s'aperçu que le traumatisme en question était simplement une interne qui ne savait pas comment suturer une plaie en profondeur.
Elle regarda longuement l'interne, pour essayer de deviner si la fille se fichait d'elle, puis la fit venir dans une salle de trauma vide, loin du patient, et ferma la porte.
« Tu m'as bipée pour que je te montre comment suturer une plaie ? »
« Euh oui… »
« Et tu ne t'es pas dit que peut-être j'avais d'autres choses à faire ? » Se mit à crier à la résidente.
« Tu ne t'es pas dit que les urgences étaient pleines de médecins capables de te montrer comment faire cette procédure pour m'éviter d'abandonner un patient et de traverser tout l'hôpital ? »
« Je… »
« Procédure qui, en passant, est sensée être acquise depuis ta première année de fac de médecine ! Je ne sais pas ce qui ne va pas chez vous, les internes pour que vous réfléchissiez si peu. Alors la prochaine fois que tu fais encore preuve d'incompétence, tu vas voir un de tes collègue à proximité et qui est LIBRE pour qu'il t'explique la procédure ! C'est compris ?! » continua-t-elle en criant.
« Oui, docteure Grey, » murmura l'interne, la tête baissée.
De l'autre côté de la porte, dans les urgences, c'était le silence. Et lorsque le docteure Grey sortit de la salle de trauma, tout le monde la regardait. Folle rage, elle se retint d'exploser une deuxième fois et quitta la mine.
Une fois hors du service des urgences, Meredith ouvrit une porte à la volée et grimpa les escaliers quatre à quatre. À bout de souffle, elle arriva dans le service de post-op et aperçu le docteure Paulson, accoudée au poste des infirmières.
Ses poumons la brûlaient, son corps entier picotait, sa tête tournait et son cerveau tambourinait contre son crâne. Elle ne pensa pas un instant à prendre une pause et s'approcha de sa cheffe, faisant de son mieux pour avoir l'air normal.
« Bonjour, docteure Paulson. »
« Grey. Oh wow. Tu as une tête d'enterrement. »
« J'ai été malade toute la semaine, je n'ai pas encore réussi à me débarrasser de toutes mes cernes. »
Margot lui attrapa le bras et la tira dans une réserve de matériel dont elle verrouilla la porte.
« Tu sais ce qu'on s'est dit, toutes les deux ? »
« Pardon ? »
« On a dit qu'on n'était pas amies. Et puis tu as insinué que si. »
« Je ne vois pas où vous voulez en venir. »
« Ok, maintenant, tu vas m'écouter parler. »
Mer leva un sourcil, sceptique. Elle détestait cette situation.
« Ce stupide truc, d'être amies ou pas, on en a parlé le soir de Thanksgiving. »
Mer ouvrit la bouche, prête à protester pour pouvoir fuir la discussion.
« Laisse-moi parler, je t'ai dit. Sinon, tu es de corvées pour deux semaines. »
« C'est de l'abus de pouvoir, » répondit Meredith, les bras croisés sous sa poitrine.
« Je m'en fous. Je disais donc. Le soir de Thanksgiving, quand tu as pété un câble en haut, que tu t'es enfermée dans ta chambre et qu'on t'a plus revue de la soirée, je me suis inquiétée pour toi. Comme absolument tous ceux qui étaient autour de cette table, je sais. Mais à ce moment-là, j'ai réalisé qu'on était devenues amies, toi et moi. Non, laisse-moi terminer. Voilà où je veux en venir. Je suis vraiment nulle en amitié, c'est pas mon truc. Mais je sais qu'en tant qu'amie, je suis sensée m'inquiéter pour toi quand ça ne va pas et faire en sorte que ça s'arrange. Et j'imagine que tes petits copains résidents ne te l'ont pas dit mais pendant que tu étais malade, je suis passé chez toi quelques fois. Histoire de vérifier que tu t'étais pas tranché les veines. »
Mer frissonna à cette perspective.
« Vous voulez une médaille ? » elle demanda avec sarcasme et froideur.
« T'es pas croyable. Je n'ai pas fini. Chaque fois que je passais, on me disait que t'étais encore en train de dormir, que t'étais occupée ou dans la douche, ou alors la porte d'entrée étais simplement fermée à clé. Donc j'ai pas arrêté de m'inquiéter. Je n'avais aucune idée de ce qu'il se passait, personne n'en parlait et pendant une semaine, tu as été aux abonnés absents. Et là, ce matin, j'arrive et j'entends dire plein de trucs sur toi. »
« Arrêtez. »
« Je vois bien que quelque chose ne va pas, et que tu n'es pas simplement malade. Je veux juste… »
« Laissez-moi tranquille, je vais bien. »
« Je sais que tu mens. »
« Vous n'en savez rien. »
« Si je suis inquiète pour toi, imagine ce que tes meilleurs copains internes doivent ressentir. Tu laisses tout le monde dans le flou et pendant ce temps, tu te pointes avec une tête de déterrée. »
« On n'est pas amies, d'accord ? Vous allez me foutre la paix, maintenant ? »
Sans attendre de réponde, Mer déverrouilla la porte et disparut dans le couloir.
« Elle a pété un câble sur une interne tout à l'heure à la mine. »
« J'en ai entendu parler. »
Autour d'une table de la cafétéria, Alex et Cristina parlaient à voix basse, pleins d'inquiétudes.
« Tu ne l'as pas vue ? »
« Pas depuis hier matin à la réunion, » répondit Alex.
« Sérieusement ?! ça fait plus de 24 heures ! »
« Et elle n'est pas rentrée dormir cette nuit. »
« Ça m'étonne qu'Owen l'ait laissée faire une garde de nuit à peine revenue d'une semaine d'absence. »
« Elle l'a sûrement convaincu de lui foutre la paix. »
« Et tu dis qu'elle n'est pas sur le tableau des blocs ? »
Alex secoua la tête.
« J'ai vérifié dès que je pouvais depuis ce matin mais je n'ai pas vu son nom. »
« Je ne l'ai pas vue à la mine, quand j'y suis passée ce matin. Et il y a une vingtaine de minutes. »
« Il faut qu'on réfléchisse mieux. Ses internes, ils sont où ? »
« Avec Paulson. Elle les a réquisitionnés pour un cas, j'ai jeté un œil à la présentation, tout à l'heure. Une histoire de greffe. J'avais l'espoir de trouver Mer là-bas mais rien. »
« C'est pas normal, qu'elle disparaisse totalement comme ça. Et ça fait plus d'un jour qu'on a aucune nouvelles. Quelque chose ne va vraiment pas. »
« Alex. »
« Quoi ? »
« Je sais que tu ne veux rien me dire à propos de Thanksgiving mais je pense que ce n'est pas le bon moment pour avoir des secrets. Je commence à avoir d'autres genres d'inquiétudes pour Mer. »
Alex soupira, et se pencha sur la table.
« Promets-moi que tu ne le diras à personne, s'il te plait. Mer nous tuerait tous les deux. »
« Je te le promets. Mais si c'est vraiment nécessaire, ma promesse ira se fourrer où je pense. C'est compris ? »
« Je m'en doutais. »
« Raconte-moi. »
« Quand elle est montée, pendant le dîner, elle s'est enfermée dans la salle de bain et a donné un coup de poing dans le miroir. Bailey et moi nous sommes occupés de tout. J'ai soigné sa main et j'ai ramassé les morceaux de verre. Mais juste après que je sois sorti de la salle de bain pour aller les jeter à la poubelle, elle m'a fait revenir. Il y avait un énorme morceau de verre, Cristina. Genre vraiment grand et coupant, caché sous le meuble du lavabo. J'ai vu la manière dont elle le regardait. C'était… j'ai vraiment eu peur. Et si elle avait attendu une seconde de plus, je suis persuadé qu'elle ne m'aurait pas rappelé et qu'elle aurait laissé ce morceau de verre sous le meuble. Et… »
« Ok, c'est bon, j'ai compris. Arrête. Je ne vais pas perdre mon temps à te demander pourquoi tu as gradé ça pour toi, espèce de débile profond, parce qu'on dot vraiment faire quelque chose. Maintenant. »
Son cœur battait à tout rompre. Sa tête bourdonnait. Elle n'était rien sans Meredith.
« Bon. C'est plutôt calme en ce moment, tu vas demander à Webber, Owen et Bailey, je m'occupe de Paulson et Shepherd. Vérifie tous les observatoires, les blocs, le sous-sol et les urgences. Je m'occupe des post-op, pré-op, de l'USI et de la néonat. »
Cristina hocha rapidement la tête et se leva.
« Alex. Je commence vraiment à flipper. Mer, c'est… Elle ne peut pas… »
« Je suis sûr qu'on va la trouver, Yang. Et après, on l'aidera à s'en sortir. Ça va aller. »
Aussi rare qu'une comète, l'envie prit Cristina de serrer Alex dans ses bras. Elle n'en fit rien, lui adressa un sourire d'encouragement et quitta la cafétéria.
