Bon, j'avais émis l'idée il y a déjà un moment de ça, d'explorer ce qui pourrait être le futur de nos personnages, mais quand je lis ce que ça donne, je me demande si j'ai bien fait...
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Ça vieillit mal, les héros. Mais les connards aussi, ça vieillit mal, et quitte à vieillir, je préfère avoir été un héros.
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Toushirou Hijikata reprenait peu à peu conscience. Ses yeux papillonnèrent doucement avant qu'il ne réalise l'endroit où il se trouvait. Merde...Il s'était encore endormi en plein après-midi... Ça lui arrivait de plus en plus souvent.
Il grogna, les vifs élancements de ses articulations se rappelant à son bon souvenir, avant de prendre lentement plusieurs grandes inspirations pour remplir ses poumons douloureux. Il n'était décidément plus le même qu'auparavant...
Péniblement, il se redressa dans le fauteuil dans lequel il s'était assoupi, cherchant par habitude sa canne pour la poser sur ses genoux et s'occuper les mains. À quand remontait la dernière fois qu'il avait pu se mouvoir sans douleur, sans l'aide des médicaments ? Cela remontait déjà à plusieurs années... Et bien plus encore s'étaient passées depuis la dernière fois qu'il avait manié le sabre. La sensation de ses muscles vifs et puissants faisant voler la lame d'acier, des heures durant malgré la fatigue et les blessures était à présent tapie dans les tréfonds de ses souvenirs. Le dernier reliquat de cette époque était cette manière qu'il avait gardée de poser sa canne en travers de ses genoux, de la même manière qu'il tenait son katana à l'époque.
Ça vieillit mal, les guerriers.
Le Shinsengumi n'était plus, depuis bien longtemps déjà. Dans cette nouvelle ère moderne, on n'avait plus besoin d'eux et de leur sabres. La guerre se faisait autrement, avec d'autres armes. Cette dissolution s'était heureusement faite avec moins de violence que la première fois. Pas de condamnations, juste une décroissance naturelle, un effacement qui s'était fait petit à petit. Ses membres s'étaient reconvertis dans des professions plus adaptées à ce nouveau monde, pour fatalement s'éloigner les uns des autres. Dans les premiers temps, ils se voyaient encore souvent, par nostalgie, et parce qu'ils n'avaient pas vraiment d'autres personnes à fréquenter. Puis, ils s'étaient construits une nouvelle vie, avaient fait de nouvelles connaissances, fondé des foyers, le passé prenant de moins en moins de place dans leur vie. Ils restaient en contact, mais de plus en plus distant. Hijikata avait reçu, les années qui avaient suivi, des faire-parts de mariages, de naissances. De décès, aussi. Il en avait perdu de vue un bon nombre, recevant de temps en temps du courrier des plus fidèles. Des visites, plus rarement.
Au final, de tous ces camarades qui avaient avancé, il avait la sensation, lui, de ne pas avoir bougé de sa place. De ne pas avoir su évoluer, changer avec le monde. Il n'était pas resté à se morfondre, bien sûr. Il était allé de l'avant, en continuant, d'une manière différente, son travail dans les forces de l'ordre. Il ne savait rien faire d'autre, et n'était pas sût d'en avoir envie. Et puis l'âge, son mode de vie dangereux qui ne se souciait pas du lendemain avaient fini par le rattraper. Sa santé s'était altérée, petit à petit, jusqu'à le rendre inapte à la seule chose à laquelle il était utile. Il put cependant compter sur une certaine reconnaissance de son pays à l'égard de ceux qui l'avaient loyalement servi, lui permettant de vivre sans trop d'inquiétude le temps qui lui restait, et qu'il devinait compté, la difficulté qu'il avait à ouvrir les yeux à son réveil le lui rappelant chaque jour.
Ironie suprême, le seul qui faisait encore réellement partie de sa vie, qu'il voyait encore physiquement de façon régulière, était Sougo. En dépit de toute l'animosité qui avait pu exister entre eux depuis leur rencontre, il était comme une bouffée de nostalgie, la seule ancre qui le rattachait encore à la période de sa vie qui avait été son unique vie, n'ayant pas réussi à en reconstruire une nouvelle. Leur relation était peu ou prou la même qu'elle avait été à l'époque, électrique et conflictuelle. Et cela lui convenait. Lorsqu'ils s'envoyaient vacheries et insultes à la figure, il avait l'impression, la douleur et la faiblesse de son corps mis à part, d'avoir retrouvé ses vingt-cinq ans. À l'exception qu'ils ne s'échangeaient plus de coups et qu'il n'avait plus à esquiver de tirs de bazooka. Il n'en aurait de toute façon plus été capable. Son cadet lui rendait visite environ une fois par semaine, ne prenant pas la peine de frapper, ayant le double des clés qui avait été donné à Hijikata à la location. Cela pouvait paraître comique, que Sougo s'avère être la personne de confiance sur qui il comptait pour intervenir en cas d'urgence, et on lui aurait dit ça bien des années plus tôt, il aurait conseillé au petit comique de diminuer sa consommation d'alcool. À chaque fois, il ouvrait la porte, retirait ses chaussures en lançant à la cantonade un « Alors, Hijikata, tu es mort ou pas encore ? », tendait l'oreille pour écouter l'insulte qui lui était servie en réponse, renchérissait, et la journée se poursuivait comme ça. L'ancien vice-commandant savait que, malgré tout, il était pour Sougo ce que Sougo était pour lui-même, le dernier rappel d'un passé révolu. Raison pour laquelle il le gardait ainsi dans sa vie. Ils se disputaient, discutaient un peu, se donnaient des nouvelles, enfin, Sougo donnait des nouvelles et Hijikata écoutait, lui n'en ayant pas vraiment à raconter. Il donnait aussi un petit coup de main à son aîné lorsque celui-ci s'avérait trop fatigué ou endolori, ne manquant pas de le faire râler en lui balançant qu'il n'avait pas besoin de lui, le jeune s'amusant à lui rappeler son impotence grandissante. Malgré tout, Hijikata finissait toujours par prendre les médicaments qu'il lui rapportait ou par manger le plat qu'il lui avait préparé. Puis Sougo partait, pour revenir la semaine suivante dans un décor qui n'avait pas changé, son petit appartement presque vide en-dehors du strict nécessaire, rien qui pouvait témoigner d'un quelconque loisir ou occupation qu'aurait pu avoir l'occupant des lieux.
- Tu crois pas que tu pourrais faire l'effort de te bouger un peu ? s'était agacé Sougo lors de plusieurs de ses visites. Fais quelque chose, sors, parle à des gens. Des gens vivants. La vie continue, là-dehors, tu sais ? Arrête un peu de t'accrocher au passé.
- Je ne m'accroche à rien du tout, rétorquait-il. Est-ce que tu m'as jamais vu retenir qui ce soit ?
- Non, parce que ton foutu caractère pseudo-héroïque sacrificiel t'en empêche. Tu l'aurais fait si tu l'avais pu. Tu veux pas vivre pour toi, un peu ? Il y a pas quelque chose... que tu aurais voulu faire ?
- Ce n'est pas toi qui me disait tout à l'heure de ne pas vivre dans le passé ? Ça ne me servirait à rien d'avoir des regrets.
- Je dis ça parce qu'il n'est peut-être pas trop tard pour tout... T'as pas encore les deux pieds dans la tombe, non plus. Juste un. Saute à cloche-pied.
Hijikata réfléchit un instant. Des choses qu'il aurait voulu faire ? Qu'il aurait voulu faire différemment, peut-être ?
- Cela ne changerait pas grand-chose, non ? À cloche-pied, comme tu dis, je serai contraint d'avancer seul, ou alors, je devrais retenir quelqu'un pour m'appuyer sur son épaule. Je ne veux empêcher personne d'avancer, Sougo. J'admets que je n'ai pas réussi autant que les autres...
Il massa un instant avec une grimace son torse qui l'élançait et releva les yeux sur celui qui lui faisait face, à présent un adulte accompli, mais dans le regard quoique mûri duquel il retrouvait l'agaçant sale gosse qu'il avait connu. S'il ne reniait pas son passé, et aimait à l'occasion se plonger dans de vieux souvenirs, il n'y vivait pas. Contrairement à lui, il respirait la santé et avait des projets plein son futur. Il s'était bâti une nouvelle vie, jusqu'ici en faisant l'effort de l'y inclure un petit peu, mais cela ne serait bientôt plus possible : Sougo lui avait annoncé le mois dernier qu'il allait déménager, s'installant dans une autre ville. Son départ était prévu pour demain ; aujourd'hui était sa dernière visite...
- … Mais je refuse d'être un boulet pour qui que ce soit. Tu es bien placé pour le savoir, puisque bientôt, toi aussi, tu vas bientôt me laisser...
- Est-ce que c'est un reproche ? Tu essaies de me faire culpabiliser ? rétorqua-t-il du ton sarcastique qu'Hijikata connaissait bien, de celui qui lui mettait le nez dans ses propres absurdités.
- Pas du tout, ne l'entends pas comme ça. Ça fait déjà un moment qu'il n'y a plus de place pour moi dans ta vie. Il fallait bien que ça arrive un jour ou l'autre.
- Tu veux venir avec moi ?
Il haussa les sourcils en le dévisageant, surpris. Il chercha l'ironie sur son visage, mais celui-ci ne reflétait qu'une vague curiosité alors qu'il attendait visiblement une réponse. Mais il savait très bien que quand il le voulait, il pouvait parfaitement dissimuler ses pensées. Même après toutes ces années, il y avait encore des chemins de pensée, des sous-textes cachés dans les paroles de Sougo qui lui restaient obscurs. Finalement, il secoua la tête avec un demi-sourire.
- Non merci. Je ferai tache dans le décor.
- Mouais, ça, j'ai l'habitude.
- À quelle heure est ton train, demain ?
- Tôt... à sept heures. D'ailleurs, faudra que je repasse avant te déposer deux-trois petites choses que j'ai oublié. J'en profiterai pour te laisser les clés, j'imagine que tu dormiras encore...
Hijikata se contenta de hocher la tête.
- Claque bien la porte en partant.
- Boarf, tu sais, plus personne en veut à ta vie à présent. Et il n'y a rien à voler, ici.
Il fut l'heure pour Sougo de partir peu de temps après. Ils ne se dirent rien de plus que les salutations habituelles, comme s'ils allaient se revoir comme de coutume la semaine d'après. Ce ne fut qu'une fois sur le pas de la porte ouverte que le cadet se retourna :
- Et puis, pas la peine de tirer la gueule comme ça. Je vais juste dans une autre ville, je ne pars pas sur une autre planète. Et quand bien même, de nos jours, se déplacer entre les systèmes coûte à peine plus cher que le prix du ekiben qu'on mange pendant le voyage.
- Pfff, sérieux, t'es encore là-dessus ?
- Oh, va chier.
Hijikata éclata de rire alors que la porte claquait. Est-ce qu'il rêvait, ou est-ce qu'il venait de lui laisser le dernier mot ?
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Comme souvent, ce furent les douleurs dans la poitrine qui le réveillèrent. Brumeux, il chercha à tâtons le flacon de pilules et la bouteille d'eau qu'il gardait près de sa couche et en prit deux en mode automatique. Ce ne fut qu'une fois à moitié sorti des limbes du sommeil qu'il se souvint que ce matin, contrairement aux centaines qui avaient précédé, était particulier. Il se redressa d'un bond, totalement réveillé, grimaça lorsque la raideur dans ses membres se réveilla à son tour, et saisit son réveil. Il était déjà huit heures... Sougo avait dû passer depuis longtemps. Il n'avait rien entendu. Malgré tout, il se leva, lentement, s'aidant de sa canne sur laquelle il s'appuya afin de rejoindre le salon. Tout était calme, il n'y avait plus personne. Il avait beau déjà le savoir, il ne put s'empêcher de sentir un léger pincement au cœur. Un sac de médicaments était posé sur la table, et le léger désordre qu'il n'avait pas eu le courage de ranger avant d'aller se coucher avait été remis en place. Surprenant... Le connaissant, il y avait sans doute un « crève, Hijikata » écrit quelque part, peut-être dans les toilettes, à l'intérieur d'un placard... ou même sur son dos, il avait vraiment le sommeil lourd, à présent. Il ressentait une curieuse hâte à le découvrir. C'était sans doute un des derniers souvenirs que lui laisserait Sougo. Il n'avait pas oublié ce qu'il lui avait dit avant de partir, et il savait que ce n'était pas son genre de lancer des paroles en l'air, mais... Il avait sa propre vie, maintenant. Le visiter ce serait pas sa priorité, et il ne pourrait pas lui en vouloir pour ça.
Un coup d'œil au crochet près de la porte lui confirma que le double des clés y avait été déposé. Il soupira. La prudence voudrait qu'il le donne à quelqu'un d'autre au cas où il aurait besoin d'aide, mais il n'avait personne à qui demander ça. Il connaissait à peine ses voisins.
Le jour était donc venu... Le jour où il avait perdu la dernière attache à son passé. À sa vie. Il n'avait plus rien à faire... à part attendre...
Mécaniquement, comme tous les jours, il se dirigea vers son fauteuil et appuya sa canne contre l'accoudoir. Mais juste avant qu'il ne s'y assoie, il remarqua qu'un objet brillant avait été déposé sur le coussin. Il s'en saisit, les sourcils froncés, et l'examina. Une montre... ?
Il était sûr qu'elle n'était pas à lui. Sougo avait dû l'oublier. C'était étrange, cependant, il ne l'avait jamais vue à son poignet. D'ailleurs, il n'aimait pas les montres, ça le gênait. Il était pourtant persuadé de l'avoir déjà vue quelque part. Du bout du doigt, il effleura une tache noircie sur le boîtier ancien.
Et il se souvint.
Cette montre... Elle appartenait à la famille Okita. Au père de Sougo, et de Mitsuba. C'était cette dernière qui l'avait conservée, son petit frère ne voulant pas la porter. Étant jeune, elle avait promis de l'offrir plus tard à son fiancé ; ce qu'elle avait fait, lorsque ça avait fini par arriver. Sougo l'avait récupérée sur les restes roussis de cette pourriture qui ne la méritait pas. Il l'avait fait réparer, visiblement, mais n'avait pas cherché à effacer cette trace de brûlure, comme un rappel... Et un avertissement, pour le suivant qui porterait cette montre.
Les doigts de l'ancien vice-commandant se serrèrent autour du petit objet. Tremblant, les jambes menaçant de lâcher, il s'assit maladroitement, puis regarda à nouveau le cadran où la trotteuse tournait à son rythme imperturbable. L'ayant fixé pendant quelques instant, il referma le poing, et le serra contre son cœur. Le tic-tac régulier était venu briser le silence constant de la pièce. Beaucoup de gens n'aimaient pas ce rappel sonore du temps qui passe et fuit ; lui n'en ressentait aucune crainte. Il se sentit somnoler ; il était encore si fatigué... Il ferma les yeux, se laissant bercer par le son léger. Son esprit s'évada peu à peu, avec sur ses lèvres le premier vrai sourire apaisé depuis bien des années.
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Voici donc la fin de ce chapitre de la déprime... J'ai même dû mettre une référence à Kaamelott dans le titre pour me remonter le moral. Et actuellement, c'est le dernier que j'ai en stock. J'espère cependant trouver d'autres idées, je m'en voudrais de finir là-dessus ! TT
