Hello à tous !
Un plaisir de vous retrouver pour un nouveau chapitre de cette fic qui va très bientôt fêter ses... trois ans ! C'est un peu vertigineux quand on y pense ! Je ne pensais pas être capable d'écrire quelque chose d'aussi long sans perdre le fil ou l'envie. Alors c'est vrai il y a eu de petites périodes de pause, mais on tient le cap ! Et puis... c'est vrai que, je ne sais plus si je l'ai mentionné, mais... de toutes celles que j'écris, c'est ma fic préférée ;)
J'espère que ça va vous plaire ! Le titre du chapitre se réfère à morceau de Low Roar, groupe découvert grâce à Death Stranding, et que j'aime tout particulièrement.
Enjoy !
PS : Pour les gens qui suivent Le Voyage de Luna, le prochain chapitre est en cours d'écriture et avance bien !
CHAPITRE CINQUANTE-ET-UN : Breathe In
I
Noctis recracha du sang, mais il n'avait rien de grave : il s'était juste mordu la langue dans le choc. Il remua ses membres pour vérifier, mais non, rien de cassé. Il se releva avec peine, s'appuyant sur les débris d'un vaisseau. Ils avaient sauté avant de s'écraser au sol, se téléportant un peu au hasard. Il essaya de discerner ce qui l'entourait, mais une fumée épaisse avait remplacé le brouillard de l'aurore. Il faisait sombre. Il releva la tête et aperçut le soleil miroiter faiblement à travers les volutes grises.
« Noctis ! »
Il tourna la tête en direction de la voix et reconnut Cor. Son soulagement était tel qu'il en avait oublié les formalités.
« Je vais bien », le rassura-t-il. Mais les autres ? Il pivota sur lui-même à la recherche de signes de vie.
Le champ de bataille était un un chaos de carcasses de vaisseaux encore fumantes, de corps brisés jonchant le sol. Il retint un haut-le-cœur quand il prit conscience des odeurs d'huile, de sang, d'entrailles et de métal carbonisés qui saturaient l'atmosphère. Cor s'agitait à côté de lui, essayant de joindre les autres par la radio, distribuant des ordres pour rassembler les survivants et prendre en charge les blessés. Ses oreilles sifflaient et le vertige lui embrouillait la tête. Il voulait partir d'ici, s'emplir les poumons de l'air pur et glacé des montagnes, retrouver les vastes perspectives du ciel. Mais avant... Il devait s'assurer que les autres allaient bien. Lui aussi appela à sa radio, mais ne reçut aucune réponse. L'inquiétude commença à tordre ses entrailles tandis qu'il essayait vainement de percer le nuage de fumée qui l'entourait, en quête d'une silhouette familière. Il appela à voix haute, de plus en plus fort, s'écorchant la gorge tandis qu'il avalait de l'air toxique à chaque inspiration. Malgré la présence de Cor et des soldats qui se rassemblaient autour d'eux, il se sentait totalement seul, et de plus en plus paniqué. Il ne pouvait pas perdre Prompto, pas plus qu'il ne pouvait perdre Ignis et Gladio. Il avait désespérément besoin d'eux. Il n'était pas prêt à affronter le monde sans eux. Et après tout ce qu'ils avaient vécu, tout le chemin qu'ils avaient parcouru, il refusait d'accepter que leurs chemins se séparent aussi soudainement, avant même d'avoir atteint leur objectif, et cette paix qu'ils désiraient tous ardemment.
Il entendit quelque chose derrière lui et se retourna, plissant les yeux pour mieux voir. Il lui sembla alors que l'épaisse fumée obscurcissant son environnement se dissipait soudain, et un sourire incrédule se peignit sur ses lèvres lorsqu'il vit le jeune homme clopinant entre les débris.
« Prompto ! »
Il se précipita vers lui, toucha ses bras, son visage, son torse dans des gestes fébriles.
« Tu vas bien ? T'as quelque chose de cassé ? Est-ce que...
— Ça va », l'interrompit le blond avec un sourire qui fit pétiller ses yeux bleus, deux îlots clairs perdus dans la crasse qui noircissait son visage. « Je suis entier. Même si piloter ce gros vaisseau c'était probablement le plus grand exploit de ma vie... J'avais pas envie de mourir tout de suite. »
Noctis le regarda en clignant des yeux, le revoir c'était une sensation poignante, bouleversante, et après une journée aussi horrible, le flot émotionnel le désorienta, accentuant son vertige. Il sourit aussi et murmura :
« T'oublies le dragon... Ok t'as surtout pris des photos, mais c'était la meilleure séance photos ever ! »
Le blond rigola et acquiesça :
« Carrément. Là j'étais un peu trop occupé pour les photos, mais j'en ai quand même pris quelques-unes, dont une d'Ignis qui cherche désespérément ses lunettes.
— Oh... J'espère qu'il les a retrouvées... Ça le rend fou quand il les perd...
— J'ai bien mes lunettes », intervint une voix posée, bien qu'un peu faible.
Il sentit un poids supplémentaire quitter sa poitrine en apercevant son conseiller.
« Ignis... Tu vas bien ? T'as vu Gladio ?
— Pas encore mort... » grogna le bouclier en se traînant derrière Ignis, se tenant les côtes.
Cor s'approcha d'eux et termina de desceller sa poitrine comprimée par l'angoisse :
« La reine est en sécurité, avec le général. Il faut nous mettre en route. Vous quatre, rejoignez-la au plus vite, je m'occupe du reste. »
Il ne trouva en lui aucune volonté de protester, même s'il se sentait responsable de tous ces gens qui avaient combattu avec lui. Alors il se mit en route avec sa garde, espérant de tout son cœur qu'il y avait plus de survivants que le champ de bataille ne semblait l'indiquer.
II
Luna les attendait avec Ravus et un petit contingent de soldates à la lisière d'une épaisse forêt de conifères qui tapissait la montagne jusqu'à la vallée. Ici, la fumée était moins épaisse, et ils purent distinguer la lumière du soleil qui s'affaiblissait doucement dans sa course jusqu'au soir. Luna et Ravus avaient l'air inquiet, mais la tension sur leur visage se relâcha un peu en les voyant arriver. Il s'approcha de son amie et ils échangèrent un long regard, hanté par ce qu'ils venaient de vivre, et effrayé par ce qu'il leur restait à accomplir.
« Noctis... » Luna esquissa finalement un sourire. « On a réussi. »
Il hocha la tête, son incrédulité faisant écho à celle de son amie.
« Il fallait bien... Mais c'est pas fini.
— Je sais. La nouvelle de la victoire va se répandre comme une traînée de poudre... À mon avis, on n'aura même pas besoin d'unifier la résistance. Ils vont sauter sur l'occasion de se joindre au combat. »
Il l'espérait aussi. Ils avaient désespérément besoin de soutien. S'ils voulaient porter la guerre jusqu'au cœur de l'empire... Oui, ils auraient besoin de toutes les ressources qu'ils pourraient mobiliser à Tenebrae.
Ravus, qui visiblement tentait désespérément de refouler sa nervosité, les quitta soudain pour repartir en direction du champ de bataille, sans un mot. Noctis savait pourquoi. Le prince n'avait attendu que leur arrivée pour se permettre de quitter Luna et d'aller chercher celui qu'il aimait. Il espéra que Nyx allait bien. Il leur avait sauvé la mise à Insomnia... Et ils n'auraient pas gagné cette bataille sans lui. Et en plus, il l'aimait bien. Il voulait terminer cette guerre avec lui. Mais... il s'estimait déjà plus que chanceux d'avoir ses plus proches amis en vie, avec lui, déjà prêts, ou presque, au prochain combat. Ils étaient épuisés, mais ils ne pouvaient pas traîner ici. Les renforts n'allaient pas tarder. Alors, ils s'engagèrent sous le couvert des arbres et se forcèrent à avancer à un rythme rapide malgré le terrain accidenté et les blessures et muscles trop sollicités qui les tiraillaient.
La dernière fois que Noctis s'était rendu à Tenebrae, ça remontait à son enfance, et ça lui faisait une sensation bizarre de fouler de nouveau ce territoire à la fois familier et étranger. Son séjour prolongé dans la capitale lui avait fait découvrir bien des choses sur le monde, et c'était là que Luna et lui avaient forgé les bases d'une solide amitié que le temps, la politique et leurs déboires personnels n'étaient pas parvenus à mettre en péril. Il avait toujours aimé cette nation aux paysages majestueux – pour lui, ils dégageraient toujours une aura féérique et mystérieuse. Il se demanda s'ils traverseraient l'un de ces vastes champs de fleurs de scylles au violet hypnotique se détachant sous l'azur du ciel. En tout cas, malgré, ou peut-être à cause de la brutalité de la bataille qu'il venait de mener, le charme ensorcelant de ces terres ancrées dans son imaginaire l'aida à se calmer, à clarifier son esprit encore saturé du vacarme des combats. Dans son enfance, Tenebrae avait été une échappatoire, et était resté dans son esprit comme le lieu où les rêves pouvaient s'accomplir. Et s'ils gagnaient cette guerre, ici, grâce à ce pays... Alors ce serait bien la première fois que sa naïveté d'enfant ne l'aurait pas trompé.
C'était difficile d'avancer, et l'inquiétude le taraudait sur la suite des événements, d'autant plus qu'il était pour le moment impossible de savoir à combien s'élevaient leurs pertes, ni même s'ils pourraient aller loin avant de se faire coincer par les troupes impériales. Alors il se concentrait sur le parfum résineux et terreux des sous-bois, sur la présence de Pompto qui marchait à ses côtés, plongé dans ses propres pensées, mais toujours là avec lui, tout comme Gladio et Ignis qui suivaient de près derrière eux.
Il ne savait même pas où ils allaient exactement, juste que le plan consistait à se disperser dans le maquis en attendant de pouvoir organiser la résistance avec les cellules locales. Les contacts déjà établis par Luna lui avaient permis de découvrir l'une de leurs planques, et c'était la destination de leur petit groupe. L'assurance de Luna sur leur capacité à fédérer et mobiliser rapidement des troupes le rassurait. Et après tout, elle connaissait mieux Tenebrae que lui, alors si elle pensait que c'était réalisable... Lui se trouvait trop loin de son pays pour organiser un tel mouvement à l'échelle d'une nation, et il devait admettre que ça l'arrangeait bien. Il était de fait le roi du Lucis, mais il ne parvenait toujours pas à se voir comme tel, et ce serait sans doute aussi difficile pour ses sujets : après tout, il était toujours resté on ne peut plus discret de puis son enfance, et il avait disparu du pays après la chute d'Insomnia. Ça lui semblait presque malvenu de retourner prétendre gouverner un peuple pour qui il ne représentait rien, sinon le fils de Regis. Il devrait pourtant, imaginait-il, revenir prendre sa place au terme de la guerre, mais cette perspective lui paraissait encore trop lointaine, trop... fictive. Les temps étaient trop incertains pour se mettre à penser à l'après-guerre. Quand le temps viendrait, il réfléchirait et prendrait des décisions. D'ici là, la paix n'était encore qu'un rêve, une lueur fugace dans la nuit. Et puis... il n'avait aucun doute qu'Ignis avait déjà des plans pour tout, une fois que tout serait terminé. Il l'espérait un peu, d'ailleurs, car il savait qu'il aurait désespérément besoin de ses conseils quand ce moment viendrait.
III
Ils étaient tous épuisés, courbatus, en nage et affamés quand ils parvinrent enfin à leur destination des heures plus tard. Ils se trouvaient toujours au cœur d'un réseau dense de montagnes escarpées, où la lumière se faufilait de façon oblique, soulignant des rubans de forêt ou des formations rocheuses fantastiques se découpant dans le ciel qui, en s'assombrissant, prenait une teinte améthyste non sans rappeler le bleu-violet des fleurs de scylle. Droit devant eux, à quelques centaines de mètres en contrebas tandis qu'ils émergeaient de la forêt, une sorte de hameau constitué de vieux corps de ferme délabrés plantaient ses antiques racines à flanc de falaise, au milieu des pins qui avaient colonisé cette partie de la montagne. À première vue, l'endroit lui parut désert, mais en s'approchant, il distingua quelques silhouettes s'activant à l'extérieur, et un filet de fumée s'élevant d'une cheminée. L'endroit était imprégné d'un tel calme qu'il avait du mal à imaginer qu'ils se trouvaient toujours dans un pays en guerre, et qu'ils n'étaient réellement en sécurité nulle part, pas même dans cette région reculée.
Dès qu'ils firent leur entrée dans le minuscule village, un petit groupe se rassembla pour les accueillir. On leur offrit des sourires teintés d'une incrédulité qui fit oublier à certains de s'incliner devant leur reine tandis qu'on le dévisageait avec curiosité. Puis, il entrouvrit les lèvres de surprise quand son regard se posa sur un visage familier.
« Weskham ?! Je... Je vous croyais à Altissia... »
L'homme s'approcha et lui tendit la main.
« Ravi de te revoir, Noctis. Cor n'est pas avec toi ? »
Il secoua la tête.
« Non... Resté en arrière organiser la dispersion des troupes...
— Quel dommage... J'aurais bien aimé évoquer le bon vieux temps autour d'une chope de bière. Ici, on la fabrique nous-mêmes !
— Monsieur, intervint Ignis. Nous ignorions votre implacation dans la résistance tenebraenne. »
Weskham éclata de rire.
« Ce n'est pas parce que je t'ai connu tout gamin que tu dois te montrer si formel... » Il regarda leur groupe avec un doux sourire, et ajouta : « J'ai rejoint la résistance il y a un an. C'était convenu avec ton père, Noctis, et avec Cor. Nous savions que nous aurions besoin d'alliés chez nos voisins quand la guerre finirait par éclater. »
Noctis fronça les sourcils. Pendant un an, il avait été trop occupé par son nombril pour prendre conscience des événements qui se profilaient à l'horizon. Il avait préféré ignorer ce qui se tramait, par peur de s'y retrouver mêlé. On pouvait dire que c'était réussi ! Et pendant que son père portait seul le poids de ses responsabilités, il s'était laissé absorber par ses propres drames intérieurs, et lui avait causé encore plus de soucis. Il secoua la tête pour chasser ces ruminations éveillant toujours la culpabilité qui aimait lui mordre ses tripes, et fixa de nouveau son attention sur Weskham. La dernière fois qu'il l'avait vu, il avait quinze ans. C'était pendant des vacances à Altissia, l'une de ces rares occasions où son père et lui avaient pu partager quelques moments loin du palais. Il gardait un bon souvenir de cet homme affable et discret, dont le regard brillait d'intelligence.
« Je suis content de vous voir... »
Weskham eut un sourire qui le remua, car il était... presque tendre. Presque paternel. Une expression qu'il ne pensait pas revoir un jour... Il déglutit, refoulant l'émotion, et Weskham répondit :
« Moi aussi. » Puis, il regarda l'anneau passé à son doigt. « Les rumeurs sont vraies, semble-t-il. Le pouvoir du Cristal...
— Je l'ai donné », acheva Noctis pour lui avec une note de défi dans la voix.
L'ami de son père hocha la tête avec un paisible sourire.
« C'était sacrément audacieux. Et on dirait que ça vous a bien servi. Puisque vous êtes là... »
Noctis s'assombrit.
« On a perdu beaucoup de monde...
— C'est la guerre, acquiesça Weskham, son regard chaleureux se voilant un instant de tristesse. Mais il nous reste beaucoup à faire, reprit-il, et vous devez être épuisés. On va vous préparer à dîner et vous donner un coin où dormir. »
Après une autre courte séance de présentations avec le reste des résistants, ils se dirigèrent vers le bâtiment le plus imposant, une grande longère retapée et réaménagée avec les moyens du bord. À l'intérieur, ça sentait le feu de bois, la cire, la pierre et l'humidité : dans sa tête, le mélange caractéristique des maisons de vacances. Il n'y avait pas grand-chose à voir dans la grande pièce principale où les meubles de récup ou de fabrication maison se faisaient rares. Un large espace entourait l'imposante cheminée qui accueillait un feu réconfortant, donc les craquement ponctuaient agréablement le silence des lieux. Ils s'assirent devant à même le sol, sans cérémonies. C'était l'un des rares aspects de la guerre qui allait dans son sens : on oubliait facilement la hiérarchie dans les moments de paix qui les laissaient respirer entre les combats.
On ne tarda pas à leur apporter un repas simple mais consistant à base de viandes et de légumes longuement mijotés à la marmite. Un bouquet d'herbes aromatiques venait compléter les saveurs réconfortantes du bouillon, et il mangea sans se faire prier, en silence tandis que ses compagnons dévoraient leur bol avec au moins autant d'appétit. La journée avait été très longue, et le corps réclamait son dû malgré, et peut-être à cause des terribles épreuves d'aujourd'hui, y compris celles qui auraient dû leur couper l'appétit pour toujours. L'important, ce soir, ce n'était pas seulement de rester en vie, mais de se sentir en vie. Alors ils mangèrent jusqu'à ce que leurs estomacs se calment, ainsi que leurs cœurs. Une douce torpeur ne tarda pas à les envahir, et ils regagnèrent rapidement la chambre qu'on leur avait assignée. C'étaient juste quelques paillasses à même le sol, mais aucun d'entre eux n'y vit un quelconque problème. Dormir, c'était en cet instant la chose la plus fabuleuse et désirable du monde, peu importait où et comment. Ils se couchèrent donc et sombrèrent tous dans un profond sommeil peu de temps après avoir posé la tête sur un oreiller de fortune.
IV
« Commandant... Par ici... » fit une voix faible sur sa droite.
Aranea ne parvenait toujours pas à l'appeler « général », mais il ne lui en tenait pas rigueur. Les vieilles habitudes ont la peau dure. Il se dirigea vers la voix, dissipant la fumée devant lui d'un geste du bras impatient. Aranea était à moitié enfouie sous des débris de vaisseau, et trouvait quand même le moyen de sourire, une expression presque inquiétante à travers la crasse et le sang croûtant son visage. Il s'empressa de la dégager et l'aida à se relever. Elle flagella un peu sur ses jambes, mais tint bon.
« Je ne sais pas si les autres ont survécu », souffla-t-elle.
Il hocha la tête avec raideur et se mit à fouiller les décombres alentour, son cœur pulsant désagréablement dans sa gorge sèche. Cœur qui, d'ailleurs, se figea dans un étau glacé lorsqu'il aperçut une main noircie émergeant des débris, portant une chevalière qu'il reconnut aussitôt. Il ne resta pas longtemps paralysé et se précipita pour dégager le corps, ce qu'il accomplit en un instant, bien que dans son esprit, le temps s'était suspendu. Il posa des doigts glacés sur la jugulaire de Nyx à la recherche d'un pouls, et ses yeux s'emplirent de larmes de soulagement quand il en trouva un, bien que faible. Les médecins manquaient désespérément ou étaient déjà occupés ailleurs, alors il s'occupa de prodiguer les premiers soins avec ce qu'il avait appris sur le tas, à la guerre. Il s'était rafistolé lui-même plusieurs fois avant ça. Puis, il plongea une main dans son manteau et en sortit une flasque dont il fit boire quelques gorgées à Nyx. Celui-ci se réveilla soudain en crachant, les yeux humides.
« C'est comme ça que tu bois mon meilleur whisky ? » le railla Ravus d'une voix qui tremblait un peu.
Nyx mit quelques secondes à répondre, posant sur lui un regard confus, comme s'il se demandait ce qu'il faisait là. Puis, il croassa un rire rauque et hocha la tête.
« Donne-m'en encore. »
Ravus accéda ausitôt à sa demande, et tourna la tête en voyant s'approcher Aranea avec deux autres soldates. Elle secoua la tête tristement, lui signifiant qu'elle n'avait trouvé personne d'autre. Il soupira, et reporta son attention sur Nyx.
« On a gagné, annonça-t-il. Mais on doit partir d'ici, et vite.
— Quoi, t'as pas envie d'un second round avec les renforts ?
— Je préférerais éviter.
— Noctis et Luna ?...
— Ils vont bien. Ils sont partis devant. On n'a plus qu'à les rejoindre.
— Dis comme ça, ça a l'air facile, mais je parie que c'est à perpète, hein ?
— Quelques heures de marche, lui accorda Ravus de mauvaise grâce.
— Alors je vais probablement avoir besoin de quelques gorgées de plus de ton meilleur whisky... »
Ravus regarda son compagnon boire, ses tripes se tordant d'anxiété. Pourvu qu'il ne soit pas gravement blessé... Puis, il l'aida à se remettre sur ses pieds.
« Tu peux marcher ?
— Avec toi ? Jusqu'au bout du monde », fanfaronna la Lame royale.
Il lâcha un soupir faussement agacé et ils se mirent en route avec Aranea et les autres survivantes. Il savait où ils allaient, et il doutait fort d'y parvenir avant la tombée de la nuit. Ils devraient dresser un campement de fortune dans la forêt. Pourtant...
« Je rêve d'un bon bain chaud... déclara Nyx, en écho à ses pensées.
— Tu en auras un quand on sera arrivés, je te le promets.
— Y a intérêt... »
Ils quittèrent lentement le champ de bataille, et Ravus respira mieux lorsqu'ils retrouvèrent le couvert des arbres, s'enfonçant au cœur de la forêt, là où il serait difficile de les retrouver. Comme il l'avait prévu, le soir tomba alors qu'ils se frayaient toujours un chemin, de plus en plus péniblement, à travers les pins indifférents. Heureusement, il ne tarda pas à entendre le bruissement d'un ruisseau non loin en contrebas.
« On est presque arrivés, encouragea-t-il Nyx autant qu'il s'encourageait lui-même.
Son compagnon pesait de plus en plus sur lui et semblait au bord de l'évanouissement. Ils suivirent un sentier accidenté dans la mousse, et finalement trouvèrent la rivière, tranluscide dans le rougeoiment diffus du crépuscule qui filtrait à travers les aiguilles de pin.
« Tu m'avais promis un bain chaud, pas une douche dans une rivière glaciale, protesta mollement Nyx.
— Quand on sera arrivés, j'ai dit. On n'est pas encore arrivés. Mais on va s'arrêter là pour la nuit. »
Il déposa Nyx près de l'eau le plus délicatement possible. Ils commencèrent tous à se débarbouiller avec l'eau de la rivière, effectivement glaciale, mais ce fut une véritable bénédiction. Même Nyx reprit un peu de couleurs. Puis, Ravus s'employa à trouver du bois sec pour démarrer un feu de camp, et ils s'assemblèrent autour pour manger leurs rations. Aucun d'entre eux n'avait envie de parler, et ils se contentèrent du crépitement des flammes et du murmure de la rivière mêlée au chuintement doux du vent dans les arbres. Et la nuit passa, entre les tours de garde, les mauvais rêves et les frissons de froid. Ravus ne dormit guère, gardant un œil sur Nyx et sur les alentours plongés dans les ténèbres. Son esprit était trop lourd de préoccupation pour partir vagabonder, alors il réfléchit toute la nuit en affûtant son katana, élaborant tous les scénarios possibles pour la suite des opérations, et quand l'aube vint enfin, il ne tarda pas à réveiller tout le monde pour lever le camp dès qu'ils le pourraient. Ils n'étaient pas en sécurité ici, et puis, il était inquiet pour Nyx et tenait à atteindre leur destination au plus vite.
V
Noctis se réveilla avec la sensation étrange de n'avoir pas la moindre idée de l'endroit où il se trouvait. Il se souleva péniblement sur un coude, le corps encore meurtri des combats de la veille. La lumière était encore faible, dessinant les formes endormies de ses compagnons dans la chambre spartiate. Il se rapprocha de Prompto, n'osant l'entourer de ses bras parce qu'il ne voulait pas le réveiller. Mais le blond ouvrit les yeux, lui provoquant un léger sursaut de surprise.
« Tu dormais pas ? » chuchota-t-il.
Prompto eut un petit sourire.
« J'attendais que tu te réveilles... Ça te dirait d'aller voir le lever de soleil ? »
Il hocha la tête. Il adorerait ça. Un peu de calme, avec Prompto, voler quelques moments de paix et profiter de leur liberté retrouvée après des semaines à vivre dans un bunker... Oui, il avait envie de tout ça.
Ils se levèrent donc discrètement et descendirent au rez-de-chaussée, ou quelques silhouettes dormaient dans des coins. Tout était calme dans la maison. Ils se faufilèrent à l'extérieur, où le puissant parfum de la forêt et de l'air minéral de la montagne emplit leurs poumons. Prompto arbora un large sourire tandis qu'il semblait littéralement boire cet air pur.
« Ça fait trop de bien... »
Noctis acquiesça, et le blond le fit une nouvelle fois sursauter en se saisissant de sa main pour l'entraîner plus loin sur le plateau, à la recherche sans doute du point de vue parfait pour prendre de belles photos. Noctis se retrouva donc forcé de cavaler à sa suite avant même son premier café et avec son corps douloureux qui protesta avec véhémence. Et pourtant, il n'écouta pas les plaintes de son organisme. C'était juste bon de courir pour une autre raison que de sauver sa vie, et de retrouver au moins pendant quelques instants cette sensation d'innocence et de joie, comme si la guerre n'avait jamais eu lieu, comme s'ils n'étaient que de simples jeunes hommes profitant de leurs vacances, à l'image de leur été précédent. Chaque fois qu'il songeait à la prochaine fois où il pourrait reprendre la route, son cœur se serrait amèrement, parce que cette possibilité lui semblait appartenir à un avenir si lointain qu'elle apparaissait à peine réelle.
Ils arrivèrent bientôt sur l'arête du plateau qui marquait la naissance d'une falaise abrupte isolant le village dans les hauteurs. Ils s'assirent au bord, les jambes dansant dans le vide. Devant eux se déployait un incroyable panorama de pics se succédant selon une ligne accidentée, enveloppés d'une brume qui se nuançait entre le bleu et le violet tandis que le soleil se dissimulait encore dans les profondeurs des montagnes. Noctis frissonna et se rapprocha de Prompto, qui passa un bras autour de sa taille. Il fit de même et plongea sans regard dans ce paysage enchanteur au silence impressionnant, à peine troublé par quelques chants d'oiseaux.
« Je comprends pourquoi t'aimes autant cet endroit, murmura finalement Prompto. J'aurais bien aimé y aller dans de meilleures circonstances...
— On en aura sûrement l'occasion un jour... »
Noctis tourna la tête vers lui pour le regarder et ajouta :
« J'adorerais faire un road-trip avec toi à Tenebrae.
— C'est vrai ?! s'enthousiasma Prompto. J'ai trop hâte. »
Il sourit, ce n'était pas désagréable de s'imaginer un avenir, aussi improbable qu'il puisse paraître sur le moment. Ils avaient besoin d'un futur, de rêves auxquels se raccrocher. Ils retournèrent à leur contemplation, et bientôt, le ciel à l'est s'enflamma tandis que la boule orangée du soleil émergeait dans une vallée lointaine, répandant un flot doré sur la forêt dont le vert presque noir prit une nuance émeraude. Ils savaient qu'ils n'avaient plus que quelques minutes de pure tranquillité avant que la journée ne commence. Noctis remonta son bras et posa la main sur la nuque du blond, et se pencha vers lui jusqu'à effleurer ses lèvres des siennes. La sensation l'électrisa aussitôt, comme s'il ne l'avait pas éprouvée depuis une éternité. La bouche de Prompto se pressa sur la sienne et il entrouvrit les lèvres pour laisser leurs langues se mêler. Un frémisssement chaud parcourut ses nerfs qui lui semblaient comme anesthésiés à force d'avoir été trop sollicités, mais cette fois, c'était pour une sensation purement agréable et il en savoura chaque seconde.
Puis, lentement leurs lèvres se descellèrent, et ils échangèrent un long regard muet, leurs mains entremêlées posées entre leurs cuisses.
« Je t'aime, murmura Noctis.
— Je t'aime aussi. »
Il hocha la tête avec un léger sourire. Ça faisait du bien de se l'entendre dire, et de pouvoir le dire. Il posa son front contre celui du blond et ferma les yeux, écoutant les bruits légers de l'aurore, percevant déjà de l'agitation derrière eux alors que le hameau se réveillait. Ils profitèrent aussi longtemps qu'ils le purent, laissant le soleil monter dans le ciel lentement, échangeant peu de paroles, se contentant de la présence l'un de l'autre devant ce paysage magnifique.
En rentrant, Noctis se sentit un peu revitalisé par ce moment d'intimité et de contemplation, et un peu plus à même d'affronter la journée à venir, même s'il se doutait qu'ils allaient probablement devoir encore une fois patienter avant de pouvoir passer à l'action. Sans compter que Ravus n'était pas encore revenu, et Luna rongeait son frein malgré l'apparence de calme qu'elle parvenait à maintenir. Noctis et Prompto s'installèrent avec les autres autour de l'imposante cheminée, partageant leur petit-déjeuner tout en discutant de ce que l'avenir leur réservait. Weskham se joignit à eux et ils passèrent un long moment à parler. Même Luna parut surprise en apprenant à quel point la résistance était organisée. Un véritable réseau d'informations et d'espionnage s'était bâti au fil des années, profitant que l'Empire ait le regard tourné vers ses conquêtes plutôt que sur ses provinces déjà soumises. Et même si l'étau se resserrait à présent que la guerre d'indépendance avait commencé, les résistants avaient amassé suffisamment de renseignements pour leur donner une vraie marge de manœuvre. Ils disposaient de cartes des bases impériales, de documents militaires confidentiels, de plans de la capitale occupée avec les barrages et les checkpoints... Ils avaient même des agents infiltrés dans l'armée. Noctis dut s'avouer impressionné. Et l'espoir s'infiltra de nouveau dans son cœur. Tout ne reposait pas sur lui et le pouvoir de l'anneau. Ces gens luttaient depuis des années dans l'ombre, sans coups d'éclats, guettant la moindre opportunité de dérober des secrets. En organisant et en coordonnant ces cellules de résistance, ils avaient peut-être une véritable chance de s'en sortir. En scrutant ses compagnons, il lui sembla qu'ils étaient du même avis. Même Cor avait du mal à cacher son excitation, mais Noctis pouvait voir ses yeux briller malgré son expression sérieuse et concentrée. Après les terribles pertes qu'ils avaient enduré en s'échappant de la base, ils avaient tous désespérément besoin de se concentrer sur un nouvel objectif, quelque chose de concret. Et il semblait bien qu'ils allaient avoir de quoi travailler au cours des prochains jours...
VI
Cela faisait plusieurs heures que Luna avait, pour une fois, fui ses responsabilités de reine pour venir se poster à l'entrée du hameau et guetter l'arrivée de Ravus et de Nyx. Elle avait décidé que la réunion stratégique du matin était suffisante pour la journée, d'autant qu'elle pouvait difficilement planifier la suite des événements sans son chef des armées, aussi grand frère soit-il. Et il y avait trop d'anxiété dans son cœur pour rester concentrée. Elle devait avoir la certitude qu'ils étaient sains et saufs.
Quand elle les vit enfin émerger du couvert des arbres, avec Aranea et quelques soldates qui semblaient plutôt mal en point, une culpabilité glaciale étreignit ses entrailles. Elle pensa à toutes les combattantes laissées sur place et à qui elle n'avait pas pu prodiguer de soins. Et puis, c'était faux... Elle aurait pu les soigner. Elle avait simplement choisi de ne pas le faire, pour protéger sa propre vie. Pour pouvoir continuer la guerre. Qui provoquerait elle-même plus de morts.
Elle avait toujours eu conscience du poids des décisions qu'elle serait amenée à prendre une fois reine, mais le vivre, c'était différent. C'était écrasant, suffocant. Bien entendu, elle n'avait pas été seule à prendre cette décision, mais elle en était tout de même la première responsable.
Ces réflexions, cependant, s'évanouirent rapidement lorsqu'elle comprit la gravité de l'état de Nyx, que son frère peinait à soutenir. Sa gorge se serra. Un jour viendrait où sa chance l'abandonnerait. Chaque fois qu'il revenait de bataille, ça semblait être dans un état pire encore que la précédente.
Elle repoussa également ces sombres pensées, parce qu'elle avait besoin de se concentrer. Ils emmenèrent Nyx dans le petit bâtiment qui servait d'infirmerie, et elle s'attela aussitôt à sa tâche. Elle évalua d'abord les blessures, puis demanda à tous les occupants de sortir, y compris Ravus. Elle était encore débutante quand il s'agissait de manier son don de guérison, et elle ne voulait surtout pas qu'il lui fasse défaut maintenant. Un jour, peut-être, elle serait capable d'accomplir des miracles comme on va acheter une baguette de pain, mais pour le moment, il lui fallait mobiliser toutes ses ressources mentales pour surmonter l'épreuve. Il lui fallait se concentrer pour sentir, d'une manière décalée comme si elle percevait un écho plutôt que la réalité phénomène. En se concentrant bien, il lui semblait que cet écho projetait une sorte d'image mentale du corps qu'elle devait soigner, et elle savait où faire affluer sa magie, un peu comme les molécules d'un médicament ciblent le problème à résoudre dans l'organisme. Il lui fallait ensuite façonner sa magie, la canaliser, trouver son chemin dans la complexité du corps, et la laisser envelopper les organes touchés de sa lumière bénéfique.
Après une longue préparation, elle posa ses mains sur les blessures de Nyx, et faillit perdre toute sa concentration quand elle s'aperçut qu'il la regardait. Il se débrouilla même pour lui sourire.
« J'ai jamais été aussi soulagé de te voir... murmura-t-il d'une voix rauque.
— Tais-toi ! Économise tes forces. Tu t'es encore mis dans un sale état, un miracle que Ravus ait réussi à te transporter jusqu'ici...
— J'y ai mis du mien, je te signale ! »
Elle balaya sa remarque d'un soupir, et se concentra de nouveau sur le rayonnement chaud qui naissait dans ses paumes.
« S'il te plaît... Ne dis plus rien, lui demanda-t-elle. J'ai besoin de me concentrer. »
Il hocha la tête et garda le silence, refermant tranquillement les yeux comme s'il s'apprêtait à faire une bonne sieste.
Elle inspira doucement pour chasser son agitation, et s'efforça de faire le vide dans son esprit tandis que la magie se déployait dans ses paumes, puis se ramifia dans le corps de Nyx comme une myriade de minuscules racines s'enchevêtrant en lui. Peu à peu, elle le sentit se détendre, sa respiration s'apaiser tandis que son pouls revenait à son rythme normal. Elle ne s'autorisa pas à lâcher prise avant d'être parfaitement convaincue qu'il était stabilisé, puis, elle poussa un soupir de soulagement. Elle remonta la couverture sur lui et se laissa tomber sur une chaise, se sentant vide et épuisée. Elle espéra que ça suffirait, mais pour l'heure en tout cas, il était profondément endormi.
Elle s'accorda quelques minutes de répit, puis sortit en refermant discrètement la porte derrière elle. Elle faillit se heurter à son frère qui l'attendait à quelques centimètres de la porte, et cette fois, il ne cherchait même pas à dissimuler l'inquiétude qui faisait briller ses yeux fatigués comme s'il avait de la fièvre... ou s'apprêtait à fondre en larmes.
« Je pense qu'il est tiré d'affaire... murmura-t-elle aussitôt pour le rassurer. Il dort... »
Ravus la scruta un moment de son regard d'acier qui prenait une teinte plus sombre et orageuse sous le coup de l'émotion, puis il recula.
« Merci, Luna... »
Elle sourit et hocha la tête.
« Toi aussi, tu devrais te reposer. Viens, on va manger... »
Elle lui prit le bras et il se laissa faire sans résistance, probablement trop épuisé pour protester, et ils regagnèrent tous les deux le bâtiment principal en quête d'un bon repas.
La soirée fut étonnamment calme, comme si par un accord tacite, tout sujet touchant à la guerre et à l'empire était soigneusement passé sous silence. Luna en fut reconnaissante. Elle avait vraiment besoin d'une pause. Et même en pleine guerre, elle découvrit qu'il était possible de créer un peu de paix, même temporaire, même limitée à une poignée d'individus. Et ici, l'atmosphère était très différente de celle du bunker. La tension permanente qu'ils avaient tous enduré là-bas semblait plus ténue, comme si une partie de leurs souffrances se dissipait dans le ciel, au lieu de s'accumuler sous des plafonds bétonnés.
Quelques heures plus tard, elle revint à l'infirmerie et lorsqu'elle s'étendit sur le lit de camp pour la nuit, elle s'endormit avant même d'avoir eu le temps d'appréhender la journée du lendemain.
