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Chapitre 58
Si le monde n'est qu'un récit qui d'autre que le témoin peut lui donner vie ?
Cormac McCarthy, Le Grand Passage
L'hiver passa sur la Grande-Bretagne aussi bien que dans le cœur d'Aidlinn. Au printemps, elle se pensait remise de son humiliation et était parvenue à mettre de côté la trahison de Rosier. Cela n'avait pas été aisé, tout le château semblait se liguer contre elle et lui rappeler l'absence d'Evan. Quand elle allait voir un match de Quidditch, elle le cherchait vainement parmi les joueurs ; quand elle rentrait le soir à la salle commune, elle cherchait en vain son élégante silhouette installée dans un des sofas émeraudes ; quand elle se retrouvait à fixer le feu, elle regrettait l'absence des formes qu'il avait eu l'habitude d'y créer. Si la rentrée avait été dure sans lui, la certitude qu'ils ne se retrouveraient pas à la fin de l'année était pire. Il n'y avait plus aucun espoir de le revoir qui pût lui faire supporter son absence et il lui manquait affreusement. Les premières semaines, elle ne pouvait s'empêcher de contempler la place vide qu'il avait laissée, à la table des Serpentard, et de se demander avec amertume ce qu'il avait pensé d'elle quand il avait rencontré son regard, ce qu'il avait réellement éprouvé quand il lui souriait ; invariablement, l'affliction lui coupait l'appétit et elle se retrouvait à fixer le bois lisse de la table d'un air abattu.
Mais ce n'était finalement qu'un chagrin d'amour et le temps devait panser cette blessure aussi bien qu'il avait pu panser celles de bien d'autres jeunes gens avant elle. Au fond d'elle-même, elle avait la certitude qu'elle pourrait surmonter cette histoire et parfois elle se rendait compte que vivre sans Evan était plus libérateur qu'elle ne l'aurait pensé ; elle ne s'inquiétait plus de lui plaire ou de savoir ce qu'il pensait, elle vivait pour elle et non plus pour lui. A d'autres moments, elle se sentait seule et vulnérable – un sentiment, se rappelait-elle, qu'Evan avait soigneusement cultivé lui-même dans son cœur pour la manipuler. Toutefois, comprendre qu'il avait voulu la rendre dépendante ne l'aidait pas à aller mieux et il lui arriva de verser une larme une ou deux fois, après avoir essuyé quelques méchantes farces des Gryffondor.
Heureusement, elle avait Avery et Mulciber, qui embellirent son quotidien comme ils l'avaient fait toutes ces années. Ils en étaient tous arrivés à simplement apprécier ces jours de quiétude que le château leur offrait. C'était comme s'arrêter au milieu d'une randonnée éprouvante pour contempler le paysage immobile qu'ils avaient eu sous les yeux sans le voir depuis le début. Ils prenaient enfin la mesure de l'imminence du danger qui s'avançait au-devant d'eux et ils n'étaient plus si sûrs de vouloir se jeter dans sa gueule putride immédiatement.
Ce fut en avril qu'Avery rencontra sa probable première et seule désillusion scolaire. Ils étaient en cours de défense contre les forces du mal, avec un énième professeur qui ne resterait probablement qu'un an à l'instar de ses prédécesseurs. L'enseignant s'appelait Mr Walsh ; il paraissait vieux, usé, mais son sourire n'avait pas perdu de la douce bienveillance qu'il semblait distribuer partout où il allait. Ce jour-là, il leur donnait leur troisième leçon au sujet des patronus, une notion assez avancée, qui ne serait pas au programme des ASPIC (comme il s'était empressé de le préciser). Mr Walsh estimait que cet enseignement ferait plaisir aux élèves et leur donnerait confiance en leurs capacités. Il leur avait déjà parlé longuement de leur signification, des possibles utilisations et de la maîtrise magique nécessaire pour les invoquer ; Aidlinn avait vu Avery et Mulciber ricaner en regardant certains élèves pâlir à la mention des détraqueurs. Quand vint le moment de s'exercer à nouveau – les résultats des premières séances n'avaient pas été concluants -, les élèves se répartirent par groupes en murmurant avec enthousiasme.
-C'est stupide comme cours, marmonna Edern. Je n'ai pas besoin d'un stupide esprit protecteur pour assurer ma sécurité.
Mulciber se mit à rire à côté de lui. Il agita malencontreusement sa baguette et fit exploser un bocal vide, s'attirant les regards noirs de ses camarades de classe. Désormais habitué aux maladresses du Serpentard, Mr Walsh l'envoya ramasser les dégâts. Aidlinn n'y fit pas attention, comme elle répétait l'incantation - elle appréciait la patience confiante de Mr Walsh et ne voulait pas le décevoir.
-Spero patronum.
Cela devait être la trentième fois qu'Aidlinn prononçait cette formule. Cette fois, elle avait pensé à un souvenir plus simple – un qui ne concernait pas Rosier, ni aucun de ses amis. Elle avait repensé à une journée avec ses parents et son frère dans leur propriété de vacances en Cornouailles. Ils étaient allés se promener sur les chemins de campagne et avaient déjeuné sur un carré de nape dans un pré coloré de coquelicots. Derrière eux, il y avait des champs vallonnés qui doraient sous le soleil. Ils riaient – elle ne se rappelait plus pourquoi – mais Isaac et son père semblaient heureux, leurs yeux gris pétillaient et sa mère lui caressait les cheveux. Cela avait été une belle journée.
La forme bleue qui jaillit de sa baguette était une colombe. L'oiseau magique se mit à tournoyer dans les airs, loin au-dessus des élèves qui s'exerçaient avec plus ou moins de réussite. Mr Walsh applaudit :
-Excellent, Miss Rowle ! Cinq points pour Serpentard. Allons, Mr Avery, au travail !
Avery avait beau répéter la formule, encore et encore, il ne parvenait pas à créer le moindre patronus. Chaque étincelle jaillissant de sa baguette s'évanouissait instantanément ; à chaque échec, sa face s'assombrissait et il serrait les dents de dépit.
-Il va falloir travailler là-dessus, Mr Avery. La persévérance est la clé.
En sortant de la salle, le jeune homme affichait une mine fermée. La plupart des élèves avaient réussi à faire au moins apparaître de vagues formes bleues, qui avaient brièvement parcouru la salle de classe avant de disparaître.
-Ce n'est pas si grave, Mr Walsh a dit que ce ne sera pas au programme des ASPIC, tenta Aidlinn pour lui remonter le moral. Et puis, tu as encore la semaine prochaine pour réussir.
Avery ne se tourna pas vers elle.
-Je n'y arriverai pas, Aidlinn.
-Qu'est-ce que tu racontes ? Tu es le sorcier le plus talentueux de notre promotion.
-Ce n'est pas une question de talent. Je ne pourrai jamais y arriver, pas plus que Mulciber.
La voix d'Edern était triste et grave.
-Je ne comprends pas, insista Aidlinn.
Il l'arrêta et attendit que le couloir se vidât des élèves de leur classe, puis il remonta la manche de sa chemise. La Marque des Ténèbres ondulait très doucement sur son bras, par-dessus les légères veines bleues qui partaient de son poignet.
-En général, les mangemorts ne peuvent pas invoquer de patronus.
Aidlinn se retint de remarquer que Rosier pouvait y arriver – elle avait décidé que ce nom ne franchirait plus ses lèvres. Avery posa un regard amer sur le tatouage – ce fut sûrement la première fois qu'il le regarda ainsi.
oOo
Deux jours plus tard, Aidlinn trouva Severus Rogue assis sous un chêne, dans le parc de Poudlard. Elle-même était sortie s'aérer l'esprit, s'immerger dans cette atmosphère douce et sucrée qui caractérise les débuts de soirée de la belle saison. Rogue semblait particulièrement maussade, il arrachait par pleines poignées les touffes d'herbe autour de lui. La jeune fille s'assit à côté de lui et suivit son regard agacé ; Rogue observait un groupe de Gryffondor de sixième année, dont Lily Evans faisait partie, très reconnaissable avec sa chevelure enflammée par les derniers rayons du soleil. Le groupe riait de quelque chose et quelques-uns de leurs membres chahutaient joyeusement au milieu des pâquerettes.
-Lily ne m'approche plus depuis un moment si c'est ce qui t'inquiète, déclara Severus.
-Je ne m'inquiète pas.
-Elle a dit qu'elle ne voulait plus jamais me parler. Juste à cause d'une blague d'Edern et de Mulciber contre MacDonald. Ce n'était même pas mon idée, je ne sais pas pourquoi elle s'attendait à ce que je fasse quelque chose.
Aidlinn trouva un certain écho dans ces paroles ; elle se compara à Lily, échangea Rogue et Rosier et tout prit sens.
-Peut-être qu'elle espérait ton aide, justement.
Severus se tourna vers elle avec surprise et elle reprit :
-Bien sûr, cela t'était impossible, nous le savons tous les deux. Tu n'as rien fait de mal. Après tout, tu n'allais pas défendre une sang-de-bourbe face à Edern et Mulciber, n'est-ce pas ? Cela aurait été le monde à l'envers.
Elle se força à rire de l'absurdité de la situation et Rogue la rejoignit, mais leurs rires sonnaient un peu faux, bien que ce fût sûrement pour des raisons différentes.
-Pourquoi est-ce que tu penses toujours que je viens te surveiller ? reprit Aidlinn. C'est insensé.
-Parce que tu es proche d'Evan et que lui me surveillait tout le temps. Il ne me faisait pas confiance.
Un hibou passa en ululant au-dessus d'eux, filant droit vers la volière du château. Ils levèrent tous les deux les yeux dans la lumière déclinante.
-Il ne fait confiance à personne, dit Aidlinn. Et crois-moi, je ne risque pas de lui répéter quoi que ce soit.
Severus ne pouvait pas savoir qu'Aidlinn ne risquait plus de fréquenter Evan, pourtant cela semblait très étrange à la jeune fille. Personne n'avait-il donc remarqué l'immense fracture qui était apparue dans leur destin commun ?
-Tu pourrais demander de l'aide à Edern, tu sais. Pour Black et Potter. J'ai vu ce qu'ils te font subir. Même Williams et Adamson pourraient t'aider.
-Je te remercie, mais je n'ai pas besoin d'aide, répondit fermement Rogue.
-Tu n'es pas obligé de faire front tout seul, Severus. La vie n'est pas censée être aussi difficile.
-Je sais.
Mais Aidlinn voyait bien qu'il n'en savait rien.
oOo
Aidlinn fit une dernière tentative auprès de Sylvia, davantage pour soulager sa conscience que par réelle conviction. La fille Prewett ne se mêlait plus à personne, elle ne passait son temps qu'à étudier ou à se promener à pas lents avec Maria, à laquelle elle soufflait quelques confessions sur un ton bas et las. Il était douloureux pour la jeune Rowle de constater qu'elle et son ancienne amie n'avaient plus rien en commun, qu'elle-même avait été facilement remplacée dans le cœur de Sylvia, mais qu'il restait un vide dans sa propre poitrine, comme elle n'avait jamais trouvé d'autre confidente. Aidlinn ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable en voyant les yeux éteints de son amie ; dans ses prunelles d'obsidienne, elle revoyait le corps de Richard Jones s'enfoncer pour toujours dans les eaux immobiles du lac.
Elle la rejoignit à la bibliothèque par une journée grise et morne, une de ces journées où l'on se croit de retour dans l'hiver qu'on vient de quitter. Sylvia était absorbée dans sa lecture, assise seule à une table au fond de la salle, mais elle leva immédiatement les yeux quand Aidlinn s'installa en face d'elle.
-Qu'est-ce que tu fais ?
-Je viens te tenir compagnie, répondit Aidlinn, légèrement déstabilisée par une demande aussi abrupte.
-Pourquoi est-ce que tu ferais ça ? L'année scolaire se termine dans un mois ; après ça, nous ne nous reverrons plus. Tu gaspilles tes efforts.
-Pourquoi est-ce que nous ne pourrions pas nous revoir ?
La question d'Aidlinn sonnait naïvement, même à ses propres oreilles et elle baissa les yeux, honteuse et gênée, parce qu'évidemment il était trop tard, leur amitié s'était déjà entièrement consumée.
-J'imagine que tu as lu les journaux, non ? Mes parents ont pris parti contre le mouvement conservateur sang-pur - contre ta famille – et je vais m'impliquer aussi, pour Richard. Je sais que ça lui tenait à cœur. Ça fait déjà plusieurs années que nous savions que ça se terminerait comme ça.
Aidlinn ne répondit pas et se contenta d'observer son ancienne amie. Elle avait envie de protester, de remarquer que ce n'étaient que des convictions politiques, mais elle savait au fond d'elle que c'était bien plus que cela. Autrement, pourquoi aurait-elle laissé Jones mourir dans la cabane hurlante ?
-Ce n'est pas si grave, tu sais, se radoucit Sylvia en remarquant l'air atterré d'Aidlinn. Combien de chances y avait-il pour que nous restions amies toute notre vie ?
Peut-être que Sylvia n'avait jamais cru en elles, mais Aidlinn y avait longtemps cru et elle ne pouvait s'en aller sans la prévenir de la tempête qui s'avançait pour l'engloutir.
-Tu devrais faire attention, c'est dangereux de s'opposer à eux. Tu pourrais te faire tuer.
Sylvia eut un sourire triste.
-Je ne sais pas qui de nous deux a le plus de souci à se faire.
Et toutes les deux, malgré leur ancienne entente, espéraient sincèrement faire partie du camp gagnant.
oOo
-Je voudrais bien rester un an de plus ici, avoua Aidlinn à Edern et Mulciber, un soir. J'ai l'impression qu'on nous a volé des mois entiers.
-C'est cette attente, elle est interminable, souffla Mulciber. C'est la même impression que lorsqu'on se tient dans les vestiaires avant un match de Quidditch. On entend la foule rugir, on entend la voix déchaînée du présentateur ; on se doute de ce qu'il va se passer, on prévoit déjà tout le match dans notre tête et on imagine le dénouement de trois ou quatre façons différentes. On a beau tout prévoir, tout anticiper, on sent notre ventre se tordre d'angoisse et nos mains trembler jusqu'au lever de rideau.
Il apparut que la quasi-totalité des Serpentard de septième année ressentaient la même chose qu'Aidlinn et Mulciber et cette inquiétude croissante les rapprocha. Si Sylvia semblait imperméable à tout évènement extérieur, Aidlinn, Maria, Ettie, Edern, Mulciber, Neil Williams, Gavin Hill et Kenneth Adamson passèrent de longues heures ensemble dans le parc et à la bibliothèque. Ils révisaient ensemble, jouaient aux cartes, se lançaient un vieux souafle en rigolant, essayant d'oublier ce qui pouvait arriver au-delà des murs de l'école. Ce furent sûrement les plus beaux jours d'Aidlinn à Poudlard, en partie parce qu'ils avaient un goût de fin de voyage, une certaine beauté tranquille même dans les moments les plus vivants.
Ils n'avaient plus le droit de se rendre à Pré-au-lard. Deux villages de moldus avaient été entièrement détruits, dont un en Ecosse, et les professeurs estimaient que le monde extérieur n'était plus un endroit sûr pour leurs élèves. On racontait que les maisons moldues avaient été entièrement rasées par un puissant feudeymon ayant pris l'apparence d'un serpent titanesque. Le feu magique s'était répandu si vite qu'aucun habitant n'avait eu le temps de s'enfuir et qu'il ne restait d'eux que quelques os calcinés au milieu des ruines des bâtisses.
La loi autorisant l'usage des sortilèges impardonnables par les forces de l'ordre fut finalement approuvée par le Magenmagot et la guerre redoubla d'intensité. Un premier mangemort fut abattu lors d'une rixe près d'Oxford : un irlandais du nom de MacGregor, qu'Edern connaissait et avait apprécié. Sa dépouille fut rendue à sa famille, mais la cérémonie d'enterrement fut troublée par des manifestants progressistes qui déferlèrent en masse dans le cimetière et vociférèrent des insultes pendant toute la procédure de mise en terre.
-Ils ne paient rien pour attendre, siffla avec rage Avery en apprenant la nouvelle dans la revue Pur-sang, qui, contre toute attente, ne parlait pas tant que cela de courses de chevaux.
Le lendemain, il était encore de si mauvaise humeur qu'il fut expulsé du terrain lors du dernier match de Quidditch de la saison, après avoir volontairement jeté un Poufsouffle à bas de son balai. L'arbitre, Mrs Johnson, interdit à un remplaçant de prendre sa place, qualifiant la faute de moralement inacceptable. Les deux poursuiveurs restants, Rabastan Lestrange et Neil Williams, s'acharnaient à combler l'écart de points qui se creusait en lançant des attaques désespérées. Mulciber fut rappelé à l'ordre trois fois pour avoir envoyé des cognards à des joueurs adverses qui ne possédaient pas de balle, si bien qu'il fut sorti du jeu, lui aussi.
Gavin faisait ce qu'il pouvait au poste de gardien, mais on voyait bien que ce n'était pas son jour et il encaissait but sur but – de toute façon, aucun poursuiveur ne se donnait plus la peine de l'aider à défendre, eux-mêmes étant harcelés par les cognards adverses que l'inexpérimenté Evrett Gibbon avait toutes les peines du monde à écarter. Le match se termina dans ce chaos désespéré quand Regulus Black attrapa le vif d'or lors de sa troisième tentative, mais trop tardivement pour donner la victoire à son équipe – cela s'était joué à une vingtaine de points seulement.
Le match avait duré huit heures – cela faisait une bonne cinquantaine d'années qu'on n'avait plus assisté à une rencontre aussi longue à Poudlard - ; les joueurs verts rentrèrent la tête basse dans leur vestiaire, fourbus, couverts de poussière et les yeux désillusionnés.
Serpentard perdit ainsi le championnat de Quidditch, finissant deuxième au classement derrière Poufsouffle. Le plus furieux était sans doute Regulus Black, qui avait attrapé le vif d'or trois fois sur les quatre matches ; il reprocha à Avery de ne pas avoir assez entraîné l'équipe. Etonnamment, Edern haussa mollement les épaules et se contenta de rétorquer qu'ils seraient libres de faire comme ils le souhaitaient l'année suivante.
Il disparut ensuite et resta introuvable au dîner, si bien qu'Aidlinn, Mulciber et Neil Willams partirent à sa recherche. Ils le trouvèrent accoudé à une fenêtre ouverte du premier étage, dans un couloir totalement désert. Son regard bleu se perdait au creux des vallons sauvages éclairés par le croissant de lune qui montait.
-Regulus a raison, je n'ai pas été à la hauteur en tant que capitaine, déclara-t-il amèrement.
-Ce n'est pas ça, dit Aidlinn.
Elle était certaine que le problème venait du fait qu'Avery ne rencontrait jamais autant de difficultés que les autres. Il ne pouvait pas se douter des efforts que les gens devaient faire pour se maintenir à son niveau.
-Moi, je trouve que tu as été un excellent capitaine, dit Williams en lui administrant une timide claque dans le dos. On a bien plus rigolé qu'avec Rosier, et ça, ce n'est pas négligeable.
-Personne ne dira le contraire, l'appuya Mulciber. Je ne me serais jamais levé aux aurores tous ces samedis pour quelqu'un d'autre que toi.
Edern leur offrit un sourire fragile :
-Si vous le dites. Je ne sais pas qui je vais nommer pour l'année prochaine.
-Rabastan serait un bon choix, mais il est un peu jeune, observa Williams.
-Ils sont tous trop jeunes. Dire qu'il n'y a pas si longtemps, nous étions à leur place.
oOo
Les ASPIC passèrent comme dans un rêve pour Aidlinn, Edern et Mulciber. Ils appréhendaient tant de quitter le château que l'insignifiance des examens ne pouvait plus les inquiéter et ils savourèrent chaque minute de ces instants précieux, tentant en vain de ralentir le temps qui ne finissait pas de filer. Durant les épreuves écrites, il arrivait à Aidlinn de lever les yeux de sa copie et d'apprécier la rumeur du grattement de plumes sur les parchemins, de se délecter du silence étouffé, concentré, dans lequel ses camarades et elle étaient plongés. Elle imaginait battre leurs cœurs à l'unisson, réalisait qu'ils étaient arrivés au carrefour où tous leurs destins allaient brutalement se séparer après sept années de cheminement commun et ce constat lui causait une peine sourde mêlée à une impression de vertige incontrôlable.
Les Serpentard passèrent leur dernier jour ensemble dans le parc de Poudlard. Le temps était radieux, l'azur limpide laissait apercevoir au loin les sommets noirs rebondis des montagnes écossaises.
-Qu'est-ce que vous allez faire, après Poudlard ? demanda Neil Williams.
Ils étaient tous assis dans l'herbe et se jetaient régulièrement des mottes de terre en ricanant. Un peu plus loin, Kenneth Adamson et Mulciber s'amusaient à lancer des cailloux dans le lac, criant quand ils croyaient apercevoir les remous du fameux calamar géant.
-Je voudrais devenir médicomage, leur révéla Gavin Hill avec un sourire vague. Je pense que je vais m'inscrire à l'école de médecine de Londres.
-Je suppose que je vais aider mes parents avec leur boutique, marmonna Ettie.
-Moi je vais suivre une formation pour être journaliste, déclara Maria, qui était la plus enthousiaste à l'idée de quitter Poudlard. Qui sait, Neil ? Peut-être qu'un jour je viendrai t'interroger quand tu auras obtenu ton poste d'ingénieur chez Nimbus.
Neil rigola, comme s'il n'y croyait pas lui-même. Derrière lui, Kenneth poussa un hurlement hilare ; Mulciber venait de le pousser dans l'eau.
-Et toi, Edern ? insista Neil.
Avery dessinait pensivement dans la terre avec un bâton de bois.
-J'aimerais voyager, dit-il simplement. Pour le reste, je ne sais pas.
-Tu ne vas pas prendre part à la guerre ? Ton père fait partie du parti conservateur, non ? demanda Gavin.
Il rougit quand Edern lui asséna un regard mauvais.
-Tu ne sais rien de ma famille, Gavin. Tu devrais faire attention à tes paroles, tu es en train d'accuser mon père de terrorisme.
-Ce n'est pas ce que je voulais dire, je ne voulais pas, bafouilla Hill.
Mais le mal était fait. Avery avait pris une expression fermée et austère, toute trace de camaraderie ayant disparu de son visage, et les autres détournèrent la tête alors qu'il se levait et les quittait.
