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Chapitre 59
Intéressant de constater que l'esprit humain n'est qu'un cimetière construit sur un noir abîme au fond duquel grouillent des reptiles monstrueux de ce genre.
Stephen King, Jessie
Bartholomew Pethick sifflotait joyeusement en quittant la bibliothèque après avoir rendu les derniers livres qu'il avait empruntés. Il avait toujours adoré l'ambiance fraîche et paisible du château lorsque les beaux jours revenaient et que tous les élèves se précipitaient dans le parc. Habituellement, les elfes ouvraient tous les vitraux et l'air printanier s'engouffrait sous la forme de longues bourrasques qui dévalaient les corridors et soufflaient la poussière des vieux tableaux. S'il était attristé de quitter l'école, comme la majorité de ses camarades, il ressentait un enthousiasme fébrile à l'idée des aventures qui l'attendaient. Poudlard avait pour lui été l'emblème du commencement d'une nouvelle vie, extraordinaire et exaltante, le portail vers une destinée dont lui, simple fils de moldus, n'aurait jamais osé rêver. Il était parcouru d'une sensation étrange et grisante en réalisant qu'il parcourait ces longs couloirs pour la dernière fois, que ses pieds ne suivraient plus ce dédale de marbre ailleurs que dans ses souvenirs ; il sentait le destin lui murmurer que de grandes entreprises l'attendaient à l'extérieur. Il pourrait partir en Amérique du Sud dénicher de nouvelles plantes pour ses potions, se rendre en Orient pour apprendre les secrets des anciens potionnistes, il deviendrait un célèbre alchimiste et les gens parleraient de ses livres dans les expositions. Le monde entier s'ouvrait à lui et dès demain, il serait libre de partir à sa rencontre.
Toute sa bonne humeur fut balayée quand il aperçut au bout du couloir la silhouette élancée d'un être pour qui l'horizon ne faisait que diminuer. Edern Avery avait bien grandi depuis l'année dernière, il dépassait maintenant Bartholomew d'au moins d'une demi-tête. Ce dernier résista à l'envie de faire demi-tour ; il n'avait pas eu de mauvaise expérience avec le Serpentard depuis un certain temps, peut-être que ce dernier ne lui prêterait pas attention et continuerait son chemin.
Le jeune homme semblait en proie à de sombres pensées ; il avançait les poings serrés et avait retroussé les manches de son pull, si bien que la peau laiteuse de ses avant-bras était visible. Le regard de Bartholomew fut attiré par le morceau d'un tatouage sombre, tatoué sur l'intérieur du bras gauche, qui semblait représenter un serpent prêt à mordre. Il connaissait ce symbole.
Malheureusement pour lui, Avery intercepta son regard et son visage se crispa de colère tandis qu'il déviait de sa trajectoire pour lui couper la route.
-Qu'est-ce que tu regardes, Pethick ? Ta vie est si minable que tu espionnes les autres ?
Bartholomew ouvrit la bouche, la referma, puis saisit son courage :
-Tu portes la Marque des Ténèbres, n'est-ce pas ? Je l'ai vue dans le journal. Tu fais partie de leurs partisans.
Avery éclata de rire et montra son bras gauche à Bartholomew – il était totalement blanc, sans qu'aucun tatouage ne fût plus visible.
-Tu n'as rien vu, gros benêt.
-Je sais ce que j'ai vu, insista Bartholomew. Tout le monde murmure que tu vas les rejoindre.
Le Serpentard se rapprocha et étira ses lèvres en un sourire cruel. La lumière sembla baisser dans le couloir ; les ombres se tenaient tout près, à l'affût.
-Rejoindre qui, Pethick ?
-Tu sais très bien de qui je veux parler, marmonna Bartholomew, qui perdait peu à peu son assurance.
Son cœur battait plus vite dans sa poitrine et ses paumes étaient devenues moites. Lui qui avait apprécié le calme du château se surprenait à regretter la présence de ses camarades bruyants.
-Tu n'as qu'à le dire. Dis-le.
-Les mangemorts.
Une brise plus froide envahit le corridor, comme invoquée par Bartholomew. Le garçon tendit l'oreille, s'attendant presque à voir surgir des silhouettes drapées de noir. Il n'y avait que la rumeur du sang battant contre ses tympans. Avery le saisit par le col et le poussa violemment contre le mur, son sourire éclatant se tordait sous l'effet de sa colère qui débordait :
-Les mangemorts, hein ? As-tu la moindre idée de ce que les mangemorts pourraient te faire ?
Bartholomew ne put répondre, comme il avait le souffle coupé. Avery lui flanqua un coup de poing dans le ventre sans le lâcher du regard. Ses yeux étaient une mer bouillonnante de haine sauvage et aveugle.
-Qu'est-ce que tu crois qu'un mangemort pourrait faire s'il croisait un putain de sang-de-Bourbe, Pethick ?
Avery le frappa une seconde fois. Le choc fit larmoyer les yeux de Bartholomew, qui émit un hoquet de douleur. Sa baguette, il lui fallait sa baguette. La main du Poufsouffle tâtonna jusqu'à sa poche.
-Est-ce que tu crois qu'il s'arrêterait là ?
Avery le frappa au visage. Un craquement sonore se fit entendre et une onde de douleur remonta le long de l'échine de Bartholomew. Il avait le nez cassé. Le goût salé du sang chaud atteignit ses lèvres. Dans sa poche, ses doigts atteignirent un mince manche de bois.
-Expelliarmus ! mugit avec difficulté Bartholomew.
Un éclair lumineux surgit de sa baguette et propulsa Avery contre le mur opposé. Pendant quelques secondes, le jeune homme resta à terre, dos au mur et la tête pendante, puis il braqua son regard glacé sur Bartholomew.
-Alors, c'est comme ça que tu veux régler ça, Pethick, dit-il en se redressant et en allant chercher sa baguette. Je dois dire que c'est plutôt courageux de la part d'une racaille comme toi.
La fureur d'Avery électrisait l'air autour d'eux. Le ciel bleu derrière la fenêtre paraissait inaccessible. Bartholomew sentit sa main trembler alors qu'il brandissait sa baguette vers son adversaire.
-Va-t'en.
Il cligna des yeux pour lutter contre l'affreux mal de tête qui lui vrillait le crâne.
-Qu'est-ce que tu vas faire ? se mit à rire Avery. Me lancer un nouvel Expelliarmus ? Le premier n'était même pas correctement exécuté.
Il avait récupéré sa baguette et patientait avec une impassibilité de spectre. Les ombres semblaient se regrouper derrière lui en chuchotant.
-Laisse-moi tranquille, tenta Bartholomew en reculant.
Sa voix avait pris une inflexion suppliante qui fit ricaner Avery.
-Tu n'aurais pas dû faire ça, Pethick. Nous le savons tous les deux.
Il abaissa légèrement sa baguette et le poignet droit de Bartholomew se brisa. Le pauvre garçon lâcha sa baguette en criant.
-Accio, souffla Avery en récupérant la baguette. Bien, reprenons où nous en étions.
Il eut un nouveau mouvement de la main et Bartholomew se retrouva suspendu dans les airs, la tête en bas.
-J'adore ce sortilège, rigola Avery.
Il fit léviter Bartholomew sur une quarantaine de pas jusqu'aux toilettes du quatrième étage. Les lieux étaient mal éclairés et déserts, les portes de bois toutes entrebâillées sur des cuvettes identiques. La chute de quelques gouttes d'eau solitaires provenant d'un robinet mal fermé résonnait en boucle dans l'immobilité pesante. Tout à coup, Bartholomew se sentit tomber, il percuta le sol humide et sale dans un gémissement de douleur. Un filet de son sang se dilua dans les flaques d'eau.
-Tu n'es pas tombé de haut, arrête d'être aussi dramatique.
Mais les muscles de Bartholomew ne lui répondaient plus, il était paralysé par une terreur qui gelait ses veines, solidifiait ses articulations. Dans son esprit ne tournait plus qu'une seule pensée : c'était la veille de la fin des classes, Avery ne pouvait tout de même pas faire cela ? Un poids invisible heurta violemment ses côtes et lui arracha une nouvelle plainte étranglée.
-Relève-toi et regarde-moi quand je te parle. Impero.
Le corps de Bartholomew obéit instantanément, prenant appui sur son poignet cassé. La souffrance transperça son bras. Avery le toisait avec un mépris extrême. Une part de Bartholomew se demanda s'il allait le tuer.
-La vérité, c'est que les gens comme toi ont constamment besoin d'être remis à leur place. J'allais te laisser tranquille, Pethick. Honnêtement, je t'avais oublié.
Il secoua sa baguette et une main invisible gifla énergiquement Bartholomew, imprimant une marque cuisante sur sa joue.
-Nous allions quitter Poudlard en bons termes et il a fallu que tu viennes me provoquer.
-Te provoquer ? Tu es dingue, c'est toi qui…
Une nouvelle gifle le fit taire, rejetant sa tête sur le côté. Bartholomew se mit à pleurer. Il se sentait abandonné du monde ; livré à lui-même dans ces toilettes isolées, tout pouvait arriver.
-Insolent et avec ça, pleurnicheur. Tu n'as rien dans le ventre. Même tes moldus de parents auraient honte de toi.
Et sans prévenir, Avery déversa sur lui les vagues déchaînées de sa colère. Des poings faits d'air comprimé rouèrent de coups Bartholomew, qui se recroquevilla sur le sol en suppliant, implorant, priant pour que cela cessât. En réponse, il n'y avait que la fureur d'Avery et son ricanement dément. Bartholomew eut la certitude que Dieu – le Dieu en qui croyait ses parents et tant de ses voisins – n'existait pas dans cet endroit. Il était seul et enfermé dans sa détresse. Personne ne viendrait le secourir. Chaque onde des coups qu'il recevait se répercutait dans tous ses membres et lui arrachait des pleurs terrifiés. Personne ne viendrait le sauver.
Quand tout cessa et que le silence revint, Bartholomew était incapable d'ouvrir totalement les yeux tant son visage était tuméfié. Il cracha du sang, de la bile et une dent cassée. Au loin, il entendait toujours le goutte-à-goutte du robinet ; devant ses yeux, il distinguait les chaussures en cuir de son agresseur qui le surplombait toujours. Son pantalon était humide de sa propre urine et l'odeur puissante montait à ses narines. Avery se pencha près de son oreille :
-Au fait, tu avais raison. Il se pourrait bien que je les rejoigne.
Il y eut un silence. Bartholomew pressait son visage brûlant contre le carrelage humide. Avery laissa tomber les débris de sa baguette devant lui.
-Tâche de ne plus oublier ta place, Pethick, ou je me ferai un plaisir de commencer par m'occuper de toi et de tes chiens de parents.
Bartholomew resta allongé à regarder les longues jambes d'Avery s'éloigner. Il attendit tandis que le soleil disparaissait hors de portée des étroits carreaux. La douleur pulsait contre ses tempes, tout son corps le faisait souffrir. Il n'osait pas sortir, de peur qu'Avery l'attendît dehors. Lorsque les ténèbres s'emparèrent entièrement du château, il se traîna à l'extérieur, plié en deux, rasant les murs, empruntant des passages détournés pour rejoindre sa salle commune. La rumeur des joyeux bavardages de ses camarades en train de dîner lui parvint de la Grande Salle ; il frissonna d'effroi en pensant au monstre qui s'y cachait.
Il franchit le passage caché dans les tonneaux pour accéder à sa salle commune et se retrouva dans l'ambiance douce et chaleureuse qui l'avait hébergé pendant sept ans. Les fauteuils jaunes étaient vides, un échiquier avait été abandonné sur une table, un léger feu crépitait encore dans la cheminée, davantage pour illuminer les lieux que pour réchauffer l'atmosphère. Le décor tranchait crûment avec l'horreur qu'il venait de subir. Bartholomew manqua de percuter Dorothy Proctor qui accourait vers lui.
-Bartholomew ! Mais où étais-tu passé ? Ça fait une heure que je te cherche !
Il releva piteusement la tête et surprit le visage affolé de son amie.
-Ton visage ! Et dans quel état tu es ! Merlin, que t'est-il arrivé ?
Les épaules de Bartholomew se secouèrent tandis qu'il se remettait à sangloter et la suppliait de parler moins fort. Personne ne devait savoir. Ou alors il reviendrait.
Voilà, j'espère que vous aurez apprécié ces trois chapitres ! (Désolée pour le retard, j'ai préféré améliorer quelques trucs.) C'est vrai qu'il y avait beaucoup de violence pour assez peu d'amour et de paix (alors la team Avery en sueur ? haha).
Sinon un énorme merci à LeleMichaelson, Zod'a, Baccarat V, MarlyMcKinnon, RhumFramboise (avec sa très bonne illustration de Rosier, si vous voulez une idée de ce à quoi il pourrait ressembler, cf le lien dans les commentaires), feufollet et Lettie-Charlie pour vos reviews et pour être toujours là !
Allez aux deux prochains chapitres, on aura enfin le mot de la fin pour un truc ou deux. :) (D'ici une à deux semaines max.)
