Notes.

Les gars, je m'incline devant vous en signe de pardon, mais je viens de compter le nombre de chapitres qu'il me reste à traiter pour cet arc et on arrive à une trentaine. Avec le quatrième, cet arc devrait donc être l'un des plus longs de toute l'histoire. Et les chapitres risquent d'être un peu plus longs (dans le genre de celui-ci) parce que même avec ça, j'ai encore un demi-million de choses à aborder (je me fatigue, je vous jure).


CHAPITRE LXI


" Call it magic
Call it true
I call it magic
When I'm with you

And I just got broken
Broken into two
Still I call it magic
When I'm next to you
"

(Coldplay, artistes britanniques, "Magic")


a. Contenu latent (partie 1)

Dong Soo n'avait pas été en mesure de voir ou d'entendre l'annonce faite par Jae-Ji, mais il fut en revanche témoin de l'agitation qui s'empara ensuite de Mago, et de l'étonnement circonspect de celui-ci, sur le chemin du retour et durant toute la semaine qui suivit l'événement. Immédiatement après avoir atteint la maison des Baek, Mago avait jugé opportun de plonger dans la conscience collective, en vue d'essayer de recontacter la shaman et de lui arracher des renseignements complémentaires afin d'éclairer le message qu'elle leur avait transmis, et dont ils n'étaient certains ni l'un, ni l'autre de sa nature.

Cette dernière n'était pas réapparue depuis, et Dong Soo continuait de leur assurer qu'il n'avait pas été capable de la distinguer au moment où elle s'était manifestée dans la petite ruelle qui leur faisait face alors. Mago penchait de plus en plus définitivement pour l'hypothèse d'une vision spécifiquement adressée aux gwishins, et ayant usé des rouages de la conscience pour fonctionner.

Lorsque Woon lui avait objecté que jamais Jae-Ji ni aucun autre des morts qu'il avait côtoyé depuis sa résurrection, en particulier les plus anciens et les plus à l'aise avec le maniement de leur esprit commun, n'avaient évoqué la capacité de se projeter physiquement dans l'espace pour communiquer avec leurs semblables, elle était devenue encore plus exaltée, se figurant la découverte d'un nouvel usage de la conscience, ou d'une habileté propre à Jae-Ji et au rôle tenue par celle-ci, dont les enjeux pouvaient selon elle amplement justifier le développement de pouvoirs allant au delà des limites rencontrées jusqu'à lors par les gwishins.

Toutefois, le silence effarant qu'ils avaient rencontrés par la suite en s'immergeant dans la conscience une fois au calme dans la chambre de Dong Soo, l'absence totale de réponse à leurs échos à propos de la shaman ou d'une clairière près d'Hanyang, et la permanence du vide abyssal auquel ils avaient été confrontés à chacune de leurs précédentes tentatives, émoussa nettement l'émulation de son étudiante, tout en amplifiant encore davantage ses propres interrogations, craintes et agacements quant au mutisme des autres, bien qu'il soit devenu beaucoup plus compréhensible à la suite des récits de Dong Soo et de son épouse à propos des tortures de gwishins.

Dong Soo apportait sa contribution autant qu'il le pouvait, questionnant son entourage sur la présence d'une clairière dans les environs de la capitale, dont l'apparence aurait pu leur sembler déroutante. Avec leur accord, il en avait informé Yun-Seo, et celle-ci s'était mise en quête d'informations auprès de ses propres connaissances, glissant un mot auprès d'une courtisane, un autre à l'épouse d'un officier.

Quant à Dong Soo, il s'adressait aux soldats de la caserne, et aux quelques bureaucrates au palais royal avec lesquels il sentait la discussion possible. Il avait également chargé son jeune assistant de la même commission, mais en dépit de leur bonne volonté, conjuguée à celle de son épouse, ils n'obtinrent quasiment aucune confirmation vis-à-vis d'une éventuelle clairière à proximité de la capitale.

Seul un capitaine de brigade, avec lequel Dong Soo s'entendait assez bien depuis son entrée dans les milices de répression, avait évoqué succinctement le fait d'avoir entraperçu, dans les hauteurs éloignées du Cheonmasan, au cours d'une traque de gwishin qui l'avait mené dans les sections les plus profondes de la forêt avec ses hommes, un endroit dont la description, quand il l'avait faite, avait semblé s'apparenter à celles des clairières mentionnés par l'Herboriste et rencontrées par Woon et Mago, plus fréquemment pour cette dernière.

Il ne l'avait pas bien vu, et ne s'en était pas approché plus avant en raison d'une sensation de malaise rattachée à la simple idée de faire en pas dans sa direction, mais il avait évoqué un arbre solitaire, au tronc noir, et un parterre de fleurs blanches immaculées. En revanche, il avait indiqué à Dong Soo être été strictement incapable de retrouver exactement le chemin ayant mené à la clairière, et bien que largement familiarisé avec l'intégralité du périmètre proche de la capitale, il avait paru sincèrement ne pas réussir à se souvenir de son l'emplacement, même en des termes vagues.

- Tu crois que ça veut dire quelque chose ? Suggéra Dong Soo quelques jours plus tard, alors qu'ils cheminaient ensembles le long d'une des branches de la rivière Han non loin de la rue où se trouvait la résidence Baek, bordée de frênes et d'arbres fruitiers, que les enfants aimaient venir soulager de leurs poids nourrissant dès les premières lueurs des beaux jours, et qui avaient l'air à présent souffreteux dans leur nudité. Que ses souvenirs auraient pu être altérés, ou effacés ?

- Peut-être. Ce n'est jamais arrivé jusqu'ici, du moins pas à ma connaissance, mais les choses peuvent changer.

- Comme avec la vision que vous avez eu de la shaman ?

- Oui.

- Et depuis, rien d'autre ?

Woon secoua la tête.

Leur promenade suivait un rythme paresseux, le même que celui qu'ils avaient pris l'habitude d'adopter dans les jardins de la maison du Printemps quatre ans plus tôt, et la terre craquait sous les semelles de leurs chaussures. Ils étaient seuls, en partie grâce à Yun-Seo, qui avait déclaré avec une expression entendue qu'elle ne souhaitait pas sortir lorsque Dong Soo avait lancé la proposition à toute la maisonnée, et qui était parvenue, vraisemblablement par le biais d'un regard oblique, à convaincre Mago de rester également au chaud.

Quant à Yoo-Jin, il était dans sa chambre, plongé dans la lecture d'un conte qui, d'après Dong Soo, retraçait les aventures extraordinaires du fondateur du pays. Woon, en se levant, avait trouvé un matin une pile de feuillets maintenus sous une pierre, pour les empêcher de s'envoler, juste devant la porte des quartiers de Dong Soo. En les ramassant, il avait découvert des croquis, pour certains proche d'un raffinement et d'une poésie exquise, pour d'autres plus grossiers mais non moins agréables, qui représentait une silhouette féminine, habillée de rouge et de noir, portant un voile au dessus d'un large chapeau. Sur quelques dessins, l'environnement immédiat du personnage avait été esquissé.

Plus tard, il les avait montré à Dong Soo, et celui-ci, avec un rire ému, lui avait simplement dit "Ils sont de Yoo-Jin". Puis il avait ensuite ajouté, d'un air plus espiègle, reléguant au loin sa première émotion : "je crois qu'il a petit béguin pour toi". Quelque part en Woon s'était élevé, crûment, le désir de demander à Dong Soo si c'était héréditaire.

La rivière, dans son lit de terre brune, circulait entre les maisons jusqu'aux portes de la ville les plus proches, et offrait un flegme reposant en réponse aux courses vigoureuses des enfants, aux conversations tantôt turbulentes, tantôt étouffées des promeneurs. Ses berges étaient plus rapprochées à cet endroit de la capitale, lui donnant un aspect plus intime, moins intimidant que la branche la plus large qui se précipitait en direction de la mer, qui morcelait Hanyang en deux fractions depuis sa fondation tout autour du cours d'eau.

Elle gelait très régulièrement durant les hivers. Une fois, à quinze ans, Dong Soo avait voulu faire le mariole et s'était aventuré à marcher sur la surface glissante et figée de la rivière de montagne qui s'écoulait entre les rochers non loin du camps d'entraînement, simplement pour voir, parce que ça lui avait semblé amusant et divertissant. La glace avait cédé sous son poids, ce qui n'avait pas été surprenant, et il était sorti complétement trempé et frigorifié de l'affaire, tombant malade à peine quelques heures après et s'étant vu sèchement ordonner par Sa-Mo de garder le lit durant plusieurs jours.

Woon avait été furieux contre lui, contre son entêtement, contre sa bêtise et sa fierté, contre sa propre inquiétude et son impuissance à le retenir ainsi qu'à venir le récupérer au moment où l'événement avait eu lieu, étant donné qu'une fois la glace rompue à un endroit de la rivière, elle s'était désagrégée à tous les autres, rendant au cours d'eau sa mobilité.

Il n'avait formulé aucun reproche directement, mais se souvenait avoir été plus distant, et de lui avoir pratiquement jeté un cataplasme au visage quand Dong Soo lui avait fait remarquer qu'il pouvait le battre même avec de la fièvre et le nez bouché. Au lieu de ça, il avait laissé retombé froidement l'emplâtre dans le bol qui contenait le mélange d'herbes médicinales, avait fourré celui-ci entre les mains de Dong Soo, puis s'était levé et avait quitté la pièce sans un mot. Il pensait avoir vu le regard de Dong Soo le suivre, regorgeant d'incompréhension et de désarroi.

Leurs parents n'étaient pas revenus depuis la dernière visite que Dong Soo avait fait chez les Huk. Deux nouvelles invitations, respectivement à déjeuner et à prendre le thé, leur avaient pourtant été adressés, mais aussi bien l'un que l'autre les avait décliné, Woon sans donner explicitement ses raisons, mais en supposant qu'il ne devait guère être ardu de conclure que ses relations conflictuelles avec son père et le comportement injurieux de ce dernier consistait une justification suffisante, et Dong Soo en prétextant qu'il était confronté à une importante charge de travail dans le cadre de ses fonctions auprès du Bureau d'Investigation Royale.

Yun-Seo l'avait couvert, mais Woon doutait que Sa-Mo et Jang-Mi eussent été assez crédules et ignorants du caractère de Dong Soo pour totalement croire à son excuse. S'il n'était pas difficile de voir que ses rencontres avec son père étaient pour lui un calvaire, il n'était pas non plus foncièrement laborieux de comprendre que celles de Dong Soo avec Baek Sa Goeng et sa mère lui étaient également contraignantes.

- Je pense que ma mère est fâchée contre mon père à propos de quelque chose, remarqua Dong Soo pensivement. Et que je les déçois, à peu près autant qu'ils me déçoivent.

- Ils te l'ont dit ?

- Ils n'en ont pas besoin. C'est ça, le pire. J'ai l'impression que la plupart de mes choix les dérangent, surtout ma mère, et que rien de ce que je fait ne peut vraiment trouver grâce à leurs yeux. Si c'est le cas, ils ne le montrent pas. Je n'arrive pas à leur parler. Eux non plus. Sa-Mo et Jang-Mi ont beau tout essayer pour animer les conversations, on tourne en rond. La seule chose sur laquelle on s'accorde à peu près, c'est Yoo-Jin. Tout le reste est sans issue, et bon pour la critique, que ce soit Yun-Seo, mon travail, ma formation...

Il hésita. Woon conclut à sa place.

- Et moi.

Dong Soo lui jeta un regard éperdu, attristé. Woon se doutait, même sans en avoir reçu la confirmation explicite, que son père avait scandé autant qu'il avait pu aux parents de Dong Soo combien son fils était dangereux, mauvais, violent et imprévisible. Il était aussi probable que Sa-Mo et Jang-Mi leur avaient touché un mot de son affiliation à Heuksa Chorong et sa carrière, bien que courte, d'assassin au sein de la guilde, d'abord en tant que simple agent, ce qui pouvait encore être excusé en partie, puis en tant que dirigeant, ce qui était plus difficile à défendre.

Les deux récits, combinés, n'avaient très certainement pas contribué à donner de lui une image particulièrement reluisante, même en cas d'ajout de sa tentative de rédemption, et il était par conséquent peu étonnant que les parents Baek ne le tinssent pas en haute estime.

- Je suis désolé, Dong Soo-yah, dit-il.

Dong Soo marchait, bras dans le dos, mains nouées. Il avait vieilli, certaines des rides autour de sa bouche s'étaient creusées en quatre ans, il y avait comme un voile dans ses yeux, parfois, et Woon avait toujours envie de lui prendre la main, de passer l'une des siennes sous son bras, de poser sa tête sur son épaule, de le laisser guider leurs pas quelque part et de ne pas s'en soucier, parce qu'au fond la destination ou même plus simplement le trajet n'avait jamais eu la moindre importance, et que tout ce qui avait toujours compté étaient qu'ils soient tous les deux, sans personne d'autre.

- Ce n'est pas de ta faute, Woon-ah. Peut-être que ça ira mieux avec le temps. Ça ne fait que quelques semaines, et je ne les vois pas tant que ça. Peut-être que ça finira par changer.

Une gisaeng passa près d'eux, avec un sourire secret, velouté, et un hanbok couleur du ciel, tout en dégradé d'azur et d'aurore. Hui Seon traversa l'esprit de Woon. Il persistait dans ses essais de la contacter, se heurtant au silence, mais continuant de transmettre des échos légers, imprécis, contenant juste son nom et rien d'autre qui eût pu révéler sa localisation ou des informations compromettantes aussi bien à son sujet qu'à celui de Woon.

- Ton père, entendit-il Dong Soo articuler avec infiniment de prudence. Il n'a pas...enfin, il n'a pas l'air facile à vivre.

- Non, lui confirma t-il, plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu. Il ne l'a jamais été.

- Tu veux en parler ?

- Non.

- Très bien.

Et ce fut tout. Plus jeune, Dong Soo avait eu la tendance inverse, insistant, posant plus de questions, voulant à tout prix savoir, n'acceptant pas le mutisme de Woon et son souhait de ne pas aborder le sujet, mais provoquant, involontairement sans doute, le retrait accentué de celui-ci.

Il avait compris le mécanisme définitivement au cours de ses quatorze ans, et depuis, le schéma avait pris une autre déviation, imprévue, selon laquelle Woon était pris de l'impulsion de vouloir tout lui dire par moments, absolument tout, certain que Dong Soo pourrait écouter et comprendre, tout en étant parallèlement épouvanté à la simple idée de lui dévoiler des choses qu'il n'avait jamais dites à personne, et dont le maintien sous clé demeurait une sécurité et une habitude rassurante, aux fondations trop anciennes pour se voir ainsi balayées du jour au lendemain.

- Désolé.

- Quoi ?

Il leva les yeux vers Dong Soo, qui lui renvoya un sourire penaud.

- Je disais, désolé. Pour la dernière fois, dans ma chambre. Je n'aurais pas dû partir. Je ne voulais pas, en tout cas. Je te le jure.

Le thème vers lequel dérivait la conversation était inattendu, et il fallut à Woon un bref instant pour s'y ajuster, alors que son esprit basculait tranquillement vers la sensation du corps de Dong Soo entre ses cuisses, son bras sous son dos, l'arête de son nez contre sa tempe. Vers les autres fois, aussi, dans le bureau du palais royal, dans la cour de la maison abandonnée qu'ils avaient trouvé lors d'une chasse au camps d'entraînement, sur le chemin de retour de chez les courtisanes, dans la salle d'étude du camps. Entre les feuilles d'automne (ça a toujours été dans ses veines).

Dans les champs, avant leur confrontation, quand ils s'étaient revu pour la première fois sans malentendu ni intrigues et que Dong Soo, lorsque Woon était remonté sur son cheval, avait pressé sa cuisse de sa main, le regardant avec conviction, avec dévouement, et Woon se rappelait avoir voulu se pencher, saisir son visage, l'embrasser, se laisser tirer au bas de sa selle et allonger à même le sol. Ça ne s'arrêtait jamais.

Hui Seon, l'Œil et l'Herboriste lui avaient promis des réponses au cours de son voyage, mais quatre années s'étaient écoulées, et Woon avait l'impression d'être encore plus coincé qu'auparavant, de continuer à s'inhumer opiniâtrement sous une couche de plus en plus épaisse de dénégation, d'excuses, de faux-semblants et de diversions, au point qu'il se sentait atteindre des profondeurs critiques et s'inquiétait de ne pas jamais vraiment pouvoir remonter à la surface.

Il secoua la tête.

- Ce n'était pas de ta faute, Dong Soo-yah. Tu avais des invités.

- Tu es mon invité aussi. Depuis plus longtemps, ce qui te donne la préséance, précisa t-il, en voyant Woon sourire.

- C'était Sa-Mo.

- Ce n'est pas une excuse. Je suis parti, je n'aurais pas du. Pas comme ça, en tout cas. Je nous ai mis de côté. Je suis désolé.

Ce n'était pas la première fois qu'il disait "nous". Woon aimait le mot, l'idée, l'union qu'il sous-entendait, la sensation de pouvoir et d'appartenance qu'il lui apportait. Mago parlait des gwishins comme étant "notre peuple", et Woon ne s'était jamais senti totalement intégré à leur ensemble, pas plus qu'à celui d'Heuksa Chorong, ou même à celui des garçons du camps d'entraînement, des artistes martiaux, des sujets de Joseon.

Mais Dong Soo disait "nous", et invariablement, Woon pensait à son tour "nous", comme dans "toi et moi ensembles", lui et Dong Soo, leurs deux individualités l'une à côté de l'autre, se confondant, s'aspirant, sans se dévorer, devenant quelque chose qui était à la fois Woon et à la fois Dong Soo, et l'image vibrait en lui, résonnait comme dans une grotte, en faisait trembler les murs, la réduisait à néant, et jamais Woon n'avait connu de destruction plus douce, plus absolue, plus désirée.

Il répéta que ce n'était pas grave, que Dong Soo n'avait rien à se reprocher. Les conversations aussi étaient les mêmes (excuse-moi ce n'est pas grave ce n'était pas de ta faute si ça l'était).

- Woon-ah, je me demandais...

- Quoi ?

Dong Soo fit une pause, très courte, avant de reprendre la parole d'un ton plus ferme.

- Si on ne devait pas en parler. De ce qui s'est passé, j'entends. Au moins un peu. Tu ne penses pas ?

- Mais on ne l'a jamais fait, fut tout ce que Woon parvint à lâcher. Pourquoi maintenant ?

- Je ne sais pas trop, admit Dong Soo en haussant les épaules. Peut-être parce qu'on a jamais été aussi loin. Ça n'avait jamais été comme ça, avant. Pas à ce point-là, en tout cas. Je pensais que ça pourrait peut-être...

(avant)

- Aider ? Lui suggéra Woon, en le voyant regarder par terre, puis ses mains, comme si l'un ou l'autre avait détenu le mot adéquat.

- Oui. Aider. Quelque chose comme ça.

Il avait l'air timide, et déterminé à la fois, et ses yeux rencontrèrent brièvement les yeux de Woon avant d'aller s'égarer rapidement ailleurs. Ils avaient cela de commun de chercher à fuir quand la situation devenait trop délicate, mais pas de la même façon. Woon préférait l'annuler, s'échappait avec les mots ou physiquement. Dong Soo parvenait à demeurer dans la situation, mais son regard s'en éloignait à toute vitesse.

- D'accord, dit Woon, pour l'apaiser, et peut-être, aussi, pour retirer un peu de terre, juste un peu. De quoi veux tu parler ?

- Je ne suis pas sûr. Je ne sais pas par où commencer.

Puis il lâcha soudainement, avec une franchise et une absence de diplomatie que Woon ne lui avait plus vu depuis sa résurrection, et qui lui arracha un sourire incrédule.

- Ça t'a plu ?

Une fois passée la surprise, mais aussi l'amusement, et la gêne provoquée par la question, dont il compris ensuite néanmoins qu'elle se devait d'être formulée de façon aussi spontanée et directe, il s'autorisa une réflexion plus poussée, plus approfondie, et les mains de Dong Soo furent de nouveau sur ses hanches, autour de sa taille, sur ses cuisses, son corps sur lui, sa bouche pressée sur la sienne.

- Oui, conclut-il. Et toi ?

- Oui, Dong Soo fut plus rapide à répondre. J'avais peur d'être allé trop loin. Que tu n'aies pas aimé ça.

- J'ai aimé ça, affirma alors Woon, en levant les yeux vers lui, et en rencontrant les siens. Je te le promets, Dong Soo-yah. J'ai aimé. Ça a toujours été le cas. Avec toi.

Sur le visage de Dong Soo, il lut un souvenir, un autre "j'ai aimé ce que tu as fait", datant d'il y avait plus de dix ans. Ils se sourirent mutuellement. Woon pensa "nous", et regarda le mot, le concept, la créature, se réverbérer dans l'expression de Dong Soo, dans son sourire, et dans ses yeux plus vieux.


b. Le Seigneur du Ciel

Les longs cheveux embroussaillés du gwishin recouvraient son visage lorsque les soldats l'amenèrent en salle de torture et l'obligèrent à s'asseoir sur la chaise où se déroulaient habituellement les festivités, mais les premières appréhensions de Dong Soo à son sujet avaient éclaté dès son apparition dans la pièce souterraine, aux murs de terre rendus incandescents sous l'action des flambeaux.

Depuis qu'elle avait été construite, ou plus exactement percée dans le noble sol du palais royal de Changdeok, Dong Soo n'avait jamais eu vent de la moindre tentative d'aménagement plus poussée, d'une volonté de rendre la pièce plus aérée ou même confortable d'un point de vue strictement esthétique, n'eût été que pour la consolation des capitaines de brigades yangbans, accoutumés aux intérieurs opulents et élégants, et qui pour beaucoup tendaient à se plaindre davantage de la forme de la salle de torture des gwishins que de sa fonction, reléguant cette dernière à une coutume comme une autre qu'ils se devaient d'observer pour le maintien de la paix dans le royaume.

Quand il déjeunait parfois avec certains d'entre eux à la caserne, avant ou entre les patrouilles, Dong Soo les écoutait soutenir, la bouche pleine de riz et de chou, aliments qui constituaient la grande majorité de la cuisine militaire d'Hanyang, qu'assister aux sévices prodigués sur les morts dans ce qu'ils désignaient communément comme une "caverne", plus rarement comme un caveau, bien qu'un ou deux se fut aventuré à glisser la comparaison dans une conversation et avait récolté en guise de réponse le mépris de ses camarades, affectaient sérieusement leur humeur et leur moral.

En revanche, la tâche principale reliée à l'endroit en question, soit la surveillance des sessions de tortures, ponctués de hurlements, de pleurs, de supplications, de prières aussi, n'était jamais mentionnée comme étant la cause probable de l'aliénation des chefs de milices. Le sujet était soigneusement évité, séquestré comme les morts dans la prison royale, avec eux, et la plupart des militaires se démenaient pour que ses filaments de doutes et d'empathie ne les atteignent pas, sans jamais vraiment y parvenir.

S'il y en existait qui se montraient totalement hermétiques à la souffrance des gwishins, ou la soutenaient, prenant un plaisir évident à les voir subir tous les tourments entre les mains des bourreaux, Dong Soo en avait surtout vu qui fermaient les yeux, faisaient de leur mieux pour ne pas regarder, pour ne pas voir, pour ne pas en parler, et ce afin de ne pas se confronter à l'hypothèse terrible d'une ressemblance, d'une compréhension, qui auraient mis à mal leurs carrières et, de manière générale, la confiance qu'ils se devaient d'éprouver envers l'armée, le gouvernement, et le roi.

Le monstre le plus commun n'est jamais celui qui vous attaque en pleine nuit, lui fait dit un jour Ji-Seon, peu de temps avant que Dong Soo n'essaie de la demander en mariage, c'est avant tout celui du silence, celui qui n'a ni yeux, ni bouche, et qui ne veut surtout pas en avoir. Avec les années, Dong Soo avait apporté des nuances à sa déclaration, et avait fini par estimer que tout le monde était monstrueux, de façon quotidienne, mais à des degrés très divers, chacun à sa manière, plus ou moins violente en fonction des contextes et des situations.

Il avait reconnu la démarche avant tout le reste, la patte un peu traînante, le pas lourd, massif, qui râclait contre le sol comme les (doigts d'un mort la terre de sa tombe), et la façon que le gwishin avait de se tenir, volontairement penché vers un côté, incliné comme un navire sous les secousses des vagues, et pourtant imposant de stature. Il n'avait montré aucune résistance lorsque les soldats lui avaient attaché les poignets aux accotoirs de bois de la chaise, ni même tandis qu'ils le tiraient à l'intérieur de la salle.

Un instant, Dong Soo avait même songé qu'il avait eu l'air de les diriger lui-même, et de les utiliser simplement comme soutiens, ou comme escorte ornementale. Le bourreau était déjà là, nettoyant ses outils, chauffant à blanc les lames pour être certain qu'elles infligeassent un minimum de douleur à des êtres autrement insensibles à toute autre technique traditionnelles de torture, et croisant de temps à autre les yeux de Dong Soo, avec une expression qui s'apparentait à de l'embarras.

Ce n'était pas la première fois que Dong Soo le voyait, car la profession de tortionnaire des gwishins n'était guère spécialement courue, encore moins que celle de tortionnaire pour les vivants, mais son visage n'avait jusqu'à lors quasiment jamais présenté des signes aussi criants de gêne et, par endroits, dans le froncement de ses sourcils, dans le pli de son front, dans l'abaissement de ses yeux vers le sol, de honte.

Il aurait trop présomptueux d'affirmer qu'à mesure des supplices, le bourreau avait développé une compassion profonde pour ses victimes et comptait prendre leur défense du jour au lendemain, mais Dong Soo voyait néanmoins se profiler dans son attitude moins assurée, moins empressée, une tonalité d'un autre genre, une gradation, quelque chose de nouveau et, peut-être, d'encourageant, quelque chose qui avait déjà été exprimé par des soldats, par des chefs de brigades, par des fonctionnaires au palais ou des habitants au sens large de la capitale, plus largement du pays, à voix basse, en murmures, et qui disait "quelque chose ne vas pas".

Toute la condition gwishin, depuis quatre ans, semblait dépendre de cette formulation hésitante et inquiète. Dong Soo le savait d'autant plus qu'il avait accepté le poste de chef de brigade pour la repérer, l'entendre, la voir émerger, et aussi, avant tout, pour la faire sortir à l'air libre.

Le gwishin avait relevé la tête, ses cheveux s'étaient écartés, et la figure de Chun avait été inondée de la lumière des torches, prenant des teintes cuivrées. En dépit de l'absence de son apparat d'antan, de son bandana, de ses cheveux relevés en arrière, de ses yeux pochés de noir et de son katana, le regard était semblable à ce qu'il était déjà de son vivant, en apparence languide, fatigué, mais au fond duquel se lisait, si on s'y attardait suffisamment, un danger patient, dormant. Il avait souri, sans aucune joie, en apercevant Dong Soo planté dans son coin de la pièce, bras croisés, en train de le fixer comme le bourreau rajustait les sangles qui le maintenaient à la chaise.

Puis il s'était mis à rire, et à secouer la tête, donnant l'impression qu'il réagissait ainsi à une plaisanterie particulièrement fine et spirituelle. Il prenait toute la place sur la chaise, mais quand Dong Soo l'avait combattu pour la première et dernière fois il y avait près de quinze ans, et qu'il avait transpercé son flanc de son épée, répandant le sang, inversant les rôles, devenant l'assassin, devenant Chun, prenant sa place avant Woon, il avait semblé se ratatiner sur lui-même, subir un effondrement à l'intérieur même de sa large forme, et Dong Soo se souvenait très nettement avoir pensé, en l'observant s'éloigner, qu'il était vieux, qu'il allait mourir, qu'il était un vestige bientôt ramené à la poussière, comme Gwang Taek. Il se rappelait n'avoir presque pas été fatigué. Il se rappelait, surtout, de la déception (c'est tout ?).

Le bourreau retourna auprès de son arsenal de souffrance, préparant le fer chauffé à blanc, les flammes, le mécanisme où l'on vous enfermait les pieds dans une cage de fer sous laquelle on plaçait des braises fumantes et effroyablement brûlantes, celui qui faisait de même pour les mains, les billes de fer incandescentes, l'appareil qu'on vous enfournait dans la bouche et qui rôtissait votre palais, votre langue et vos mâchoires.

En quatre années, Dong Soo pensait les avoir tous vu, mais il entendait fréquemment dans les couloirs du palais des discussions animées sur l'invention de nouvelles techniques, de plus en plus vicieuses et ingénieuses. Il s'approcha de Chun. Le bourreau ne connaissait pas le nom de ses victimes, s'en fichait comme d'une guigne. Qu'un capitaine de brigade veille prendre le temps de discuter avec l'une d'elles ou non, il n'y accordait pas la moindre importance, tant qu'il pouvait ensuite procéder à ses activités tranquillement.

- J'ai dit à Woon que le destin n'existait pas, commença Chun d'un ton railleur, et vif malgré son état déplorable. Je vais finir par croire que je me suis trompé.

- Ou vous pourriez juste faire comme tout le monde, et admettre que le hasard fait bien les choses, répliqua Dong Soo. Depuis combien de temps ?

Il n'eut pas besoin de préciser qu'il faisait mention de la résurrection de Chun.

- Une semaine. Je crois.

- Vous mentez.

- Allons bon. Pourquoi ?

- Parce que la dernière vague de résurrection a lieu trois ans plus tôt.

- Et alors ?

- Les levées n'ont lieu que pendant les vagues. Pas entre elles.

Chun eut un sourire en coin, vaguement songeur, un peu désabusé.

- Je ne sais pas comment fonctionnent les vagues, gamin, lui dit-il. Ni les résurrections. J'ai cru que j'étais toujours vivant quand je me suis réveillé. Qu'on m'avait enterré vivant. Et puis j'ai eu faim.

Dong Soo attendit la suite.

- Et ? Finit-il par le presser, en voyant que Chun gardait le silence.

- J'ai perdu connaissance. Quand j'ai retrouvé mes esprits, j'avais une épée au travers du corps, et la bouche dans les entrailles d'un pauvre type. Ça m'a fait réfléchir. Ça, et les hommes qui m'ont arrêté à l'entrée d'Hanyang.

- Vous vous êtes présenté aux portes de la ville ?

- Donne-moi une seule bonne raison pour laquelle je n'aurais pas dû. Je venais de me réveiller, et je ne savais rien. Ni des résurrections, ni de l'année, ni des surveillances, rien. Je suis venu parce que je pensais trouver Hanyang comme je l'avais laissée, et j'ai été accueilli avec un fer chauffé à plat sur le dos de la main, et un emprisonnement. Pas à cause de ce que j'étais avant, contrairement à ce que j'ai cru au départ. Mais parce que je suis mort. Du reste, je ne sais rien. On ne m'a rien dit. Éclaire donc mes lanternes, gamin. Le temps que notre ami prépare ses jouets.

Dong Soo lui fit un résumé succinct et distrait, évoquant la première résurrection, le chaos qui l'avait suivie, le retour des ancêtres du roi Yeongjo, sa décision de faire traquer et décimer les gwishins pour préserver son trône et la stabilité du pays, l'Encyclopédie des Morts et sa liste d'attributs, la montée en puissance des Yeogogoedam puis leur répression parallèle à celles des gwishins, le fractionnement de la société sur le sujet, la fuite et la dissimulation des gwishins, les désaccords éthiques, moraux, la continuité et le renforcement des répressions par le nouveau monarque.

Chun l'interrogea quant à l'utilité de la torture, à propos des contradictions qu'elle soulevait a priori en lien avec la volonté de se débarrasser des gwishins, et Dong Soo lui expliqua alors l'existence de la conscience collective partagée par les morts, de ses avantages dans leur localisation sur le territoire dont souhaitait profiter le gouvernement, mais également le rôle des supplices dans la constitution d'une armée des morts. À cette allusion, Chun se fit ouvertement moqueur.

- Le roi prétend vouloir faire défendre le pays par les morts, maintenant ?

- Oui. Dans votre intérêt, je vous conseille d'accepter d'en faire partie. Ça abrégera vos souffrances. Et ça vous permettra de rester en vie. Vous êtes toujours un artiste martial, et on vous considérera comme utile.

- Et toi, dans tout ça ? Qu'est-ce que tu fais ? Tu participes ?

- Non. Je suis spectateur, c'est tout. C'est la règle.

- Je vois.

Chun hochait la tête tout en répondant, souriait, et il y avait dans son rictus encore plus de moquerie, plus de résignation, et des sous-entendus que Dong Soo n'aimait pas.

Il fut contraint d'admettre qu'il n'y avait aucune raison pour l'ancien seigneur du ciel d'Heuksa Chorong (c'est Woon l'ancien seigneur du ciel) de lui mentir à propos de la date de sa renaissance. L'éventualité que celui-ci dise vrai impliquait cependant un changement majeur, et potentiellement de mauvais augure, dans les mécanismes qui avaient jusqu'à lors structuré les vagues de résurrections comme étant des événements réguliers et se produisant sur une durée déterminée, avant de s'interrompre dans l'attente de la prochaine.

Si Chun s'était véritablement éveillé une semaine auparavant, il était possible, dès lors, d'envisager que les morts puissent sortir de leurs tombes à tout moment, et la nouvelle risquait de provoquer un mouvement de terreur et de panique généralisée, car le contrôle des résurrections et leur aspect prédictible avait été un élément de réassurance pour l'ensemble des vivants, rendant notamment les répressions plus faciles à mettre en place.

Il lui posa la question une seconde fois, et voulut savoir s'il se souvenait de quelque chose de spécifique lié à son réveil, un élément qui aurait pu expliquer cette modification dans le phénomène des résurrections tel qu'il avait été connu jusqu'ici.

- Désolé, gamin. La seule chose dont je me rappelle à peu près, c'est d'avoir eu l'impression d'être tiré vers le haut.

Intérieurement, Dong Soo se mit à ressasser les descriptions que Woon et que d'autres gwishins avaient pu lui faire de leurs renaissances, et il n'y trouva aucune correspondance, aucune insinuation d'avoir éprouvé la même sensation que Chun venait de lui exposer.

En temps ordinaire, il aurait eu tendance à considérer un tel détail comme négligeable, ou de l'ordre du non prioritaire, mais il y avait eu depuis d'autres choses, la vision de Jae-Ji par Woon et Mago, et puis cette dernière nuit où, revenant de sa patrouille, il avait trouvé les deux gwishins debout à l'entrée de la maison, totalement immobiles, l'un à côté de l'autre, les yeux vitreux, couverts d'un voile noir opaque comme s'ils étaient tout juste sortis de terre.

En venant vers eux et en leur demandant si tout allait bien, il s'était rendu compte avec effroi qu'ils ne le voyaient pas, mais regardaient simplement devant eux sans avoir conscience de leur environnement immédiat. Il les avait secoué, appelé, avait enveloppé le visage de Woon entre ses mains, réveillé Yun-Seo qui s'était affolée à son tour et avait tenté de réveiller Mago en claquant des doigts devant elle.

Ils n'avaient pas réagi, mais tout à coup, leurs nez et leurs yeux s'étaient mis à saigner, peignant leurs deux visages de longues traînées noires et épaisses, dont des gouttes étaient venus s'écraser sur le sol. Ils parlaient, mais sans entendre Dong Soo et sa femme, et leurs propos les avaient glacé, car ils répétaient "Les Yeux les Yeux les Yeux les Yeux", inlassablement, en une mélopée sinistre, sans vie.

Yun-Seo et lui avaient réussi à les ramener dans sa chambre, non sans effort, car ils avaient paru comme cloués au sol, et les avaient installés sur le lit alors qu'ils continuaient à murmurer. Yun-Seo frictionnait les mains et les bras de Mago. Ils étaient glacés tous les deux, et affreusement rigides.

- Woon-ah, avait appelé Dong Soo, avec détresse, contenant à peine la panique qui lui montait dans la gorge, caressant le visage de Woon, massant ses épaules, essayant de l'atteindre. Woon-ah, mon amour, réveille-toi, s'il te plait, réveille-toi.

Le mot lui avait échappé. Yun-Seo n'avait même pas semblé le relever, trop occupée qu'elle était à tenter de provoquer une réaction chez Mago. La transe, car ils n'avaient pas su comment la désigner autrement, avait duré plus de dix minutes après le retour de Dong Soo. Puis, finalement, les yeux de leurs invités avaient repris un aspect plus normal, plus humain, le noir s'était dissipé, et Woon avait émergé en inspirant une immense goulée d'air éperdue, tout en s'exclamant "Ils ont toujours été là !".

Mago était revenue à elle de façon quasiment simultanée, et alors que Dong Soo et sa femme s'efforçaient de les apaiser, de les aider à retrouver leurs repères, ils avaient échangé un regard terrifié, perdu.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Lui avait demandé Dong Soo, agenouillé en face de lui, ses mains sur ses épaules, en le regardant essuyer le sang noir qui maculait sa bouche et ses joues avec le dos de sa main. Qui a toujours été là ?

Mais Woon avait secoué la tête, avant d'affirmer qu'il ne savait pas. Le lendemain, quand ils étaient apparus pour le petit déjeuner après le passage de la cuisinière, leurs cheveux avaient gagné de nouvelles mèches blanches. Aucun des deux n'étaient parvenu à expliquer ce qui s'était passé.

Dong Soo se recula, pour laisser la place au bourreau. Les conversations avec les morts avant une séance de torture n'étaient pas faites pour s'éterniser librement, et il ne souhaitait pas attirer sur lui l'attention en s'autorisant à parler davantage avec Chun. Il ne pouvait rien pour lui, tout du moins dans l'immédiat. Et Chun n'était pas Woon.

- Dis-moi, lui demanda t-il néanmoins, avec plus d'hésitation. Qui d'autre est revenu ?

- Pourquoi ? Vous voulez retrouver quelqu'un ?

Et il nota que les épaules de Chun s'affaissaient, qu'il paraissait se courber sur lui même, comme avant, comme la fois où Dong Soo l'avait blessé, l'avait saigné, avait enclenché sa mise à mort. Comment oses-tu laisser une cicatrice sur mon corps ? Avait-il demandé, quand Dong Soo avait douze ans, et qu'il avait semblé si grand, si terrible, si indestructible.

Parce qu'il fallait bien que je commence quelque part, songea Dong Soo, parce que ça m'a montré que je pouvais, parce qu'il fallait que je le comprenne, parce que ça devait passer de lui à moi, et que ça mis en œuvre tout le reste. Le visage de Chun était d'ombre et de d'or à la lueur des flammes, et oh, il y avait là les couleurs de l'automne, des feuilles, et il y avait des choses mille fois pire encore, bien pires que Chun, parce que Chun avait été vieux, Chun avait été aveuglé par son désir de grandeur, et que les horreurs commises pour l'amour de l'autre étaient toujours plus atroces que celles perpétuées pour l'amour de soi.

- Gwang Taek, dit Chun, d'un ton pitoyable. Ga-Ok.

Dong Soo secoua la tête, lui déniant l'espoir.

- Leurs dépouilles ont été brûlées. Ils ne reviendront pas. Ceux-là ne sont jamais revenus.

Le bourreau s'approchait, les flammes entre les mains, contenues dans une lame de fer.

- Woon est revenu, lâcha t-il néanmoins.

Chun lui adressa un regard lourd.

- Alors tu es chanceux, gamin.

Le fer entra en contact avec sa cuisse. Dong Soo regarda ailleurs. Il n'y aurait rien pour l'instant. Il fallait toujours un peu de temps pour les gwishins commencent à avoir mal.