Notes de début de chapitre.

Mes chapitres deviennent de plus en plus longs, c'est une catastrophe. Je profite également de ces notes pour vous prévenir (encore, je suis tellement désolée) que bien que j'ai terminé de rédiger ma communication, j'ai un autre gros article à écrire rapidement pour une revue internationale, et du coup les prochains chapitres risquent peut-être d'avoir un peu de retard. Je continue de faire mon possible pour les publier dans les temps malgré tout !

La deuxième partie de ce chapitre est un hommage à la série française "Kaamelott", et plus précisément au personnage de Guenièvre, qui a délivré l'une des répliques les plus terribles et les plus tristes de toute la série.

Du reste, oui, Dong Soo fume bien de l'opium (qui existait à l'époque, même si ce n'était pas aussi répandu et connu qu'à compter du XIXéme siècle). "Chasser le dragon" est une expression qui désigne justement le fait de fumer de l'opium ;).

Bande-son (milieu de deuxième partie du chapitre, une fois dans le lit) :

Omake-Pfadlib (Attaque des Titans OST - ce morceau appartient à tout le clan Ackerman *insérez ici amour et admiration pour cette scène où Levi massacre un titan avec ce morceau en arrière-fond* et j'ai presque honte de l'emprunter, mais il était parfait)


CHAPITRE LXVI


"Parce qu'à chaque fois que je ferme les yeux, je vois tout le sang qui vous manque par terre, avec vos coupures au poignet, et puis vos yeux vides... Alors, vous m'avez jamais avoué que vous vous étiez marié une première fois, hein, mais ça, vous me l'avez laissé voir."

(Alexandre Astier, " Kaamelott")


a. Nunchi

Seung-Min ne s'était rendu qu'une seule fois au camps de l'armée des morts depuis que ce dernier avait été bâti en périphérie de la capitale, dans une zone jugée assez isolée entre les montagnes et suivant le cours de la rivière Han, durant l'année 1779. Il n'était pas sans ignorer, comme la quasi-totalité des soldats de l'armée de Joseon, ainsi que des officiers du gouvernements, à tous les niveaux qu'ils fussent, que l'idée de la constitution d'une régiment composé de gwishins était loin d'être récente, et les plus hardis affirmaient qu'elle avait été fomentée par Yeongjo à la fin de son règne, mais que le précédent monarque avait tout à la fois manqué de temps, de volonté et de moyens pour mettre en place ces éventuels desseins militaires vis-à-vis des morts.

D'anciens conseillers du défunt souverain, dont les fonctions avaient été reprises par une nouvelle génération dès l'ascension au pouvoir de Jeongjo, ainsi que le voulait la tradition, avaient observés non sans légitimité que la situation sous Yeongjo, et par là même le contrôle des gwishins, avait été trop délicate et instable pour permettre le déploiement de telles ambitions.

Une armée de morts ne vaudra rien si elle ne peut être maîtrisée et dirigée, avait ainsi écrit avec raison un fonctionnaire rattaché au ministère de la Guerre, dans une missive qui datait de 1772 et dont le contenu, mis en commun avec celui d'autres correspondances entre les ministres, les bureaucrates et les lettrés, certifiait de l'émergence de la question d'une armée des morts très tôt après leur apparition, puisque la deuxième vague de résurrection s'était achevée à peine deux ans plus tôt.

La nature des propos échangés par les différents auteurs des lettres mises au goût du jour avait souligné que l'hypothèse d'user de la force et de la résistance physique des gwishins sur les champs de bataille n'en était alors qu'à ses balbutiements à l'époque, mais elle avait été suffisante pour entraîner une vague de présuppositions frénétiques quant aux derniers mots que Yeongjo avait adressé à son petit fils, et sur les prises de positions choisies par ce dernier dès son arrivée au pouvoir, ainsi que l'ensemencement, jugé rapide aux yeux de ceux qui n'en faisaient pas directement partie, de la possibilité de création d'une armée des morts au sein du gouvernement.

Seung-Min avait plus d'une fois entendu le sujet apparaître dans les conversations, aussi bien entre jeunes recrues qu'instructeurs, et plus tard que soldats expérimentés. Il n'était jamais particulièrement détaillé, et tendait davantage à être survolé, mais il était revenu à de nombreuses reprises, assez en tout cas pour éveiller sa curiosité et comprendre que la thématique de l'armée des morts avait pris un rôle-clé dans l'affaire des gwishins, et le rapport que les vivants, en particulier les dirigeants du pays, entretenaient à leur égard.

L'année où il avait été officiellement décidé de fonder une armée des morts, un projet qu'on disait notamment appuyé avec vigueur dans un premier temps par le faiseur de roi, Hong Guk Yeong, avant que celui-ci ne se mette soudainement à le redouter et à tenter d'en dissuader le roi de toutes ses forces, sans donner la moindre explication logique, les procédures de réalisation des patrouilles et les consignes reçues vis-à-vis des gwishins au sein de l'armée avaient subi des modifications drastiques.

Des exécutions systématiques, on avait ordonné aux soldats et à leurs commandants de favoriser les captures, selon une liste de critères prédéterminés, qui faisait la part belle aux individus de sexe masculins et adultes, mais reléguaient dans l'ombre et la décapitation les femmes, les enfants, et les personnes âgées, à moins que ceux-ci ne fussent détenteurs d'un talent suffisamment remarquable pour être jugé utile à la constitution de l'armée et au service du royaume.

Les fonctions d'éclaireurs s'étaient focalisées sur un repérage plus discret des cibles, sur des approches plus subtiles destinés à permettre les arrestations sans craindre de devoir en venir automatiquement à l'assassinat. On avait fourni les épées de feu, pour pousser les gwishins à se plier plus facilement à leur sort. En ce temps-là, les prisons aux quatre coins du pays s'étaient rapidement retrouvées surchargées de gwishins que la cinquième vague de résurrections était venue rendre encore plus nombreux.

En conséquence, le camps où ils avaient été ensuite envoyés en masse, ou parqués selon les critiques les plus sensibles à leur situation, avait été bâti promptement, sans réel intérêt pour une architecture travaillée ou une élégance globale dans sa structure. Il s'agissait d'y tenir les morts aussi bien que dans une prison, et de ce fait, l'esthétisme n'avait eu aucune importance dans la construction de ses édifices et fortifications.

Seung-Min, un jour que les convois manquaient d'hommes, y avait été affecté et avait conduit des gwishins dans son enceinte. C'était une monstruosité de bois et d'acier, toujours en construction et s'agrandissant à mesure que les morts s'y accumulaient. On les y entraînaient presque pas. Tout au plus leur apprenait-on à manier une épée. Le but n'était pas d'en faire des soldats performants, capable de se défendre d'eux-mêmes et donc potentiellement dangereux, mais de les préparer à être une avant-garde destructrice visant à plomber le moral des troupes adverses.

À Seung-Min, on avait expliqué qu'ils étaient volontairement affamés de sorte à tomber dans des états très proches de la crise de faim, sans toutefois les atteindre véritablement, et qu'on les conditionnait ensuite, à grands renforts de flammes, à attaquer des silhouettes de soldats ennemis, japonais ou chinois. On revêtait des mannequins de leur uniformes et de leurs symboles, puis on les bourrait de viande, et on lâchait sur eux les gwishins.

S'ils cherchaient à attaquer les soldats de Joseon, ils rencontraient le feu, parfois de la torture supplémentaire, car celle-ci était loin de prendre fin une fois les morts sortis de prison. On ne voulait pas en faire des militaires aguerris et conscients : le gouvernement voyait simplement en eux une arme, un objet, comme un canon, dont il souhaitait faire un usage immodéré et sécurisé pour abattre ses opposants et faire du pays une puissance de premier ordre. Seung-Min se souvenait encore des yeux des gwishins à l'intérieur du camps, hagards, perdus, déboussolés. Ils ne l'avaient jamais vraiment quitté.

Seung-Min suivait le reste des membres de sa brigade le long du flanc de la montagne, observant le dos du capitaine Baek qui avançait aux côtés de l'éclaireur, torche en main. Un peu plus tôt, avant qu'ils ne quittent la caserne, Seung-Min était venu le trouver au moment où il avait posé le pied dans le baraquement qui servait de bureau général aux capitaines.

Il n'avait pas réellement préparé son discours, ni même sa pensée, et avait obéi avant toute chose à un besoin primordial, dont les serres avaient entamé irréparablement le socle de ses réflexions, mais également de ses croyances et de ses principes, de lui communiquer le fait qu'il partageait désormais ce que le jeune homme avait appelé, durant les nuits qu'il avait passé à tourner en rond, à hésiter, à tâtonner dans le noir quant à la possibilité de s'adresser ou non à son capitaine, son "secret".

Il reconnaissait que le terme était dépourvu d'originalité, mais n'avait pu se résoudre à lui trouver une appellation plus extraordinaire. En outre, la notion de secret avait toujours impliqué à ses yeux un aspect d'interdit, de danger, d'obscurité, dont la noirceur était bien celle des yeux de la petite Mago, ou du maître de celle-ci.

Il était retourné chez les Baek depuis l'affrontement qui l'avait opposé à la gamine, et jamais le souvenir de sa force glacée ne l'avait quitté durant ces derniers jours, rappel permanent de la dichotomie entre ce qu'il considérait comme son devoir militaire, et ses propres valeurs individuelles, qui avaient subi une évolution et se voyaient considérablement plus nuancées qu'il y avait de cela quelques années, au moment de son entrée dans l'armée en tant que future recrue. À l'époque, Baek Dong Soo était un ivrogne, un professeur décevant, ses camarades des rivaux plus que ces frères, et les gwishins le grand ennemi de la population, le monstre dont on racontait les horreurs aux enfants pour les pousser à bien se comporter.

Mais Seung-Min avait depuis terminé sa formation, intégré une brigade où les hommes étaient soudés, unis dans la peur, à la fois des morts mais aussi de leur propre mission et des similarités qu'ils ne cessaient de constater entre eux et les gwishins. Baek Dong Soo était devenu son capitaine, et il était plus compétent, moins aviné, plus conscient. Il écoutait ses hommes, se montrait juste avec eux. Avec les gwishins, il était l'un des moins radicaux. Et Seung-Min savait, désormais, que deux d'entre eux résidaient chez lui, librement.

- Capitaine, je voulais vous dire que je sais, pour votre ami d'enfance et son élève, avait-il dit, alors que Baek Dong Soo vérifiait la lame de son épée de feu, et s'assurait qu'elle fut en état de fonctionner en cas de nécessité.

Il avait posé sur lui un regard aigu, celui d'un aigle repérant un petit rongeur au sol et décidant de fondre sur la fragile créature pour en faire son repas. Un bref instant, Seung-Min s'était demandé s'il n'avait pas commis une erreur, et présumé de ses droits.

- J'ai peur de ne pas te suivre, avait déclaré Baek Dong Soo, d'un ton qui se voulait nonchalant, mais dans lequel Seung-Min avait entendu la pointe de tension, de méfiance. Il va te falloir m'en dire plus, si tu veux que je comprenne.

- Je sais que ce sont des...qu'ils sont morts, s'était-il corrigé, estimant que la formule pourrait potentiellement prêter davantage à confusion et les préserver dans le cas où quelqu'un entendait leur conversation. Je le sais depuis le combat.

Il sentit qu'il n'avait pas besoin de s'expliquer davantage. L'expression du capitaine Baek était prodigieusement insondable, et Seung-Min y avait trouvé des ressemblances avec celle que le visage maître de Mago affichait le plus souvent, les fois où il l'avait vu.

- Ce ne sont pas des accusations anodines, Seung-Min, lui avait-il fait remarquer calmement.

Il y avait quelque chose dans sa voix, comme un grincement, une rigidité, qui avait immédiatement indiqué à Seung-Min qu'il y avait là un risque énorme, une sorte de guêpier dissimulé, qu'il n'avait jusqu'à lors jamais encore soupçonné de la part de Baek Dong Soo. C'est à cause de l'alcool, s'était-il dit, tu penses toujours à lui avec l'alcool, et pas à ce qu'il a été ou à ce qu'il est sans.

Il avait senti le poids des implications et, presque malgré lui, s'était mis à évaluer les choix possibles de son capitaine, et leur degré de dangerosité. Il me tue, avait été le premier. Il l'en savait capable, tout du moins physiquement, car il l'avait vu décoller des gwishins sans difficulté majeure. Puis les autres éventualités avaient suivi naturellement, mais avec moins de force, car moins inquiétantes. Il me fait chanter. Il me menace. Il me supplie. Il avoue. Il continue de nier.

Il avait répondu alors même qu'il méditait encore sur chacune de ces possibilités, se prenant de court, et cependant pas totalement, dans le sens où la réplique qu'il avait alors prononcé avait été la résultante de plusieurs nuits de questionnements, de journées passées à observer son capitaine, ses invités quand Seung-Min se trouvait chez lui, mais également de ce constat qu'il avait déjà auparavant, qui s'était amplifié au fil du temps, et à mesure qu'il avait évoqué les souvenirs de Min-Su, les yeux des gwishins de l'armée des morts, les exécutions, les captures.

- Je ne dirais rien. Vous avez ma parole. Ils sont comme nous. Je ne parlerais de ça à personne.

Baek Dong Soo était resté immobile un instant, interdit, en le fixant comme pour déterminer la véracité de sa promesse. Il tenait toujours son épée. Puis il avait ensuite souri, d'une façon amère, résignée, et l'avait rentrée dans son fourreau en hochant la tête, sans rien ajouter de plus.

Ils progressaient dans la même zone que depuis plusieurs jours, le long des reliefs escarpés du Cheonmasan. Le capitaine Baek paraissait s'être piqué d'un intérêt très vif pour la montagne dont un roi à l'époque du royaume de Goryo avait prétendu que le sommet pouvait toucher le ciel (ce qui était une exagération dramatique, car Seung-Min s'y l'avait déjà atteint durant une patrouille, et bien qu'il eût pu faire face à une marée splendide de nuages, il n'en avait pas pour autant eu la sensation de pouvoir tendre la main pour palper la voûte céleste), et s'entêtait à y guider leur pas sans relâche, de plus en plus profond dans la forêt montagneuse, s'éloignant de la capitale et faisait étrangement fi de sa prudence habituelle en matière de risques pour ses hommes.

On disait le Croque-Mitaine plus que jamais dans les parages, plus agressif que jamais, et on avait encore retrouvé une dizaine de corps affreusement mutilés dans les hauteurs du Bukhansan. Tous étaient de la même brigade. Le capitaine, un homme du nom de Yoh Sang-Hoon, réputé pour son intransigeance et sa haine des gwishins, y était passé lui aussi. On l'avait découvert sans ses bras, et un œil en moins, la langue pendante dans un cri muet.

La présence de la créature tendait les hommes plus que jamais, et il y avait eu récemment des protestations plus bruyantes vis-à-vis des missions en extérieur, qui s'étaient terminé par une arrestation massive de tous les dissidents, des emprisonnements, des suspicions d'associations et de protection d'ennemis du royaume, et, pour les cas jugés les plus extrêmes, de la torture ainsi que des exécutions. Celles des morts n'avait jamais empêché celles des vivants. On avait veillé à brûler les corps.

Toutes les demandes d'enquêtes avaient été menées par le Bureau d'Investigation, et Seung-Min avait vu les cernes sous les yeux du capitaine Baek s'élargir, comme celui-ci avait été réquisitionné avec plus d'ardeur pour interroger les suspects et traiter les différents cas avec ses collègues alors qu'il continuait d'assurer son service auprès de sa milice.

Aucun des hommes ne savait exactement pourquoi le capitaine les ramenait aussi fréquemment sur les flancs du Cheonmasan. Seung-Min, pour sa part, s'était souvenu de la question qu'il lui avait posé lors d'une de leurs sessions de révisions pour l'examen du gwageo (une clairière près d'Hanyang ça te dit quelque chose), et sans être totalement assuré qu'elle constituât l'origine de la fascination soudaine du capitaine Baek pour la montagne, il supposa néanmoins qu'elle était plus susceptible que d'autres alternatives de justifier son attitude.

C'était néanmoins la septième fois déjà qu'il les emmenait sur place, et jusqu'à présent, les recherches, aussi bien en termes de traques des gwishins que de repérage d'une éventuelle clairière, avaient été infructueuses. Seung-Min devinait la confusion des autres, auxquels le capitaine n'avait posé aucune question en mesure de faire basculer leurs raisonnements vers les mêmes perspectives que les siennes, et lui-même éprouvait une certaine irritation dans le fait de se voir contraint de participer à une patrouille à laquelle un objectif de toute évidence personnelle prenait le pas sur leur devoir militaire.

Car Baek Dong Soo, s'il s'était montré assez souple sur la durée des précédentes battues et n'avait pas cherché à leur imposer des heures supplémentaires, semblait toutefois avoir mis de côté ce laxisme et n'hésitait pas à allonger parfois la durée des surveillances, en vue de mettre la main sur ce que Seung-Min le suspectait de chercher. De plus, le Cheonmasan était relativement éloigné de la capitale, et au temps de patrouille s'ajoutait celui d'un trajet plus long.

Ils firent une courte halte entre les arbres, pour manger et boire un peu, ainsi qu'ils le faisaient toujours. La lumière des torches éclairaient faiblement la nourriture et les gourdes, et la nuit était complétement noire, épaisse, sans lune. Ce fut aussi pour cette raison, parce qu'il faisait si noir, que Seung-Min la distingua de façon aussi nette. Au début, il ne vit qu'une lueur dans le lointain, un halo imprécis, qui lui fit penser à celui de la lune ou de la (peau des gwishins). Il avait été le premier à la voir, car il s'était installé juste en face.

Il n'avait pas réagi dans un premier temps, fatigué du déplacement, trop occupé à dévorer sa ration. Puis son voisin avait soudainement déclaré "qu'est-ce que c'est que ça ?", et alors tous les autres, y compris le capitaine Baek, se tournèrent d'un même mouvement, s'attendant à voir apparaître le Croque-Mitaine, des gwishins, ou toute autre menace qui provoqua chez certains le réflexe de dégainer leurs épées.

Constatant que le silence demeurait inchangé, et qu'aucune silhouette ne venait dans leur direction, une vague de calme retomba sur la brigade, et Baek Dong Soo prit la décision d'envoyer quelques hommes en éclaireurs, lui compris. La procédure était habituelle. S'il y avait là un danger, elle permettait de perdre seulement quelques hommes, et non la totalité de la milice. Seung-Min, sur lequel la lueur exerçait une attraction profonde, incompréhensible, demanda à faire partie du détachement.

Ils s'approchèrent avec une prudence délibérée, en évitant autant que possible de marcher sur des feuilles ou des branchages qui eussent indiqués leur présence. La lueur grandissait, enflait. Elle était blanchâtre.

Émergea finalement d'entre les arbres, dans un éclat opalin, puissant et morbide, comportant des traces de vert et de bleu, un parterre de fleurs délimités sur lequel ne poussait aucun arbre, aucun buisson. Les fleurs étaient d'un blanc désagréable, déviant, occulte. Deux soldats firent le tour, et confirmèrent la forme ronde de l'endroit, ainsi que l'isolation totale qu'il présentait par rapport au reste de la forêt.

En son centre, déchiré, se tenait un tronc d'arbre mort, noirâtre, comme recouvert de suie et dépourvu de la moindre feuille. Une tension régnait sur les lieux, une pression, et tout son aspect avait quelque chose d'irrationnel, d'impossible, d'illogique, qui donna à Seung-Min l'envie irrésistible de s'enfuir, de lui tourner le dos et de l'oublier.

(les)

Il se tourna vers leur capitaine, hésitant sur la marche à suivre, souhaitant l'entendre dire de rebrousser chemin, de partir rejoindre leurs confrères, de ne surtout pas en parler entre eux. Ce n'était qu'une clairière. Mais tu en as entendu parler, lui dit une voix, dans le fond de son crâne, dans les profondeurs de ses entrailles, tu sais, il y eu des rumeurs, les clairières des morts, les clairières blanches.

Le visage de Baek Dong Soo exprimait une concentration intense, une joie féroce et injustifiée. Seung-Min comprit qu'il tentait autant que possible de retenir l'emplacement de l'endroit, d'y prendre des repères. Il songea à Min-Su, à Mago, au maître de celui-ci. Aux yeux des gwishins de l'armée des morts.

(Yeux)


b. Contenu latent (partie 3)

Woon suivit Dong Soo cette nuit-là, après l'avoir vu rentrer de sa patrouille, entrer dans le hanok principal et très certainement rejoindre la cuisine pour y manger quelque chose ou s'y désaltérer, puis faire le chemin inverse, ne pas rejoindre sa femme dans ses quartiers, et retourner dans la rue en suivant la direction inverse à celle qui l'avait ramené chez lui. Woon se trouvait assis dans la chambre de Dong Soo, juste devant la porte, au moment où ce dernier était revenu, et il avait fait légèrement coulisser la cloison dans le but de pouvoir observer l'extérieur de la maison et la cour principal sans craindre d'être vu lui-même dans son examen.

Il appliquait le procédé depuis près d'une semaine complète, et plus exactement depuis qu'il s'était vu confirmer les départs inattendus de Dong Soo par Mago, qui l'avait également aperçu retournant dans la rue alors qu'elle s'offrait parfois un peu d'air après une immersion dans la conscience collective, et qui avait entendu le bruit de ses pas sur le sol terreux de la cour à plusieurs reprises en s'extirpant de l'esprit commun des morts durant la nuit.

En parallèle, son étudiante lui avait aussi confié avoir perçu, deux ou trois fois, des grognements gutturaux provenant des environs de la demeure, et qu'elle avait associé, sur la base des descriptions qu'elle avait pu ouïr à ce sujet, à la présence potentielle de la créature tueuse de vivants et de mots, le Croque-Mitaine, dont Woon avait entraperçu la silhouette fantomatique à la surface de la rivière Han.

Ce n'est pas certain que ce soit ça spécifiquement, avait précisé Mago, alors que Woon venait de lui formuler quelques remarques vis-à-vis d'un enchaînement d'attaques qu'elle avait réalisé les yeux bandés, et qu'il avait estimé encore trop imprécis pour être totalement efficace et lui assurer une protection suffisante. Du Croque-Mitaine, et à l'exception peut-être de ceux que Woon avait senti dans sa tête (gwishin-roi) le long des berges de la rivière Han, aucun gwishin ne semblait savoir grand-chose.

La conscience collective restait muette, Hui-Seon et Jae-Ji ne s'étaient pas manifestées de nouveau pour partager d'éventuels renseignements à ce propos, et ceux qui résidaient clandestinement dans la capitale avec l'aide du réseau des Yeogogoedam avaient majoritairement répondu par la négative lorsque leurs alliés vivants s'étaient permis de leur demander s'ils le connaissaient ou l'avaient éventuellement déjà croisés. Na-Young était de ceux-là. En revanche, elle leur avait signalé lors de leur première visite à la boutique de son père qu'elle avait déjà été amené à entendre les mêmes grognements que Mago, et que d'autres habitants de la ville.

Woon avait également guetté sa présence depuis le début de sa surveillance, bien que la créature ne représentât guère sa préoccupation majeure. Au cours des nuits qu'il avait passé adossé au mur de la chambre, le visage découpé par la lumière de l'extérieur que laissait filtrer l'ouverture légère de la porte, il avait épié en silence les retours de patrouille de Dong Soo, et ces derniers obéissaient presque toujours au même schéma, à la même organisation.

Dong Soo s'introduisait la cour principale de la maison, entrait ensuite dans le grand hanok principal, se rendait très probablement dans la cuisine, ainsi qu'il l'avait fait deux jours auparavant alors que Woon prenait son bain nocturne (la rivière), puis, en sortant, se dirigeait soit vers la chambre de sa femme, dont il ne ressortait plus, soit vers la rue, et alors il tournait le dos à la demeure et s'éloignait dans le noir, d'un pas un peu plus traînant, lassé, qui avait évoqué Chun à l'esprit de Woon par moments.

Il repartait davantage qu'il ne restait. Et cependant, il était toujours là le matin, pour le petit déjeuner, invariablement, les yeux rougis et l'air plus épuisé que jamais, mais éveillé et vêtu de son uniforme. Il souriait à Woon, lui proposait de la viande, ne disait rien de ses escapades. Il ne buvait pas, et Woon doutait fortement qu'il eût décidé de reprendre sa consommation en cachette, alors qu'il ne l'avait jamais caché autrefois, même à lui.

Lorsqu'il en avait fait la remarque à Yun-Seo, celle avait répondu évasivement, avec un certain embarras qu'il avait trouvé inhabituel. Oui, il est vrai qu'il passe ses nuits ailleurs, parfois, avait-elle déclaré sans trace de colère ou d'inquiétude marquées, il a toujours eu du mal à dormir depuis que nous sommes mariés, et je sais que l'endroit où il se rend lui procure un grand apaisement.

Woon laissa Mago dans la chambre. Elle lui demanda s'il souhaitait qu'elle l'accompagne, en cas de renfort dans la possibilité qu'il soit confronté à une brigade citadine, mais il avait refusé, estimant qu'il était encore préférable qu'un seul gwishin sur deux soit arrêté, et lui avait intimé de demeurer dans la chambre et de poursuivre ses recherches au sein de la conscience collective.

Ils ne produisaient presque plus d'échos, en adéquation avec ce que Dong Soo et son épouse leur avaient raconté sur l'utilité des tortures pour le repérage des gwishins par le biais de leur esprit partagé, mais continuaient de plonger et restaient immergés aussi longtemps qu'ils le pouvaient, dans le mutisme et l'abstraction obscure, immobiles, cachés, en espérant capter malgré tout quelque chose.

Lors de leur seconde visite chez elle, ils avaient interrogé Na-Yound plus en détails sur ses propres réceptions liées à la conscience, et, tout comme l'absence à laquelle ils avaient été confrontés, elle n'avait pas été en mesure de leur apporter davantage d'éléments de réponse. Elle-même utilisait très peu la conscience, à la fois par manque d'expérience, mais aussi afin de protéger sa localisation en lien avec les tortures de gwishins.

Il marchait à quelques pas derrière Dong Soo, le long de la rue résolument silencieuse et tout juste éclairée de la lumière des flambeaux qui en jonchaient les bordures. Il se tenait suffisamment long pour que le bruit de ses pas ne soit pas perceptible de Dong Soo, mais assez près pour parvenir à le suivre sans difficulté majeure, le voir tourner dans les allées, choisir une direction plutôt qu'une autre.

En outre, il avait jugé trop risqué de s'éloigner davantage de la protection potentielle qu'offrait le statut de Dong Soo en cas d'intervention d'une brigade, dont le chahut viendrait nécessairement l'interpeller à la distance où se trouvait Woon. Dong Soo empruntait des avenues mineures, zigzaguait dans les coins sombres, avec une détermination qui laissa Woon vaguement abasourdi, et d'autant plus désireux de savoir où il se rendait.

Il ne voyait que son dos, et marchait vite pour ne pas le perdre de vue. Dong Soo sillonnait les rues, de plus en plus crasseuses, de plus en plus pauvres et délabrées, comme s'il les avait fréquenté toute sa vie alors que sa place, en apparence, était davantage dans celles des rues occupées par les nobles et les biens-nés. Tout le monde a quelque chose à cacher, croyait-il se souvenir avoir entendu Jae-Ji lui affirmer, à la maison du Printemps, lorsqu'elle était venue le voir.

Woon ne quittait pas des yeux le dos de Dong Soo, et il se prit à hésiter à lui courir après pour l'arrêter dans sa progression, pour voir son visage, pour voir ses yeux et leur expression, vérifier s'il y avait un secret (un autre), quand bien même l'idée vint trancher avec ses principes et des réflexes anciens, profondément ancrés, qui dataient de l'époque où il était encore un assassin vivant, et actif, supposé agir dans le feutré, se servir des ombres, et traquer sans être repéré.

Mais c'était Dong Soo, songea t-il en même temps, et de toute façon, Woon lui courait après depuis qu'ils avaient douze ans. Pas littéralement, puisque Dong Soo avait presque toujours occupé le rôle du poursuivant dans les faits, mais Woon avait appris à chasser dans le noir. Qui plus est, Dong Soo ne lui avait jamais parlé de ses sorties nocturnes, et Woon, malgré lui, ne pouvait s'empêcher de trouver la chose déplaisante, à la fois parce que Dong Soo ne lui avait jamais rien caché, mais également, en partie, parce qu'il avait été accoutumé à être celui qui contrôlait les secrets (les feuilles).

La partie de la ville dans laquelle Dong Soo l'entraînait sans s'y rendre compte était malfamée. Le sol était boueux, tout juste entretenu, et les logis semblaient tous sur le point de tomber en lambeaux. Leurs fondations étaient la misère, le désespoir, la faim, la colère. Il n'y avait que des toits de paille, du bois trop abîmé pour être étanche, les habitations trop rapprochées. Le linge était étendu sur des cordes entre deux hanoks.

Sur le pas d'une porte, Woon aperçut un enfant minuscule, rachitique, avec des yeux trop immenses, qui se tenait accroupi et l'avisa d'un regard vide, exprimant une effroyable indifférence. De l'intérieur de la bâtisse, Woon entendit résonner le bruit d'objets tombant à terre et se brisant sur le sol, puis celle d'une voix d'homme, rauque, rageuse.

Elle arracha à l'enfant, qui n'avait réagi jusqu'à lors, une violente secousse de frayeur. Woon y reconnut celles que lui avaient provoqué les mouvements d'humeur de son père, quand il était plus petit. Il détourna les yeux, juste à temps pour voir Dong Soo bifurquer sur sa gauche, dans une petite impasse.

Woon l'y rejoignit, pour constater finalement qu'il avait interrompu sa marche et pénétrait dans une masure dont la façade constituait l'intégralité de la rangée devant laquelle Dong Soo s'était arrêté. Woon le laissa entrer sans le suivre, puis s'approcha à son tour. L'endroit ne comportait aucun écriteau, aucune indication qui eût pu signaler sa fonction ou ses activités.

Une guirlande de rubans rouges était cependant accrochée au dessus de la porte principale, mais à cette exception, tout le reste de sa structure n'avait rien de véritablement particulier, si ce n'était que le bois en était très sombre, et dégageait une odeur peu commune, aigre-douce, qui se mêlait à celles de la rue, mélange de pluie, de sueur, de moisissure et de maladie.

Les autres bâtiments avaient paru à Woon prêts à s'effondrer, mais celui-ci exhibait une charpente visiblement plus solide. Il poussa la porte : contrairement à ce qu'il avait anticipé, celle-ci s'ouvrit sur un intérieur singulièrement propre, tout en longueur, qui s'étendait essentiellement sur sa droite. Il y avait là, directement à sa gauche, un beau paravent déplié entièrement et qui dépeignait des arrangements floraux d'une grande délicatesse, bien quelques traces d'usure fussent visibles dans sa charpente.

De l'autre côté, la pièce évoquait par certaines de ses caractéristiques un intérieur de taverne, car s'y trouvaient des tables entourées de coussins, individuelles ou pouvant accueillir plusieurs personnes, alors que contre les murs étaient alignés des cabinets de taille diverses, dont quelques-uns plus raffinés que les autres par leur finitions nacrées. Les lanternes, peu nombreuses, éclairaient doucement l'intérieur d'une lumière cuivrée, se réverbérant en nuances ambrées sur les visages du peu de visiteurs qui étaient attablés, sirotant ce qui semblait être une tasse de thé et dégustant des portions de nourritures servies devant eux dans des bols sombres.

Le parfum de l'encens était capiteux. Personne ne parlait. L'entrée de Woon ne provoqua pas la moindre réaction chez eux. Le long des murs étaient tendues des draperies exprimant toutes les teintes de rouge possibles, et qui lui rappelèrent Heuksa Chorong (le Qing). Comme il hésitait, et ne bougeait pas, une femme vint à sa rencontre.

Elle ne portait pas le hanbok traditionnel, mais une longue robe brodée qui lui descendait jusqu'aux chevilles, et dont la coupe, aux manches resserrées et au col haut, était celle des vêtures que Woon et Mago avaient vu portées par les habitants du Qing, sous des formes plus ou moins sophistiquées en fonction des statuts de leurs possesseurs.

Woon repéra une autre femme, un peu plus loin, qui paraissait venir d'un angle de l'habitation et s'approchait d'un homme avec une infinie douceur. Les cheveux de la femme, libres, à peine noués en arrière comme ceux de Woon l'avaient été lorsqu'il était encore vivants, resplendissaient comme une couronne soyeuse. Un sourire s'inscrit sur son petit visage aux traits incroyablement fins, et aux yeux effilés. Elle s'inclina devant lui avec respect.

- Bienvenue, mon seigneur, dit-elle, d'une voix basse et profonde, comme si elle lui confiait un secret. Je suis Jiao-Yuè. Que pouvons-nous faire pour vous ?

Elle ne semblait ni hostile, ni prompte à s'attaquer à lui d'un instant à l'autre. Son attitude et ses gestes étaient calmes, détendus, confiants. Woon songea à lui mentir, très brièvement, avant de conclure que la manœuvre ne lui serait probablement d'aucune utilité étant donné le peu d'éléments dont il disposait sur l'endroit et sa fonction. En outre, il ne tenait pas à attirer l'attention sur lui, ni se retrouver au beau milieu d'une rixe.

- Je cherche quelqu'un, finit-il par dire. Un homme qui est entré ici il y a peu.

Jiao-Yuè fronça les sourcils, témoignant du fait que la demande de Woon était probablement inhabituelle pour elle, mais ne perdit pas son ton aimable.

- Il va me falloir davantage d'informations, dit-elle. Pourquoi le cherchez-vous ? Est-il coupable de quelque chose ?

- C'est un ami. Je veux simplement le voir et lui parler. Je vous assure que je ne vous causerais aucun désagrément, ni à lui. Il portait un uniforme militaire, et un chapeau avec une plume. J'ai de quoi payer, s'il le faut.

Il avait pensé à emporter quelques muns avant de quitter la demeure des Baek pour suivre Dong Soo. La femme le jaugea un court moment, comme si elle évaluait la possibilité que ses propos eussent été la vérité. Puis, Woon soutenant son regard, elle hocha légèrement la tête et fit un geste de main languide vers le fond de la longue pièce.

- Si vous voulez bien me suivre. Je vais vous mener à lui.

Woon lui emboîta le pas. Ils passèrent entre les tables, jusqu'à atteindre l'autre extrémité de la pièce, et Woon constata alors que celle-ci fourchait ensuite vers la gauche, et donnait sur une autre cloison coulissante s'ouvrant sur une cour extérieure admirable et à l'élégance résolument insoupçonnée dans un quartier aussi miséreux de la capitale.

Sans s'émouvoir, Jian-Yuè lui fit traverser la terrasse au parquet poli, et qui longeait une partie de la façade du bâtiment, ponctuée elle aussi de portes en bois massives, dont la surface huilée reluisait à la lumière des lanternes et qui témoignaient de l'existence d'autres pièces, et d'une envergure beaucoup plus importante de l'endroit que Woon ne l'avait soupçonné au départ. Des marches de pierres menaient de la terrasse vers le sol de la cour.

Là, un petit chemin tracé menait vers deux autres hanoks surélevés, plus petits en longueur, mais dont l'un d'eux disposait d'une terrasse ouverte, entourée de végétation. Ils croisèrent d'autres femmes, vêtues comme Jian-Yuè, selon la mode chinoise. Elles ne leur adressèrent même pas un regard. Les toits, courbés, étaient composés de tuiles.

Jian-Yuè le dirigea vers le hanok à terrasse.

- Quel est cet endroit ? Lui demanda Woon.

- Vous ne savez pas ? Son ton, neutre, n'exprimait aucun étonnement face à cette question.

- Non. C'est la première fois que je viens.

- Ah. Vous n'avez jamais entendu parler du dragon, dans ce cas ? Elle tourna vers lui, de trois quart, un sourire onctueux.

- Je ne sais pas ce que ça veut dire.

- Le dragon de fumée du Qing, lui expliqua la femme. Nous l'utilisons ici, pour apporter du réconfort et de l'aide à ceux qui en ont besoin. Notre objectif se veut thérapeutique, et en accord avec les principes médicinaux avant tout.

- Vous appartenez au Qing ?

La femme monta lentement les marches de pierre qui aboutissait à la porte du hanok.

- Nous recevons en effet nos stocks de l'empire, mais nous sommes avant tout affiliés à Joseon. Nos vêtements ne sont pas davantage qu'un signe d'honneur envers notre fournisseur. Nos cœurs sont à nos clients, et nos clients sont à Joseon.

- Et le dragon de fumée ? De quoi s'agit-il ?

Elle lui sourit de nouveau, en ouvrant la porte.

- De ça, répondit-elle.

Elle les fit pénétrer à l'intérieur du hanok, et de celui-ci s'échappa aussitôt un brouillard dense, odorant, qui révéla en se dissipant un peu des hommes allongés sur des yo dépliés contre le mur, les uns à la suite des autres, séparés dans une intimité contestable par de maigres cloisons. Pour certains les têtes posées sur des oreillers, pour d'autres non, ils étaient sur le dos, sur le flanc. Ceux-là avaient l'air hagard, les yeux vitreux. D'autres dormaient.

De la fumée se répandait dans la pièce, l'envahissait, rebondissait en volutes contre les murs. Jian-Yué le fit passer entre les endormis et les somnolents. Près de certains des couchages, Woon remarqua une petite table de bois, sur laquelle reposait un plateau contenant un long tube très fin, d'où s'échappait la majorité de la fumée et qui présentait une proéminence incongrue, mais également une série d'objets plus atypiques, comme une petite lampe sculptée en métal, qui le fit penser au brûleur d'encens avec ses deux dragons, un coffret de bois dans lequel se trouvait des accessoires destinés à un usage inconnu de Woon, et une boîte ronde.

En passant, ils contournèrent une femme accroupie près d'un homme, tenant la longue tige devant les lèvres de celui-ci, tout en rapprochant la lampe, recouverte d'une sorte de manchon de cuivre, tout près de la protubérance du tuyau. Une fumée grasse s'échappait de la bouche de l'homme. Jian-Yuè n'y accorda aucune attention. Ils atteignirent une frontière de tentures, aux couleurs de coucher de soleil, que la femme écarta d'une main paisible.

S'ouvrit alors une autre partie du hanok, et les hommes qui s'y trouvaient étaient étendus sur des lits surélevés, délimités par des cadres élégamment sculptés à la manière des lits chinois, et bordés de draperies qui leur accordait davantage d'intimité. Ils étaient nettement moins nombreux que dans la première partie du hanok, et Woon y devina une question de coûts plus élevés.

Jian-Yuè se tourna ensuite vers lui, mains sagement placées l'une dans l'autre.

- Avec votre permission, monseigneur, commença t-elle, je pense qu'il serait plus judicieux que je l'approche la première et que je le prévienne.

- Il pourrait réagir violemment ?

- Je ne pense pas. Mais pour être tout à fait honnête, c'est la première fois qu'on lui rend visite ici, et la substance qu'il a consommé est susceptible de déformer sa perception des choses.

- Bien, l'autorisa Woon, tout en sentant un pincement quelque part, une vague d'inquiétude et d'appréhensions. Je vous attends.

Jian-Yuè baissa de nouveau la tête en signe de respect, et marcha jusqu'au troisième lit sur la droite, qui se trouvait également être le dernier. S'il ne veut pas me voir, pensa Woon, et quand son cœur se serra, il eut honte.

Il vit la femme parler doucement, avec sérénité, puis sourire et revenir vers lui.

- Vous pouvez vous rendre auprès de lui.

Elle ne le suivit pas comme il longeait les couchettes à son tour, avant de s'immobiliser là où elle l'avait fait quelques instants plus tôt.

Sur le lit, Dong Soo était allongé de tout son long. Il ne portait pas de chaussures, ni de chaussettes, et encore moins son chapeau, que Woon distingua dans son dos, posé à même le matelas. Son uniforme était mal ajusté, et largement entrouvert sur les muscles de son torse. Ses cheveux étaient lâchés, décoiffés. Woon l'avait déjà vu vulnérable plus d'une fois, mais il ne parvenait pas à se souvenir de l'avoir jamais trouvé à ce point fragile.

- Woon-ah ?

Sa voix était rauque, comme celle d'un ivrogne. Il se redressa sur les coussins du lit, et l'ouverture des pans de son uniforme dévoila la peau de son ventre. Ses yeux, dilatés, étaient néanmoins attentifs et le regardaient avec un mélange d'inquiétude, d'adoration et de surprise. Il avait la même expression que le jour où ils s'étaient revus à la maison du Printemps, dix ans après la mort de Woon.

- Salut, Dong Soo-yah, répondit Woon, et il se félicita que sa voix n'eût pas tremblé.

Il ne comprenait pas. Dong Soo le regarda un instant, fixement, puis un soupir lui échappa.

- Ce n'est pas très glorieux, hein ? Lui fit-il remarquer, d'un ton amer, fatigué. Désolé que tu vois ça. Tu m'as suivi ?

Woon vint prendre place à côté de lui, sur le bord du lit.

- Oui, depuis la maison. Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? Qu'est-ce que tu as pris ? Il aurait voulu prendre une intonation moins sévère. Tu viens souvent ?

Dong Soo, se tenant sur un coude, flanc tourné vers Woon, sourit sans enthousiasme.

- Assez souvent, répondit-il, en regardant le lit, le sol. Avant, j'allais ailleurs, dans un coin beaucoup plus miteux, mais depuis que j'ai pris mon poste au gouvernement et auprès des brigades anti-gwishins, j'ai assez de revenus pour me payer un endroit plus sécurisé. Tu as vu la fumée, pas vrai ?

Woon hocha la tête.

- C'est ce que j'ai pris, reprit Dong Soo. Ils appellent ça la "fumée du dragon", ou "chasser le dragon". Ça vient du Qing, je crois que c'est quelque chose qu'on trouve dans le pavot. En tout cas, c'est ce que m'avait dit la propriétaire de l'ancien établissement où j'allais. Ça peut se prendre en décoction, mais ça agit plus rapidement que c'est fumé. Il désigna son voisin, auprès duquel se trouvait l'une des tables que Woon avait aperçu dans la partie précédente du hanok, près des lits des dormeurs : Tu vois le tuyau ? C'est avec ça qu'on le fume. C'est une pipe. Les femmes viennent avec le matériel, font une petite boulette de plantes, qu'elles placent ensuite dans le fond d'une lampe à manchon. Ensuite, on doit tenir l'embout de la pipe, ce que tu vois au milieu, devant la lampe pour récolter la fumée.

- À quoi cela sert-il ?

- À se détendre. À dormir. À ne plus penser. C'est pour ça qu'il faut le fumer allonger. Ça te fait dormir, Woon-ah.

Il laissa retomber lentement sa tête contre un oreiller, et le rembourrage produisit un son étouffé, un peu comique.

- Tu fumes depuis longtemps ?

- Quelque temps. Quelque chose comme neuf ans, je crois. C'est un collègue qui m'en a parlé, il était insomniaque et à l'époque, j'avais...j'avais beaucoup de mal à dormir aussi, disons. Ça m'a fait du bien. J'ai réussi à arrêter l'alcool, mais ça, je n'ai pas pu. J'ai besoin de dormir.

- Pourquoi n'arrives-tu pas à dormir ?

La question était inutile, et Woon le savait, mais il la formula malgré tout, par désir de confirmation, pour entendre la réponse, pour ôter encore de la terre. La tête de Dong Soo pivota légèrement sur l'oreiller, de gauche à droite.

- Parce que j'y reviens tout le temps, répondit-il. Dans les champs. Dans les feuilles. Je n'arrête pas de voir le sang. Même maintenant, Woon-ah. Ça ne veut pas s'en aller. Il y a toujours partout. Des fois, j'ai l'impression que ça veut me noyer. Woon vit son menton trembler, sa bouche se tordre, puis il ajouta ensuite : Parce que je n'arrive pas à m'empêcher d'y penser. À me dire que j'ai fait une erreur quelque part.

- Je t'ai dit que ce n'était pas de ta faute, murmura Woon. Ça ne l'a jamais été.

- Oh, Woon-ah, reprit néanmoins Dong Soo, avec un rire de fond de gorge, un rire malheureux, désabusé. Tu sais, tu ne m'as jamais dit pour ton père. Tu ne m'as jamais dit, pour Heuksa Chorong. Pour les assassinats. Pour ton enfance. Tu ne m'as jamais dit si ça allait bien, ou si ça n'allait pas. Tu ne m'as jamais montré ces choses-là. Mais dans les camps, tu as sauté, et tu es retombé sur mon épée. Tu m'as laissé te voir mourir, et tu m'as laissé avec ton sang partout, et tout le temps. Tu m'as laissé avec les feuilles d'automne. Tu m'as caché tout le reste, mais ça, tu me l'as montré. De toutes les manières que tu aurais pu choisir, tu as choisi de te tuer avec mon épée. Sous mes yeux. Woon-ah, mon amour, si ce n'est pas le signe que j'ai fait une erreur quelque part, je ne sais pas ce qu'il te faut.

Il secoua la tête, et rit de nouveau, alors même que son rire ne contenait pas la moindre joie. Ses joues étaient mouillées. Woon ne sut pas quoi dire, et une part de lui lui intima de garder le silence, suggérant qu'il n'y avait rien proposer face à la déclaration de Dong Soo, si ce n'était l'écouter, l'accepter, et la reconnaître. Ce n'est pas réglé, pensa t-il avec défaitisme.

Il ne pensait pas y avoir réellement cru, mais il était néanmoins forcé d'admettre qu'il l'avait espéré, après la résurrection, après les promenades dans les jardins de la maison du Printemps, les mots échangés, les visions de la clairière et de Sokcho, la lettre, le corps de Dong Soo entre ses jambes, ses baisers, ses mains sur ses os, le brûleur d'encens.

Mais il aurait au final pu y en avoir cent, que les choses n'auraient jamais été complétement réglées pour autant. Il suspectait, désormais, que même les dire ne suffirait jamais vraiment. Ce qui s'était passé dans les champs serait très probablement toujours là, comme le jour des feuilles d'automne. Dong Soo était retombé dans le silence, et observait le plafond au dessus de lui, la canopée de draperies sanguines. Woon eut envie de partir, de s'enfuir, de répliquer à son tour (regarde ce qu'il a fait de nous).

Mais Dong Soo ne disait rien, ne semblait rien attendre, être devenu sourd au reste du monde. Woon ôta ses chaussures, ses chaussettes, puis se pencha et s'étendit sur le lit à ses côtés, vint se presser contre son flanc. Il amena son visage en face du sien, appuyant sa tempe contre sa main pour se maintenir au dessus de lui et le contempler de haut. Ses cheveux effleurèrent le menton et les joues de Dong Soo. Il continua de fixer le plafond. Woon ignorait comment l'atteindre.

Il glissa une main sous le tissu bleu de son uniforme, l'appuya contre son cœur, le sentit battre lentement, tranquillement. Le regard de Dong Soo ne bougea pas du plafond, mais sa main vint serrer celle de Woon par dessus sa tunique. Même à la maison du Printemps, Woon ne l'avait jamais vu aussi triste, et ni aussi pessimiste.

- Je te demande pardon, Dong Soo-yah, chuchota t-il, parce qu'il ne voyait pas quoi dire d'autre. Je ne sais pas si ça signifie grand-chose, mais je suis désolé.

- Moi aussi, dit Dong Soo. Je n'ai rien vu. Je n'ai pas réfléchi assez, je n'ai pas fait assez attention. J'ai vu Cho-Rip dans les champs, et je ne me suis pas posé plus de questions. Même chose pour le reste. Pour Ji-Seon. Pour tout. Cho-Rip avait raison. Je n'ai jamais vu que ce que je voulais voir, et tant pis pour le reste. J'ai ça à me faire pardonner, sauf que tu ne me pardonneras jamais, pas vrai ? Tu m'as trahi, mais je t'ai trahi de la même façon, au final. Je ne crois pas que j'arriverais à te pardonner un jour pour les champs, mais toi non plus, n'est-ce pas ? Et pourquoi tu le ferais, si moi, je n'y arrive pas plus que toi ? Tu as raison de m'en vouloir. Tu as raison d'être en colère, et de penser que j'aurais pu faire plus, que j'aurais du faire plus, pour toi, pour nous. Parfois, je me dis que j'ai raison aussi de t'en vouloir pour ta mort. On ne se pardonnera jamais. Ce sera toujours là, Woon-ah. Quoi qu'on fasse. Et j'y pense tout le temps. Je crois que je commence à m'y faire de plus en plus, depuis que tu es revenu à Hanyang. Depuis que j'ai arrêté de boire. Mais surtout depuis que nos parents sont revenus. Je pense qu'il faut qu'on en parle, et peut-être qu'on le reconnaisse tous les deux, pour que ça aille mieux. Mes parents n'ont pas l'air de l'avoir fait entre eux. Je ne veux qu'on finisse comme eux.

Il parlait d'une voix douce, dépourvue de rancœur, et daigna finalement rencontrer les yeux de Woon. Celui-ci pensa à la mixture de l'Herboriste, à la chose et à ses orbites vides, à ce qu'elle lui avait dit, à la sensation de l'épée de Dong Soo traversant de nouveau sa poitrine. Des réponses, lui avait promit le vieil homme, et peut-être qu'il avait voulu parler de la même chose que Dong Soo, du fait que les réponses données par son mélange ne concernaient pas tant ce que Woon avait peur de voir et de reconnaître, mais plutôt ce qu'il devait nécessairement accepter de voir et de reconnaître.

Il se pencha un peu plus vers Dong Soo, caressa du pouce son coeur, sous sa chair vivante, chaude.

- Pourquoi dis-tu cela ?

- Mes parents ?

- Oui.

Il sentit la poitrine de Dong Soo se gonfler sous sa main, comme celui-ci prenait une inspiration et soupirait ensuite longuement, tout en retournant à son observation du plafond. Ils parlaient à voix très basse, en murmures.

- Parce que je crois que mon père s'est suicidé à cause de moi, asséna t-il. Je crois qu'il ne voulait pas être père, et qu'il n'a pas supporté que ma mère tombe enceinte. Je crois que ma mère lui en veut, et qu'elle m'en veut aussi. Peut-être qu'elle s'en veut à elle-même. Ils sont morts en ayant gardé tout ça pour eux, et même maintenant, ils ne veulent pas le reconnaître. Je ne veux pas que ça nous arrive. Je veux juste que les choses soient dites, si jamais...

Il ne termina pas sa phrase, mais il n'en eut pas besoin. Woon en devina le reste. Si jamais les morts devaient mourir à nouveau pour de bon.

Dong Soo avait la voix pâteuse, le regard embué. L'odeur de la fumée était tout autour de lui, sur lui, sur ses vêtements, sur son visage. Woon plongea le nez dans ses cheveux, inspira, et elle était là aussi, agrippée à son crâne. Ils étaient dans une tanière de sang, enveloppées dans des tissus aux éclats de feuilles d'automne, seuls, et Woon pensa aux dragons dorés, au refus qu'il avait opposé à Kenzo, au capitaine Seol, à la dernière visite de leurs parents, au bras de Dong Soo pesant contre la gorge de son père, mais aussi à la fois d'avant, quand Byeong-Cheol les avait insulté après être revenus de l'exploration de la vieille maison, et à l'œil enflé de Dong Soo contre ses lèvres. Je veux juste que les choses soient dites. Ils étaient seuls. Les draperies les dissimulaient au reste du monde.

Sa main glissa, sous l'uniforme de Dong Soo, descendit, de plus en plus bas, se frayant un chemin entre le tissu. Celle de Dong Soo la saisit au vol alors qu'elle atteignait son bas-ventre.

- Ça ne marchera pas, lui apprit-il d'un ton navré, en le regardant avec chagrin. Pas quand je suis comme ça, Woon-ah. Je suis désolé.

Il fit remonter sa main dans la sienne, amena ses doigts à ses lèvres et les embrassa doucement, les mordit.

- Ce n'est rien, dit Woon. Dors.

Dong Soo se souleva un peu vers lui, chercha le contact de sa joue.

- Tu n'es pas obligé de rester, Woon-ah, chuchota t-il, en tapotant sa main sous l'uniforme. Tu peux rentrer. Je serais là pour le petit déjeuner.

- Non, je reste, répliqua t-il, abandonnant à contrecœur les cheveux de Dong Soo. Tu peux dormir si tu veux, ça ne me dérange pas. Je rentrerais avec toi.

- Je ne veux pas que tu sentes obligé de...

- Je ne me sens pas obligé, objecta Woon. J'ai envie de rester avec toi, c'est tout. Dors, maintenant. Tes yeux se ferment tout seuls.

- Woon-ah, je voulais te dire, articula alors Dong Soo en posant sur lui un regard un peu plus concentré. Tu as un très joli..., il s'interrompit, cherchant visiblement ses mots, puis finit par lâcher : Front. Tu as un très joli front.

Woon se figura que son sourcil devait probablement disparaître sous ses cheveux tant il le sentait arqué par la perplexité.

- C'est nouveau, fit-il remarquer à Dong Soo, qui lui répondit par un sourire railleur et ferma ensuite les yeux, avec un soupir d'aise.

Sa poitrine se mit à soulever plus régulièrement, plus profondément. Woon suivit son mouvement des yeux. Après quelques instants de silence absolu, Dong Soo reprit la parole d'une voix ensommeillée.

- Au fait, on a trouvé la clairière.

- Celle près d'Hanyang ? Comprit tout de suite Woon, alors qu'une pointe acérée d'intérêt traversait son esprit.

- Ouais. C'est Seung-Min qui l'a vue. Il sait, pour vous deux. Pour toi et Mago. Que vous êtes morts. Il m'a dit qu'il ne vous dénoncerait pas. Je crois qu'il est prêt. Les autres, je ne sais pas, mais lui, il est mûr. Je pensais l'emmener avec nous.

- Où ?

- À la clairière. J'ai noté le chemin. C'est bien ce qu'avait dit Jae-Ji, non ? Que vous deviez y aller ?

- En effet.

- Alors, on vous y emmènera. Moi, et Seung-Min. On vous fera sortir et re-rentrer dans la ville en évitant les contrôles. Et s'il se passe quoi que ce soit, on pourra vous aider.

- Je ne suis pas sûr, Dong Soo-yah. Ce genre d'endroit a des effets sur les gwishins, mais je ne sais pas s'ils en ont également sur les vivants, et je ne crois pas qu'il serait très prudent que vous vous en approchiez.

Dong Soo haussa imperceptiblement les épaules.

- On restera éloignés, alors, décréta t-il simplement.

Il était en train de s'endormir. Woon l'entendait à sa respiration, le voyait au fait qu'il n'avait pas ouvert les yeux depuis son compliment sur son front, au rythme de soulèvement de sa poitrine, à sa tête qui se laissait lentement tomber contre la joue de Woon.

- J'ai laissé venir Kenzo, un soir, lui avoua t-il. Dans mes appartements de seigneur du ciel.

Dong Soo ne fit aucun commentaire, mais Woon savait qu'il ne dormait pas encore, et il poursuivit.

- Je lui avais dit que j'accepterais le moindre défi qu'il me proposerait. Il m'avait fait envoyer une missive, et j'ai accepté.

- Il est venu ?

- Oui.

- Dans tes appartements ?

Woon le lui confirma une fois de plus, observant son visage, à l'affût du moindre signe de colère ou d'aigreur. Mais il n'y eut aucun tressaillement, aucune secousse, aucun pincement de lèvres, et la voix de Dong Soo, quand il lui répondit finalement, était neutre, bien que teintée d'une infime pointe d'affliction et d'angoisse, uniquement perceptible à qui le connaissait bien.

- C'est bien, Woon-ah. C'est bien.

- Ça n'a pas marché.

Un bref silence précéda la réaction de Dong Soo.

- Que veux tu dire ?

- Il est venu. Nous sommes allés au lit. Ça n'a pas marché. Je ne l'ai pas laissé faire.

- Non ?

- Non. Je l'aurais tué s'il avait essayé. J'ai eu envie de le tuer quand moi, j'ai essayé. Ça n'a pas marché, Dong Soo-yah. Je l'ai renvoyé. Tu m'entends ?

Il pressa son nez contre sa joue, sentit sa peau sous ses cils. Sa voix devenait enfiévrée, sans qu'il puisse parvenir à la maîtriser. Il passa ses bras autour du cou de Dong Soo, se serra contre lui, le sentit répondre doucement, gentiment.

- Et il y eut un capitaine de brigade à Sokcho, continua t-il, mais ça n'a pas marché non plus. Il n'a même pas pu me toucher. Je n'ai pas voulu. Il ne me connaissait pas. Aucun d'eux ne me connaissait. Tu comprends ?

- Oui, soupira Dong Soo avec ferveur, avec soulagement. Oui, je crois que je comprends. Mais même après les champs ? S'inquiéta t-il. Même après ça ?

Woon l'embrassa fermement sur les lèvres, et tint le temps d'un battement de coeur sa lèvre inférieure entre ses dents.

- Ça n'a jamais fonctionné avec personne d'autre, lui murmura t-il lorsqu'il le relâcha. Personne d'autre que toi.

- Pourquoi ?

Woon, à moitié couché sur lui, passa sa jambe au dessus des siennes, imprima un mouvement de hanches, une ondulation légère, spasmodique, et les mains de Dong Soo enserrèrent sa taille, s'y plantèrent comme des griffes (garde-moi).

- Parce que je n'en ai pas envie, dit-il, contre ses lèvres. Parfois, ajouta t-il ensuite, chuchotant sa confession, parfois je t'appelle "mon amour", dans ma tête.

Il vit un sourire de joie apparaître sur le visage de Dong Soo.

- Moi aussi, répondit ce dernier.

Woon mordit l'os de sa mâchoire, et sentit l'une des mains de Dong Soo venir se loger dans le creux du genou, comme un harpon de chair.