Morsure 69 | Transe, cocon et belles histoires
o lundi
Iris n'est pas blessée. Elle est dans une sorte de transe cataleptique rare et s'est coupée des agressions extérieures par un cocon d'or pur de 41 mm. On ne l'apprend pas des parents ou de Cyrus, mais de Brunissande et Ginny. J'essaie en vain de joindre Susan, mais j'arrive à coincer Ma-Li pile au moment où je vais abandonner. Elle confirme tout ce qui nous a été dit.
"Un cocon d'or. Comme une carapace. Il suivait à peu près les lignes de son corps", elle m'explique.
"Suivait ?", je relève.
"Il s'est dissipé en début d'après-midi", elle m'indique. "Comme ça, d'un coup", elle rajoute en claquant des doigts.
"Vous savez ce que c'était ?", je questionne encore. Je sais que si quelque chose de grave était arrivé, elle me l'aurait déjà dit ; mes belles-sœurs l'auraient su.
"Comme ils faisaient face à des mages élémentaux, notre première hypothèse a été qu'elle se soit protégée d'une magie élémentale par une autre. Notre fouille des archives n'a rien trouvé de concret d'approchant, à part de vagues mentions hypothétiques au XVIIe siècle. Mais Susan te dirait qu'on est dans la magie instinctive qui, par nature, n'est pas dans les parchemins. "
"Tu as parlé de première hypothèse, vous en avez d'autres ?", je presse sans relever la connivence d'anciens élèves de Susan Smiley-Rogue.
"Son équipe - son aspirant et un autre Auror - jurent mordicus qu'elle n'a pas pris de sortilège. Ils étaient attaqués par une tornade de terre, mais elle n'était pas encore sur eux. Ils se préparaient à faire face... Elle s'est mise dans son cocon avant que la tornade soit là... Le déclencheur n'est pas un sort", soupire Ma-Li.
"Quoi alors ?"
"C'est exactement le genre de choses qu'on cherche dans les vieux parchemins. Pour l'instant sans succès."
Le parallèle avec nos propres recherches est trop évident pour que je l'évite. Vu le temps que ça a pris à Harry et Tizzi de réunir des histoires qui fassent sens. Vu la difficulté de les interpréter, ça ne me rend pas optimiste.
"Et donc, son état maintenant ?", je change d'angle.
"Les examens sont en cours et aucun signal vital et magique n'est inquiétant. C'est la vérité, Kane", elle insiste. Elle doit bien voir que ça ne me rassure pas. "On continue nos analyses plus en profondeur. Ta famille et Samuel se relaient auprès d'elle... Tu vas venir, j'imagine ?"
Je réponds que je vais les tenir au courant sur mon arrivée, mais la liste des objections à un nouveau départ est tellement longue que je ne sais pas par quel bout l'examiner. Le mariage, les enfants, mon travail, mes recherches... Iris... la balance est totalement déséquilibrée. Il ne fait pas encore frais près du lac, mais je n'objecte pas quand Defné dit qu'on ferait mieux rentrer au Dispensaire. Il doit y avoir des patients et... quand je ne sais pas quoi faire, j'aime toujours autant travailler.
Les enfants courent devant. Harry marche à mes côtés sans rien dire. Je me sens totalement perdu.
"On va y aller", déclare Defné se portant à ma hauteur. "Tous. Ensemble."
Comme je ne veux pas dire que je pense au dispensaire, je reste silencieux, mais je la regarde. Je sens que Harry aussi la regarde.
"On va embaucher Sylvain pour épauler Pina. On peut renoncer à nos salaires au besoin. On va laisser les stagiaires. On va ramener Siorus avec nous", elle énumère. "On a le temps avant la prochaine lune et il n'y a aucune naissance probable d'ici dix jours. Pina va s'en sortir... Elle va plutôt bien."
"Je pourrais y aller seul", je me force à proposer.
"Non. Si ton amie Ma-Li a tort, tu ne peux pas être ailleurs, et je veux être là pour toi. Si ton amie a raison et qu'Iris va vite se remettre, on va en profiter pour se marier. Directement en Angleterre. Ça enlèvera la question de la reconnaissance ultérieure de notre mariage et simplifiera la rencontre entre Altan et ta famille... Bien sûr, si Iris va bien", elle précise sans doute un peu gênée de m'opposer une pensée aussi stratégique à un tel moment. Comme si ce n'était pas exactement ce que j'espérais entendre.
"Tu crois que... ", je commence et je n'arrive pas à finir. En désespoir de cause, je regarde mon grand frère.
"J'avoue que le plan de Defné me paraît... parfait", il commente après avoir cherché un autre mot et avoir renoncé.
"Va au dispensaire, Kane. Je vais parler au Conseil et voir Olivier", continue Defné, visiblement contente du commentaire d'Harry.
"Les enfants peuvent venir jouer avec Caël ; ça vous laissera plus de temps pour préparer ce qui doit l'être", propose mon grand frère.
On quitte tous Lo Paradiso quatre heures plus tard exactement. Selon Defné, le truc qui a convaincu le Conseil, c'est que notre départ écarte du même coup les tractations entre le Diwan et la coopération européenne magique de la Réserve. Ça éloigne les Aurors et autres officiels sorciers italiens. Sylvain et Pina ont accepté avec facilité de prendre la responsabilité du dispensaire et de Menininha. Emil et Freya se sont prudemment tus devant ce nouveau développement.
Malgré nos explications, Sibel et Zefir sont eux assez inquiets de quitter la réserve, mais ils se rassurent des explications de Caël, enthousiaste à l'idée de les présenter à tous leurs nouveaux cousins. Le plus mécontent est logiquement Siorus, encore qu'il insiste surtout le fait qu'il n'a eu aucune préparation. Ce à quoi, je lui rétorque qu'Iris non plus.
Le plus long est d'atteindre, par des moyens moldus largement fournis par Lo Paradiso, Udine et le réseau de Cheminette. On rejoint ainsi directement le Centre des portoloins internationaux de Venise. Là, je paie sans regarder le prix - enfin, Harry en paie la moitié - le coût nécessaire pour qu'on soit tous sur la liste du premier Portoloin pour Londres.
On se retrouve ainsi une grande heure plus tard chez Cyrus. Mes neveux sont tous couchés visiblement, mais mes parents, Brunissande et Hermione sont là. Ça me coupe un peu le souffle de me retrouver là, parmi eux tous, avec en tête des enjeux si contradictoires. Heureusement, Papa prend sur lui d'éclaircir l'horizon.
"Avant qu'on vous prenne dans les bras et que tu nous présentes", il commence lentement, "sache qu'Iris va aussi bien que possible... et que... sa réaction, aussi étonnante, rare, soit-elle, s'explique peut-être par le fait qu'elle est enceinte... "
Je regarde tous les autres et je vois qu'ils s'accrochent à l'espoir.
"Enceinte", je répète.
"D'après Sam, ils ne savaient pas", souffle Mãe. "Ils essayaient, mais ils ne savaient pas qu'elle l'était... Susan et son équipe ont lancé toute une nouvelle batterie de tests pour savoir comment va cette grossesse... sans doute à peine une semaine... On saura demain."
"Sam dort là-bas", ajoute Cyrus. "On est passé ce matin avec Papa... Mãe y était avant et aussi ce soir... "
"Je veux y retourner demain", ajoute ce dernier en me regardant, et je comprends qu'il entend qu'on y aille ensemble. Sans doute parce qu'il pense, avec raison, que j'aurais accès à une information non censurée. Reste évidemment à décider si c'est une bonne idée. Les marques de la transformation sont discernables à mes yeux, maintenant très entrainés, mais je vois surtout l'angoisse du père.
"Moi aussi, je veux y aller demain", je réponds donc.
Il y a un silence un peu irréel, que brise Caël en demandant : "On peut s'embrasser maintenant ?" Il n'attend pas et saute au cou de sa mère pour commencer.
Papa reste en face de moi, patient, mais déterminé comme il sait l'être, alors je tends les mains vers l'arrière pour inviter Sibel et Zefir à me rejoindre. Defné les encourage en turc et je sens leurs petites mains dans les miennes.
"Papa, voici Sibel qui a presque huit ans et Zefir qui en a cinq", je commence. Papa s'agenouille pour être à leur hauteur.
"Je suis Remus, votre nouveau grand-père", il propose.
Comme aucun des deux ne bougent, il leur tend la main et Sibel ose la première.
"Je suis Sibel... on n'a pas de grand-père", elle répond en cherchant ses mots. "Même avant."
"Caël dit que tu es très gentil", ajoute Zefir.
"Est-ce que je vous présente la maman de Kane ?", questionne encore Papa souriant et attentif.
"Elle est Auror... comme Tante 'Ris", commente encore Zefir. "Sibel, elle veut être Auror aussi... pour que jamais il ne nous arrive rien !"
Le sourire de Mãe se fige imperceptiblement. Il faut la connaître comme nous la connaissons pour le savoir, mais elle inspire et tend sa main à son tour :
"En attendant, je suis certaine que Defné et Kane feront de leur mieux pour que vous vous sentiez en sécurité", elle formule diplomatiquement. "Vos cousins m'appellent Avozinha. C'est du portugais pour Grand-mère", elle explique. "Vous n'êtes obligés de rien... "
"Avozinha", ils répètent diligemment tous les deux. Je me demande ce qui se passe dans leur tête avec toutes les langues qui s'y mêlent.
"Enchantée de faire votre connaissance", répond Mãe. "Je peux vous serrer dans mes bras ?" Ils se laissent faire un peu raides mais consentants.
Les autres se présentent un à un : "Cyrus, l'autre grand-frère de Kane", "Brunissande, la maman de Caël", "Hermione, la voisine et la femme du frère de Ginny". Ginny, elle, leur demande s'ils ont faim et gagne certainement des points en leur sortant un gâteau au chocolat et un verre de lait.
En mangeant lentement sa part, Sibel regarde Remus à la dérobée. Il la laisse faire. J'imagine seulement, et certainement péniblement, ce qu'ils peuvent voir et sentir l'un de l'autre. Rien de mauvais, je dirais, mais peut-être que je veux croire ça.
oo Mardi Sainte Mangouste
On prend un taxi, Papa et moi, pour aller à Sainte-Mangouste, parce que c'est comme ça qu'il veut faire. On pourrait s'en tirer avec deux Cheminettes, mais il préfère une demi-heure de voiture moldue. Je n'ai pas d'arguments. Dès qu'on entre dans Sainte-Mangouste, il me laisse toute l'initiative. Est-ce qu'on veut la voir d'abord ou parler à Susan ? "Comme tu veux", il répète patiemment et d'une voix atone. Je finis par me dire que tous ces détours est sa façon d'échapper à une mauvaise nouvelle. Mon Gryffondor de Papa est donc terrifié.
Je me retiens de lui dire que, si ça allait aussi mal qu'il a l'air de le craindre, on le saurait déjà. Est-ce que ma foi en mes collègues n'est pas elle aussi une fuite ?
Je décide que je veux d'abord la voir, laisser parler mes tripes avant d'aller mettre mon nez dans son dossier. Aux hésitations des infirmières et de l'interne, je vois bien que si je n'étais pas connu du service et accompagné du directeur de Poudlard, on ne nous laisserait peut-être pas en faire autant à notre guise.
Sam dresse la tête à notre entrée. Il a des cernes sous les yeux, et a dû dormir dans ses vêtements. Iris me paraît amaigrie mais étrangement sereine. Des angoisses irrationnelles du style "Elle n'ouvrira peut-être jamais plus ses yeux" me traversent, et je dois respirer lentement pour les contrôler. Papa pose une main lourde sur l'épaule de Sam qui déglutit, mais n'arrive pas à articuler un son. Je vois l'ampleur de l'attente dans ses yeux, et je mesure que je ne vais pas faire de bien à quiconque en essayant de me défiler.
"Je vais voir où ils en sont", j'annonce donc. Ni mon père ni mon beau-frère ne font un geste pour me retenir.
L'interne me voir revenir et m'accueille d'un "Docteur Lupin" respectueux. Je me dis qu'il doit être un pote d'Emil et Freya et ça complique encore ma concentration. Arrête de fuir, je m'engueule.
"Susan ou Ma-Li auraient du temps pour moi ?", je lui demande.
"Le docteur Smiley a dit que vous pouvez les rejoindre, si vous venez seul", il m'indique en faisant un geste inutile pour m'indiquer le bureau de la cheffe de service.
"Kane", m'accueille Susan quand je passe le seuil de son bureau. Ma-li est là mais d'autres aussi. Je ne les connais pas tous. "On était sur les résultats des analyses... tu veux voir ?"
Je me contente d'un signe de tête qui est autant une salutation qu'un accord.
"Alors, commençons par le début", elle propose en me tendant une série de photographies. "Le cocon... quand elle est arrivée dimanche matin, et toutes les heures jusqu'à sa dissipation..."
"Un cocon d'or pur, 41 mm, mais néanmoins respirant", précise Ma-Li avant même que je me pose la question.
Les clichés sont fascinants. Le terme cocon est bien choisi. Il semble bien à la fois solide et complètement suivre les courbes du corps de ma jumelle... Jamais vu un truc pareil... Pas rencontré non plus souvent de femmes de la trempe d'Iris...
"Et voici l'évolution des signaux vitaux et magiques que nous avons pu mesurer", m'alimente Susan. Les autres attendent patiemment. Objectivement, personne n'est inquiet, je me force à relever. Ça me permet de m'immerger dans les données devant moi. Ok. Un phénomène incompréhensible mais jamais totalement affolant. Jamais une question de vie et de mort, en d'autres termes. Depuis la dissipation du cocon doré, les signaux sont même plutôt très bons. Presque... je reprends une série et je vois du coin de l'œil le sourire de Ma-Li et le signe patient de Susan. Ok, je vois pourquoi ils se sont demandés si elle n'était pas, par ailleurs, enceinte... La réponse du test est sur le parchemin suivant.
"Et donc, pour finir... ", commente Susan en me tendant les derniers parchemins.
Sans surprise, leurs analyses portent toutes sur l'équilibre hormonal et la recherche d'éventuelles modifications physiologiques. Tous les indicateurs sont clairs. La deuxième feuille est consacrée à l'analyse magique de la grossesse et, là, mon cœur s'emballe. Même si des erreurs sont possibles, on a tous les signes d'une grossesse gémellaire avec une aura magique des embryons déjà perceptible.
"Métamorphomage", je lis à haute voix en regardant Susan.
"Ça aura sauté une génération", elle commente, l'air ravie.
"Deux filles métamorphomages", je vérifie - j'ai besoin de l'entendre sans doute.
"Tu veux leur dire, toi ?"
ooo Jeudi. Fondation
Quand je ne suis pas à l'hôpital au chevet d'Iris, je partage mon temps entre des trucs qui n'ont pas tous grand-chose à voir les uns avec les autres : la socialisation de mes enfants adoptifs ; la préparation de leur adoption avec notre avocate, Haydée ; une myriade délirante de choix nécessaires à l'organisation de notre mariage : lieu, menu, tenues, invités... ; des échanges avec mon équipe restée à Lo Paradiso où tout se passe a priori bien ; et la discussion des résultats de la dernière pleine Lune avec Severus, Brunissande, Cyrus et Shermin.
Finalement, j'ai le sentiment de déléguer en permanence. Le maître des potions de Poudlard, l'ethnomage chevronné, la briseuse de sort l'ethnomage débutante ont bien plus d'opinion que moi en musicologie magique. En ce jeudi matin, ils proposent des potions et des ajustements "chromatiques" auxquels je ne peux qu'opiner. Et tout le monde à l'air content.
À table, à midi, je me dis que mes neveux se révèlent des professeurs d'anglais d'une efficacité redoutable vu les progrès de Sibel et Zefir - devenu pour eux tous "Zef" plus vite que je n'ai pu suivre. Si Caël fait le lien au tout début, Zefir est bien devenu l'ombre de Felix, le benjamin de Cyrus et Ginny - à moins que ce soit le contraire. Leurs cabanes fleurissent partout. Il a fallu une nuit de plus à Sibel pour montrer son imagination à inventer des histoires et conquérir le cœur de sa cousine Aelys et la tolérance bienveillante de Esperanza.
Ginny rappelle au dessert, qu'aujourd'hui à la Fondation, il y a une animation proposée par Ellen Faver autour de la lecture de livres sorciers et moldus sur les dragons. L'animation n'est pas réservée aux enfants garous fréquentant la Fondation. Elle est ouverte à leurs frères et sœurs et même aux plus jeunes protégés par la Fondation - des enfants réfugiés, mais aussi des enfants nés dans des familles moldues qui entrent ainsi plus progressivement dans le monde magique. C'est notamment le cas du jeune Calvin Scott, neveu de Pina, fils d'une femme moldue transformée en sorcières par Douglas Kelvin, et qui entrera à Poudlard en septembre, me confirme ma belle-sœur.
Felix veut immédiatement venir avec nous, mais mes nièces Aelys et Esperanza déclinent d'abord poliment.
"Ce serait chouette pour Sibel que vous y alliez aussi", remarque Ginny.
"Les livres sur les dragons, sérieux, Maman ? C'est bien pour Felix !", estime Esperanza en retour.
"C'est pour les enfants qui n'ont pas de livres chez eux", renchérit Aelys.
Je vois toute la déception de Sibel sans imaginer comment intervenir. Mais Brunissande ne l'entend pas de cette oreille : "C'est un moment sympa avec des tas d'enfants différents, qui aiment tous les livres et les dragons ! Tu adores les histoires, les livres et les dragons !"
"Des enfants différents", souligne Aelys.
"Aelys !", proteste Brunissande
"Je vais venir, moi", annonce alors Caël et je vois bien que Sibel est contente de l'apprendre.
"Fais le trop-sage-je-suis-une-image !", s'agace sa petite sœur, passant au français pour faire ce reproche.
"On va tous y aller", déclare alors Harry se rapprochant de la conversation son café à la main. "Ça fait très longtemps que vous n'êtes pas allé à la Fondation ; les animations d'Ellen sont paraît-il très chouettes ; Sibel et Zefir seront contents que vous soyez là et votre grand-père aussi... "
"Oh, non ! Je n'ai pas envie !", l'interrompt Aelys.
"J'avais cru comprendre, mais je ne te laisse absolument pas le choix", répond Harry en la regardant. Ils ont les yeux du même émeraude. Les secondes passent une à une, jusqu'au moment où Aelys admet silencieusement sa défaite en haussant les épaules. Je vois bien que Sibel a suivi tout l'échange avec une fascination intense. Et moi, je me demande si je saurais exercer une autorité aussi tranquille. Et, aussi, si Sibel et Zefir peuvent l'accepter.
Quel que soit l'entrain variable de départ, à partir du moment où Ellen commence à lire une histoire dans une atmosphère feutrée créée magiquement, entourée d'animations tirées des images du livre, aucun des enfants ne semble regretter d'être présent.
On suit l'affaire du fond de la salle. Harry explique à Defné comment Ellen a été transformée en sorcière par les expériences menées par le frère de Pina, et hébergée par la Fondation au moment de la mise en place du procès. La libraire moldue a alors ravi le cœur de Michael Truman, garou et un des adjoints les plus anciens de mon père à la Fondation. Elle a fini par l'épouser et par intégrer l'équipe de la Fondation. Ils ont un petit garçon de dix-huit mois qu'ils ont prénommé Paul-Remus. Je rajoute qu'Iris et Sam sont ceux qui ont remporté ce procès.
"C'est presque la famille alors", sourit Defné, un peu impressionnée, je le vois.
"C'est bien pour ça qu'on doit être là", affirme Harry.
"Merci d'avoir insisté", je souffle.
"Des fois, Aelys est une peste. Une gentille peste, mais une peste quand même", il me répond franchement. "Elle fréquente beaucoup trop d'enfants qui n'ont aucun problème matériel ou affectif. Sibel est une bonne addition à son monde. Je ne veux pas insister sur sa différence en disant ça. Mais, comme elles s'entendent sur les jeux, ça devrait ouvrir les yeux d'Aelys sur certaines choses... Enfin, j'espère... Ah, avant que j'oublie, Brunissande voulait que vous réfléchissiez à si vous vous voyez tenir la cérémonie dans cette salle... C'est la plus grande."
Je regarde Defné qui hausse les épaules.
"On n'a aucune expérience", je réponds pour nous deux.
Hier soir, Ginny et Brunissande nous ont convaincus que Poudlard était un mauvais choix pour des raisons logistiques et politiques. Reste la Fondation avec ses grandes salles qui ont bien dû voir des mariages Black. Et je porte du sang Black, je mesure lentement en regardant les dernières moulures que nos parents n'ont pas fait arracher au moment de la réfection des lieux.
"Si vous voulez dire à Gin et Brune qu'elles ont carte blanche, vous pouvez", sourit Harry. "Elles ne demandent que ça, mais vous pouvez aussi dire non, on prend un restaurant ou on loue un truc à la campagne, ou on va faire un pique-nique au Brésil... C'est votre mariage !"
"Ici, c'est bien", juge alors Defné. "C'est un lieu important pour votre famille et votre communauté, et ça impressionnera mon frère. C'est facile d'accès aussi, pour les autres invités."
Harry me pose la question d'un signe de tête.
"Tu as notre réponse."
Quand l'animation se termine, les enfants peuvent prendre des livres dans la bibliothèque ou jouer. Il y a un goûter. Je vois de loin en loin mes neveux se mêler aux autres enfants de la fondation. Aelys sur les pas de Sibel, et sans plus sembler gênée par d'éventuelles différences.
Haydée nous rejoint pour nous faire signer des monceaux de paperasse dans le bureau de Papa : contrat de mariage, adoption, reconnaissance de Sibel et Zefir comme les enfants de sorciers anglais, demande de reconnaissance des actes britanniques par le Diwan turc... Tout semble se mettre en place avec bien plus de facilité que je ne l'avais anticipé.
oooo Vendredi
Vendredi, je retourne diligemment voir ma jumelle qui va objectivement mieux. Je plaisante avec elle et l'enjoins d'être sage, mais je pars ensuite à la recherche de Susan pour essayer de la convaincre de la laisser sortir avant qu'elle n'implose d'ennui.
Je ne la trouve pas dans son bureau, et une infirmière me dit qu'elle est aux urgences où un cas complexe vient d'être amené. Mon premier réflexe est de retourner dans la chambre d'Iris, puis je me dis que je vais aller voir. Parfois les urgences, ce n'est pas si long.
Quand j'arrive dans le service, je sens la tension. Je vais faire demi-tour, convaincu maintenant que c'est une mauvaise idée de tenter une médiation avec Susan à un moment pareil, quand Ma-Li me voit.
"Kane ! Kane, trop bien, viens !", elle me presse en me poussant vers une salle de consultation. "Susan, j'ai trouvé Kane", elle m'annonce.
"Trop bien", répète Susan à ma grande surprise. "Tu peux bien sûr refuser, mais on a besoin d'un oniromancien. Maintenant."
Mes yeux vont vers le corps allongé. Un homme. Mon âge. Peut-être un peu plus vieux. Il semble inconscient. Très pâle, une respiration presque indécelable. Des brûlures inquiétantes ont abimé ses vêtements, et sa peau est cloquée à divers endroits.
"Dragon ?", je questionne, parce que de telles brûlures disent animaux magiques
"Chimère. Le monsieur est Grec. Il travaille dans une sorte de zoo itinérant qui est arrivé sur nos terres sans les bonnes autorisations. Ils ont été bloqués par les policiers, notamment pour les animaux les plus dangereux ; sans doute pas assez de personnel... et voilà...", explique Susan. "On est en train de le perdre..."
"Ok", j'opine. "Soutien des fonctions vitales ?"
"Si tu peux. Merci, Kane."
On est en place tous les trois, en moins de cinq minutes. Susan commence un décompte qui me trouble au début, j'ai l'impression d'être redevenu son étudiant, mais je rencontre la douleur qui prend tout l'espace mental de ce jeune homme, et je dois me concentrer pour rester actif et conscient. Le risque est toujours d'être emporté par l'empathie.
Je trouve son cœur affolé, et je m'efforce de le calmer et de rendre plus ample la respiration. L'oxygénation fait du bien au cerveau et je découvre que notre patient se prénomme Fotis, comprend bien l'anglais, est fou amoureux d'un gymnaste prénommé Gavril, et a été pris par surprise par la Chimère. Je ne peux pas partager mes découvertes avec mes collègues parce que parler est une mauvaise pratique, parce qu'elles sont dans la réduction des brûlures, mais moi, ça m'aide à m'installer à ses côtés et à lui donner la force de tenir.
"Sans toi, il serait mort", est l'opinion de Ma-Li quand on débriefe une demi-heure plus tard. "Tous nos oniromanciens sont des consultants et, quand c'est une urgence, on est trop limités ! Susan essaie d'en recruter un à demeure, mais elle ne trouve pas."
"Je suis d'accord", signale Susan en se resservant du café. "Les bons oniromanciens ne courent pas les rues. Certains ne sentent plus de faire face aux pressions hospitalières. D'autres préfèrent plus d'or... ou d'autres types de pratiques... Toi, tu as fait de sacrés progrès, Kane, au fait. Tu avais l'air chez toi, sans stress, prêt à tenir des heures au besoin... "
"Je suis en vacances, ou presque, j'ai de la réserve", je minimise.
"Et tu as gagné en confiance en toi", insiste Susan. Je ne sais pas quoi en faire alors je ne dis rien, "Tu ne serais pas intéressé ?"
"Par un poste d'oniromancien ? J'ai déjà un poste, des recherches en cours..."
"Severus me dit que vous avez trouvé le principe de base... que ce n'est plus qu'une question de dosage d'après lui."
"Il y a des dosages qui prennent des décennies. Et c'est peut-être un domaine où je me sentirai plus utile que dans l'accompagnement harmonique !"
"C'est vrai', reconnaît Susan. "Mais toi, tu veux faire quoi ? T'installer longtemps à Lo Paradiso ? Avec ta femme et tous tes enfants ?", elle rajoute avec sympathie.
"C'est à cause de la petite", imagine Ma-li.
Quand ma vieille copine dit ça, je réalise que je ne sais pas si je veux que mes enfants pensent le monde comme les gens de Lo Paradiso. Surtout Sibel. Est-ce que je ne voudrais pas, au contraire, qu'elle pense que le monde est vaste et que les garous ne sont pas obligés de rester entre eux ou avec ceux qui les aiment ? Elle a dit vouloir devenir Auror, après tout. Pas que je pense qu'elle n'a pas le temps de changer d'avis mais je ne crois pas très facile de croire pouvoir devenir Auror en grandissant à Lo Paradiso.
"Je ne te propose pas un poste d'assistant comme tu as pu en avoir un, Kane. Je te propose un poste de praticien avec le salaire et les responsabilités qui vont avec", annonce alors Susan. "On peut sans doute trouver quelque chose pour Defné aussi", elle rajoute. "Je me rends bien compte que je te tombe dessus, et je ne te demande pas une réponse maintenant. Mais ça fait des mois que je cherche et que je ne trouve pas quelqu'un de motivé et de compétent. Et toi, tu es là, et tu me montres que oui, tu pourrais être le jeune oniromancien qui reprend la pratique à Sainte-Mangouste et lui donne un nouveau lustre... Sans parler de l'enthousiasme d'Emil et Freya qui donne envie de t'associer à la formation de la relève."
J'arrive quand même à lui glisser qu'il faut faire sortir Iris avant de partir, et je prends ça comme une victoire personnelle pour toutes les fois où j'ai été incapable d'argumenter face à elle.
"Mais pourquoi pas", est la réponse de Defné quand je lui fais part de la proposition de Susan. "Je pense qu'on gardera des liens avec Lo Paradiso mais... moi non plus, je ne suis pas certaine que je veux y élever les enfants... Je crois qu'ils ont besoin de davantage d'exemples familiaux de familles fonctionnelles... Ils sont bien ici avec leurs cousins... Je ne dis pas de ne pas retourner et mettre en place la transition... On peut imaginer des missions régulières de suivi par la suite... Et on serait sans doute davantage en sécurité... je veux dire par rapport à toute ma famille... "
"Altan arrive quand ?", je questionne parce qu'il me semble que la question est plus urgente que notre avenir professionnel, en fait.
"Mercredi prochain."
"Tu l'as eu lui, ou on t'a juste donné l'information ?"
"Ils m'ont appelée Gershank et lui", elle soupire. "Je me suis sentie totalement vulnérable et sans défense... Ils m'ont fait la leçon sur l'importance de la coopération avec les Aurors britanniques... sur le fait que je devais faire honneur et te plaire, et plaire à ma belle famille... Je les ai détestés !" Ses larmes sortent seules. "Je ne peux pas croire que mes parents auraient approuvé..."
"Je croyais que tu ne voulais pas prendre de décision en fonction de tes parents ?" je remarque tout en la serrant dans mes bras. Elle hausse les épaules et je n'ai pas le cœur d'insister. "Il ne fallait pas les prendre seuls. Il ne faut plus le faire. On est en position de force, Defné. Tu n'as pas à les supplier de quoi que ce soit... "
"Je leur dirai que c'est la volonté de mon mari", elle décide en relevant brusquement la tête et en s'essuyant les yeux. "Ils me veulent incapable et bien qu'ils se débrouillent avec toi !"
"Merci du cadeau", je fais mine de râler, mais je suis content de la voir réagir.
Maintenant que l'avenir proche d'Iris n'est plus un souci et que le reste s'organise, j'ai donc un vague sentiment que tout roule plus ou moins, qu'on est passé tout près d'un énième précipice, mais qu'on n'y est pas tombé. Je me sens adulte et en contrôle de tout ce que je peux et dois contrôler. Et je m'endors avec l'idée que je peux même assumer les aspects politiques de mon mariage. Et puis, Defné me réveille en me secouant : "Kane, les enfants ! Je pense que j'ai entendu les enfants !"
Je n'ai pas le temps de poser une seule question qu'elle est sortie de la chambre. "Ils ne sont pas dans leur lit !", elle crie et elle se met à courir.
Je la suis en ayant juste le temps d'enfiler un pantalon de pyjama. La porte de Cyrus et Ginny s'ouvre et je ne sais pas quoi leur dire. Je les entends qui me suivent dans l'escalier sans savoir si je ferais mieux de les arrêter. On arrive tous, quasiment les uns derrière les autres, sur une scène qui me glace : Sibel hurle et frappe Zefir qui crie, roulé en boule sur le sol.
Defné les sépare - c'est-à-dire qu'elle arrête Sibel, et je crois qu'elle la pousse vers moi parce qu'elle a peur de ses propres gestes. Elle ramasse ensuite Zefir et entreprend de l'ausculter tout en le consolant en turc. Les sortilèges de soins se suivent mais rien de grande intensité, note mon cerveau, paralysé par la situation. Comme un écho, Sibel est d'abord rigide puis se met à se débattre pour m'échapper. J'ai le réflexe de la retenir, de l'enserrer de mes bras, jusqu'à ce qu'elle se calme. Ce qui prend de très longues secondes.
"Il va falloir nous expliquer", je souffle en anglais puis en turc. Elle se contente de secouer la tête. Je sens Cyrus et Ginny en face de moi, de nous, et je n'ose pas les regarder. "Sibel, qu'est-ce que vous faisiez ? Pourquoi tu le frappais ?", je me retrouve à demander en me sentant totalement nul et dépassé. Je n'obtiens pas davantage de réponse.
Je relève la tête pour voir Defné qui me regarde du coin de l'œil avec cet air rigide qu'elle prend quand elle se protège, Ginny qui a la main devant la bouche et Cyrus qui me fait un clin d'œil... Compter sur Cyrus pour avoir la réaction de personne d'autre ! N'empêche qu'elle m'aide sa réaction. Elle semble me dire de ne pas lâcher l'affaire. Est-ce que je peux lâcher l'affaire de toute façon ? Non, certainement pas.
Je prends une grande inspiration, soulève Sibel sous les aisselles pour aller la poser sur le comptoir de la cuisine. Sans la lâcher, je lui fais face et on est à la même hauteur. Ses yeux sont pleins de larmes mais elle n'a pas l'air prête à dire un mot.
"Sibel, on peut y passer la nuit s'il le faut", j'affirme.
"C'est moi... Peyniri aldım", hoquète alors Zefir.
Je regarde Defné et nos yeux tombent en même temps sur un morceau de fromage et de pain sur le sol. Je rattrape de justesse Sibel qui tente une nouvelle fois de m'échapper.
"Non, non, non, tu restes là", j'affirme en la regardant droit dans les yeux. "On ne s'enfuit pas. On discute et on explique. S'enfuir n'arrange jamais rien."
"C'est quoi cette histoire de fromage ?", tente alors Defné. " Bu peyniri olayı ne?"
Le silence lui répond. Ginny s'avance pour ramasser le sandwich, et Zefir craque de nouveau avant sa sœur.
"J'avais faim... juste un peu faim... Je... Pardon, Defné et Kane ! Özür diliyorum ! Tante Ginny, Oncle Cyrus, özür diliyorum !"
"Sen hırsızsın", souffle alors Sibel parlant pour la première fois, et Zefir se recroqueville derrière Defné devant l'accusation d'être un voleur.
"Tu avais faim. Tu es descendu prendre du fromage ?", je tente en m'appuyant sur les maigres indices dont je dispose. Zefir caché dans les bras de Defné acquiesce. "Et quoi ? Sibel t'a suivi et... "
"Kimse hırsız istemez", crache Sibel. "Personne ne veut d'un voleur !"
"Je ne le ferai plus", promet Zefir dans toutes les langues qu'il connaît - ce qui en fait quatre.
"Tu avais déjà dit ça à Timandra !", lui oppose Sibel et, à la réaction de son frère, c'est sans doute vrai.
"Ok", j'essaie de m'imposer. "Sibel, je crois que j'ai compris, mais frapper... "
"Il va arrêter", me supplie alors Sibel me prenant de nouveau par surprise. "Je vais le surveiller, Kane, et il ne va pas recommencer ! Jamais !"
"Bir daha yapmayacağım", promet alors Zefir comme un écho.
Il me faut de longues secondes de nouveau pour arriver à formuler une opinion.
"Ce n'est pas à toi de le surveiller, Sibel", je tente. "C'est à Defné et moi d'être ses parents et de le surveiller. Pas à toi." Ça la laisse sans voix. Je crois bien que cette fois, c'est elle qui est prise à contrepied. "Et même si je comprends que tu t'inquiètes, on ne va pas... vous mettre dehors pour un morceau de pain et de fromage... juré !"
"Juré", répète solennellement Defné.
Il y a un long silence.
"Bir daha yapmayacağım", répète Zefir en reniflant.
"Si tu as faim, tu dois demander", remarque Defné. "Même si c'est la nuit", elle rajoute. "Et tu sais pourquoi tu as faim, Zefir ? Parce que tu ne manges que ce qui te plaît à table... "
"Gerçekten", commente Sibel avec une sombre satisfaction.
"...çok yavan", marmonne Zefir dans les bras de Defné qui sourit pour la première fois.
"Il trouve la cuisine britannique un peu fade", elle explique pour Cyrus et Gin qui sourient à leur tour.
"On doit pouvoir mettre plus de piment, si ça permet d'avoir des nuits plus calmes", s'amuse Cyrus qui s'est assis sur un tabouret au bout du comptoir. Ginny s'est appuyée contre lui, patiente. Ça me rappelle des trucs pas tous sympas ni en mon honneur.
"Désolé", je soupire. Les yeux bleus, presque verts, de Sibel sont sur moi. Inquiets et concentrés. "Et nous, alors... on n'avait pas dit qu'on ne frappait pas son frère, même quand on avait une bonne raison de le faire ?"
"Il n'écoute pas", articule très bas Sibel mais en soutenant mon regard. On peut lui reprocher des choses mais pas de manquer de courage. Impossible de se défiler, je me répète.
"Sibel, je sais que tu es là pour lui, que tu as fait de ton mieux pour que vous restiez ensemble", je me lance en espérant faire le poids. "Et vous nous avez rencontrés, et on apprend à être une famille." Elle opine imperceptiblement. "Dans une famille, ce sont les adultes qui protègent les enfants, qui leur trouvent à manger, qui font attention à leur santé, et aussi qui disent ce qu'on peut faire ou non... " Je n'ose pas regarder Cyrus et Ginny. C'est dit. "Pas les grandes sœurs qui font la loi en tapant sur les petits frères", je reformule.
"Il n'écoute pas !", elle répète plus fort.
"Peut-être pas toujours", je lui concède. "Admettons. Que faire alors ?"
Elle reste muette à me regarder.
"Ce n'est pas un piège, Sibel", je promets. "Moi, je crois que si tu lui rappelles la règle et qu'il n'écoute pas, ce n'est pas ta responsabilité, Sibel. Si... ça t'inquiète, si ça t'ennuie vraiment", je reprends en désignant le pain, "tu peux, par exemple, nous le dire."
Je ne suis pas totalement à l'aise avec cette impression que je viens de l'inciter à dénoncer son frère, mais c'est de fait la seule alternative à la laisser jouer à la maman avec lui. Je perçois Cyrus qui fait des signes avec ses mains. Quand il voit que je le regarde, il les refait. Elle. Peur. Toi. Punition. Elle aurait peur de ce que peut être ma punition pour Zefir ? D'une punition pour elle ? J'aimerais avoir le temps de discuter avec lui.
"Sibel, on ne va pas vous mettre dehors pour du pain et fromage", reprend alors Defné dans le silence pensif qui s'est installé. "On ne va pas non plus vous mettre dehors parce que vous vous disputez ou parce que tu as frappé Zefir. Tu nous croies ?"
"Ils ne vont pas nous mettre dehors tout court", rajoute Cyrus depuis son bout du comptoir. "S'ils faisaient ça, ils auraient affaire à moi."
"Voilà, c'est officiellement impossible', je souris donc malgré la tension du moment. "Sibel ?", je rajoute parce qu'elle ne me semble pas rassurée pour autant.
"Il a volé et je l'ai frappé... Kane avait interdit", elle rappelle en baissant la tête. Elle frissonne maintenant.
"Volé est un bien grand mot", je tente.
"Timandra a dit que les petits voleurs, ils finissaient dans la rue", annonce alors Sibel en italien. I ladruncoli finiscono per strada.
Je vois Defné lever les yeux au ciel.
"Si on finit son assiette à table, on n'a pas besoin de se lever la nuit parce qu'on a faim", elle martèle, et les deux enfants la regardent. "Je vais faire très attention à ce que vous mangez, et donc on devrait résoudre ce problème."
"Et si on a faim, on le dit", je rajoute. "Là, on est chez Cyrus et Ginny, et je sais que ce n'est pas un problème, mais on pourrait être chez quelqu'un qui accepte moins bien qu'on prenne son fromage. Donc, on vient nous voir et on le dit. Compris ?"
"Evet, Kane", m'assure Zefir. Je regarde Sibel.
"Je ne prends pas de fromage !", elle se défend.
"Mais tu pourrais avoir besoin de quelque chose. N'importe quoi. Tu demandes. On ne dira peut-être pas toujours oui, mais on cherchera une solution", je promets. "Compris ?"
"Oui, Kane, compris", elle m'assure avec un temps qui dit qu'elle a considéré mon argument avant de le faire.
J'aurais bien envie d'en rester là, mais il ne faut sans doute pas.
"Je voudrais que tu promettes à Zefir que tu vas essayer de ne pas le frapper..."
"Essayer ? ! ", relève Defné.
"Parfois, on n'y arrive pas", je propose en la regardant. Découvrir en marchant où sont nos différences est quand même compliqué mais je ne vois pas comment on pourrait les znticiper. "Je ne peux pas jurer qu'un jour, en colère, je saurais toujours me retenir. Mais je peux promettre de faire de mon mieux pour me retenir et faire autrement. C'est ce que je vous promets à tous les deux : de faire toujours de mon mieux pour rester calme quand vous faites des bêtises. Je ne suis pas sans limite ou sans défaut, mais je promets de faire de mon mieux."
Ils me regardent tous les deux la bouche ouverte.
"Tu as raison, Kane. Personne n'est parfait, mais tout le monde peut essayer", renchérit alors Defné, en me souriant. "Moi non plus, je ne suis pas sûre de ne jamais être violente ou injuste avec vous, mais je promets d'essayer, de toujours essayer de mon mieux. Est-ce que vous vous voulez bien promettre de faire de votre mieux aussi ?"
"Je promets", souffle Zefir le premier.
"Je promets aussi", déclare alors Sibel en fondant en larmes et en me laissant la prendre dans mes bras.
"Et si on buvait un bon chocolat chaud avant de retourner se coucher ?", propose alors Ginny.
ooo
