70. Transmission, éducation et dragon

o Samedi

"Vous faites quoi aujourd'hui ?", enquête Cyrus à la fin du petit déjeuner.

Je regarde Defné, mais elle n'a pas l'air d'avoir des projets spéciaux. Les jours précédents, elle a rhabillé les enfants pour les deux saisons à venir et a visité des traiteurs avec Brunissande et Ginny. Je sais que je dois prendre un rendez-vous pour choisir une tenue de mariage, mais je ne suis pas pressé non plus. Il faut aussi qu'on se penche sur la liste finale des invités. Je ne suis pas tellement plus pressé d'ailleurs. Pas plus que de vérifier que j'ai les moyens de financer ce qui se trame.

"À part aller chercher Iris avec Samuel pour sa sortie, pas grand-chose", j'admets.

"Je cherche à organiser une conversation... entre Shermin, Severus et Susan pour parler d'un projet d'article de Shermin", commence mon grand frère avec une espèce de réserve qui me met en alerte. "Je me disais que si tu avais du temps de cerveau disponible... ça serait bien aussi que tu sois là."

"Elle a écrit sur quoi ?", j'enquête, presque inquiet. Est-ce que j'ai besoin, maintenant, de devoir gérer l'ambition universitaire de la cousine de Defné, et la nécessité de garder le secret par rapport à nos travaux pour Lo Paradiso ? Maintenant ?

Je suis visiblement totalement transparent pour Cyrus qui lève une main apaisante.

"Shermin a besoin d'asseoir un peu son profil en se frottant à plus de théorie. Je l'ai poussée à prendre ces histoires de médecine catalytique et symbolique du début, à s'intéresser d'emblée à la théorie, à faire une vraie étude bibliographique comparative sur ce qui a été écrit en Europe - pas grand-chose - et au Proche et Moyen-Orient - bien d'avantage. L'idée est vraiment de s'attaquer au corpus théorique, histoire d'aller au-delà de vos expériences, ou de celles qu'elle a déjà en tête, histoire de pouvoir comparer des traditions très différentes."

J'admets d'un coup de menton que je vois ce qu'il veut dire.

"C'est ardu, et elle est juste au début", il souligne. "Mais elle commence à avoir repéré des fils intéressants. J'ai demandé à Susan ce qu'elle pensait de l'aspect médical ; à Severus ce qu'il pensait de certaines notions de symbolique appliquées à des potions. Je mesure que tu as d'autres choses en tête ; je sais que tu n'es pas totalement fan de la théorie même si tu as évolué là-dessus récemment. Il se trouve que c'est tout de même connexe à vos travaux et que je ne veux pas que tu t'inquiètes de ce qu'on fabrique par manque d'information. Et tu es là. Bref, je ne me vois pas organiser la conversation sans t'en parler."

"Aujourd'hui ?"

"Ils sont libres ce midi et ils seraient heureux de vous voir, de voir les enfants. Ça ferait d'une pierre, un paquet de coups."

"Il faudrait que je lise avant, non ?"

"Pas obligatoirement, mais c'est bien sûr possible."

"Je veux bien lire aussi", annonce Defné, et ça je crois que Cyrus ne l'avait pas du tout anticipé.

"Elle a plus de connaissance que moi en médecine symbolique, sans parler des pratiques au Proche-Orient", je souligne avec une certaine satisfaction.

"Évidemment", mesure Cyrus l'air gêné maintenant de ne pas y avoir pensé seul. Le sourire goguenard de Ginny le dit bien. "Si vous avez ce temps-là, bien sûr, je suis preneur. Faut juste pas que ça tourne au jury qui la démonte, parce qu'elle en est à la troisième version. Il y a des choses qui se sont améliorées, mais d'autres... Peut-être que je ne lui pose pas les bonnes questions..."

"Bref, ça te convient moyen", je résume.

"Je pense qu'elle fait du bon boulot, mais je pense que ce n'est pas prêt", il confirme.

Profitant honteusement que Sibel et Zefir n'ont besoin de rien quand ils sont avec leurs cousins, on passe une bonne heure sur l'article, Defné et moi. J'avoue que même si j'ai peut-être une aversion moins marquée pour de la théorie pure, j'ai du mal à avoir une vision globale du texte et à mesurer sa portée. Trop d'incompréhensions de fond, trop de liens logiques qui me manquent, trop désincarné pour moi. Defné me nourrit d'histoires de médecine orientale. Des pratiques qui, justement, reposent uniquement sur des savoir-faire et ne disposent pas de cadre théorique de référence. Comme les statuettes de Lo Paradiso. J'arrive juste à me dire que je mesure l'intérêt de la recherche théorique. Defné me demande ce que Susan peut apporter de plus.

"Elle n'est pas devenue la cheffe du service de maladies magiques inhabituelles sans avoir une vraie curiosité. Elle vit avec Severus après tout... si ce n'est pas de la curiosité !"

Severus et Susan sonnent à la porte de notre petit hameau magique de Lupin et de Weasley en plein cœur de Londres, à midi pétante. Ils ne reculent pas devant la tribu qui se masse pour les accueillir - premier bon point - et ils ont des cadeaux pour Sibel et Zefir qui en sont totalement sidérés. Je sais ce que c'est avant qu'ils ne se décident à les ouvrir. En fait, vu la forme du paquet, tout le monde sait. À part peut-être Defné.

"Des balais", comprend Sibel à mi-ouverture. "Mais, on ne sait pas voler... "

"Il faudra donc apprendre", estime Severus. "Votre Tante Ginny peut s'en occuper... "

"Maman, c'est la meilleure sur un balai", commente alors Felix pour Zefir. "Elle a joué dans une équipe professionnelle de Quidditch... et elle sait faire des trucs fous - moi, j'ai pas le droit d'essayer !"

"Le Quidditch, c'est comme le jeu avec les figurines sur les balais en vrai", rappelle Aelys pour Sibel.

"On ne commence pas par la feinte de Vromski", sourit Ginny. "Mais une sortie balais et Quidditch est une bonne idée !"

"C'est un très beau cadeau, Severus", je commente.

"Tu nous as fait un beau cadeau en t'occupant de Siorus comme tu t'en aies occupé", est sa réponse étonnante.

"Il ne veut pas te dire qu'il aurait préféré leur offrir un kit de potions", se moque Susan. "Heureusement, Sio m'a soutenue !" Elle se rend compte que Defné n'a rien dit. "J'espère que ce n'est pas une mauvaise idée ?"

"Je suis sûre que Kane et Ginny et tout le monde sauront leur apprendre", articule Defné avec un sourire courageux.

"Defné ne vole pas", j'explique.

"Sauf en tapis", essaie Defné.

Sibel dresse l'oreille, et on voit tous qu'elle retient un commentaire. Defné lui pose la main sur l'épaule et l'invite silencieusement à s'exprimer.

"On avait... avant... On avait... tapis... "

"Vos parents avaient un tapis ?", questionne Defné. Tout le monde les écoute.

"On avait un tapis pour la famille... bleu... et moi, j'avais un petit... violet avec des fleurs... jaunes... Baba... il a vendu les tapis... pour qu'on mange... d'abord le... petit... Puis le grand... On ne pouvait plus fuir... "

Defné la prend contre elle et je cherche Zefir des yeux, il n'a pas l'air ému, il a l'air songeur. Il sent mon regard et hausse les épaules. "Je me souviens qu'on volait, c'est tout."

"Voler en balai, c'est un peu plus actif que voler en tapis, mais pas fondamentalement différent", commente alors Cyrus.

"Tu l'as déjà fait ça, Papa ?" s'intéresse Esperanza.

"En vacances, enfant, avec Harry, en Turquie d'ailleurs", il répond. "Au bord de la mer", il rajoute.

"Vers Antalya", précise Harry, mais visiblement Zefir ne sait pas de quoi il parle.

"Il faudra qu'on fasse ça tous ensemble un jour", je tente et Defné sourit. "Vous m'apprendrez."

"Et toi, tu vas nous apprendre à voler sur un balai", estime Zefir.

"Je ne suis pas contre une aide de Ginny, mais je ferai de mon mieux."

Shermin arrive presque en retard - je crois que Defné a même pris sur elle de l'appeler. Elle s'excuse avec profusion et a le courage de s'asseoir entre Cyrus et Severus. Moi, à sa place, j'aurais été plus prudent. Mais le repas est trop bruyant pour qu'on aborde autrement que superficiellement tout sujet. Parler de science est inenvisageable.

J'insiste pour que Defné aille s'installer avec Severus et Susan, Shermin dans le bureau de Cyrus, alors que je m'occupe d'installer les enfants à des activités. Harry fait comme moi et pour les mêmes raisons, ce qui nous fait sourire. Quand on rejoint la session scientifique, la conversation a déjà pris un tour technique. Severus paraît avant tout critiquer le parti pris de Shermin de calquer la symbolique générale des ingrédients de potions avec la symbolique des traitements.

"Ce n'est parce que le citron est bon pour le foie que toute potion contenant du citron a des effets hépatiques. La symbolique n'est pas toujours transmissible, Mademoiselle Karaman !"

Shermin regarde Susan et Defné, mais aucune des deux ne vient à son secours. C'est Brunissande qui finalement se lance :

"On entend tous votre mise en garde, Professeur". Après toutes ces années, Brunissande reste de fait la plus formelle dans toutes ses relations avec le clan élargi. "Néanmoins, je pense que c'est une démarche empirique acceptable de supposer la transmission des qualités symbolique et de les vérifier."

Harry s'est installé à côté d'elle et il a l'air de goûter sa prise de position.

"Je ne veux pas avoir l'air de venir au secours de Severus, qui n'en a certainement pas besoin, mais ce qu'on cherche, Brune, c'est un système théorique qui permette de s'affranchir de cette démarche empirique", remarque Cyrus.

"Je croyais que la théorie était à construire", argumente Brunissande les deux mains sur son ventre tendu. "Si une règle de transmission existe, Professeur Rogue, je pense que tous ici sont impatients de l'entendre !"

"Vous avez raison, Madame Potter-Lupin", admet Severus avec un sourire indicible. "Je n'ai pas de système alternatif à proposer, et je pense en fait relativement comme vous qu'il y a un travail préalable de vérification de la transmissibilité symbolique à effectuer. Je mesure l'ampleur de la tâche, mademoiselle Karaman. Je ne parle pas de faire une enquête universelle, mais de choisir dix ingrédients de base, et d'élargir petit à petit en réfléchissant aux associations... Peut-être même qu'il faut être encore moins ambitieux et prendre cinq ingrédients de base et leurs associations. Si on pouvait montrer qu'elles fonctionnent de manière comparable dans différents systèmes, ce serait déjà une brique solide et une avancée majeure."

Globalement, on peut dire que c'est l'idée la plus concrète qui sort de cette réunion. On passe beaucoup de temps à souligner des limites et des complexités. Shermin prend tout ça avec davantage de patience et d'humilité que je le ferais à sa place. Severus nous quitte le premier en me répétant qu'il me remercie d'avoir mis deux grammes de plomb dans la tête de son fils. Shermin estime, juste après, qu'elle peut sans doute elle aussi prendre congé. Defné annonce qu'elle la raccompagne et Susan saute sur l'occasion. Je l'entends qui entreprend Defné sur ses envies professionnelles.

J'écouterais bien, mais Harry a entamé un exposé de sa vision empirique du fonctionnement des statuettes, de ce qu'elles tirent à la fois des potions et de la musique, de leur symbolique respective. Et je me dis que c'est important que j'écoute.

"... c'est un peu la limite de ton approche neutre, Cyrus", il estime. "Dans un monde idéal où on saurait toutes les influences symboliques séparées et combinées, on pourrait se donner comme règle de sortir une théorie générale. Je comprends que ce soit plus ou moins ton ambition, et que tu pousses tes petits disciples à t'en écrire des bouts. Mais on nous enterrera avant qu'on ait fini."

"Ne fais pas comme si je ne pensais pas qu'il fallait aussi documenter, écrire, approfondir chaque pratique territoriale et culturelle", répond Cyrus avec patience. "Je ne vais pas abandonner l'ethnomagie de terrain et de combat. Je veux juste tenter de poser les bases d'une approche comparative qui repose sur autre chose que des différences culturelles et folkloriques. Si on n'a que cinq ingrédients, ça me va. On testera et retestera et peut-être qu'on finira par en avoir dix."

"La médicomagie ne s'est pas construite autrement", je signale. "Pas que je brûle de rajouter des pages de théories mais plutôt de trouver des solutions pratiques... Mais je crois qu'en effet savoir pourquoi certaines choses marchent, même si c'est pour cinq ingrédients, serait un plus."

"On dit tous les trois la même chose", admet Harry.

Je ne sais pas comment la discussion autour des travaux de Shermin aboutit à ce que Cyrus sorte peu de temps après la boîte du jeu "Pierres, Coupes & Dragons" du placard de son bureau. Encore moins comment j'accepte de jouer contre Harry et Cyrus - je me suis toujours fait laminer à ce jeu, comme aux échecs ou à tous les jeux de stratégie. Je dirais que c'est par nostalgie. Comme d'habitude, je reste concentré trois tours, mais dès que mes frères se mettent à réfléchir au meilleur emploi possible de leurs pierres pour amener leur personnage au plus près des coupes à collectionner tout en évitant les dragons de leurs adversaires... je me mets à rêvasser. Et, en ce moment, dès que je peux, je ne pense qu'à trois choses - la santé de ma jumelle, l'officialisation internationale de mon union avec Defné et l'éducation de Sibel et Zefir. Comme Harry prend son temps, comptant et recomptant ses pierres (il a choisi les vertes comme d'habitude), je me tourne vers Cyrus.

"L'autre soir... je n'ai pas totalement compris ce que tu voulais me dire... en parlant de punition..." Je mime avec les mains.

Cyrus prend son temps pour me répondre.

"Ah, oui ! Je voyais leur angoisse... Je me suis dit qu'il fallait que tu réalises que, pour eux... tout est possible - le meilleur comme le pire. Ils se doutent qu'il ne faut pas prendre des trucs dans le frigo, mais ils ne savent pas obligatoirement à quel point. Ils ont sans doute compris que tu n'étais pas du genre à les frapper injustement mais... ils ne savent pas pour autant à quoi s'attendre... Je sais bien que vous réagissez au fur et à mesure, et il n'y a pas d'autre solution mais... Je ne sais pas si tu mesures que sans doute à ce moment-là, ils avaient à la fois peur de votre réaction globale, mais aussi peur l'un pour l'autre... Sibel, que vous jugiez Zef inadoptable et que vous renonciez ; Zef, que vous punissiez Sibel pour l'avoir frappé lui alors qu'il était en tort... Ils ont sans doute vécu des trucs que personne ne peut imaginer !"

"On s'en doute", je marmonne, gêné parce qu'une de mes causes d'agacement actuelles est qu'on ne puisse pas se concentrer sur eux. "On sait qu'il faudra qu'on en parle avec eux. Quand Sibel a parlé de son père ce midi, c'était la première fois... Sauf pour dire qu'il était mort de sa morsure et sa mère de chagrin - parce que Defné lui a demandé... elle n'en avait jamais parlé."

"C'est sans doute une marque de confiance importante qu'elle s'y risque", commente Harry levant les yeux de son jeu pour me faire cet encouragement. "Elle estime que, potentiellement, vous allez l'écouter. Ce n'est pas rien."

"Donc, vous ne savez pas quel genre d'éducation ils ont reçue", souligne Cyrus. "La première fois que j'ai vu Cristo, son oncle le battait en pleine rue avec un bâton, parce qu'il le pensait possédé par le diable... Tu connais plus ou moins la suite."

"Pas tant que ça", je réalise, mais pour autant que j'aime Cristo comme un cousin, je ne veux pas ne pas aller jusqu'au bout de la première conversation. Parce que ce qu'a dit Cyrus donne du sens aussi à leur réaction respective la première fois que Sibel a frappé Zefir. "C'est ce que Harry nous a expliqué quand il a dit qu'ils allaient nous tester pour vérifier qu'on ne va pas les abandonner... ce que tu as dit. "

"Je déplace le dragon rouge de cinq cases", annonce alors Harry avec son inimitable air sérieux en déposant les pierres nécessaires pour financer son déplacement au milieu du jeu. Le dragon avance en réponse et vient de le mettre pile sur mon chemin, mais Cyrus doit jouer avant moi, m'offrant au moins ce répit-là. Il faudrait que je réfléchisse à une stratégie pendant ce temps-là, sauf que Harry me parle. "Cyrus dit aussi que quand un enfant a connu de la violence - physique, morale, il tend à penser qu'elle est normale et qu'il la mérite sans doute. Même s'ils sentent bien que vous n'êtes sans doute pas particulièrement violents, même si vous leur répétez, ils se demandent et ils vérifient. Et ils ont sans doute aussi l'habitude de s'inquiéter l'un pour l'autre. "

"Ils ont été baladés de camp en camp et de famille en famille. La dernière voulait les séparer, garder le petit et se débarrasser de la louve... Ils l'enfermaient dans une cage - mais je ne pense pas qu'ils étaient les premiers... Elle a mordu Zefir pour qu'ils restent ensemble", je leur rappelle.

"Sans doute des violences physiques et des intimidations. Quels qu'aient été les principes éducatifs de leurs parents, c'est le plus récent", conclut Cyrus.

"Aeccio a vécu aussi des violences physiques", j'imagine en retour.

"Oui, effectivement. Et il a eu du mal à croire qu'on pouvait fonctionner autrement. Que je pouvais crier autant et taper si peu", il sourit plein de dérision envers lui-même. Il hésite et rajoute : "Mais, autant que tu saches. Ni Harry ni moi ne parlons d'autre chose que de nous-mêmes. Je veux dire, Harry parle de son oncle et sa tante avant que Papa le récupère. Je parle en m'appuyant sur les souvenirs d'enfance de Sirius", précise Cyrus sur le ton de la conversation. "Bon, je ne te laisse pas la coupe, Harry !" Il verse tout son butin - douze pierres turquoise au milieu du jeu pour amener son pion à s'emparer de la coupe la plus proche de son personnage. Elle change de couleur.

" Avant Papa", je vérifie sans doute un peu stupidement et lentement. Ils me sourient brièvement tous les deux. Je regarde le jeu, décide que je m'en fiche de gagner et prends le premier passage libre qui m'évite la confrontation avec Cyrus. Ça me coute sept pierres jaunes. "C'est donc possible", je tente. Pas que la comparaison ne m'intimide pas, évidemment.

"Bien sûr ! Mais il ne faut pas ignorer le problème, pas penser que ça va se faire tout seul. Il ne faudra pas non plus tenir des progrès pour acquis", commente Cyris un peu génériquement, il me semble. Il faut dire qu'il regarde, les sourcils froncés, Harry s'emparer à son tour d'une coupe et envoyer vers lui un dragon pour le gêner dans ses déplacements. Presque tout le butin de notre frère aîné y passe.

"Il ne faut pas non plus minorer l'importance de choses triviales, des répétitions", rajoute ce dernier en me regardant pendant que Cyrus joue avec sa mèche. "Ce qui fait que Sibel vous fasse confiance, c'est que vous le méritiez, que vous soyez là pour eux, que vous soyez prévisibles aussi dans les choses positives. J'adorais savoir que Papa allait me lire une histoire tous les soirs, qu'il allait regarder si j'avais fait mes devoirs tous les soirs, qu'il fasse attention à ce que j'ai assez mangé... qu'il joue aux Playmobil avec moi... Je ne m'en lassais pas en fait... C'était comme une faim permanente que rien ne pouvait réellement contenter. Bon, Cyrus, alors ?"

"Alors, je n'ai plus rien, je dois rentrer à mon trésor pour poser ma coupe et avoir de nouvelles pierres", soupire mon second grand frère. "Je ne peux même pas envoyer mon dragon vous poursuivre !"

A mon tour, je continue ma progression jusqu'à un embranchement qui me permet de récupérer ma première coupe. Elle ne me coûte pas si cher. Quatre pierres. Je décide de laisser mon dragon devant mon trésor, et c'est de nouveau le tour d'Harry. Comme Cyrus, il n'a pas tellement d'autre choix que de rentrer à sa base vu le peu de pierres qui lui reste sauf qu'il peut récupérer une deuxième coupe en route ce qui lui donne une avance indéniable sur nous deux et beaucoup de pierres l'arrivée. Cyrus râle comme de juste et lui promet qu'il va se venger. Pour ma part, je continue mes petits pas et me positionne pour me rapprocher d'une autre coupe.

La porte s'ouvre alors sur ma fille et ses deux cousines. Esperanza se colle à mon frère Cyrus ; ils ont les mêmes yeux. Aelys se glisse sur les genoux de Harry. Sibel de pose à côté de moi, très sagement.

"Tu gagnes", remarque Aelys pour son père. Eux aussi ont les mêmes yeux. Sibel et moi, non.

"Pour l'instant", répond Harry. "C'est maintenant que ça va se jouer. Je vais avoir trois coupes mais je suis le plus loin de mon trésor et je n'ai pas assez de pierres pour financer un retour rapide. J'espère qu'ils ne vont pas me rattraper."

"Je ne vais pas te laisser faire", répète Cyrus et ça fait rire Esperanza.

"Tu perds, Kane ?", s'inquiète Sibel en se penchant vers moi.

"Je perds toujours à ce jeu, surtout contre tes oncles", je confirme avec fatalisme.

Harry paie alors la moitié de ses pierres, afin de monter son personnage sur son dragon et de se rapprocher d'une troisième coupe. Cyrus profite de ses nombreuses pierres pour faire un grand trajet qui le place au pied de sa possible troisième coupe - le retour sera sans doute lent, mais il vient de se replacer dans la course. Et, voilà, c'est à mon tour de jouer. Je ne sais pas quoi faire et ça se voit.

"Tu dois faire quoi ?", questionne Sibel.

"Pour gagner, il faudrait que j'aie une autre coupe et que je retourne à mon trésor avant oncle Harry", j'explique en désignant les pièces et les lieux du plateau de jeu. "Si je prends cette coupe-ci, qui n'est pas si loin, je serais trop loin pour revenir au trésor avant eux."

"Sauf avec le dragon", remarque Esperanza. Je crois que c'est avant tout pour expliquer à Sibel.

"Je peux payer mon dragon pour m'aider... par exemple, pour revenir plus vite à mon trésor. Mais il sera trop loin quand j'aurais la coupe. Même avec toutes les pierres qui me restent, ce n'est pas assez pour venir me chercher et me ramener", je regrette sincèrement. Ça aurait été un beau coup. Du genre de ceux qui ont si souvent fait gagner Iris.

Sibel regarde le jeu longtemps avec une expression concentrée qui me donne envie de sourire.

"Il faut obligatoirement que ce soit cette coupe-ci ? Tu ne peux pas prendre celle-là ?", elle s'enquiert en désignant une coupe plus proche de mon trésor mais plus loin de moi.

"Celle-là... si mais... je dois donner beaucoup de pierres pour y aller... et attendre encore un tour que le dragon vienne puis un autre pour qu'il me ramène. "

"Alors il faut l'amener à côté de la coupe dès maintenant", propose ma fille. "Après tu y vas et tu reviens au trésor. Tu as assez de pierres pour payer. Non ?"

Mes frères gloussent en guise de confirmation que Sibel a l'air plus stratège que moi. Ses cousines sont bon public. Pourtant, Sibel a l'air étonnamment gênée de la remarque. Presque, elle s'enfuirait, je me rends compte.

"Tu sais, je crois que c'est un compliment", je lui souris. "Je vais faire comme tu as dit."

Je n'en suis pas sûr, mais je crois que mes frères nous laissent gagner.

ooo

La suite se tricote de manière homéopathique... petites doses régulières. Je me laisse happer par des histoires annexes. Mais ça arrivera.