Épisode 14 – Partie 4
10
Rude arrive sur place presque en même temps que Reno. Une cigarette aux lèvres, son collègue lui fait un signe de la main, avant d'accélérer l'allure pour le rejoindre.
— Désolé vieux, lui dit Reno en lui donnant une tape dans le dos. C'est d'ma faute.
Et Rude de hausser les sourcils en signe d'interrogation.
— Tseng m'a surpris à discuter avec Kadaj. L'a pas apprécié.
— Je t'avais prévenu.
— Ouais, ouais, je sais. Mais j'compte lui expliquer le truc… je veux dire, c'est pas comme si j'avais vraiment merdé.
— Ton avis.
— Aaaah, allez, quoi. Un peu de solidarité, ce serait pas de refus !
Puis ils lèvent tous deux les yeux en direction du bâtiment où les attend le reste de l'équipe. Reno se passe une main dans les cheveux et écrase son mégot sous sa semelle.
— Quand faut y aller… !
Avant de pousser la porte à double battant vitrée qui se présente à eux. Le lieu, quand ils y pénètrent, est désert et silencieux. Encore en construction, il sera le premier bureau de la Shinra à s'ouvrir à Edge – un premier pas dans la reconstruction de la compagnie, mais aussi un test destiné à prendre la température ambiante. Les Turks n'y auront toutefois aucun rôle, car il s'agira d'un lieu pour traiter affaires autour du pétrole et de son exploitation.
Près de l'entrée, un bureau en angle vide. Pas encore de siège derrière, ni d'ordinateur, ni rien d'utile pour son futur occupant.
Leurs talons claquent contre le carrelage, produisant un écho tout autour d'eux. Celui-ci attire l'attention de Tseng qui, sortant d'un bureau sur leur droite, les accueille d'un :
— Par ici !
Avant de disparaître à nouveau dans la pièce. Reno déglutit. Tseng a l'air sacrément furax et il devine qu'une fois entré là-dedans, ça va être sa fête. Il adresse un regard en coin à Rude, qui se contente de hausser les épaules, avant d'imiter leur supérieur. Le roux, lui, se permet un soupir, avant d'en faire de même et de refermer la porte derrière lui.
À l'intérieur, il trouve Rufus assis derrière un bureau déjà bien équipé. Installé dans un siège qu'il fait doucement tourner de droite à gauche, il semble plutôt détendu. Tseng, lui, a pris place près du bureau, se tient debout tandis qu'il désigne à Reno l'un des fauteuils qui lui font face et où Rude s'est déjà installé. Dans un coin, adossée au mur, il peut voir Elena et, elle aussi, n'a vraiment pas l'air de bonne humeur.
Comme il prend place aux côtés de Rude, il attaque aussitôt :
— Ok, boss… écoutez… je me doute bien ce que vous allez me dire, mais j'tiens quand même à préciser que Rude a rien à voir là-dedans.
— Je n'ai encore rien dit, fait remarquer Tseng.
— Ouais, mais je préfère être franc, quoi. Que vous lui cherchiez pas des poux pour rien… déjà qu'il a plus un poil sur le caillou, le pauvre.
Là-dessus, il envoie un coup de coude à Rude et lui fait un clin d'œil. Rude se contente de grogner. Tseng, lui, réplique :
— Dans ce cas, nous t'écoutons, Reno.
Et à Reno de se trémousser un peu sur son siège.
— Ben, voilà ! De ce que j'ai compris, vous m'avez vu tout à l'heure en train de causer avec Kadaj. Et j'comprends, hein ? Ouais, j'comprends que ça vous plaise pas beaucoup et que vous vous fassiez des idées, mais… je vous assure que je faisais mon boulot !
— Mais de mémoire, je crois vous avoir demandé de ne pas entrer en contact avec eux.
— Ouais… ouais, je sais bien, mais…
— Et ce n'est pas la première fois que ça arrive, le coupe Tseng.
— Ouais, ok, la dernière fois, je me suis retrouvé dans un sale état à cause de ça. Mais là, c'est différent !
— Différent… ?
Reno se tortille à nouveau, n'appréciant pas beaucoup le ton traînant que vient de prendre son supérieur. Il porte les yeux en direction de Rufus, mais celui-ci ne semble pas décidé à intervenir. Un petit sourire aux lèvres, il suit la scène en silence, l'air d'attendre la suite. Revenant à Tseng, Reno avoue :
— Ben… disons que sur ce coup, c'est lui qu'est venu me causer pour qu'on fasse le trajet ensemble jusqu'à son boulot. Juste histoire de rendre le truc moins pénible pour tous les deux, quoi.
— Ce n'est pas censé être un jeu, lui rappelle Tseng.
— Ouais, ok, mais…
— Est-ce que c'était la première fois ?
— Heu…
Cette fois, c'est en direction de Rude que Reno tourne les yeux. Son collègue ne l'imite pas, fixe droit devant lui, les mains jointes et l'air aussi stoïque qu'à l'ordinaire. Reno comprend néanmoins qu'il n'ira pas le balancer s'il se décidait à déformer la réalité. Mais pas dit qu'après ça, il n'ait pas une petite conversation avec lui pour lui dire sa façon de penser.
Sentant qu'il est de toute façon préférable d'être sincère pour ce coup – qu'un mensonge, à terme, risque de lui coûter encore plus cher, il répond :
— Non, en fait… disons que ces derniers temps, on s'entend pas trop mal, alors, il nous arrive de discuter, voyez… comme aujourd'hui, quoi.
Il peut entendre Elena renifler. Pas besoin de se retourner pour savoir ce qu'elle pense de tout ça et, de toute façon, il ne s'attend pas à ce qu'elle comprenne. Ouais, après ce qu'elle a vécu avec cette équipe, ça n'a rien d'étonnant et il se demande même si elle n'a pas le sentiment qu'il les a trahis, elle et Tseng.
— Et Rude était au courant, je suppose ?
Disant cela, Tseng a tourné les yeux vers le concerné, qui opine gravement du chef.
— Ouais.
— Et tu as laissé faire…
— 'lui ai dit qu'il déconnait.
— Sans même te donner la peine de m'en informer.
— Ah, écoutez, boss ! s'interpose Reno. D'accord, j'en ai encore fait qu'à ma tête, mais Rude est pas ma nounou, hein ? Et vous pouvez pas lui reprocher de pas m'avoir balancé alors que j'ai rien fait de grave. J'veux dire… merde ! C'est pas comme si je commençais à vouloir me ranger de leur côté ou j'sais pas trop ce que vous êtes allé vous imaginer !
Mais Tseng ne fait pas attention à lui. Son attention toujours portée en direction de Rude, il s'enquiert :
— Et aujourd'hui, tu l'as laissé entrer en communication avec Kadaj sans t'interposer ?
À cette question, Rude se crispe légèrement. Rien de très visible et, pour quelqu'un qui n'aurait pas l'œil, la chose serait passée complètement inaperçue. Seulement, Tseng n'est pas n'importe qui et la façon dont celui-ci l'observe à présent le met en garde contre toute tentative de dissimulation de la vérité.
— Merde, boss, s'agace Reno. Qu'est-ce que vous cherchez au juste ?
— Ce n'est pas à toi que je parle, Reno.
— Ouais, mais…
— J'étais pas là, avoue finalement Rude.
— C'est ça, il était pas là de toute façon ! Alors vous allez pas commencer…
— Peut-on savoir où tu étais ?
Cette fois, Rude fait craquer son cou. De gauche à droite. Comme si une tension soudaine y était apparue et qu'il cherchait à l'apaiser. Reno, lui, s'est complètement avachi dans son siège, l'air profondément déprimé. La dernière chose qu'il souhaitait, c'était de causer des problèmes à son collègue. Surtout que depuis le temps qu'ils crapahutent autour de ces trois-là, c'est même plus comme s'ils avaient vraiment de vie privée. Alors pour une fois que Rude décide d'aller s'occuper de ses petites affaires, voilà qu'il…
Mais alors que la culpabilité le gagne tout à fait, l'écrase sous son poids et lui laisse un goût amer dans la bouche, Rude avoue :
— Salle d'arcade.
Reno sursaute et tourne des yeux ronds en direction de son collègue. Tseng, lui, se contente de hausser un sourcil, tandis que Rufus cesse de s'amuser avec son siège. Dans leur dos, Elena se fait soudain attentive.
— Salle d'arcade ? répète Tseng, qui semble avoir du mal à comprendre.
— Hé, hé, partenaire, lance Reno en lui envoyant une tape sur l'épaule. C'est quoi cette histoire ? J'veux dire, t'étais pas censé être avec…
Sentant qu'il s'apprête à gaffer, il se mord la lèvre et préfère ne pas terminer. Il en a toutefois déjà trop dit, car tous les regards – et jusqu'à celui de Rude – sont à présent braqués dans sa direction.
— Oui, Reno ? insiste Tseng.
Celui-ci tourne un regard coupable en direction de Rude, avant de poursuivre :
— Une nana ?
Un silence accueille sa question. Puis Rude hausse les épaules et répond :
— Première nouvelle.
— Quoi ?! Mais alors pourquoi tu t'es tiré tout à l'heure ?
— Salle d'arcade, répète son compagnon qui, comprenant qu'il va devoir développer un peu, ajoute : Ils ont reçu une nouvelle borne… je voulais l'essayer.
À présent convaincue que cette histoire de petite copine est fausse, Elena se permet un sourire, l'humeur soudain plus légère. Forcément, elle aurait dû se douter que venant de Reno, l'information n'avait strictement rien de fiable !
Son apaisement n'est toutefois pas partagé par tous, car Tseng s'est assombri face à ces explications.
— De mieux en mieux, grommelle-t-il. Je vous rappelle que vous êtes censés être des professionnels tous les deux !
Pas tout à fait remis de sa surprise, Reno réplique néanmoins :
— Hé, boss, soyez pas vache ! J'veux dire, ça fait des semaines qu'on est sur ce coup et on n'a même pas eu droit à un jour de repos par-ci, par-là. Vous allez pas nous reprocher d'avoir besoin de nous détendre un peu, hein ?
— C'est votre travail.
— Ouais, j'sais bien, mais…
— Et je pensais avoir remis cette mission entre les mains de mes meilleurs éléments, mais… il semble que j'ai commis une erreur.
Reno grimace, tandis que Rude tire sur son nœud de cravate. Rufus, lui, a recommencé à faire tourner son siège et lance :
— Je t'avais prévenu que toi et Elena devriez les remplacer pour qu'ils puissent respirer.
— Nous avons nos propres affaires en cours, monsieur, lui rappelle Tseng.
— Mais tout le monde a le droit à une journée de repos de temps en temps. Même mon père l'avait compris.
Bien que n'étant pas tout à fait de l'avis de son supérieur sur ce coup, Tseng préfère se passer de commentaire. Revenant à Rude et Reno, il prend une inspiration.
— Très bien. Maintenant que je sais où nous en sommes, je crois qu'il va nous falloir changer certaines choses. Pour commencer, Reno, tu n'es plus en charge de Kadaj.
— Oh, allez, c'est pas si terrible !
— Tu n'as plus l'autorisation de l'approcher, poursuit son supérieur sans l'écouter. Ni de le suivre, ni encore moins de lui adresser la parole. Et si de son côté, il cherche à entrer en communication avec toi, tu dois m'en informer et je réglerai ça avec Cloud. Rude, ce sera donc à toi de t'occuper de Kadaj, ce jusqu'à ce que nous ayons pu prendre d'autres dispositions.
Rude approuve d'un signe de tête. De plus en plus avachi, Reno grogne :
— Franchement, vous allez juste aggraver les choses, boss. J'veux dire, il se tient tranquille en ce moment et c'est pas plus mal, non, qu'il vienne me causer ?
— Explique-moi en quoi ?
— Ben… je peux en apprendre plus sur eux, 'voyez ? Et puis c'est plus simple pour m'assurer qu'il se tient tranquille, vu qu'il essaye plus de me semer ou…
— Quand il vous arrive de discuter, le coupe Tseng. De quoi, exactement, parlez-vous ?
Reno redresse sa position et a un geste de la main.
— De conneries, 'voyez le genre ? Il me chambre, je le chambre. Il cause de son boulot, ce genre de trucs. Et puis il me pose pas mal de question, alors…
— Quel genre de questions ?
— Hé, hé, hé ! J'vous vois venir ! Vous croyez que j'irai lui balancer des infos sur nous ? Nan, c'est juste qu'il est un peu largué sur pas mal de sujets. Des trucs tout con, des fois, alors moi, juste, je les lui explique correctement, histoire qu'il aille pas se mettre n'importe quoi dans la tête.
— Donc, conclut Tseng, il se sert de toi pour parfaire son image et mieux nous tromper.
— Mais non ! Qu'est-ce vous allez chercher ?
— Vous avez quelque chose à ajouter, monsieur ? s'enquiert Tseng en se tournant vers Rufus.
Celui-ci approuve d'un signe de tête, avant de questionner à l'intention de Reno :
— Est-ce que tu as le sentiment qu'il s'attache à toi ?
Un peu surpris par la question, le roux prend le temps de la réflexion.
— Pas facile à dire… enfin… ouais, peut-être un peu !
À nouveau, Rufus opine du chef.
— Et toi, Reno ?
Cette fois, la question le prend complètement de court. Lui ? Quoi, lui ? Ils sont en train d'essayer de le piéger ou quoi ? Merde, faut pas abuser !
— Heu…, commence-t-il.
Mais Tseng, qui semble s'être déjà fait sa propre idée, le coupe :
— Je vois… on en est déjà à ce stade. (Et comme Reno ouvre la bouche pour répliquer, il lève la main afin de le renvoyer au silence.) Pour le moment, je ne peux pas encore te faire remplacer, mais dès qu'Elena en aura terminé avec ses affaires actuelles, elle prendra ta place.
— Sérieux, boss…
— Merci beaucoup, Reno ! s'agace la jeune femme.
— Oh, ça va, hein ! C'est vous qui dramatisez tout, là !
— Rude, poursuit Tseng. Je compte sur toi pour m'en informer s'il devait de nouveau entrer en contact avec Kadaj.
— Ah carrément ? Vous allez me faire surveiller en plus ?!
— Pour ton propre bien, Reno.
Tournant les yeux vers Rude, Tseng peut voir ce dernier opiner du chef. L'air grave.
— Cette situation est compliquée, je le conçois très bien, reprend-il. Et c'est pourquoi il va nous falloir agir avec plus de prudence à partir de maintenant. Je te demande donc d'être coopératif sur ce coup, Reno.
En réponse, le roux grogne son assentiment. Il comprend le résonnement de son supérieur, mais il ne parvient pas à y adhérer.
C'est trop con. J'veux dire, il a vraiment l'air de vouloir s'adapter.
Et même si ce n'est qu'un connard, c'est plutôt marrant de discuter avec lui. Ouais, il est insupportable, mais c'est sympa de traîner avec, même si ça se résume à l'accompagner au boulot et à le raccompagner jusqu'à chez lui. Ça met un peu de distraction dans son boulot et il est sûr que…
Et merde… !
Tseng a sans doute raison, il commence à s'attacher à ce sale gosse !
11
Kadaj bâille à s'en décrocher la mâchoire.
Le service du soir n'a pas commencé depuis une heure qu'il est déjà épuisé. Au comptoir, Loz discute avec des clients – à qui il remplit les verres –, tandis que Yazoo est reparti en salle apporter leur commande à d'autres. Tifa, elle, se trouve du côté de la gazinière, à surveiller la cuisson d'un plat. Quant à lui, il est comme souvent relégué à la plonge, s'occupe parfois des clients installés au bar ou aide Yazoo quand il est un peu trop débordé… en bref, contrairement à ses frères, il n'a pas su trouver une place attitrée et se retrouve donc avec un rôle polyvalent.
Un nouveau bâillement lui échappe et il retourne à sa vaisselle, qui commence à déborder à force qu'il traîne à s'en occuper. Tout en vidant une assiette de ses restes dans la poubelle près de lui, il songe que Reno n'était pas là, à l'attendre, quand il a quitté son boulot. Le chauve, par contre, – comment est-ce qu'il s'appelle déjà ? Rude ? – si et la chose l'a quelque peu troublée.
Est-ce qu'il aurait eu des problèmes ?
Il s'attendait à ce que tronche de glaçon lui passe un savon pour ce qu'il s'est passé cette après-midi, mais pas à ce qu'il se retrouve carrément absent à cause de ça.
Enfin, il est Turk. Si ça se trouve, il a juste eu autre chose à faire…
Et il compte bien demander la suite de l'histoire au roux demain, quand il le verra.
En attendant… je suis toujours claqué !
Tellement qu'il a du mal à garder les yeux ouverts et qu'il a hâte d'aller se coucher. Tifa s'en rend d'ailleurs compte, car après avoir remis à Yazoo la commande d'un client, elle s'approche et, avec un froncement de sourcils soucieux, dit :
— Je crois que tu ferais mieux de monter, Kadaj.
Et comme celui-ci tourne les yeux dans sa direction, elle ajoute :
— Tu n'arrêtes pas de bâiller depuis tout à l'heure.
— Un coup de fatigue, lui répond-il.
— Qui était déjà là les autres jours. En fait, ce n'est pas très correct de te demander d'être là le soir, alors que tu travailles déjà le matin et l'après-midi.
Avec un geste de la main, Kadaj lui fait savoir de ne pas s'inquiéter pour ça. Rince plutôt les verres dont il s'occupait, pour les déposer près de lui, là où il trouve un peu d'espace. Tifa n'en tourne pas pour autant les talons, continue de le fixer, l'air de plus en plus contrarié. Finalement, elle s'avance vers lui et lui subtilise l'assiette qu'il s'apprêtait à passer sous l'eau.
— Va te reposer. À partir d'aujourd'hui, je ne veux plus te voir ici le soir.
— C'est bon, je…
— Non, le coupe-t-elle, avant de poser l'assiette sur le côté pour le pousser doucement dans le dos. Monte te reposer. Et si je te vois redescendre avant l'heure du dîner, je vais me fâcher.
Kadaj ouvre la bouche pour protester à nouveau, mais Yazoo, qui revient à ce moment-là au comptoir, lui lance :
— Arrête d'être têtu et monte, Kadaj. Si tu crois que j'hésiterais une seule seconde à ta place…
Et à Loz de soutenir Yazoo et Tifa d'un hochement de tête. Se retrouvant seul contre tous, Kadaj pousse un soupir et grogne :
— Je suis pas en sucre…
En ultime signe de protestation, avant de daigner faire ce qu'on lui demande. Pas mécontent, en vérité, de se savoir à présent libéré de cette corvée…
Fin de l'épisode 14 ! Encore trois épisodes, et ce sera la fin de cette première saison. x,)
