Attention: Les chapitres de la partie 2 peuvent évoquer des sujets tels que: relation entre mineurs, viol ou pédophilie sans description graphique.

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Shizuru vit les choses différemment dès lors qu'elle eut Hana.

Le monde lui parut tout à la fois plus laid et plus beau.

Elle pensait plus encore aux femmes prisonnières et aux sévices qu'elles subissaient. Elle rêvait de descendre les libérer et de les venger. Elle voulait qu'Hana ait une meilleure vie, la vie que ces fermiers avaient avant qu'ils ne viennent tout leur prendre.

C'était toute l'ambivalence de la chose non? Préférait-elle nicher en sécurité sous la protection des monstres ou la liberté et les risques de faire partie de leur proie?

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Avant la naissance de Hana, la réponse était facilement ignorée par le postulat simple que: elle était une enfant, elle ne pouvait pas partir seule, tentée de trouver un groupe qui l'accepte. Elle serait aussi bonne que morte.

Elle n'était pas beaucoup plus âgée mais elle ne se voyait guère plus comme une enfant, elle était mère d'une petite fille à qui elle voulait offrir le monde. En tout cas une meilleure vie que celles sanglantes de pillards.

Elle n'évoqua pas ses idées à voix haute, même si elle se demanda longuement ce qu'en penserait Reito. Serait-il prêt à tenter de quitter son père et le Clan avec seulement Hana et elle?

Pas tout de suite cependant, Hana était trop petite, elle ne comprenait pas le danger qu'il y avait à pleurer et hurler pour communiquer qu'elle eut faim ou besoin d'un changement de couche. Une telle situation, hors de la protection du Clan, équivaudrait à être submergée par des mordeurs.

Et puis, la situation était plus calme depuis qu'ils étaient à la ferme. Les ressources étaient importantes, les possibilités paraissaient infinies. Shizuru nourrissait l'espoir qu'ils s'établissent ici définitivement, que certains découvrent le plaisir simple de travailler la terre plus que de faire couler le sang.

Pendant un temps elle y crut vraiment. Elle désherbait le potager, arrosait et plantait, selon le manuel "Comment réussir votre potager". Elle ne savait pas vraiment si elle avait ou non la main verte, mais il était certain que la terre se montrait généreuse en produisant beaucoup de légumes. Reito et Nagi venaient l'aider, ainsi que Tao et Naru, deux des hommes du Clan.

Il était étrange de se rendre compte qu'en 8 ans à vivre dans le Clan, elle ne connaissait que les noms de tous ces membres voire des fois que leur surnom.

Si ce n'était la famille de Reito, les hommes du Clan l'avaient toujours mis mal à l'aise, mais elle découvrait avec étonnement que tous n'étaient pas des monstres violents, certains avaient un certain sens de respect et de morale. Tao et Naru -le premier d'une petite trentaine alors que l'autre s'approchait de la bonne cinquantaine- étaient vulgaires et abrupts dans leur geste et leur mot, mais ils ne touchaient pas les femmes sans leur consentement ni ne levaient la main sur elles quoiqu'elle dise ou fasse.

Naru était marié avant la Chute ou du moins avait été marié. C'était un homme divorcé, papa de deux petites filles. Aucune n'avait échappé au Parasite, il les avait abattu lui-même.

"Il était hors de question, lui raconta-t-il, que quelqu'un d'autre le fasse. Si elles pouvaient encore ressentir de la douleur, je voulais que ce soit aussi rapide qu'indolore. Je les ais enterrées dans le jardin où elles aimaient jouer."

Naru avait toujours oscillé entre l'ignorer ou être dure avec elle, il n'avait jamais su faire autrement alors que Shizuru avait l'âge de la plus jeune de ses filles. Il ne supportait pas le rappel.

Mais ça faisait 8 ans et le bébé l'attirait aujourd'hui. Il rappelait à Naru des souvenirs moins vifs, bien plus nostalgiques. Shizuru avait du mal mais elle finit par ne pas hésiter à lui confier Hana quelques semaines plus tard.

Tao lui était une sorte d'acteur. Il cherchait la protection du groupe et copiait leur mimic et comportement, mais derrière le masque, il ne cautionnait pas ce qui s'y passait. Parce qu'il n'avait pas de connection dans le groupe -comme les 3 frères Idachi, l'oncle Ari et le neveu Miki ou l'Américain et son beau frère. Au moment de la Chute, il avait été intégré récemment dans ce groupe mafieux familial où il devait faire ses preuves. Le père de Kenshi et ceux de la plupart des membres en avaient fait partie et leurs enfants avaient simplement suivi leur trace. Tao, en tant que petite frappe sans relation, avait donc toujours été terrifiée que le groupe l'abandonne sans remords.

A un certain niveau, Tao était son pendant masculin. Un jeune terrifié et seul, obligé de se plier aux règles d'un groupe qui lui déplaisait.

Shizuru se demandait combien de la trentaine d'hommes dont le Clan était composé étaient moins cruels qu'elle ne se l'était imaginé. Combien était comme elle, Tao, Naru et Reito à ne pas cautionner les meurtres, tortures et viols? A les laisser faire par peur et lâcheté?

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Nagi avait eu 10 ans et Kenshi l'emmenait à la chasse.

Il continuait à l'embrasser et à demander à son père quand il aurait l'âge de pouvoir "avoir" Shizuru. Quel était cette logique qui consistait à l'autoriser à tenir une arme et tuer des créatures vivantes mais à ne pas pouvoir avoir une femme? disait-il à l'amusement de son père.

Shizuru était de plus en plus effrayée des pensées mal avisées du jeune garçon. Si Shizuru avait couvert les bases de son éducation (lecture, écriture par exemple), tout le reste était enseigné par les hommes du Clan et pas les meilleurs. Une fois l'arme en main et deux trois expéditions de chasse, les hommes le félicitaient. "Le petit est meilleur que Reito", "il a la chasse dans le sang", "il hésite pas lui".

Toutes ses différences qui lui avaient valu des moqueries étaient à présent appréciées par le Clan.

Oui Nagi devenait un peu trop comme les monstres qui les protégeaient et toute la bienveillance que Shizuru avait tenté de lui inculquer ne contrebalançait pas la pression du groupe et l'ambiance criminelle qui y régnaient.

Était-ce aussi son cas? Serait-ce celui d'Hana?

Nagi l'effrayait, il était agressif, intelligent et manipulateur. Il pouvait se montrer doux, redevenir le petit garçon à qui elle avait appris à marcher ou redevenir le monstre en puissance. Et il haïssait Hana, il haïssait le fait que l'entière attention de Shizuru lui soit retirée pour la petite fille qu'elle avait mis au monde.

Shizuru n'osait parfois pas la quitter du regard, de crainte qu'il lui fasse quelque chose. Passe encore que Nagi se force sur elle en l'embrassant ou en tentant de la toucher, mais il était hors de question qu'il touche à Hana, qu'il tente notamment de la blesser.

Le ferait-il vraiment? D'un jour à l'autre, elle n'aurait su le dire.

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Elle oubliait toutefois rapidement Nagi avec un éclat de rire d'Hana. La petite fille grandissait bien, elle babillait constamment, était pressée de ramper, puis de marcher et finalement de courir. Elle ne tenait pas en place et n'avait peur de rien, ni des Idachi ni de l'Américain. Pas qu'aucun n'oserait toucher un cheveu de la petite-fille de Kenshi.

Ses cheveux étaient noirs et lisses -légèrement ondulés- comme Reito, mais si Shizuru avait eu une photo d'elle bébé, elle aurait su que tout le reste venait d'elle.

Shizuru lui tenait ses petites mains alors qu'elle faisait de petits pas, Reito lui nommait tous les objets qu'ils croisaient pour l'inciter à les répéter, tant de souvenirs immortalisés à jamais dans sa mémoire. La Chute, les mordeurs, les pillages et les prisonnières, elle n'y pensait plus les jours passant.

Il n'y avait plus de cris de femmes qui résonnent, il n'y avait plus d'odeurs de sang à sentir.

Reito était un jour parti en expédition et était revenu avec un appareil photo instantané et Shizuru remercia la période "vintage" du monde moderne, alors qu'elle pouvait prendre des photo d'Hana en train de sourire, de marcher, de rire aux éclats alors que Reito la soulevait ou en train de dormir bercer dans les bras de Shizuru. Elle avait des preuves tangibles de tous ses merveilleux moments.

Elle lui lisait des contes, lui montrait comment planter des graines, s'amusait à l'habiller de vêtements ramenés par Reito ou qu'elle tentait de coudre sans trop de réussite. Les semaines et les mois défilaient trop vite, mais intense, paisible et heureux.

Hana avait 3 ans, Shizuru allait sur ses 16 ans et Reito avait récemment eu 18 ans. ça faisait 11 ans que l'Otome avait mis à genoux l'humanité, mais Shizuru n'y avait pas pensé depuis 3 ans.

Elle y avait vraiment cru au fait de vivre heureux ici, dans la ferme de la montagne, mais elle n'était pas bête. Elle cuisinait et, si durant ces dernières années de calme, elle ne gérait plus les stocks, elle en avait connaissance puisqu'elle était la première à s'y servir pour préparer les repas.

Ils devaient partir. Le Clan n'avait pas été raisonnable, parce que peu de ses membres se voulaient fermier, éleveur ou agriculteur. Ils n'en avaient pas la patience, ils se voyaient comme des guerriers, rappelant à Kenshi que s'ils avaient voulu être des survivants ils l'auraient fait 11 ans plus tôt. Ils savaient ce qu'ils étaient et prenaient plaisir à ce qu'ils faisaient.

Ils n'avaient plus de femmes -toutes avaient succombé à leur mauvais traitement, Shizuru n'avait honteusement plus pensé à elle quand leur cris avaient été étouffé par la fatigue et le catatonisme de leur traitement.

Ils n'avaient plus d'animaux, tous abattus pour la nourriture, même les poules qui fournissaient pourtant un approvisionnement régulier d'œufs et, l'hiver s'approchant, les arbres fruitiers n'avaient plus rien à fournir. Le manque d'aide dans les champs avait fait que bien des cultures avaient pourri sur pieds. Trois ans étaient ce qu'il fallait pour mettre à mal les réserves que les fermiers avaient accumulées et que Shizuru, Reito, Tao et Naru étaient parvenus à soutenir quelques temps.

Ils firent donc leur bagage.

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C'était le premier voyage d'Hana mais de toutes les choses qu'ils avaient pris le temps de lui apprendre, le plus important était de savoir garder le silence. C'était une des règles cardinales de leur éducation. Shizuru la portait dans un porte bébé un peu trop petit alors que Reito assumait leurs effets personnels. Ils abandonnèrent l'appareil photo (ils n'avaient de toutes façons plus de papier photo) mais ils rangèrent précieusement dans l'intérieur de leur veste les instantanées qu'ils avaient pris de leur petit coin de paradis.

C'était l'Américain qui les guidait. C'était lui qui était parti seul en éclaireur durant 1 mois entier, trouver un camp de survivants et comprendre leur faiblesse.

Ils empruntèrent une nationale enherbée sans croiser qui que ce soit et mirent deux jours à atteindre un petit village totalement abandonné. Après une nuit où ils avaient nettoyé et investi un nouveau corps de ferme affreusement dégradé, ils prirent 5 jours entiers à atteindre un autre village -ils avaient eu le temps d'en traverser deux autres sur le trajet.

Les mordeurs se tarissaient avec leur avancée et Shizuru trouvait toujours ça étonnant.

Les mordeurs étaient attirés par le bruit, l'activité humaine, la lumière, etc. Loin des grandes agglomérations où les mordeurs semblaient être une marée sans fin s'accumulant devant les murs des camps de survivants, dans les coins plus reculés, ils semblaient qu'il n'y en avait plus aucun. Tout simplement parce qu'on pouvait nettoyer les coins où les concentrations en mordeur étaient faibles, alors qu'en ville cela ne serait qu'un travail sans but ni fin.

Eux qui n'attaquaient toujours que des camps dans les villages ou les petites villes n'affrontaient donc que rarement les mordeurs ou seulement en petit groupe.

Les humains étaient cependant autre chose, leur résistance aux pillards variaient incroyablement d'un groupe à l'autre. Il était même arrivé que des survivants ne croyant qu'à l'entraide leur ouvre les portes avant de comprendre qu'ils venaient les conquérir.

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Même après 3 longues années sans pillage, tout le monde avait rapidement repris ses habitudes.

En l'occurrence, Le Clan s'assurait toujours d'une zone sûre à une dizaine de minutes supposée du camp à attaquer. C'était une petite maison à un étage ce jour-là. Le Clan y laissait toujours Shizuru avec leurs effets personnels le temps qu'ils conquièrent leur objectif.

La dernière fois, Nagi était resté avec elle mais à présent il accompagnait les hommes. Il n'y avait donc qu'Hana pour lui tenir compagnie.

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Ce fut à ce moment-là soudainement que Shizuru repensa à toutes ses idées d'évasion. Elle savait que les choses étaient parties pour redevenir comme avant : les prisonnières, les meurtres, les pillages chaque année, voire plusieurs fois par an. Hana avait été épargnée par cela jusqu'alors et Shizuru ne voulait pas lui faire vivre ce genre de chose.

Elle estimait avoir quelques heures devant elle, le temps que le Clan prenne le contrôle du camp et nettoie proprement la zone de tous les dangers. Si elle devait faire quelque chose, elle devait le faire maintenant.

La décision fut instinctive, les mouvements robotiques alors qu'elle réunissait un sac de vêtements d'elle et d'Hana, quelques vivres et une arme. Elle laissait Reito derrière elle, mais c'était une nécessité parce qu'elle savait sans le moindre doute qu'il resterait loyale à son père et à son frère, qu'il préférerait la garder prisonnière avec Hana dans le camp qu'un jour tenter sa chance seul avec elles dehors.

Elle se glissa facilement hors de la maison, chargée du porte bébé et du sac de fourniture, une arme à la main, le corps déjà fatigué de leur précédente pérégrination de la semaine passée.

Aucun danger devant elle, un monde ouvert sans mordeur ni être humain. Elle s'éloigna de la route principale où elle serait trop facilement repérable et continua d'avancer le cœur battant frénétiquement sous l'effort et la peur de ce qu'elle venait d'entreprendre. Il n'y avait pas de retour en arrière, c'était la dernière fois qu'elle devait faire face au Clan et à leur connerie.

La dernière fois qu'elle s'appuyait sur eux pour sa survie et celle d'Hana.

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Le fait est qu'elle fut en réalité rapidement rattrapé, à peine une heure plus tard, ramenée par un homme du clan nommé Kogin qui la traina sans cérémonie par les cheveux ou le bras selon ce qu'il attrapait quand elle se détachait de lui après s'être suffisamment débattu. Hana hurlait, le visage rouge et Shizuru voulait juste tomber d'épuisement et de désespoir. Les souvenirs de sa sortie à 5 ans lui revenaient en tête avec une lucidité cruelle. La punition et l'humiliation, les menaces de si elle recommençait.

Et elle avait recommencé… Pire, elle avait voulu partir avec Hana qui appartenait à Kenshi quoiqu'en pense Shizuru.

Elle se demanda si elle n'allait finalement pas rejoindre "l'enclos des prisonnières". Comment avaient-ils été si rapide pour conquérir la place, remarquer son absence et partir à sa recherche? Moins d'une heure, c'était un exploit même pour le Clan et surtout après 3 ans d'inactivité dans le pillage.

Kogin, sans se soucier qu'elle trébuche avec Hana contre sa poitrine, continuait de la trainer de force. Il siffla et interpela à grand cris ses compagnons qu'elle avait été retrouvée et petit à petit plusieurs hommes les rejoignirent et se pressèrent autour d'eux.

"Je crois que finalement nous aurons une prisonnière aujourd'hui, rit l'un d'eux."

Au centre du camp, Kenshi était une masse de colère et de rage contenu. Reito détournait les yeux refusant de croiser son regard alors que Nagi offrait une moue désapprobatrice, une lueur étrange dans les yeux, comme un requin excité par la vue du sang.

Elle fut poussée au centre du camp, tomba brutalement sur les genoux et se rattrapa sur un bras, l'autre venant instinctivement se poser contre Hana. Ses genoux et son poignet l'élancèrent mais elle ne chercha pas à se redresser.

Elle retenait ses larmes, absolument terrifiée de ce que les prochaines minutes risquaient de lui apporter. Mais le silence persistait sur le camp, seulement interrompu par le crépitement du feu et les cris et hoquets colériques d'Hana. Elle releva le regard et constata que tout le Clan était là, il n'y avait aucune supplique de femmes demandant à ce qu'on les libère ou qu'on ne les touche pas, aucun homme mourrant, juste un silence et le murmure des pillards curieux et impatients de la curée qui allait avoir lieu. Leurs silhouettes assombries par les feux dans leur dos rendaient toute la scène plus effrayante encore.

"Je suis déçue de toi Shizuru, entonna Kenshi d'une voix de baryton. Je pensais que de toutes les femmes, nous pouvions te faire confiance. Reito, ordonna-t-il, va récupérer Hana, mets-la dans la petite chambre en attendant."

Reito s'exécuta et alors qu'il se penchait tout contre elle pour défaire le porte bébé, il ne répondit ni ne fit mine d'entendre Shizuru qui le suppliait de ne pas faire ça. Même si elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle entendait par "ça". Reito se dégagea d'un geste brusque de sa prise et disparut en quelques instants avec une Hana toujours en pleine crise. Là où il la déposa et l'enferma, dans la "petite chambre" les cris étaient à peine étouffés.

Kenshi ne reprit la parole qu'une fois Reito de retour alors que Shizuru, affaissée sur le sol, le suppliait de lui pardonner, affirmant qu'elle ne pensait pas clairement, qu'elle avait eu peur et lui promettant bien sûr de ne pas recommencer.

"Regarde Shizuru. Nous partons chercher un nouveau lieu pour nous abriter et nous nourrir et plutôt que nous remercier de ce que nous faisons pour toi et ta fille, tu pars? Sans en parler à qui que ce soit? Laissant derrière toi la famille de cette enfant, son propre père. Si ce camp n'avait pas déjà été détruit avant notre arrivée, s'ils ne nous avaient pas fallu qu'une vingtaine de minutes pour trouver tous les anciens survivants récemment contaminés, tu aurais pu te perdre, dit-il d'une voix presque paternaliste. Et alors que te serait-il arrivé à Hana et toi loin de notre protection?

-Je suis désolée, hoqueta-t-elle mais même dans son état elle comprit que la situation ne se résoudrait pas avec quelques excuses aussi sincères furent-elles."

Si le camp avait été contaminé avant leur arrivée, s'il n'y restait que des mordeurs, alors il pouvait encore y avoir des vivres, mais il n'y avait pas de prisonnières. Avec sa décision inconsidérée de fuir, Kenshi pourrait effectivement bien décider de la prêter au Clan pour apaiser ses hommes frustrés.

Le bruit des battements de son cœur paniqué étouffait presque tous les autres sons, c'était à peine si elle entendit Kenshi dire à Reito qu'il était responsable d'elle et donc qu'il était tenu d'administrer la punition qu'elle méritait.

Shizuru savait que Reito ne pouvait se permettre d'être miséricordieux, et peut-être ne voudrait-il pas l'être même s'il le pouvait. Elle l'avait abandonné, elle était partie avec Hana sans lui. Elle avait peut-être échoué, mais l'intention était bien là.

Reito acquiesça avec fermeté et défit sa ceinture, il laissa l'épaisse boucle en fer à l'extrémité libre.

Avec des sourires amusés, elle sentit deux des frères Adachi lui ôter sa veste et son maillot de corps.

Quelques-uns des hommes sifflèrent à sa poitrine nue, mais sa situation actuelle ne lui permettait pas de se sentir gênée. Les frères l'attachèrent à un ancien poteau téléphonique alors qu'elle se débattait vainement contre leur prise.

Le premier coup de ceinture sur son dos vint comme une surprise, une langue de feu qui l'a fit hurler, comme un écho déformé aux cris de sa fille étouffée au loin qui se poursuivaient inlassablement. Le second fut prévisible mais pas moins douloureux, loin de là.

Reito ne retenait pas ses coups, parce que son dos offert à tous devait montrer les traces de sa punition. Si sa peau ne s'arrachait pas littéralement, que son sang chaud ne coulait pas au creux de ses reins, elle songerait à combien Reito devait détester être dans la position de bourreau, lui qui n'éprouvait que dégoût à frapper les gens.

C'était toutefois le moindre de ses soucis, alors qu'elle criait à s'en arracher la voix, souhaitant presqu'un groupe de mordeurs l'entendent et viennent distraire le Clan de sa punition.

Elle s'évanouit au neuvième coup, à la moitié de sa punition environ.

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On la réveilla avec un seau d'eau à peu près au moment où on l'enfermait dans une autre pièce probablement voisine à celle d'Hana qui continuait de hurler. La punition avait pu lui paraitre une éternité, mais ce n'était qu'une demi heure au pire qui s'était réellement écoulée Hana n'avait jamais été traité ainsi auparavant, Shizuru s'était toujours assurée d'être là et de calmer ses pleurs et ses peurs pour ne pas qu'elle dérange les caractères explosifs des hommes du Clan. Nulle surprise donc à ce qu'elle continue d'hurler, tant elle devait être terrifiée de la brusquerie avec laquelle sa mère avait été traité et la solitude qu'elle devait soudain affronter.

Reito, qui avait été chargé de l'amener ici et de la sortir de son inconscience, sembla prête à dire quelque chose, mais Kenshi le rappela à l'ordre.

"Laisse-les. Même Hana, ajouta-t-il durement. Cette petite a besoin d'apprendre à vivre sans sa mère, on ne sait jamais ce qui peut arriver."

La remarque lui était adressée alors qu'elle était au sol, avec la sensation d'être littéralement brisée. Elle pleura, la voix croassante alors que Reito, obéissant, refermait la porte devant elle.

Shizuru devait se battre et serrer les dents pour se redresser et appuyer son épaule contre la porte. Elle frappa contre la paroi en bois, trop faiblement pour être entendue quoique persistante, alors qu'elle demandait à ce qu'on lui laisse voir sa fille.

Hana hurlait, d'un hurlement effroyable, le genre de cris qui terrifiait Shizuru. Était-elle blessée? Elle semblait souffrir, à l'agonie, mais Hana n'avait jamais été brutalement traitée et Kogin n'avait pas été tendre. Elle devait être paniquée à n'en pas douter.

Shizuru essaya de lui parler, de crier à travers les murs qu'Hana entende la voix de sa mère mais ça ne changea rien à sa situation.

Bouger n'était que souffrance, son corps et son esprit étaient dévastés par la situation, par ce qui risquait d'arriver ensuite. Elle en était convaincue à présent : c'était elle la prisonnière à présent.

La douleur l'assomma, son corps réclama la paix du sommeil, l'oubli nécessaire pendant quelques instants et elle s'endormit le visage écrasé contre le bois de la porte.

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Elle se réveilla groggy au son frénétique de cris et de coups de feu multiples. Elle était incapable de savoir combien de temps venait de s'écouler, quelques minutes? Heures? Impossible de savoir alors que son corps n'était qu'une plaie à vif. Pourtant son attention se porta vers l'extérieur. Non pas vers le son des hommes qui paniquait et vociférait des ordres que son esprit embrumé de douleur ne comprenait pas mais vers la pièce voisine.

Il n'y avait plus de hurlement En tout cas, elle n'en entendait plus de sa fille, seulement des pleurs et des hoquets qui résonnaient derrière l'agitation violente. Reito était peut-être venu la chercher, Kenshi avait pu en avoir assez de tous ses cris.

Légèrement rassurée, elle essaya de comprendre la situation. Se faisaient-ils attaquer à leur tour?

Shizuru mit quelques instants à comprendre que l'amalgame de sons semblait provenir d'à côté, justement au niveau de la chambre où elle suspectait qu'Hana avait été couchée.

Elle frappa -faiblement à nouveau mais avec toute la force dont elle était capable contre sa porte.

"Ouvrez moi! Hana! Hana!"

Sa voix, elle, avait retrouvé de sa force, mais il fallut quelques minutes, pour que quelqu'un lui ouvre la porte. C'était Naru, le visage indescriptible.

Derrière lui, le Clan s'agitait, les hommes récupéraient leurs armes, repassaient les lanières de leurs sac à dos aux épaules.

"Qu'est-ce qu'il se passe? croassa-t-elle la voix cassée.

-Nous partons, balbutia Naru. Nous avons… nous avons découvert comment le camp a été infecté. Il n'est pas sûr de rester ici."

Shizuru tenta de se redresser et s'effondra à moitié sous la douleur qui obscurcissait sa vision. Naru dut l'aider mais quand elle essaya de se diriger vers la chambre supposée d'Hana, Naru la retint.

"Non. Pas par là.

-Si, insista-t-elle. Hana, je l'ai entendu, elle est là bas."

Ce n'était peut-être pas la pièce voisine, mais elle était tout à côté, la porte de sa petite fille donnait a priori sur l'autre partie du couloir en L. Plusieurs hommes étaient d'ailleurs agglutinés au niveau du coude et commençait à s'éloigner. Aucun ne la regarda malgré qu'elle fut toujours à moitié dévêtue. Ceux qui croisèrent son regard se détournèrent rapidement. Ce n'était pas normal. Ces enfoirés finis auraient dû jubiler de son état, ils n'avaient jamais paru contrit.

"Je veux voir Hana, indiqua-t-elle la voix tremblante, sa poitrine se serrant d'angoisse.

-Shizuru…

-Je veux la voir, ordonna-t-elle."

Naru l'aida lentement à avancer dans le couloir alors qu'elle menaçait de s'écrouler sous la douleur à chaque étape.

Au tournant, elle ne comprit pas tout de suite ce qu'elle voyait au sol.

Une dizaine de petit tas de poils gris ou noir entourés de liquide ou de bouilli de chair d'un noir si sombre que ça ne pouvait être du sang… ou était-ce?

"Qu'est-ce que…

-Des rats, expliqua Naru. Des rats dévoreurs…"

Et soudain l'horreur la saisit, parce qu'il y en avait de plus en plus d'abattu, d'écrasé ou s'agitant encore dans de dernier spasmes de vie au niveau d'une porte où Kenshi se tenait l'air effaré. Reito était affalé plus loin contre un mur, le visage caché entre ses mains, les épaules secouées de sanglots. Quelques autres hommes s'éloignèrent en tapotant l'épaule de Kenshi et toujours en détournant les yeux de shizuru comme gêné.

Il y eut comme une coupure, comme si son esprit et son corps n'était plus vraiment relier l'un à l'autre. Shizuru se détacha de Naru et une main contre le mur, la douleur comme oubliée, elle s'avança vers la porte d'où provenait les pleurs faibles d'un tout petit.

Kenshi tenta de la retenir et elle le repoussa avec rage et colère alors qu'elle découvrait la petite pièce. Ce n'était pas une chambre, probablement un ancien garde-manger qui avait dû déjà être attaqué par des rongeurs s'il fallait en croire la tapette à souris dans un coin.

Reito avait enfermé leur précieuse petite fille dans ce sinistre endroit que les rongeurs n'avaient jamais quitté, sauf qu'un des rats avait dû être contaminé et avait transmis le parasite à tous ses condisciples. Des rats dévoreurs… qui avaient dû décimer les survivants d'origine du camp. Les dévoreurs étaient si chargés en parasite que leurs morsures, d'autant plus des dizaines d'entre elles, raccourcissaient n'importe quel temps d'infection de quelques semaines à quelques jours, parfois même à quelques heures si l'organisme avait été surchargé.

Ils avaient attaqué Hana.

Des dizaines de ces petits dévoreurs de merde avaient attaqué son bébé qui avait hurlé de toutes la force de ses poumons pour que ses parents viennent l'aider. Shizuru avait tellement voulu, mais Reito avait claqué leur porte respective dans le souci de plaire à son père et personne n'était venu…

Ses jambes se dérobèrent sous elle, retombant sur ses genoux les mains tendues vers le petit corps entouré de cadavres de rats contaminés.

"Attention tu risques d'être…

-Ne me touchez pas, dit-elle d'une voix atone alors que Kenshi effleurait son épaule."

Il retira sa main et elle le sentit derrière elle changé d'appuie, d'un pied à l'autre alors qu'il ne savait que faire.

"Hana, appela-t-elle les mains tendues vers son bébé."

La petite fille était ensanglantée, de nombreuses -beaucoup trop nombreuses- marques de dents avaient déchirés sa peau douche, des plaies plus béantes donnaient l'impression qu'ils avaient commencé à vouloir la dévorer vivante plutôt que la contaminé et Shizuru se demanda si les dévoreurs tiraient leur nom d'une volonté de se nourrir de leur victime.

Hana n'était pas morte cependant, elle geignait au sol et Shizuru ne savait pas comment l'attraper sans la faire souffrir.

Elle vit un mouvement du coin de l'œil et aussitôt la botte épaisse de Kenshi vint écraser le rongeur au sol.

"On ne peut pas rester ici. Qui sait combien il y en a encore?"

Sa main attrapa Shizuru par le bras et elle se dégagea brusquement.

"Hana…

-On ne peut plus rien pour elle, Shizuru. Si elle ne meurt pas de ses blessures, elle deviendra l'une des leurs."

Elle le vit sortir son arme et la charger.

"Elle souffre, c'est la meilleure chose à faire."

Ses yeux la brûlaient de larmes alors que son regard passait du corps de sa merveilleuse et parfaite petite fille qui allait mourir ou être sauvée par le parasite pour devenir un mordeur. Même son amour de mère savait qu'il n'y avait pas d'autres alternatives. Mais ils avaient encore la possibilité de lui épargner des souffrances inutiles.

Pour la dernière fois, Shizuru se pencha vers Hana et déposa un baiser sur son front. Elle était brûlante de fièvre.

Ce ne fut pas l'odeur de son enfant qu'elle sentit mais celui du sang et de la mort.

Elle caressa la joue de sa petite fille et tendit la main.

"Tu n'as pas à…

-Donnez moi cette arme, ordonna-t-elle."

Kenshi obéit.

Shizuru se souvenait encore de Naru qui disait que c'était à lui de le faire. Elle le comprenait, c'était sa responsabilité, son devoir de mère d'apaiser les souffrances de son enfant. Aucune personne de ce clan n'avait le droit de toucher Hana, ils étaient tous trop sali, trop monstrueux pour s'approcher de son innocence. C'était à Shizuru de lui apporter la paix.

La main tremblante, elle posa le canon contre le front de sa petite fille et s'efforça de garder les yeux ouverts, de rencontrer les yeux de son bébé, elle n'avait pas le droit de se louper.

"Je t'aime Hana."

La détonation résonna, les pleurs d'Hanna s'arrêtèrent avec sa douleur pendant que celle de Shizuru éclatait. Elle se recroquevilla sur elle-même tout en hurlant de rage et de désespoir, celui d'une pure agonie bien au-delà de tout ce qu'elle n'avait jamais ressenti.