Chapitre 29 : Noirpoule et Roucoq

Le soir venu, Draco et moi nous étions endormis dans le confortable canapé du salon, devant un bon feu de cheminée. Durant notre escapade de l'après midi, nous avions eu la présence d'esprit de ramasser du bois, et nous avions donc pu joyeusement tester le fonctionnement de l'objet dans la soirée.

Aucun de nous n'en avait eu jusque là dans son habitation. Draco avait eu une espèce de poêle dans son appartement de luxe de Marudyāna, mais c'était beaucoup moins féerique. Le jeu des flammes tantôt dorées, tantôt rougeoyantes nous avait hypnotisé, nous rappelant des souvenirs soigneusement enfouis. Même si nous n'étions qu'en octobre, et qu'en conséquence le temps était encore clément dans SMO, nous n'avions pas résisté à une bonne flambée.

Ce sont les premiers rayons du soleil qui nous avaient tiré du sommeil. La cheminée était retournée en veille depuis un moment, le bois entièrement consumé et les flammes éteintes. Pour tenir toute une nuit, nous savions qu'il fallait plus de bois, ou des bûches plus grandes. Si nous étions toujours là en hivers, nous aviserions en conséquence. Pour le moment, c'était surtout une histoire de beauté et de charme pour passer la soirée.

Je m'étirai donc paresseusement, passant doucement un doigt dans les mèches de mon voisin et le retirant avant qu'il n'ait pu protester. Je lui lançai un clin d'œil pour le narguer avant de me diriger vers la cuisine. Si je lui laissais le soin de tout ce qui était consistant, préparer du café restait dans mes cordes, et je m'y attelai donc.

Ce matin : bacon (lard de Noir Sanglier) et œufs au plat (de Plumagris), assortis à un grand mug chacun de café fumant.

Si les premiers pouvaient être chassés dans les bois alentours, le café devait être acheté ou échangé dans les boutiques en ville. Mais en tant qu'accrocs notoires que nous étions, nous en avions toujours un minimum sur nous, et en prévoyant de s'installer, on avait fait un véritable stock. Je n'étais même pas sur que le hameau qu'était Taika permette d'en trouver, mais peut-être que je le sous-estimais. Et après tout, il y avait quand même des joueurs installés dans le coin, il devrait donc être possible d'en échanger.

Mais pour l'instant, nous ne connaissions personne sur cette île. Elle était si éloignée du front, ça faisait une éternité que je n'y avais pas mis les pieds, et Draco encore moins. Nous aurions bien le temps de les rencontrer dans les jours à venir. Pour l'instant, nous souhaitions avant tout profiter de l'instant présent.

"Si on allait du côté des lacs aujourd'hui." Proposa le blond.

"Tu veux dire, les autres lacs?" Le taquinai-je.

Un lac, nous en avions en effet un juste en face de notre logis. Seul un sourcil artistiquement haussé me répondit, ce qui me fit glousser. J'avais essayé de l'imiter, sans aucun succès. Je ne savais même pas comment il réussissait à n'en lever qu'un seul, et surtout aussi haut…

"A l'ouest de Taika, il y a trois petits lac les uns à côté des autres, et plusieurs fermes. Peut-être qu'on trouvera quelque chose d'intéressant à faire là-bas." Sous-entendu des quêtes marrantes.

C'est typiquement dans les lieux comme ça qu'on pouvait les trouver, les quêtes typiques à ce genre rpg. Du genre, mon fils a perdu son chien près de la tanière des loups, retrouvez le je vous en pris. Vous aurez toute ma gratitude, et un artefact rare de mon arrière grand père en récompense. Ou encore, l'ogre du coin a emmené ma chère fille, ramener là saine et sauve, et je suis sur qu'elle vous donnera son collier de perle rarissime pour vous remercier.

Un autre type consistait à ramener tant d'exemplaire d'une plante, d'une pierre, ou d'un élément animal, et en récompense on avait un petit pactole à ramener chez nous. Ça prenait trois plombes, mais faisait parfois combattre tout un tas de monstres pas compliqués qui dropaient des trucs sympa, et surtout, faisait visiter le coin mieux que n'importe quel guide touristique.

Entre autre, dans cette île bien particulière, les monstres étaient rares, et d'un niveau vraiment faible, ce qui rendait le côté détente et touristique encore plus présent. Ce qui faisait fuir la plupart des joueurs nous attirait justement aujourd'hui.

"Alors c'est parti!" S'exclama Draco en équipant sa rapière sans changer le reste de sa tenue.

Il garda un ample pantalon de lin clair, avec une chemise bleu roi. On partait certes en quête, mais on restait surtout en vacance, et plus ou moins en lune de miel même si cette pensée avait tendance à me faire rougir. Nous étions restés relativement sages pour le moment, faisant connaissance, nous apprivoisant encore un peu plus, et apprenant à nous faire confiance en vivant sous le même toi. Mais on restait deux adolescents qui venaient de se mettre en couple, et je savais que nous allions finir par aller plus loin, jeu virtuel ou pas.

Nul ne peut dire combien de temps on allait rester ici. On était encore loin du dernier niveau et son île Nirvana. Nul ne peux dire de quoi l'avenir serait fait, mais nous comptions profiter de chaque instant avec Draco. Si nous n'étions qu'aux prémices de notre relation, elle ne pouvait faire qu'évoluer, et dans notre emprisonnement, nous avions une certaine chance que le système soit aussi complet.

La première fois que mon avatar avait croisé les courtisanes présentes dans les villes, j'avais violemment rougi et passé mon chemin. (SMO n'était pas interdit aux moins de 14 ans qu'à cause des combats.) D'autres n'avaient pas ces scrupules, et après avoir compris qu'ils allaient rester enfermés pendant une durée indéterminée, s'étaient mis à en profiter. Si elles étaient présentes, c'était bien pour servir à quelque chose. Heureusement, une case du menu permettait de choisir de ne pas être importuné par elles (automatiquement cochée pour les moins de 16 ans), elles (ou ils d'ailleurs) se comportaient alors en simples PnJ. Mais après ça, on ne regardait plus les PnJ de la même manière…

Et même entre joueurs, les relations intimes étaient possibles. Elle ne pouvaient être que volontaires, pour ça, les sécurités n'avaient pas été bâclées. S'approcher d'un joueur ou d'une joueuse de manière inappropriée aux yeux du système faisait résonner une alarme et un message apparaissait devant le joueur fautif. S'il ne n'éloignait pas, il était repoussé, comme dans le cas d'une attaque en ville. Pas de dégâts, mais une sensation désagréable et perturbante.

Je sortis de mes pensées en sentant la main de Draco dans la mienne qui me tirait à sa suite. Il avait l'air pressé, comme s'il rattrapait soudainement le temps perdu à ne pas s'amuser. Je mis de côté toutes mes interrogations inutiles, les choses arriveraient quand elles arriveraient, et le suivis avec un grand sourire. Je ne me souvenais pas avoir été si heureux et si libre depuis le début de ce jeu mortel.

oOo

En une petite vingtaine de minutes, nous avions quitté les environs de notre logis et avions gagné les bords du lac BlueMirror. Ce dernier, contrairement aux autres était totalement désert sur ses bords. Pas de ponton, pas d'habitation, pas d'arbres, juste la plaine. Seul le ciel se reflétait donc dans le bleu de ses eaux, d'où son nom sans aucun doute.

Tout à l'opposé de notre position, j'aperçus juste deux silhouettes, sûrement des joueurs, qui semblaient en train de pêcher. Peut-être pourrais-je me procurer le matériel pour essayer cette activité à Taika.

Une fois ce lac particulier passé, un autre devenait visible, lui entouré de quelques fermes, et j'aperçus même ce qui ressemblait à un verger à quelques dizaines de mètres. Peut-être pourrions nous nous procurer des pommes ou quelque chose y ressemblant.

Alors que nous longions un muret de pierres ocres, un PnJ s'approcha de nous.

"Nobles guerriers. M'accorderiez-vous votre aide?"

Je jetai un coup d'œil à Draco, avant de hocher la tête vers l'homme de haute taille en salopette qui nous avait arrêté. Nous étions là pour nous amuser, peut-être que sa quête nous le permettrait.

"Mes poules se sont échappées la nuit dernière, et malgré tous mes efforts, je ne puis les retrouver. Ma Poulnoire et mon Roucoq sont très importants pour moi. Arriverez-vous à les me les ramener?"

Je me retins de glousser à cet énoncé. Partir à la chasse aux poules… Ça pourrait en effet être comique.

"Bien sur. Nous ferons tout pour vous ramener vos bêtes." Approuva Draco, entraînant l'apparition d'une petite icône en forme de poulet à côté de nos pseudo et dans nos menus. Il nous permettrait de relire l'intitulé de la quête si besoin, pas que je pense que ça soit nécessaire.

"Je pense avoir aperçu ma Poulnoire du côté de la ferme de Simon le vacher. Faites attention fiers guerriers, des Goupils rodent."

"C'est noté." Répliqua joyeusement le blond en s'éloignant d'un air tout guilleret.

"Une chasse aux poules hein?" Ricanai-je.

"Quoi? ça va nous faire visiter le coin au moins." Rétorqua-t-il en levant légèrement le nez, avant d'inspecter les environs, à la recherche de choses à plumes.

Nous errâmes quelques minutes autour de la ferme d'Henry, le fameux bonhomme en salopette qui nous réclamait ses poules, avant d'essayer de trouver le fameux Simon.

"Regarde là-bas, des Corneblanches !" Attirai-je son attention. Henry avait bien dit du côté de Simon le vacher, et qui dit vacher dit vaches. Les Corneblanches étaient ce qui s'en rapprochaient le plus. Elle ressemblaient plus à des zébus mais bon.

"Et ça, ça doit être la ferme." M'indiqua Draco en pointant un bâtiment du doigt.

Avec ses murs de pierre brute et son toit d'ardoises grises, elle avait plutôt belle allure. Dans le champs adjacent, un PnJ maniait la fourche en nous ignorant royalement. Peut-être fallait-il s'approcher pour déclencher un dialogue, mais apparemment, il n'était pas lié à la quête.

Nous n'eûmes pas le temps de nous poser plus de questions que la Noirpoule que nous cherchions passait devant nous, les ailes écartées, les yeux exorbités, en zigzaguant et caquetant bruyamment. Derrière elle, un joueur courrait maladroitement en zigzaguant autant que sa proie.

Je me stoppai brutalement en le reconnaissant.

"Elliven?" Lâchai-je avant d'avoir pu me retenir. Sous la surprise, il laissa le volatil s'enfuir, mais un sac en toile s'abattit rapidement sur elle alors qu'elle allait passer le coin d'une barrière.

"Et de deux ! "Chantonna une voix que je reconnu également.

"Lounyca?"

"Oh Pyrrah, contente de te voir. Et félicitation !" Me lança-t-elle après m'avoir à peine jeté un regard.

"Félicitation?" Elliven me jeta un regard interdit, semblant avoir autant de mal à suivre la blondinette que le commun des mortels.

Je haussai les épaules. Comment elle avait su pour mon mariage était un mystère vu qu'elle m'avait à peine jeté un coup d'œil, mais des quelques heures où je l'avais connu plusieurs mois auparavant, j'avais retenu qu'il valait mieux ne pas trop se poser de questions et accepter ses paroles telles quelles. Pour mon mariage, si le châtain ne le remarquait pas en nous côtoyant tant pis pour lui, je n'avais pas l'intention de le crier sur tous les toits. L'icône était à côté de nos pseudos, et l'anneau à notre annulaire gauche.

"Qu'est ce que vous faites là? Oh au fait, voici αDraconis, mais vous pouvez l'appeler Draco." Rajoutai-je avec un petit sourire qui me valut une taloche derrière le crâne.

"Draco c'est juste pour toi, parce que tu ne m'as pas laissé le choix." Répliqua-t-il d'un ton bougon mais dans lequel je percevais son attachement.

"Je l'ai déjà vaguement rencontré." Précisa Elliven après l'avoir regardé curieusement pendant quelques secondes.

Le blond sursauta légèrement à ces mots, il ne s'en souvenait pas apparemment. "Ahh." Ça semblait lui être revenu." Tu as postulé à la Confrérie non?"

"Oui…" Souffla le châtain en baissant les yeux. "Ça ne s'est pas très bien passé avec Schmerz…" Rajouta-t-il un ton plus bas.

"Ah…" Soupira Draco d'un air un peu gêné. Après m'avoir jeté un coup d'œil rapide et avoir collé son épaule contre la mienne, il rajouta : "Schmerz ne fait plus partie des Chevaliers de Walpurgis. Si tu veux retenter ta chance, ça se passera sans doute mieux."

Elliven nous jeta un regard intrigué à l'un et l'autre, comme s'il devinait que nous cachions une partie de l'histoire. Mais sagement, il n'en demanda pas plus. Peut-être que Lounyca qui lui avait rapidement tendu le sac contenant la Noirpoule y avait contribué, mais je leur étais bêtement reconnaissant. Je comptais bien enterrer cette histoire aussi profondément dans mon esprit qu'il me serait possible.

Draco me donna un petit à-coup rapide dans l'épaule avant de s'éloigner de quelques centimètres.

"Cette Noirpoule, c'est celle de Henry?" Demanda le blond, même s'il était quasiment sur de la réponse.

"Bien sur." Chantonna Lounyca. "Et le Roucoq est là aussi." Indiqua-t-elle en bougeant sa main dans le vide. Elle voulait sans doute nous dire dans son inventaire.

Tant pis pour nous. En patientant assez longtemps, les volatils réapparaîtraient dans la zone et nous permettrait à nous aussi de finir la quête, mais c'était tout de suite beaucoup moins drôle. Peut-être que l'on garderait ça pour un autre jour du coup.

Nous suivîmes donc les deux autres joueurs pour retourner voir le fermier. Soudain, une espèce de coq passa en trottinant au bout du chemin, s'arrêtant de temps en temps pour picorer par terre. Nous nous regardâmes avec Draco, avant de nous élancer en courant.

"Toi tu es à nous !" Hurlai-je en me précipitant vers lui, manquant m'étaler par terre dans ma précipitation.

Mais je n'avais pas augmenté mes stat de vitesse pour rien. En quelques secondes, j'étais sur la bestiole, m'apprêtant à refermes mes mains autour de lui quand il bondit en l'air, passant au dessus de mon épaules pour m'échapper en battant des ailes. C'est qu'il était rapide le bougre.

"J'te tiens !" Lança joyeusement Draco en le saisissant au vol, le coupant dans son élan. Dès qu'il s'immobilisa, une lumière blanche l'entoura, et notre inventaire s'ouvrit avec l'onglet Nouvel Objet : Roucoq de Henry.

"Ohh joli !" Babilla Lounyca en tapant des mains, faisant sourire Elliven par son exubérance. "Venez, si vous voulez attraper l'autre, on ferait mieux de prendre ce chemin." Lâcha-t-elle en nous entraînant par un détour derrière la ferme du vacher. Ça allait facilement nous rallonger du double du trajet.

"Comment elle peut savoir où elle va apparaître?" Me demanda Draco à voix basse. "Je suppose que c'est aléatoire dans une certaine zone."

"Ne questionne jamais Lounyca sur le pourquoi du comment." Lui conseillai-je. "C'est plus simple d'acquiescer et d'admettre qu'elle aura sûrement raison."

Il me regarda un instant comme si j'étais une bête curieuse avant de fixer ses yeux sur le dos de la blondinette qui sautillait devant nous. Il semblait essayer de percer son secret, mais je savais bien qu'il n'y arriverait pas. Cette fille était folle, terriblement observatrice, et avec un instinct imparable, mais indéniablement folle. Et c'est ce qui faisait son charme auquel apparemment Elliven n'était pas insensible. Je me demandais s'ils étaient restés ensembles depuis tout ce temps.

Alors que nous longions les champs remplis de Blanchecornes, Draco se figea soudain, me montrant un arbre de la main, les yeux écarquillés. "Mais comment elle pouvait savoir ça?"

"Te poses pas te questions." Soupirai-je. "Tu y gagneras juste une migraine." Conseillai-je en m'approchant doucement de l'arbre.

Ce serait sûrement plus simple de dégommer le volatil avec une flèche, mais j'étais sur que ça ne nous rapporterait rien, et qu'on devrait alors repartir à la chasse. Ou pire, peut-être qua ça invaliderait la quête. Alors nous devions plutôt être prudents, et la chopper rapidement en coopérant efficacement.

Après plusieurs cabrioles et acrobaties dignes d'un cirque, je m'écroulai enfin au sol, la Noirpoule bien en main par une patte. Nouvel objet : Noirpoule de Henry, apparut devant moi à notre grande satisfaction. Draco souffla un bon coup, les mains sur les genoux, avant de me taper sur l'épaule, un 'bien joué' sur les lèvres.

oOo

Alors, contents de revoir Lounyca et Elliven ?

Et sinon, vous le sentez venir le lemon ? ^^