Chapitre 30 : Papa.
Ils entendaient des pleurs incessants.
L'absence d'autres bruits les laissait résonner dans le lugubre couloir des geôles. Pourtant, il semblait n'y avoir personne, comme si ces sanglots venaient d'une force invisible, d'un fantôme. Il n'y avait aucune autre sortie, c'était une impasse, et la totalité des cellules étaient vides. Impa et Gabriel, - qui lui se remettait peu à peu du fait qu'il avait frôlé la mort -, restaient sur leurs gardes, sabre à la main. Ces cris d'enfant traversaient les murs, tournaient autour du binôme, sans jamais montrer leur origine. Étaient-ils tombés dans un piège ? Les sons devinrent de plus en plus audibles et soudain, elle apparut devant eux.
Elle avait la lame sous la gorge lorsqu'ils arrivèrent au bout de l'allée. Lysia n'était plus dans sa cellule, Katlyn la tenait en otage juste devant celle-ci. Ce fut une vision d'horreur pour Gabriel qui vit la terreur dans les larmes de la petite fille forcée à rester muette. Cela faisait tellement de temps qu'il attendait de revoir son visage en face de lui. Le père voulut accourir vers sa fille, comme s'il avait oublié tout le reste, tous les dangers. Impa qui l'accompagnait dut le retenir fermement pour éviter tout accident. Le tranche-démons de Katlyn frottait contre le cou de Lysia qui s'empêchait de déglutir sous peine de se faire mal avec le tranchant du fer.
- Bien. C'en est fini de vous tous, à présent, lança Katlyn au duo.
Gabriel laissa tomber son arme au sol pour essayer de résister à sa coéquipière qui l'empêchait d'avancer. Il ne voyait plus qu'elle, plus que ses yeux verts qui attestaient d'une détresse immense. Il avait laissé les sentiments prendre le dessus sur sa raison.
- Lysia… murmura-t-il, affligé et perdu dans ses pensées.
- Gabriel. Garde ton calme, pas un pas de plus, compris ?! ordonna Impa.
Il cessa toutes forces contre la Sheikah.
- Non… dit-il. Non c'est trop, je ne peux pas la voir comme ça… je ne peux pas rester là sans rien faire…
La petite fille tendit une main vers son père en l'appelant à l'aide. Seulement trois mètres les séparaient, et leurs retrouvailles étaient beaucoup moins chaleureuses qu'ils ne l'auraient voulu. Elle reconnut dans la foulée Impa qui lui avait promis de venir la chercher.
- Papa ! cria Lysia.
- Ouvre-la encore une fois et je te fais noyer dans ton propre sang ! ordonna violemment la Yiga.
Impa gardait son sang-froid, le moindre geste brusque pouvait être fatal. Elle avait signé pour ça, le groupe savait que cette situation avait des chances d'arriver, si Lysia mourait, la Sheikah ne pouvait s'en prendre qu'à elle. Elle avait insisté pour diriger les opérations, c'était son plan. La sœur de Pru'ha n'avait pas l'intention de faire un pas de travers à ce stade de la mission.
- Votre cruauté vous mènera à votre perte, dit-elle à Katlyn.
- Contente de te revoir aussi, Impa. Comment vas-tu depuis ta trahison ?
Une des pointes de l'arme de l'assassine s'enfonça légèrement dans le cou de Lysia, laissant s'échapper une goutte de sang qui vint tâcher le vêtement de la petite fille. Impa ne pouvait supporter une telle vision, elle prit son courage à deux mains et attira l'attention de la cheffe.
- Il ne se passe pas un jour sans que vous ne pensiez à ça. Vous souhaitez vous venger de moi, n'est-ce pas ? fit Impa. Marquer ma peau de multiples brûlures à l'aide d'une lame rouge qui reposait tranquillement sur le feu. C'est le prix que vos prisonniers doivent payer, non ? Combien de temps faut-il pour en laisser une cicatrice indélébile sur vos victimes ?
Elle marqua une courte pause.
- Je sais que vous lui avez infligé cette même torture immonde. Par simple plaisir.
- Pour répondre à ta question, je meurs d'envie de te faire souffrir ainsi, répondit la Yiga. Effectivement.
- Relâchez-la. Et vous pourrez me torturer jusqu'à ma mort.
Katlyn hoqueta un rire aigu, mélange d'étonnement et d'excitation. Il était vrai que s'occuper du cas d'Impa lui était très important, car elle lui rappelait sans cesse la naïveté qu'elle avait fait preuve il y avait déjà plus de dix ans. De ce fait, la cheffe ne pouvait que se réjouir d'une telle situation, de pouvoir mettre fin à autant d'années de honte pour le gang.
- Tu te sacrifies pour elle ? Quel grand cœur que tu as ! Je dois avouer que c'est une proposition plutôt alléchante. Qu'est-ce qui me prouverait que tu dis vrai ?
La Sheikah lâcha son sabre et le poussa jusqu'aux pieds de la Yiga et fit de même pour toutes ses autres lames qu'elles avaient dissimulées sur elle. Cela n'avait pas l'air de véritablement convaincre la cheffe qui en demandait plus. Bien plus.
- C'est tout ? s'étonna Katlyn.
- Je me rends et vous oseriez passer à côté de cette opportunité ? Pour une enfant qui ne vous est d'aucune importance ?
- Approche-toi. Viens jusqu'à moi.
Impa s'avança doucement, pas à pas, dans un silence mortel. Gabriel ne comprenait pas ce qu'elle faisait, elle ne lâchait pas du regard son ennemie. Voulait-elle la provoquer ? Sans même avoir un quelconque moyen de défense ? Une fois arrivée à quelques centimètres d'elle, la magistrate adjointe attrapa vivement le bras de Katlyn qui détenait Lysia en otage et plaça soigneusement le tranchant de l'arme contre son ventre. Une idée certes, suicidaire, mais plus que convaincante. La Yiga se laissa faire et n'avait plus qu'un simple geste horizontal à effectuer pour éventrer la Sheikah en l'espace d'un seul instant. Que lui fallait-il de plus ?
- Allez-y. Qu'attendez-vous ? fit Impa.
Dans le même temps, Lysia sentit que plus aucune force ne la retenait prisonnière, elle ne perdit pas une seule seconde et se précipita à vive allure dans les bras de son père qui s'était accroupi pour la réceptionner et l'enlacer. Étonnement, Katlyn n'essaya guère de la rattraper. Tous deux nichèrent leur tête dans le creux du cou de l'autre, en se serrant de toute leur force. Gabriel ne réfléchissait pas, il ferma les yeux, et la laissa faire. Cela lui était tellement surréaliste qu'il attendait d'entendre concrètement la voix de sa fille pour s'assurer de la réalité de ce qu'il vivait.
- Papa… marmonna Lysia, la voix pleurante et étouffée par l'étreinte de Gabriel.
- Lysia… dit-il sur le même ton tremblant.
Elle se retira et passa vivement sa main d'enfant dans les cheveux de son père avant de déposer celle-ci dans la sienne. Ils se dévisagèrent longuement, réalisant la véritable présence de l'autre. Tous ces jours à vivre dans la terreur, la solitude et l'ignorance, à attendre que quelqu'un ne vienne l'aider. Ce fut une délivrance, Lysia attendait ce moment depuis si longtemps… Elle serrait les mains de son père si fort qu'il était impossible de les retirer. Et elle ne put s'empêcher de se replonger à nouveau dans ses bras.
- Papa… tu es là…
- Je suis venu te chercher ma chérie, c'est fini…
Des larmes similaires à celles de la petite fille se mirent à couler le long des joues de Gabriel qui papillonna des yeux tout en ressentant pleinement l'état de détresse de son enfant qui n'avait pas l'habitude de le voir dans un tel état. Ce qui la perturba.
- Ce que je suis heureux de te retrouver… dit-il après quelques inspirations successives.
- Papa, tu pleures. Oncle Alan va se moquer de toi.
- Il pourra se moquer autant de fois qu'il le voudra. Ça m'est égal.
Ils baissèrent leur regard en posant leur front contre celui de l'autre, et l'attention du père vint se porter sur quelque chose qui l'intriguait sérieusement au niveau de l'abdomen de sa fille. En effet, elle gardait un bras contre elle à ce niveau et il avait très bien compris pourquoi. Il souhaitait qu'elle le laisse voir.
- Montre-moi ton ventre, demanda Gabriel.
Le regard inquiet, Lysia avait peur de la réaction de son paternel. Elle refusait de lui montrer les traces de ce moment atroce qu'on lui avait fait vivre. Ce jour-là, elle avait cru mourir tellement la douleur était insupportable. Elle avait perdu connaissance avant même que cela ne cesse. La petite fille fit un pas en arrière en voulant protéger son père de cette vision qu'elle savait d'autant plus horrible sur son corps d'enfant.
- Papa… non… dit-elle.
- Lysia, montre-moi, insista-t-il.
Il releva délicatement l'habit de Lysia qui cachait son nombril avant d'apercevoir une horreur tout simplement sans nom. Une imposante brûlure s'étalait sur l'entièreté de sa région ombilicale, allant presque jusqu'à son épigastre. De cette brûlure naquit une cicatrice qui sillonnait les cellules de sa peau et qui avait une certaine couleur jaunâtre très légère mêlée au rouge. Cela formait comme des marques veineuses sur l'épiderme, comme si la peau était plus tendue à cet endroit, plus amincie. Celle-ci avait laissé place à cette blessure depuis un mois et sans aucun traitement. De ce fait, c'était quelque chose que la blonde allait à présent devoir garder à vie, le frère d'Alan en était effaré. Il ne voulut guère en voir davantage, ce n'était pas le moment ni le lieu pour ça.
- C'est elle qui t'a fait ça ? s'interrogea Gabriel en parlant de Katlyn.
- Quand je suis arrivée, oui…
La concernée était immobile, son tranche-démons toujours contre Impa qui se tut lorsqu'elle vit qu'elle avait laissé Lysia rejoindre Gabriel. Il était difficile de comprendre ses intentions derrière son masque, mais cette attitude démontrait bien qu'elle avait changé de cible, tel un animal féroce changeant de proie. Voyant le moment s'éterniser, la Sheikah insista pour la faire réagir. Si elle s'y prenait bien, elle pourrait esquiver assez rapidement le tranchant menaçant de Katlyn qu'elle s'était elle-même disposée sur l'abdomen.
- Il y a un problème, peut-être ? Évitez d'y aller trop fort, vous seriez déçue si je meurs dès le premier coup, pas vrai ?
- Tu n'as pas idée, répondit la Yiga.
La cheffe, complètement folle et possédée par cette envie de faire souffrir plutôt de tuer instantanément, la surprit et frappa son estomac de son poing. Impa eut le souffle coupé et porta ses deux mains contre elle, ne s'attendant pas à une attaque à main nue. Elle sentit la douleur se déplacer lentement en elle puis gémit. Pliée en deux, la magistrate adjointe ne semblait pas avoir envisagé cette option. Gabriel comprit qu'il allait devoir agir. En jetant un œil à l'autre bout du couloir, il vit soudainement l'éclat de l'épée de légende l'éblouir un instant, chose qui allait les sauver. Ni une ni deux, le père eut une idée. Il devait tout d'abord éloigner sa fille de tous dangers et aider sa coéquipière qui s'était sacrifiée pour Lysia.
Gabriel plaça ses mains sur les épaules de cette dernière et lui expliqua dans l'urgence ce qu'elle devait faire pour fuir.
- Écoute-moi, il y a deux jeunes gens qui se cachent dans l'angle du couloir. Ils sont là pour t'aider, dis-leur de te conduire jusqu'à la sortie sans discuter, d'accord ? Dis-leur que je m'en sortirai.
- Je veux rester avec toi, s'affola Lysia.
Impa se fit violemment attraper par le col par Katlyn et l'une des pointes de sa lame se planta aisément dans sa cuisse, en lui déchirant le muscle droit fémoral. La Sheikah hurla et l'ancien voleur se hâta.
- Je dois aider mon amie, je ne serai pas long, dit-il à la blonde. Tu as été très courageuse jusque-là, je sais que tu es capable de faire ça. Pour le bien de tous, tu dois partir aussi vite que possible. Les deux personnes dont je t'ai parlées s'occuperont de toi le temps que je revienne sain et sauf. Ils ne te feront pas de mal. Je reviendrai.
Son cœur se serra en comprenant qu'elle allait déjà devoir se séparer de l'homme. Frustrée et apeurée, elle sautilla en refusant de lâcher la main de son père qui l'arrêta.
- Lysia, je te le promets, fit Gabriel, les yeux dans les yeux.
D'un coup de pied, la Yiga fit chuter Impa sur le sol en frappant au niveau de sa plaie sanglante. La cheffe de Cocorico percuta les barreaux d'une cellule dans un bruit métallique et s'étala sur le sol, incapable de bouger sa jambe atteinte.
- Allez ! Cours ! lâcha l'homme à sa fille simultanément.
Lysia comprit la gravité de la situation et obéit. Elle prit le chemin de la sortie, qui menait à la salle des sacrifices, et courra aussi vite qu'elle le pouvait en faisant confiance à Gabriel. Katlyn s'apprêtait à achever son adversaire quand elle vit la petite fille s'enfuir. Ce court moment d'inattention de sa part profita à Gabriel qui récupéra son arme et se releva en ayant la ferme intention de laisser éclater sa colère sans retenue. La vue de cette cicatrice sur le ventre de sa fille lui avait donné une véritable envie de se venger, pour la première fois de sa vie. Pour lui, il n'y avait qu'une seule option pour se sauver de là. La mort de son ennemie.
Je vous le dis sans hésitation : je tuerai s'il le faut.
- Sale petite peste ! vociféra Katlyn en voyant la petite fille fuir.
La Yiga voulut la rattraper lorsqu'elle reçut un coup de poing crocheté du bras gauche de Gabriel en pleine figure.
Arrivée au bout de l'allée, Lysia sursauta lorsqu'elle tomba nez à nez avec les deux élus qui s'étaient sortis d'affaires. Ils la virent s'arrêter brutalement, le souffle court. Totalement intimidée par les deux jeunes gens qui se présentaient à elle, elle sentit la panique monter en dévisageant les deux inconnus à qui elle devait apparemment faire confiance. Sans attendre, la princesse s'accroupit pour se mettre à sa taille et la rassura.
- Tu es Lysia, c'est bien ça ? demanda Zelda, calmement.
- Mon père a dit que vous deviez vous occuper de moi et me sortir d'ici le plus vite possible, répondit la petite fille.
Link s'approcha à son tour et vit la peur qui la hantait à travers ses iris. Il s'agenouilla. Le héros avait très peu l'habitude de s'adresser à des enfants de cet âge-là, les mots lui venaient assez difficilement lorsqu'il s'agissait de les rassurer.
- Tu… tu n'as rien à craindre, assura Link. Nous allons t'aider.
Lysia finit par acquiescer, le binôme dégageait une aura bienveillante qu'elle perçut rapidement. Zelda avait bien reçu le message de Gabriel, elle tendit un bras vers Lysia pour lui proposer de se joindre à eux. Tout cela était imprévu mais le frère d'Alan semblait savoir ce qu'il faisait, même s'il se retrouvait seul face à la cheffe du gang des Yigas... Il leur avait tout de même confié sa fille. Et elle était la première des priorités, tels avaient été les mots d'Impa.
- Prends ma main, fit la princesse. Mon ami et moi allons quitter ces lieux.
- Vous devez me promettre que mon père nous rejoindra.
La décision de partir était d'autant plus difficile à prendre lorsque l'on savait que l'on laissait le reste du groupe sans aide. Mais il le fallait. Zelda posa une main délicate sur l'épaule de la petite fille qui ne voulait pas avoir l'impression d'abandonner son père.
- L'amour qu'il te porte ne pourra que le faire sortir vainqueur, énonça l'Hylienne.
Du côté de Katlyn, celle-ci se remettait tout juste de la frappe de l'homme au regard noir qui s'approchait encore d'elle. Déséquilibrée, la cheffe s'appuya contre le mur du fond et replaça son masque correctement sur sa figure tandis qu'Impa se redressait en position assise, mais elle ne pouvait pas bouger davantage sous peine d'aggraver sa blessure.
- Alors comme ça tu as torturé ma fille ?! lâcha Gabriel d'une voix pénétrante.
Il serra les dents et redressa brutalement Katlyn.
- Réponds-moi ! hurla-t-il de rage à quelques centimètres de son visage avant de lui porter un second coup dans la mâchoire.
Déchaîné, il ne s'arrêta pas là et termina par lui cogner la tête contre la pierre. La cheffe glissa le long du mur. Le père prépara son autre main munie de son sabre. Lorsqu'il l'abattit sur son adversaire, celui-ci se téléporta derrière lui. L'Hylien se retourna aussi vite que possible et sa lame s'entrechoqua avec celle de Katlyn une première fois. Il évita une seconde attaque avant d'entamer une autre offensive composée d'un coup latéral d'une grande portée mais qui percuta finalement le sol après l'esquive de la Yiga. Gabriel était à présent dos à son ennemie et contra difficilement l'attaque de celle-ci après avoir fendu l'air horizontalement à cent quatre-vingt degrés derrière lui.
- La mort arrive à grands pas, menaça la femme.
- Et c'est toi qu'elle emportera !
Le combat rude et rapide, Katlyn profita de l'ouverture offerte par le père pour tenter de le toucher au flanc droit. En reculant, il balaya maladroitement l'air de gauche à droite avec son sabre et se sauva de justesse. La fatigue montait. Elle montait beaucoup trop à son goût. Lorsqu'il sentit une étrange sensation lui glacer le dos, il se rendit compte qu'il s'était bloqué contre les barreaux de l'ancienne cellule de Lysia et ne pouvait plus reculer. Katlyn se rua sur lui, son avant-bras étant muni de trois griffes semblables à celles d'un aigle, elle poussa ce dernier contre la gorge de Gabriel qui exerça une force opposée en plaçant son bras perpendiculaire au sien, retardant ainsi le contact fatal.
Utilisant toute sa force pour éviter que l'on ne lui déchire la gorge, il n'arrivait pas à se servir de son sabre, disposé dans son autre main. Katlyn l'avait bien remarqué et elle attrapa le poignet droit de Gabriel, dans le but de retourner sa propre lame contre lui. Ce qu'elle réussit à faire. Il sentit la pointe de son sabre qu'il tenait encore s'approcher de son ventre alors qu'il devait aussi retenir les griffes de Katlyn qui menaçaient son cou !
Gabriel exerça cette double résistance mais l'une d'elles allait forcément faiblir avant l'autre… D'un côté, un avant-bras mortel sur son cou qu'il repoussait en retenant le poing de la main ferme de son ennemie qui détenait son tranche-démons. De l'autre, une lame retournée contre lui-même qu'il gardait difficilement devant lui. En comprenant qu'il ne survivrait pas à cela, le père grogna, serra les dents et alla chercher une force qui lui donnerait l'avantage au plus profond de lui.
Il inspira fortement et dans un cri de rage, il attrapa la main gauche armée de la Yiga et fit pivoter son poignet, encore et encore jusqu'à ce que ses os carpiens se facturent après un coup sec. Il put alors se sortir d'affaires en repoussant les griffes acérées. Gabriel s'aida ainsi de son bras nouvellement libre en reportant plus de force avec celui qui retenait déjà le sabre.
Doublement plus efficace, la lame tremblante se releva jusqu'à pointer vers le plafond. Le père continua et la redirigea vers Katlyn qui elle, n'avait plus qu'une seule main, l'autre étant extrêmement douloureuse en mouvement. Et d'un seul coup, il cessa toute force contre elle. Katlyn bascula subitement vers l'avant, et le fer lui traversa l'abdomen. Gabriel la frappa de nouveau au visage et la vit lâcher son arme dans un geignement de plainte atroce. Elle alla se tenir de ses deux mains sur les barres de fer de la cellule ; le sabre la traversait toujours, et elle ne le retira pas.
Le silence réapparut, l'ancien voleur sentit la colère l'envahir et ne voulait pas en finir. Pas après toutes les horreurs qu'elle avait faites subir. Désirant absolument se venger, il vint rechercher Katlyn et l'attrapa brutalement par la gorge. Celle-ci ne se débattait même plus, elle restait debout et stoïque derrière son masque. Allait-il le faire ? Allait-il garder cette volonté de l'étrangler au beau milieu de ce couloir sombre ? Il tuerait s'il le fallait, alors…
Alors pourquoi s'arrêtait-il à une simple pression contre son larynx ? Pourquoi n'allait-il pas plus loin ?! Parce qu'on avait failli l'étrangler lui, il y avait quelques minutes ?! Non ! Certainement pas ! Jamais il ne pourrait croire qu'il avait pitié d'elle ! Quelque chose d'autre faisait blocage… Katlyn allait mourir quelle que soit sa décision. La tuer ainsi révélerait une volonté assassine pure de la part de l'homme. Or, Gabriel ne tuait pas par plaisir, pas pour le simple désir d'ôter la vie. Il n'était pas un monstre, lui. Seulement un homme animé d'une vengeance ultime.
Simplement un père qui ne supportait pas qu'on ne fasse du mal à ses proches…
Il la lâcha et retira son sabre de son estomac. Katlyn n'arrivait pas à se rendre compte que le sang qui coulait était le sien. Immobile, elle regarda le père faire demi-tour et partir en direction de la Sheikah très mal en point.
- Impa, est-ce que ça va ? demanda-t-il.
- Gabriel ! Tu es fou ? Venge ta fille !
Il lui fit un clin d'œil lorsqu'il sentit une nouvelle agitation derrière lui. Il ferma les yeux et d'un coup sec, bref et parfaitement parallèle au sol, Gabriel se retourna et sectionna la gorge de Katlyn qui voulait le surprendre une ultime fois. Le sang gicla sur les barreaux derrière elle et sa combinaison, déjà rouge, se noircit au niveau de son cou. Ses voies respiratoires se bouchèrent et Katlyn toussa effroyablement avant de se taire pour de bon. Sa tête se fit soudainement lourde. Ne pouvant plus manifester sa colère, elle approcha une main près de sa gorge ensanglantée mais ne la toucha pas. Sa cruauté l'avait menée à sa perte. Le chef du gang des Yigas avait échoué. Elle dévisagea Gabriel avec indifférence et tomba en arrière.
En se noyant dans son propre sang.
Le père arriva au secours d'Impa. Celle-ci était déjà en train d'appuyer sur sa blessure à l'aide d'un large morceau de tissu qu'elle avait déchiré de ses vêtements pour lutter contre l'hémorragie. Gabriel, quelque peu désemparé, analysa la situation.
- Appuyez-vous sur moi, dit-il.
- J'aimerais bien mais… je suis un peu occupée là…
Soudain, une vague de douleur naquit et fit grimacer Impa qui plaça une main contre ses lèvres, lui évitant de crier.
- Merde… murmura l'homme.
Il décida de s'emparer du morceau de tissu que la Sheikah se contentait de presser contre la plaie pour le nouer tout autour de sa cuisse, afin qu'elle puisse se servir de ses deux mains. Seulement, cette protection n'allait pas tarder à s'imbiber de sang et n'était que provisoire, il fallait de véritables soins le plus vite possible. Gabriel serra le plus possible en espérant que cela tiendrait au moins jusqu'à la sortie.
- Il va falloir vous lever, informa-t-il sans que cela ne lui plaise.
La magistrate adjointe prit une nouvelle fois son courage à deux mains et passa un bras derrière la nuque du père. Celui-ci attrapa la blessée par le dos et sur une seule jambe, elle se leva, mais cela raviva tout de même la douleur et la sœur de Pru'ha gesticula.
- Par toutes les déesses ! Quel cauchemar ! gémit-elle.
- Je sais...
Impa, dans cette situation plus que stupéfiante en sachant que dix auparavant, l'homme qui la sauvait prenait un malin plaisir à l'harceler de ses provocations incessantes, ne pouvait que se moquer de tout cela. Si à cette époque elle avait su que ce genre de chose allait se produire, jamais la Sheikah n'y aurait cru une seule seconde. Comme quoi, la vie réservait de véritables surprises, parfois…
- Le voleur Lambda qui me tire d'affaires… dit-elle dans un faux étonnement.
- Je pensais que vous aviez finalement décidé de m'appeler par mon nom, répondit l'homme.
Elle dut marcher en sautillant. N'ayant qu'un pied pour se déplacer et un point d'appui assez instable, Impa se fatiguait très rapidement, sans compter que son muscle déchiré lui faisait toujours très mal.
- Vous vous êtes sacrifiée pour ma fille, continua Gabriel. J'ai une dette envers vous, maintenant. Le comble…
- Rappelez-moi de ne plus jamais vous suivre dans ce genre de missions suicidaires.
Cela donna un léger sourire au père qui sentit soudainement le bras d'Impa glisser peu à peu de ses épaules tandis que la Sheikah avait de plus en plus de mal à avancer. Rodric, son frère, avait aussi été blessé à peu près au même endroit, et par Gabriel ! Fort heureusement, le cadet s'en était sorti, mais la magistrate adjointe n'en savait pas autant pour elle.
- Assez ! ordonna-t-elle. C'est trop éprouvant… Je ne vais qu'aggraver ma blessure…
Impa lâcha prise et dut s'asseoir à même le sol. Ils n'avaient même pas quitté le couloir des geôles. À cette vitesse, le binôme n'allait pas pouvoir aller bien loin. Gabriel fut compréhensible, mais ils ne pouvaient pas rester ici, au cœur du repaire de leurs ennemis. Il souffla.
- Soit, mais comment allons-nous faire ? Vous ne voulez pas que je vous porte quand même ?
La Sheikah le dévisagea.
- Oh. Vous voulez que je vous porte… Génial…
- Énonce-moi une quelconque autre solution !
- D'accord, d'accord, très bien. Mais tâchez de tenir votre jambe immobile. Je ne voudrais pas vous déchiqueter davantage le quadriceps.
Cette solution n'était pas la meilleure façon de s'occuper rigoureusement d'une blessure de ce genre, mais c'était une obligation. Le père se plaça à genoux et disposa ses bras de sorte à soutenir le poids de sa coéquipière. Elle plia très délicatement sa jambe blessée pour l'aider mais cessa immédiatement cette action qui la faisait terriblement souffrir. Après un petit décompte, il se releva avec difficulté en portant Impa qui, il fallait le dire, pesait son poids. Par réflexe, il soupira, montrant que cette tâche lui était compliquée, et grimaça.
- Je vais faire comme si je n'avais rien entendu, déclara la Sheikah.
- Quel est le chemin le plus court ? s'empressa-t-il de demander.
- Prends tous les chemins de gauche, on ne croisera personne.
Ainsi, à une vitesse beaucoup plus efficace, ils sortirent des geôles. Gabriel laissant derrière lui une scène macabre dont il était l'auteur.
Aux alentours de midi, Link, Zelda ainsi que Lysia, attendaient le retour du reste du groupe avec impatience. Ils étaient tous les trois ignorants de ce qui se déroulait à l'intérieur du repaire. Les élus espéraient avoir fait le bon choix en favorisant la sécurité de la fille de Gabriel, en fuyant à ses côtés. La princesse et le héros scrutaient intensément l'entrée de la base yiga. Link restait à l'affût de toutes offensives inopinées de la part d'un de ces assassins. Car ils n'étaient pas encore en lieu sûr. Un peu plus en retrait, Lysia, elle, était assise seule sur un rocher relativement plat qui lui servait de banc. Les mains sur ses genoux et le regard rivé sur le sol, elle n'attendait qu'une seule chose : entendre la voix de son père se rapprocher peu à peu. Zelda la vit, l'air penaud, et décida d'essayer de lui parler afin d'occuper son esprit.
Elle laissa Link guetter et s'approcha calmement de Lysia qui n'avait même pas remarqué sa présence. Zelda s'entremêla les doigts en sentant l'angoisse dans laquelle la jeune fille était plongée. Elle prit l'initiative de s'asseoir à côté d'elle. La blonde choisit un sujet de discussion qui lui permettrait de lui changer les idées.
- Dis-moi, as-tu une région préférée, dans le royaume ? s'interrogea la princesse à mi-voix.
Lysia tourna légèrement la tête sur le côté. En replaçant ses cheveux blonds derrière son oreille, elle savait déjà quelle allait être sa réponse, c'était évident. Timide, elle n'osa pas regarder son interlocutrice. À vrai dire, elle et Link restaient encore de parfaits inconnus et toute cette histoire la dépassait.
- J'aime beaucoup le désert, répondit-elle.
Satisfaite que Lysia ne la laisse pas sans réponse, Zelda continua sur cette lancée pour essayer tant bien que mal de retirer ce voile de tristesse de son visage le temps qu'il devait encore attendre ici. Contrairement à son ami héros, elle savait bien s'adresser aux enfants, on lui avait déjà fait la remarque plusieurs fois lors de ses différentes visites officielles dans certains villages d'Hyrule.
- Tu as de la chance, nous allons justement devoir y passer, sourit Zelda.
Cela ne semblait pas forcément ravir Lysia qui se contenta de confirmer ses dires d'un simple hochement de tête. Elle fixa par la suite la tenue de l'Hylienne et remarqua un symbole triangulaire doré juste au-dessus de sa taille. Elle l'avait déjà vu à de nombreux endroits et savait qu'il s'agissait de quelque chose de très important dans le royaume.
- Vous êtes la princesse ? demanda Lysia.
- Effectivement.
Elle écarquilla les yeux, la petite fille savait qu'elle ne parlait pas à n'importe qui, c'était tout de même la princesse d'Hyrule en personne. Mais elle ne changea en rien sa façon de lui parler, la considérant ainsi comme une personne à part entière, ce qui plaisait d'un certain côté à Zelda. Lysia pointa du doigt le chevalier un peu plus loin qui se tenait debout, la posture droite.
- Et qui est le garçon qui vous accompagne ?
- Il s'appelle Link, c'est mon chevalier servant.
Cela était tout bonnement incroyable pour elle. C'était un monde complètement différent du sien et ce genre de faits qui pouvaient paraître normaux, voire banals, l'émerveillait.
- Vous avez un chevalier servant ? s'étonna la fille de Gabriel.
- Oui. Dis-moi, tu veux connaître un secret sur lui ?
Zelda lui chuchota quelques mots à son oreille, en espérant que cela allait la faire sourire.
- On ne dirait peut-être pas comme ça, mais c'est un grand gourmand.
- Et fier de l'être, s'exclama Link qui avait entendu cette petite moquerie.
Lysia eut un faible rictus dans le coin des lèvres. Sans pouvoir l'expliquer, les deux élus lui inspiraient confiance, la blonde savait que ces taquineries servaient simplement à la faire rire. Mais cela était toujours mieux que de vivre dans la peur… La princesse ajouta une information évidente mais qui était importante à préciser.
- Oh. Et il passe son temps à surveiller les environs. Tu peux être sûre d'être parfaitement en sécurité avec lui.
Elle remarqua les blessures sur le bras de Zelda, quatre plaies rouges. En voyant cela, la jeune fille se sentit moins seule, moins abandonnée. Peut-être qu'en fin de compte, elle pouvait parler librement à la princesse de ces horreurs qu'elle avait subies, de ces cauchemars qu'elles avaient engendrés. Peut-être qu'elle comprendrait ? Mais après réflexions, elle refusa de se souvenir de ces choses-là.
- Vous aussi, elle vous a fait du mal ? demanda tristement Lysia.
Zelda sentit un élan de compassion l'envahir.
- Oui, donna-t-elle comme simple réponse.
- Je connais quelques astuces pour soigner rapidement les blessures. Vous voulez que je m'en charge ? proposa Lysia, d'un air très sérieux.
- Tu es très gentille. Mais je crois que c'est plutôt toi qui a besoin d'attention. Tu ne crois pas ?
Elle haussa les épaules et balança ses jambes à quelques centimètres au-dessus du sol avant de les croiser. Puis, la petite fille regarda enfin la princesse dans les yeux.
- Je suis heureuse de pouvoir parler à des personnes qui ne me veulent pas de mal.
- Écoute, je suis désolée pour tout ce qui t'est arrivée… Si tu veux, tu…
- Les voilà ! s'écria Link soudainement.
Il avait suffi de moins d'une seconde à Lysia pour se lever instantanément suite à cette exclamation du héros. Au loin, Gabriel résistait de toutes ses forces à l'idée de délaisser Impa qu'il portait toujours. Ses bras tremblaient sous le poids de la Sheikah qu'il portait depuis assez longtemps pour que celui-ci lui paraissent de plus en plus lourd chaque minute. Link et Zelda se précipitèrent vers eux et le père posa la magistrate adjointe contre un mur rocailleux de la vallée. Il ne sentait plus ses bras et à peine avait-il le temps de souffler que Lysia se jeta sur lui et le serra fort contre elle. Il fut heureux de la voir saine et sauve.
- Je t'avais dit que je reviendrai, dit-il.
- Je ne veux plus jamais que tu me laisses comme ça ! affirma tristement sa fille.
Gabriel s'excusa et l'enlaça à son tour.
- Non, c'est promis.
Zelda s'accroupit et examina rapidement le problème à la jambe d'Impa et porta ses deux mains contre elle lorsqu'elle vit la gravité que pouvait avoir une telle blessure aussi profonde.
- Dame Impa, que s'est-il passé ?!
- Par Hylia, vous êtes sains et saufs… répondit la sœur de Pru'ha sans prêter attention à ce que disait la princesse.
- Ne bougez surtout plus. Nous allons vous transporter jusqu'au bazar Assek où l'on vous apportera des soins.
Impa la pria de ne pas trop s'inquiéter pour elle. Elle savait que Zelda allait se rejeter entièrement la faute de cet accident et ne souhaitait pas la voir culpabiliser après la prouesse qu'ils venaient tous ici présent de réaliser.
- Princesse, ne vous affolez pas, fit la Sheikah.
La blessée avait vu juste.
- C'est de ma faute si vous vous retrouvez dans cet état ! J'ai failli tous vous tuer !
Tous avaient accepté la dangerosité de ce plan, ce n'était pas une surprise. Le refus catégorique d'Impa à son sujet lorsque la princesse l'avait informée de ses intentions était dû spécialement à cela. Et elle ne savait toujours pas pourquoi elle avait accepté une telle chose. Mais après tout, cela en avait valu le coup, non ?
- Et au lieu de ça nous avons sauvé une vie, répliqua Impa.
Cette mission appartenait maintenant au passé, c'était le plus important, mais ses conséquences, elles, étaient toujours de la partie. De ce fait, Zelda se ressaisit et se mobilisa pour guérir la magistrate adjointe, avec la certitude de ne plus jamais envisager la moindre opération similaire à l'avenir.
- Tenez bon… soupira la blonde.
Lorsqu'Impa arriva au bazar Assek, deux Gerudos qui géraient habituellement le lieu lui donnèrent un lit à l'intérieur, creusé à même la roche. Il y faisait plus frais et plus sombre, à l'abri du soleil du désert. Les deux femmes se mobilisèrent pour soigner la Sheikah, Zelda fut heureuse de recevoir de l'aide. Gabriel et Lysia s'étaient posés au bord de l'oasis, sous un palmier, rien ne servait de faire suffoquer la blessée en étant presque une dizaine autour d'elle. Trois personnes suffisaient amplement, la princesse avait insisté sur ce point. Le père voulut tout de même attendre de savoir si Impa allait pouvoir se rétablir avant de discuter de son propre cas, il lui devait au moins ça. Il fallait en effet parler du futur le concernant lui et sa fille. Gabriel ne pouvait pas s'en aller car tout était fini. Non, s'il voulait continuer à suivre la voie de la rédemption, ce n'était guère une bonne solution.
Link, quant à lui, avait escorté Zelda comme à son habitude et avait offert également son aide jusqu'à ce que la princesse ne prenne le relais dans un domaine qu'elle connaissait beaucoup mieux que lui. Un peu plus tard dans l'après-midi, le héros sortit à l'extérieur et sentit l'air brûler sa peau. Il s'agissait des heures les plus chaudes de la journée et personne n'avait eu le temps de se changer dans une tenue plus adaptée au climat de la région désertique du royaume. Une fois arrivé au bord de l'eau, il décida de rejoindre Zelda qui avait terminé de s'occuper d'Impa. La princesse se nettoyait les mains tachées de sang dans l'oasis et semblait plutôt soulagée.
- Comment va-t-elle ? lui demanda aussitôt Link.
La princesse releva la tête en entendant sa question, la blessure d'Impa avait été très violente, elle avait pris un sacré coup. Zelda avait fait de son mieux, et selon elle et ses connaissances, la Sheikah devait se reposer pendant plusieurs mois pour une rémission complète de son muscle, sans bouger sa jambe.
- Elle devrait s'en sortir, assura la blonde. J'ordonnerai qu'on la congédie le temps qu'il faudra pour qu'elle puisse se rétablir complètement. J'imagine qu'elle rentrera chez elle auprès de sa famille, à Cocorico.
Le chevalier qui la regardait terminer de se nettoyer les paumes de mains fronça les sourcils lorsque ses yeux se posèrent sur l'avant-bras gauche de Zelda à la manche remontée, ce dernier était toujours recouvert des plaies dont elle ne s'était toujours pas occupée. Ce qui inquiétait le héros.
- Princesse Zelda, vous n'avez pas encore soigné ces plaies…
L'Hylienne se releva afin de rassurer son chevalier servant. Étrangement, elle afficha un sourire sur ses lèvres que le prodige eut du mal à interpréter. Cela la faisait-elle rire de ne pas s'occuper de ses blessures ? Lorsque Zelda se mit à observer Lysia qui arrivait tout courant vers les deux élus, les mains pleines de matériel médical, il comprit instantanément.
- Nulle inquiétude, je crois que cela sera réglé d'ici quelques secondes, fit la princesse.
De loin, la petite fille semblait parfaitement en pleine forme, prête à venir en aide à quiconque avait besoin d'elle. Lysia faisait preuve d'un altruisme remarquable pour son jeune âge et on lui avait déjà fait la remarque.
- C'est étrange, elle ne m'a pas l'air très bouleversée, s'étonna le héros. Comme si rien ne s'était passé.
- Si tu veux mon avis, elle essaie juste d'oublier et fait en sorte qu'on ne lui parle pas de ce qu'elle a vécu. Je la comprends.
Link trouva cela assez normal. Il y avait à peine trois heures, elle était encore prisonnière dans sa cellule lugubre, tout avait basculé sans qu'elle ne s'y attende. Lysia était peut-être dans le déni de ce qu'il lui était arrivé… Ce n'était peut-être pour elle, qu'un simple cauchemar effroyable qui venait de se terminer. Même si d'habitude, les mauvais rêves ne laissaient pas de traces dans la réalité…
- Je ne sais pas ce qu'on lui a fait durant ces jours d'emprisonnement mais…
Zelda rattrapa le héros en voyant que la fille de Gabriel arrivait à eux.
- Évite d'en parler en sa présence, conseilla-t-elle.
- J'ai rapporté tout ce qu'il fallait, s'exclama Lysia. Les personnes qui se sont occupées de madame Impa avec vous ont accepté de me prêter un peu de matériel. Sous l'autorisation de mon père.
La princesse avait finalement accepté d'être soignée par la petite Hylienne qui devait certainement tisser des liens plus forts avec elle car toutes deux avaient été torturées par la même personne ; à différents degrés bien sûr, mais cela repoussa vivement la solitude que pouvait ressentir Lysia. Celle-ci s'agenouilla et pria Zelda de faire de même en la rassurant.
- Ne vous inquiétez pas Votre Altesse, je ne prends pas ça pour un simple jeu. Je me suis lavé les mains et je vais vous offrir des soins dignes de ce nom.
- Je n'en doute pas.
Sous l'œil tout de même attentif de la princesse, Lysia posa le bandage, le coton, la pommade, ainsi que l'alcool sur ses genoux. Si un problème venait à lui faire obstacle, Zelda était toujours là pour se charger de le régler, même si la petite fille savait parfaitement ce qu'elle faisait. Son père ne lui avait pas permis d'emprunter toutes ces choses pour rien. Elle remarqua que Link restait debout et la regardait faire sous un regard bienveillant, elle s'adressa à lui sans hésitation.
- Vous êtes aussi blessé, monsieur le chevalier servant ? s'interrogea-t-elle.
- Pas cette fois, non, répondit le concerné qui souriait devant cette volonté d'aider autrui.
La princesse intervint en murmurant quelques mots à Lysia qui l'écouta attentivement.
- Je crois bien qu'il est jaloux, chuchota Zelda qui savait pertinemment que le héros l'avait entendue.
- Pourquoi ?
- Eh bien, il n'est pas blessé et n'aura pas la chance d'être soigné aussi correctement.
Link souffla en entendant cette plaisanterie qui amusait bien les deux Hyliennes. Mais cela ne le dérangea pas, il n'était pas du genre susceptible et avait appris à reconnaître le premier et second degré chez son amie et savait quand la prendre au sérieux ou non. De plus, il se disait que si cela pouvait faire rire Lysia, c'était tant mieux. Cette dernière approcha l'avant-bras de Zelda d'elle et mouilla légèrement un coton d'alcool pour pouvoir désinfecter toutes ces larges coupures qui n'étaient pas très belles à voir… Avant d'entreprendre cette action, elle se stoppa à quelques centimètres de la zone infectée.
- Ça risque de piquer un petit peu, prévint-elle.
- Merci de l'avertissement, lui sourit la princesse.
Lysia disposa le coton rigoureusement en débutant au niveau du poignet et tapota doucement les plaies en remontant ainsi. Cela fit grimacer Zelda qui ressentait de douloureux picotements très désagréables lui envahir la surface de sa peau. Malgré cela, elle en conclut que la petite fille s'en sortait très bien et s'appliquait avec beaucoup de sérieux.
- Désolée, s'excusa cette dernière en comprenant que son geste ravivait une sensation pénible.
- Où as-tu appris tout cela ? fit Zelda.
Elle passa à la pommade cicatrisante qu'elle appliqua soigneusement ensuite avant de la laisser agir quelques secondes.
- Oncle Alan… dit-elle avec un peu de nostalgie dans sa voix. C'est toujours lui qui m'enseigne ce genre de choses. Papa, lui, m'apprend à cuisiner.
Link qui fut ravi d'entendre une telle affirmation remarqua une certaine tristesse soudaine s'emparer du visage de Lysia. Elle s'était munie du bandage qu'elle commençait à enrouler autour du bras de Zelda. Mais elle avait étrangement ralenti son action, comme si des pensées obscures venaient à son esprit sans qu'elle ne puisse rien y faire.
- Tu es très bien entourée, à ce que j'entends là, fit Link qui ne trouva que cette remarque en guise d'intervention.
- C'est vrai, confirma-t-elle d'une voix peu audible.
La petite fille continuait à faire des tours et des tours avec le tissu autour du bras de la princesse. Lorsque celle-ci remarqua qu'elle ne semblait pas s'arrêter et qu'il y avait bien assez de bandage pour guérir ses blessures, Zelda lui releva le menton.
- Lysia, tout va bien ?
La fille de Gabriel regarda fixement l'Hylienne pendant au moins cinq secondes de silence et déglutit en acquiesçant.
- Je vais bien.
Un mensonge qui ne fut avalé par aucun des deux jeunes gens. Elle ne voulait pas parler, et personne ne pouvait lui obliger, elle venait à peine d'être sauvée ! Rien ne servait de prolonger le mal être qu'elle connaissait depuis des semaines. Lysia se reprit et retira quelques centimètres de tissu avant de terminer les soins en laissant retomber vivement ses mains sur ses genoux.
- J'ai terminé, dit-elle chaleureusement.
- Merci beaucoup. C'est du très beau travail.
- Tout le plaisir est pour moi, Votre Altesse.
Lysia récupéra toutes ses affaires qu'elle partit rendre à leurs propriétaires. Avant de quitter les deux élus, elle termina par une note plus positive.
- Je vais demander à mon père s'il n'accepterait pas de nous préparer à manger. Vous devriez avoir faim, non ? Et je veux me promener, aussi ! Je veux aller explorer les ruines que nous n'avons pas encore visitées !
Elle accéléra le pas et s'empressa de rejoindre son paternel, sous les regards de Link et Zelda, partagés entre une joie mêlée à une certaine pitié, dans le bon sens du terme.
La journée passa tranquillement et sans difficultés. Il était bientôt vingt-et-une heures, Impa dormait depuis la fin d'après-midi et la princesse avait longuement discuté avec le héros sur différents sujets importants.
Gabriel, assis et adossé contre un tronc de palmier qui ne lui faisait plus d'ombre à cette heure-ci de la soirée, contemplait les derniers rayons du soleil qui se reflétaient sur l'eau paisible à quelques pas devant lui. Lysia dormait contre lui depuis dix bonnes minutes, il y avait longtemps qu'elle n'avait été aussi détendue, la fatigue l'avait rattrapée par surprise. Link, qui venait de terminer de discuter avec un marchand ambulant du bazar, décida de le rejoindre et de s'asseoir en tailleur dans le sable devant l'homme qui l'observa faire. Dans un calme presque irréel. Il avait insisté pour parler seul à seul avec le prodige. Link était donc venu au rendez-vous.
- Merci d'avoir veillé sur elle.
La voix du père était posée et sereine. C'était peut-être la première fois que le chevalier l'entendait parler aussi calmement. Profitant de cet endroit à l'allure paradisiaque pour se remettre de leur matinée, Gabriel voulut discuter avec le héros envers qui il avait beaucoup de respect depuis qu'il avait cessé de reprendre son rôle de voleur.
- Je n'ai fait que suivre les instructions que vous aviez données, répondit modestement Link.
Gabriel approcha lentement son nez des cheveux de Lysia, la tête posée contre son épaule, et le laissa respirer une forte odeur de transpiration quelque peu désagréable. Il haussa les sourcils en soufflant et éloigna vivement son visage du crâne de sa fille.
- C'est bien ce que je pensais. On ne lui a pas permis de se laver… fit-il en riant.
- Au moins, c'est involontaire, déclara Link. À son âge, je détestais tellement ça qu'il pouvait m'arriver de passer une semaine consécutive sans bain.
Étonné d'apprendre une telle information sur le héros d'Hyrule, l'homme ne sut quoi répondre. Ce qui laissa Link un peu gêné d'avoir raconté cette anecdote de son enfance. Le père repensa aux séquelles qu'avait engendrées le séjour de Lysia au repaire des Yigas, et son sourire disparut soudainement de son visage.
- On l'a sauvagement torturée. La peau de son ventre est… complètement brûlée et il n'en reste qu'une importante cicatrice… Elle ne m'a pas encore parlé concrètement de ce qu'il s'était passé, mais… C'est… vraiment…
- Monstrueux, compléta le blond. Je suis sincèrement navré pour elle. Vraiment. Elle ne mérite d'avoir autant souffert.
Il regarda le ciel en faisant basculer sa tête en arrière jusqu'à ce que celle-ci soit retenue par le tronc d'arbre. Il sentait la respiration profonde de la petite fille sur son bras et se rendit compte que pour rien au monde il ne voulait gâcher un tel moment. Savoir qu'elle se sentait bien et en sécurité, c'était tout ce qui lui importait. Il ne souhaitait que son bonheur, et il avait fait tout ce qui était en son pouvoir depuis sa naissance pour que son enfance soit une période de sa vie qu'elle n'oublierait jamais. Il était bien clair que non, suite à tous ces évènements, Lysia n'oublierait pas.
- Tout ça doit vous paraître bien étrange, formula Gabriel.
Link le dévisagea.
- Quoi donc ? s'interrogea-t-il.
- Nous nous sommes battus. Je vous ai quand même frappé à trois reprises dans l'estomac…
Le prodige se remémora en détail le combat. Son adversaire masqué, ces coups qu'ils avaient dû endurer et ceux qu'il avait portés. Ce réveil brutal de la corruption dans son dos qui avait failli le faire tuer une fois qu'il était au sol. Si Revali ne l'avait pas sauvé de la lame de Lambda à ce moment précis, ils n'en seraient pas là à discuter en plein désert, au crépuscule.
- Ce jour-là, j'ai combattu contre le voleur Lambda, expliqua le héros. Pas vous.
Gabriel regarda ailleurs suite à cette affirmation qu'il fut surpris d'entendre. En haussant les sourcils, il adopta une expression discrètement embarrassée. À vrai dire, il ne s'était pas encore intéressé jusque-là à ce que je pensais le héros de lui. Son opinion ne lui était pas d'une grande importance face à celle de la princesse par exemple. Mais ses efforts avaient aussi payé avec Link, ce qui n'était pas fort dérangeant.
- Je suis… ravi que vous fassiez cette différence… dit-il.
- La princesse Zelda m'a raconté votre histoire.
En basculant son regard sur Lysia, le blond voulut lui partager davantage d'informations qui pouvait certainement intéresser le père, mais il hésita à lui en parler à cet instant.
- Il ne vous reste qu'elle, alors…
Il reprit.
- Je ne saurai dire quelle sera la finalité de votre procès, mais vous devez savoir que vous ne pourrez y échapper… Mais croyez-moi, l'avenir déjà tracé, je connais ça.
Gabriel attendit de savoir où le capitaine voulait en venir. Ce dernier réfléchit et se dit que s'il ne lui disait pas maintenant, il laisserait le père avec une question qu'il se posait depuis le début de ce périple. Il allait bien le savoir un jour, de toute manière.
- C'est pourquoi nous avons discuté durant la mission, avec dame Impa, continua Link. Et elle est du même avis que moi.
Il marqua une pause qui fit frissonner le frère d'Alan. Le sujet avait l'air important s'il mentionnait Impa, il savait qu'il allait lui parler de son futur incertain. Et même si, à première vue, les tensions entre le père et la magistrate adjointe avaient quelques peu faiblies, il n'était sûr de rien. Le héros lui avoua alors la décision qu'ils avaient prise et envers laquelle Zelda ne s'opposerait certainement pas.
- Nous vous laisserons repartir chez vous, avec votre fille. Cependant, c'est la seule chose que nous pourrons faire pour retarder le jour de votre procès.
Officiellement, ce n'était ni Link, ni la Sheikah qui détenait l'avenir de l'ancien voleur entre leurs mains, rien ne le justifiait. C'était la raison pour laquelle ce procès était inévitable, c'était lui qui allait mettre les choses aux clairs, de manière explicite et légale. Gabriel réfléchit à ce choix. Fuir était-ce une bonne solution ? Il finirait bien par être retrouvé un jour ou l'autre, maintenant que le monde connaissait son visage. Ce fut lors de son arrivée au château qu'il se rendit compte de sa véritable célébrité. Les rumeurs couraient très vite et les gens n'avaient d'yeux que pour lui. Et bien évidemment, ce n'était guère des regards d'admiration.
- Votre père aurait adoré s'occuper de mon cas, à l'époque, dit-il.
- Il ne m'a jamais parlé de vous, répondit Link.
- Vous avez pris sa place en tant que capitaine de la garde royale, n'est-ce pas ?
Il hocha la tête.
- Ce sera donc à vous de donner les ordres pour me retrouver, mais sachez que…
- Je pourrai toujours ordonner de vous rechercher là où vous n'êtes pas.
Gabriel refusa. Il ne voulait pas faire du capitaine de la garde un complice devant le roi et les hauts placés qui se chargeraient de son jugement, même si le laisser partir sans contestation était théoriquement très discutable à ce sujet. Il était certain que la décision qu'il s'apprêtait à prendre ne pouvait être que bénéfique pour lui, du moins, psychologiquement.
- Héros Link, je compte y aller, à ce procès. Je dois payer le prix de mes actes passés. Je pense que c'est le seul moyen pour que je puisse faire la paix avec moi-même. Mais avant, je veux simplement avoir le temps de m'occuper de Lysia pour qu'elle se remette de ce cauchemar. C'est pourquoi je vous remercie infiniment de me laisser partir quelques jours.
Le père avait vaguement essayé d'expliquer son passé à Lysia, celle-ci ne l'avait pas vraiment pris au sérieux lors de la seule fois où leur sujet de discussion avait tourné autour de cela. Elle était peut-être encore trop jeune pour comprendre de telles choses ? Ou ne voulait-elle simplement pas y croire ? Gabriel ne souhaitait pas l'abandonner en partant de son plein gré vers son procès. En tout cas, ce n'était pas cet évènement qui allait les séparer à jamais, certainement pas.
- Croyez-vous qu'elle l'acceptera ? demanda le chevalier dans la foulée.
- Je lui expliquerai. Elle devra comprendre que son père n'a pas toujours été très bon et qu'il doit en subir les conséquences. C'est la moindre des choses. Pour ce qui est de la suite, je n'y pas encore vraiment songé.
Link reconnut là des vertus très honorables qu'on lui avait enseignées depuis son plus jeune âge. Gabriel allait tenir son engagement, se présenter lui seul devant le roi et laisser faire la justice, le héros n'en doutait pas.
- La loyauté et le courage sont des piliers de la chevalerie, énonça-t-il.
Le silence crépusculaire prit le dessus. En remarquant Zelda de l'autre côté de l'oasis qui discutait avec Urbosa, prévenue de leur présence près de sa cité, le prodige se releva en laissant le père et sa fille se reposer.
- Nous allons rester ici pour le reste de la soirée, informa Gabriel. Nous nous mettrons en route demain.
- D'accord.
Ils se souhaitèrent une agréable fin de soirée et ainsi, l'homme posa sa tête contre celle de Lysia et ferma les yeux à son tour avant de s'endormir dans un sommeil qui allait lui être plus que réparateur.
