Chapitre 34.

- Pourquoi tu n'es pas resté avec moi ? je m'égosille alors qu'il porte sa main à sa joue pour calmer la brûlure.

Plusieurs personnes nous observent. J'en ai conscience, mais absolument rien à faire. Tout ce qui compte, c'est la panique que j'ai ressenti et qui refuse encore de s'évacuer.

- J-J'ai… Pas fait exprès, marmonne-t-il alors que son regard jusque-là hébété se remplit d'animosité. T'as pas besoin de me frapper pour ça, tu ne crois pas que j'aurais préféré rester avec toi ?

- En quoi c'était compliqué de rester là-haut ? Tu as dit reconnaître ces gars qui avaient déjà mis le feu à deux immeubles avant de te précipiter vers l'ascenseur, ne dit pas que tu ne l'as pas fait exprès !

J'ai conscience d'être hystérique, alors je me calme en expirant fortement et le fixe dans les yeux alors que je réalise quelque chose.

- Je ne sais pas pourquoi tu t'amuses à disparaître quand les choses déconnent. Tu n'étais pas là les deux autres fois où il y a eu des problèmes en ville, tu t'es enfui de cours en prétextant être mal juste après qu'il y ait eu une secousse l'autre jour, … Tu trouves peut-être ça drôle de me faire flipper, mais est-

- Le monde ne tourne pas autour de toi Naia ! explose-t-il en me coupant.

Sa main est retombée le long de son flanc, ses poings sont serrés, ses iris pourraient me tuer si elles en avaient le pouvoir.

J'ai l'impression de me recevoir une claque à mon tour. Alors c'est ça, l'opinion qu'il a de moi ? Une fille égocentrique ?

Les larmes menacent de plus en plus de couler, mais la haine que me procurent ses propos m'empêche de me décomposer totalement.

- Mais toi, tu n'es pas un super-héros ! Laisse Spiderman s'occuper de ce genre de choses et reste avec ceux qui tiennent à toi !

D'ordinaire, je suis certaine que la pique aurait pu le faire rire. Là, je vois clairement qu'il prend ma phrase comme une attaque. Il recule d'un pas, son visage renvoie une image à la fois choquée et plus qu'irritée.

- Putain Naia, ouvre les yeux !

Je fronce les sourcils d'incompréhension, attendant qu'il poursuive. Sa bouche s'entrouvre et ses iris ne quittent plus les miens. Un instant, je crois voir son regard s'adoucir, mais bien vite une hésitation s'insinue en Parker. Il finit par serrer la mâchoire et fixer le sol.

- Laisse-tomber, grince-t-il.

Peter s'est totalement refermé. Quoi qu'il voulait me dire, il s'est définitivement ravisé. Et la frustration s'ajoute à la colère de mon côté. Je sais déjà que je regretterai mes prochains mots, mais je ne peux m'empêcher de lui faire autant de peine que ce qu'il me fait.

- Tu n'es pas un super-héros, je répète d'une voix plus basse. Contrairement à eux, tu n'es jamais là quand on a besoin de toi.

Je crois voir ses yeux s'humidifier, puis sa mâchoire se contracte encore plus qu'avant si c'est possible. Ne tenant plus, je tourne les talons et me précipite jusqu'à l'arrêt de bus pour rentrer chez moi. Un instant, je crains qu'il ne me suive – ou je l'espère au fond de moi, je ne parviens pas à déterminer – mais non. Je rentre seule et monte m'enfermer à clé dans ma chambre, alors que mes parents me bombardent de questions dès que je passe le seuil de la porte.

Ils tentent tout. Ils me demandent gentiment d'ouvrir, s'acharnent sur la porte, me somment de venir les voir puis quand ils comprennent que rien ne me fera bouger, ils toquent doucement en s'inquiétant. En larmes, je prends le temps de me calmer un tant soit peu avant de leur dire que je vais bien, que je descendrai plus tard. Je suis certaine que ma mère comprend que mon état n'est pas dû à l'incendie, mais bien à cause de celui avec qui je passais l'après-midi et je l'entends chuchoter à mon père qu'ils retournent en bas.

Je passe finalement la fin de journée dans ma chambre, et ne prends le temps de raconter toute cette histoire à Laureen que le lendemain. Puisqu'elle était au courant de l'après-midi que je passais avec Parker, elle m'a inondée de messages la veille, mais je ne les découvre que maintenant.

- Et genre là il t'a rien envoyé depuis hier ?

Je secoue la tête devant la caméra. Mon amie a vraiment insisté pour que l'on lance un Facetime, bien que je lui ai dit faire particulièrement peur aujourd'hui.

- Quel con.

Bien que je sois énervée contre Peter, j'ai bien conscience de ne pas être toute blanche non plus. Certes j'avais mes raisons, mais j'ai été virulente hier, tant physiquement que dans mes propos. Cependant, bien que j'ai tout passé en revue, Laureen a la décence de l'accabler uniquement lui et pas moi. Peut-être que comme moi, elle retient surtout que Parker a le chic pour disparaître et qu'il m'a vraiment vexée hier, en plus de la trouille qu'il m'a fichue.

- Soit pas triste Naia, tu trouveras bien mieux que lui.

- Mais c'est même pas pour le potentiel rendez-vous que je suis comme ça, je souffle. C'était un ami et là… Je pense qu'on se fait vraiment la tronche.

- Tu penses pas qu'il va te reparler comme si de rien n'était demain ?

Je hausse les épaules.

- En tout cas, je ne le ferai pas. A chaque fois, j'ai décidé de passer l'éponge pour ne pas faire la fille pénible. Là, c'était la goutte de trop. Je me suis sérieusement demandé s'il était mort, tu réalises Laureen ?

Elle acquiesce et nous discutons encore longuement. Néanmoins, j'ai raison : le lendemain, aucun de nous deux ne fait le premier pas vers l'autre. MJ est étonnée bien que je lui ai raconté brièvement par messages, mais ce n'est rien à côté de Ned, qui a du mal à se retenir de poser des questions. Je me demande si Peter lui a dit quoi que ce soit, mais hors de question de lancer le sujet avec Leeds. Ce serait se tirer une balle dans le pied, il ne me lâcherait plus jusqu'à ce que je lui ai tout raconté dans les moindres détails.

Notre relation, que j'appréciais avec Peter, a changé du tout au tout, comme me le prouvent les jours qui suivent. On ne se hurle pas dessus comme la dernière fois, mais les quelques regards que l'on s'échange à la dérobée en disent long. Déception. Colère. Ça fait mal.

Michelle comprend rapidement que rester tous les quatre n'est pas envisageable tant que Parker et moi ne serons pas réconciliés, tout comme elle saisit bien vite que nous ne sommes pas prêts de nous reparler de sitôt. D'un accord tacite, nous arrêtons de traîner avec les garçons et restons toutes les deux. Elle s'emploie à me faire rire un maximum et j'apprécie ses efforts bien que j'ai l'impression permanente qu'un nœud s'est formé dans mon estomac. Parfois, il remonte jusque dans ma gorge quand j'ai le malheur de croiser le regard de Parker.

Au bout d'une bonne semaine, j'ai l'espoir que les choses s'arrangent, quand je le vois débarquer au lycée après moi. Il a dû louper notre bus et semble particulièrement agité pour un lundi matin. Quand il nous aperçoit dans le couloir avec MJ et une autre camarade de classe, je crois le voir s'approcher, puis hésiter quand il se souvient probablement de la situation. Son regard se durcit alors qu'il me toise, puis il poursuit son chemin, probablement pour aller rejoindre Ned. MJ doit également avoir vu la scène, parce qu'elle passe une main réconfortante dans mon dos alors que je referme rageusement la porte de mon casier.

Alors qu'une autre semaine sans Peter s'écoule, je réalise mercredi que je n'ai pas revu Spidey depuis le jour où il s'est occupé d'aider les gens au centre commercial. J'espère sincèrement qu'il va bien et en même temps je suis persuadée que oui. En réalité, je crains que Peter l'ait vu avant moi et qu'il en ait profité pour lui raconter sa version des faits, pour me faire passer pour la méchante. Au final, j'ai l'impression de perdre deux amis, ce qui est étrange si l'on pense au fait que je considère un super-héros dont je ne connais même pas l'identité comme tel.

Le seul point positif à toute cette affaire, c'est que j'ai l'impression que mes parents sont plus attentifs à moi. Ils sont toujours beaucoup absents, mais m'occupent l'esprit de quelque manière que ce soit dès qu'ils sont à la maison. Encore ce jeudi matin, mon père me fait mourir de rire, à débiter je ne sais combien de stupidités à la minute, tandis que ma mère se repose dans leur chambre, puisqu'elle a été malade toute la nuit et n'ira exceptionnellement pas travailler. Avant de partir en cours, mon père me promet que nous irons passer la journée au parc ce week-end, comme en début d'année. Il fera froid puisque nous sommes début décembre, mais ils prévoient du beau temps et pas de neige pour le moment alors ça ne pourra qu'être un bon moment. Je le charrie en lui disant que cette fois, il mangera plus la pelouse que moi, puis je file vers l'arrêt de bus.

La journée passe lentement. Depuis deux ou trois jours, je ne ressens plus de colère envers Parker. Simplement de la tristesse, à l'idée que les choses se soient déroulées de cette manière. J'aurais préféré qu'il ne s'enfuie pas autant et que l'après-midi que nous passions ensemble se termine comme elle avait commencée. Lorsque j'intercepte son regard le midi à la cantine, je me demande s'il pense comme moi. Je ne crois plus déceler de haine non plus. Mais peut-être que je me fais des films.

La journée de lycée terminée, je passe doucement la porte d'entrée de la maison, pour ne pas réveiller ma mère qui pourrait encore se reposer. Cependant, elle doit être réveillée, puisque des reniflements se font entendre depuis la cuisine. La pauvre, elle a l'air d'avoir un rhume carabiné.

- Je suppose que ça va pas mi… Maman ?

Je me suis stoppée au niveau de l'arche qui permet de rejoindre la cuisine depuis l'entrée. Ce n'est pas un rhume. Elle est en train de pleurer, les mains fermement agrippées au meuble face à elle.

- Qu'est-ce qui a ? je m'inquiète en la regardant brièvement pour m'assurer qu'elle n'est pas blessée.

Je n'ai jamais vu ma mère comme ça. Il lui est arrivé d'être triste, mais jamais à ce point. Sa mâchoire inférieure tremble, elle manque d'air. Ne sachant quoi faire, je lui caresse le dos pendant plusieurs minutes, alors qu'elle essaie à plusieurs reprises d'articuler quelque chose. J'attends patiemment, jusqu'à ce qu'elle soupire entre deux sanglots, pour lâcher :

- C-C-C'est… C'est ton père, i-il…

Elle ne se contrôle plus au point de bégayer. Mon rythme cardiaque s'accélère alors que j'imagine déjà la suite.

- Il a eu un accident ? je demande avec une anxiété non dissimulée pour l'aider à poursuivre.

Ses mots résonnent dans ma tête sans faire sens.

- Il est mort, corrige-t-elle d'une voix blanche.